Stockage de gaz naturel liquéfié

Les paradoxes du marché de l’énergie européen

Dossier : Gaz et transition énergétiqueMagazine N°725 Mai 2017
Par Patrick CORBIN (73)

Une poli­tique envi­ron­ne­men­tale ambi­tieuse a contri­bué à court terme au dés­équi­libre du mar­ché en période de faible crois­sance, favo­ri­sant le char­bon et condui­sant à la fer­me­ture de cen­trales au gaz au fonc­tion­ne­ment trop inter­mit­tent. Le gaz reste tou­te­fois un élé­ment clé de la tran­si­tion éner­gé­tique à l’échelle mondiale.

Vingt ans après le lan­ce­ment de la déré­gu­la­tion du mar­ché du gaz par l’Union euro­péenne, le che­min par­cou­ru est impres­sion­nant : les grands éner­gé­ti­ciens et mono­poles natio­naux ont été déman­te­lés, la ges­tion des réseaux de trans­port et de dis­tri­bu­tion a été sépa­rée de la com­mer­cia­li­sa­tion, une régle­men­ta­tion détaillée a été mise en place pour per­mettre l’arrivée de nou­veaux entrants et une juste rému­né­ra­tion des inves­tis­se­ments de long terme pour les infra­struc­tures, les places de mar­ché ont été ins­tal­lées et se sont structurées. 

Deux décen­nies ont suf­fi pour pas­ser d’une logique de pla­ni­fi­ca­tion cen­tra­li­sée et de contrats long terme à un mar­ché inté­grant pro­duc­teurs, trans­por­teurs, dis­tri­bu­teurs et consom­ma­teurs via des prix qui reflètent les coûts mar­gi­naux de court terme. 

REPÈRES

Le 19 décembre 1996, la directive européenne 96/92/CE sur le marché intérieur de l’électricité, puis le 22 juin 1998 la directive 98/30/CE sur le marché intérieur du gaz naturel lançaient la dérégulation des marchés européens de l’énergie et l’apparition des régulateurs nationaux.

UNE POLITIQUE ENVIRONNEMENTALE AMBITIEUSE

Dans le même temps, l’Union euro­péenne s’est lan­cée dans une poli­tique envi­ron­ne­men­tale ambitieuse. 

D’une part, pour encou­ra­ger le déve­lop­pe­ment des éner­gies renou­ve­lables – essen­tiel­le­ment dans l’électricité – des contrats d’achat à long terme ont été mis en place, avec des obli­ga­tions de rachat et des tarifs fixés à l’avance, la pro­duc­tion élec­trique inter­mit­tente deve­nant de ce fait prio­ri­taire avec un coût mar­gi­nal de pro­duc­tion nul. 

D’autre part, l’Union a mis en place des poli­tiques de maî­trise de la demande d’énergie qui, pour louables qu’elles soient, ont contri­bué au dés­équi­libre géné­ral du mar­ché dans un contexte de faible croissance. 

DES PRIX DE MATIÈRES PREMIÈRES EN PLEINE FLUCTUATION

Par ailleurs, le mar­ché des matières pre­mières a vécu ces der­nières années ses propres révo­lu­tions. Certes, l’effondrement récent des prix du gaz et du char­bon relève pour par­tie de la logique de prix cycliques des commodités. 

“ La production électrique intermittente est devenue de fait prioritaire ”

La chute des prix du gaz reflète aus­si pour par­tie cette révo­lu­tion qu’est la mise en place d’un mar­ché mon­dial du gaz natu­rel liqué­fié (GNL).

Cepen­dant, un élé­ment plus dis­rup­tif se cache der­rière la chute des prix du pétrole, du gaz et du char­bon : l’avènement du gaz et du pétrole de schiste qui a déjà pri­vé l’OPEP d’une grande par­tie de son pou­voir de mar­ché, en atten­dant de deve­nir la res­source flexible qui pour­rait sta­bi­li­ser les prix de l’énergie.

SÉCURITÉ D’APPROVISIONNEMENT : UNE PRÉOCCUPATION CROISSANTE

Der­nier élé­ment struc­tu­rant de la révo­lu­tion éner­gé­tique en cours, la sécu­ri­té d’approvisionnement fait l’objet d’une pré­oc­cu­pa­tion crois­sante, que ce soit du point de vue des impor­ta­tions de gaz ou de la capa­ci­té de pro­duc­tion électrique. 

En ce qui concerne le gaz, les crises ukrai­niennes ont illus­tré l’ampleur de la dépen­dance euro­péenne au gaz russe. Or, s’il est clair que la réponse passe par la créa­tion de nou­velles infra­struc­tures, la ques­tion de savoir qui paye pour les ter­mi­naux GNL, les inter­con­nexions de grand trans­port et sto­ckages dès lors qu’ils ne sont plei­ne­ment uti­li­sés qu’en cas de crise est loin d’être éclaircie. 

Dans l’électricité, la mau­vaise san­té des infra­struc­tures et les inquié­tudes cau­sées par la fer­me­ture tem­po­raire des cen­trales nucléaires fran­çaises à l’automne 2016 mettent en lumière les risques crois­sants qui pèsent sur l’équilibre emploi-res­sources sur les réseaux euro­péens de l’électricité.

LE MARCHÉ DE L’ÉLECTRICITÉ EN RISQUE DE SOUS-CAPACITÉ

Et pour­tant, sans la menace de l’hiver 2016–2017 liée à l’arrêt des cen­trales nucléaires, on aurait du mal à prendre au sérieux un éven­tuel risque de sous-capa­ci­té sur les mar­chés de l’électricité.

“ Des risques croissants pèsent sur l’équilibre des réseaux européens de l’électricité ”

En effet, ces der­nières années, les prix de mar­ché ont plu­tôt reflé­té la sur­pro­duc­tion liée à la mon­tée en puis­sance des sources renou­ve­lables inter­mit­tentes. Celles-ci ont, de fait, pris place sur le mar­ché dans la posi­tion d’une offre de base décor­ré­lée de la demande, capable de man­quer en heure de pointe autant que de par­ti­ci­per acti­ve­ment à la sur­pro­duc­tion en période de basse consommation. 

Avec les consé­quences que l’on connaît : outre les mau­vaises per­for­mances bour­sières des éner­gé­ti­ciens his­to­riques, les cen­trales au gaz, appe­lées sur des plages plus réduites, ont été fer­mées ou mises sous cocon faute d’une ren­ta­bi­li­té suf­fi­sante fon­dée sur le seul prix du kilowattheure. 

Alors que la tran­si­tion éner­gé­tique doit s’appuyer sur un déve­lop­pe­ment impor­tant de la consom­ma­tion d’électricité, cette situa­tion tra­duit une absence de vision long terme. 

En résulte un risque de sous-capa­ci­té à moyen terme, en par­ti­cu­lier en période de forte demande et d’absence des res­sources solaires et éoliennes. 

QUAND LE CHARBON PROFITE DE LA CRISE


La chute des prix du gaz reflète aus­si pour par­tie cette révo­lu­tion qu’est la mise en place d’un mar­ché mon­dial du gaz natu­rel liqué­fié (GNL).
© MIKE MAREEN / FOTOLIA.COM

Un autre point para­doxal dans la situa­tion des mar­chés est le fait que le gaz a de plus en plus de mal à trou­ver sa place dans le mix de pro­duc­tion. Les prix de l’électricité ne sont en effet pas les seuls à s’être écrou­lés : ceux du char­bon ont eux aus­si fondu. 

Cet état de fait a ren­du le coût mar­gi­nal de pro­duc­tion des cen­trales au char­bon très com­pé­ti­tif, dépla­çant le gaz sur la pro­duc­tion mar­gi­nale. Ce dépla­ce­ment a été d’autant plus facile que le prix du car­bone reste très bas. De ce fait, les plages d’appel des cen­trales au gaz se sont réduites, ne leur per­met­tant plus d’amortir leurs coûts fixes. 

Ne pou­vant plus tirer leur ren­ta­bi­li­té des prix au coût mar­gi­nal et ne pou­vant béné­fi­cier de prix de long terme comme les renou­ve­lables, ces cen­trales ferment donc, ou sont mises sous cocon. 

En défi­ni­tive, l’augmentation de l’usage de char­bon aux dépens du gaz abou­tit à une aug­men­ta­tion des émis­sions de CO2, notam­ment en Allemagne. 

LE GAZ, ÉLÉMENT CLÉ DE LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE

Ce tableau paraî­trait très noir si l’on n’avait pas en tête cette réa­li­té que notre sys­tème éner­gé­tique a été en per­pé­tuelle muta­tion depuis ses débuts il y a plus d’un siècle. Entre les déploie­ments des pre­miers réseaux, la mas­si­fi­ca­tion de l’accès à l’énergie, la grande vague du nucléaire, l’aventure des impor­ta­tions des gaz russe, algé­rien et nor­vé­gien et la déré­gu­la­tion des mar­chés, les révo­lu­tions se sont enchaî­nées et ont été plu­tôt bien absorbées. 

Que le gaz soit un élé­ment clé de la tran­si­tion éner­gé­tique à venir à l’échelle mon­diale, il suf­fit pour s’en convaincre d’observer que les pays qui ont le plus réduit leurs émis­sions de CO2 l’ont fait par la conver­sion du char­bon ou du fuel lourd au gaz. 

L’Europe est dans une situa­tion para­doxale, en ayant pri­vi­lé­gié à court terme ses objec­tifs d’électricité renou­ve­lable à ses objec­tifs de réduc­tion des émis­sions de CO2 dans la pro­duc­tion électrique. 

Quant au mar­ché, il est déjà en train de s’adapter, mal­gré la ten­ta­tion d’une ges­tion par le prix uni­que­ment. Cer­taines solu­tions se des­sinent – comme la défi­ni­tion d’un mar­ché de capa­ci­té dans l’électricité –, d’autres sont à por­tée de la main – comme la mise en place d’un nou­veau mar­ché com­por­tant éven­tuel­le­ment un prix plan­cher du CO2.

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