Inspection des manifolds sur le site de stockage souterrain de gaz naturel Storengy de Chémery.

Des modes de financement en pleine mutation

Dossier : Gaz et transition énergétiqueMagazine N°725 Mai 2017
Par Gauthier CHATELUS (87)

Les modèles finan­ciers du mar­ché de l’énergie ont été bou­le­ver­sés depuis 20 ans dans une acti­vi­té où les cycles de vie sont très longs. La sépa­ra­tion impo­sée des dif­fé­rentes acti­vi­tés, le « sub­ven­tion­ne­ment » des EnR, et l’é­mer­gence de pro­duc­teurs indé­pen­dants dans les domaines négli­gés par les grands éner­gé­ti­ciens font donc régner de fortes incer­ti­tudes sur la péren­ni­té des inves­tis­se­ments à réaliser. 

Les infra­struc­tures de pro­duc­tion, de trans­port et de dis­tri­bu­tion de l’énergie forment une ossa­ture essen­tielle pour le déve­lop­pe­ment des économies. 

Les cycles de vie de ces ins­tal­la­tions peuvent durer plu­sieurs dizaines d’années, et par­fois dépas­ser le demi-siècle. 

La seule ges­ta­tion des pro­jets puis leur construc­tion peut dépas­ser la dizaine d’années, voire net­te­ment plus pour les sys­tèmes com­plexes comme les grandes inter­con­nec­tions élec­triques ou gazières, les cen­trales nucléaires ou les bar­rages hydrauliques. 

REPÈRES

Les évolutions structurelles du marché de l’énergie des vingt dernières années ont totalement révolutionné les équations financières qui le sous-tendent et son financement.
La séparation imposée des activités de production et de fourniture d’énergie, de transport et de distribution, ainsi que les mesures permettant d’ouvrir les marchés ont entraîné un cloisonnement, voire un émiettement des activités et de leur financement, empêchant une approche systémique du développement à long terme.

DES MODÈLES INTÉGRÉS

Ces sys­tèmes com­plexes néces­sitent des inves­tis­se­ments consi­dé­rables, qui doivent s’amortir sur des durées de vie très longues. En Europe, après la Seconde Guerre mon­diale, de très grands groupes inté­grés ont per­mis de finan­cer et de déve­lop­per au niveau natio­nal ou supra­ré­gio­nal les sys­tèmes élec­triques, puis gaziers. 

Ces enti­tés ont pu assu­rer un finan­ce­ment cor­po­rate de ces inves­tis­se­ments considérables. 

UNE PERTE DE VISIBILITÉ À LONG TERME

Si le trans­port et la dis­tri­bu­tion ont gar­dé leur carac­tère de mono­pole natu­rel et une régu­la­tion de long terme, les nou­velles régle­men­ta­tions ont impo­sé la concur­rence entre les opé­ra­teurs, et le déman­tè­le­ment pro­gres­sif des tarifs réglementés. 

“ La gestation des projets puis leur construction peut dépasser la dizaine d’années ”

Aujourd’hui, chaque pro­jet est ana­ly­sé uni­que­ment sur ses cri­tères propres, et doit être ren­table à ses propres bornes, et non comme par­tie d’un sys­tème. La dif­fi­cul­té vient alors du fait que les inves­tis­se­ments de pro­duc­tion ont une com­po­sante capi­tal ini­tial très éle­vée en com­pa­rai­son des coûts d’opération et de com­bus­tibles, néces­si­tant une bonne visi­bi­li­té sur les reve­nus pour assu­rer la ren­ta­bi­li­té de l’investissement.

Or, la déré­gu­la­tion du mar­ché a entraî­né une forte baisse des prix et une forte vola­ti­li­té de ceux-ci, ne four­nis­sant aucun signal prix de long terme. 

Ce qui était per­mis par des tarifs régu­lés ne l’est plus lorsque les prix sont déter­mi­nés par un mar­ché de court terme au coût marginal. 


Ins­pec­tion des mani­folds sur le site de sto­ckage sou­ter­rain de gaz naturel
Sto­ren­gy de Ché­me­ry. © ENGIE / MIRO / MEYSSONNIER ANTOINE

LES HANDICAPS DES ÉNERGIES RENOUVELABLES

Les pre­mières tech­no­lo­gies à être réel­le­ment déployées au début des années 2000, le solaire pho­to­vol­taïque et l’éolien ter­restre, pré­sen­taient un modèle finan­cier extrême puisque l’investissement ini­tial est très impor­tant par rap­port à la pro­duc­tion pos­sible, et les coûts d’exploitation qua­si­ment nuls. 

De plus, la pro­duc­tion est inter­mit­tente et non ou peu pré­dic­tible (on pro­duit quand il y a du vent ou du soleil). Enfin, le coût ini­tial de ces tech­no­lo­gies ren­dait ini­tia­le­ment l’électricité pro­duite en moyenne beau­coup trop chère par rap­port à la pro­duc­tion existante. 

UN FINANCEMENT PERMIS PAR LA MISE EN PLACE DE SIGNAUX À LONG TERME HORS MARCHÉ

Les puis­sances publiques ont donc dû mettre en place des tarifs de rachat de l’électricité ain­si pro­duite, fixes sur des durées suf­fi­sam­ment longues (quinze à vingt ans), qui ont pu atteindre ini­tia­le­ment jusqu’à plus de 10 fois le coût nor­ma­tif de pro­duc­tion de l’électricité nucléaire (pour le PV en toi­ture notam­ment), asso­ciés à une obli­ga­tion de rachat par le sys­tème électrique. 

“ Développer les projets dans un cadre de long terme permettant au financement de se déployer de façon rentable ”

Le sur­coût de cette élec­tri­ci­té était ensuite répar­ti sur l’ensemble des consom­ma­teurs au tra­vers de la CSPE. Cette visi­bi­li­té des tarifs a per­mis d’enlever le risque de mar­ché de ces pro­jets, pour ne lais­ser qu’un risque de construc­tion (rela­ti­ve­ment faible) et un risque de pro­duc­tible (lié au vent ou au niveau d’ensoleillement effectif). 

Ces tarifs ont per­mis aux pro­mo­teurs de struc­tu­rer des « finan­ce­ments de pro­jet » à long terme avec un fort levier (de l’ordre de 80 % de dette à quinze ou vingt ans). 

L’ÉMERGENCE DE PRODUCTEURS INDÉPENDANTS

Les grands éner­gé­ti­ciens se sont ini­tia­le­ment peu inté­res­sés à ces pro­duc­tions de petites tailles décen­tra­li­sées. De nom­breux pro­duc­teurs indé­pen­dants se sont alors lan­cés dans ces pro­jets, en s’appuyant sur des inves­tis­seurs finan­ciers pré­cur­seurs comme la Caisse des dépôts. 

Le mar­ché a ensuite crû très vite, les modèles de struc­tu­ra­tion se sont affer­mis. Aujourd’hui, l’investissement dans les pro­jets renou­ve­lables est très recher­ché et struc­tu­ré comme des pla­ce­ments finan­ciers qua­si obli­ga­taires, pro­po­sant des ren­de­ments de long terme régu­liers supé­rieurs à ceux des obli­ga­tions « nor­males » avec un risque asso­cié assez limité. 

DES SURCOÛTS PAYÉS PAR LES CONSOMMATEURS

Vue générale du terminal méthanier de Fos Cavaou.
Vue géné­rale du ter­mi­nal métha­nier de Fos Cavaou.
© ENGIE / NEUS / BRUNET ARNAUD

Ces méca­nismes de tarifs de rachat ont connu un grand suc­cès, et les EnR clas­siques se sont déve­lop­pées pour atteindre un poids impor­tant dans la capa­ci­té de pro­duc­tion en Europe. Ce déve­lop­pe­ment a per­mis éga­le­ment de très impor­tants gains de pro­duc­ti­vi­té sur les coûts de pro­duc­tion, per­met­tant ain­si d’atteindre dans cer­tains pays la pari­té avec les coûts com­plets de pro­duc­tion des moyens clas­siques neufs. 

Néan­moins, le revers de ce résul­tat a été la créa­tion d’un sur­coût impor­tant accu­mu­lé au fil des années qui est répar­ti dans les prix finaux de tous les consommateurs. 

DES MODÈLES POUR LES NOUVELLES FILIÈRES

Pour maî­tri­ser cette évo­lu­tion, et évi­ter les effets d’aubaine, les auto­ri­tés de régu­la­tion en Europe ont cher­ché à intro­duire de la com­pé­ti­tion dans le sys­tème, autour de deux axes. 

Dans un pre­mier temps, on a géné­ra­li­sé les approches « appels d’offres » por­tant sur les niveaux des tarifs pour des quan­ti­tés finies de puis­sance à ins­tal­ler, per­met­tant de maî­tri­ser les volumes ajou­tés et de pous­ser les déve­lop­peurs à opti­mi­ser leurs coûts. 

Le second méca­nisme qui est en train d’être défi­ni et mis en œuvre est celui des com­plé­ments de prix : les pro­duc­teurs devront vendre sur le mar­ché au coût mar­gi­nal, puis récu­pé­rer la dif­fé­rence avec leur prix cible pré­dé­fi­ni. Tou­te­fois, ce méca­nisme est com­plexe à mettre en œuvre, et pour­rait venir rajou­ter de l’incertitude ce qui pose­ra for­ce­ment des ques­tions aux investisseurs. 

LE MONDE DE LA FINANCE PRÊT À SE MOBILISER

Le monde de la finance, prê­teurs comme inves­tis­seurs, a pris conscience des enjeux de la tran­si­tion éner­gé­tique et se mobi­lise pour son financement. 

De nom­breux ins­ti­tu­tion­nels comme la BEI, la Caisse des dépôts ou de grands assu­reurs fran­çais se sont enga­gés pour orien­ter leur por­te­feuille dans le sens de la tran­si­tion éner­gé­tique. Cela passe par la créa­tion de nou­veaux pro­duits comme les « obli­ga­tions vertes », un enga­ge­ment action­na­rial actif vis-à-vis des grandes entre­prises, la créa­tion de fonds d’investissement dédiés à la tran­si­tion éner­gé­tique, ou encore une allo­ca­tion accrue des inves­tis­se­ments directs dans les pro­jets par­ti­ci­pant à la tran­si­tion énergétique. 

Mais il faut que les pro­jets soient déve­lop­pés et se struc­turent dans un cadre per­met­tant à ce finan­ce­ment de se déployer de façon rentable. 

Les EnR clas­siques sont aujourd’hui de vrais pro­duits finan­ciers per­met­tant des coûts de finan­ce­ment très com­pé­ti­tifs. Et tous les élé­ments semblent ras­sem­blés pour que des filières plus com­plexes comme le bio­gaz puissent à leur tour trou­ver leur essor.

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