Le navire ravitailleur en gaz naturel liquéfié d’Engie.

Le gaz naturel, une solution pour le secteur maritime

Dossier : Gaz et transition énergétiqueMagazine N°725 Mai 2017
Par François CAHAGNE

Le trans­port mar­itime util­isant du fuel lourd à fort taux de soufre est de plus en plus con­traint de réduire ses émis­sions de pol­lu­ants. L’u­til­i­sa­tion du GNL est une bonne solu­tion pour sat­is­faire les normes, mais il faut sur­mon­ter cer­tains obsta­cles logis­tiques, comme l’adap­ta­tion des infra­struc­tures portuaires.

Dans le trans­port mar­itime, les émis­sions de CO2 sont raisonnables, il n’en va pas de même pour d’autres pol­lu­ants : le secteur mar­itime émet entre 4 et 8 % des émis­sions mon­di­ales d’oxydes de soufre (SOx), com­posés très présents dans les fumées des navires en rai­son de l’utilisation du fioul lourd à fort taux de soufre, un résidu de raf­finer­ie dont le secteur mar­itime est devenu au fil des ans le prin­ci­pal débouché, au fur et à mesure que les normes sur les car­bu­rants util­isés ailleurs deve­naient plus contraignantes. 

Or, du fait même que l’efficacité de l’industrie mar­itime s’accroît, grâce notam­ment à des navires de plus grand ton­nage, cette pol­lu­tion devient d’autant plus con­cen­trée et visible. 

REPÈRES

L’industrie du transport maritime est – relativement – peu polluante au regard du service rendu. Elle émet par exemple moins de dioxyde de carbone par tonne et par kilomètre que n’importe quel autre moyen de transport.
Toutefois, le nombre de tonnes transportées et de kilomètres parcourus étant beaucoup plus importants (90 % des biens échangés dans le monde transitent par la mer), la contribution aux émissions de dioxyde de carbone est loin d’être négligeable : entre 2 et 4 % des émissions mondiales tous secteurs économiques confondus.

DIVISER PAR SEPT LES ÉMISSIONS SOUFRÉES

Cette indus­trie fait face à une pres­sion crois­sante des régu­la­teurs, des clients, des asso­ci­a­tions envi­ron­nemen­tales et des com­mu­nautés locales afin qu’elle réduise ses émis­sions polluantes. 

“ Le secteur maritime émet entre 4 et 8 % des émissions mondiales d’oxydes de soufre (SOx ) ”

La régu­la­tion s’exerce prin­ci­pale­ment via la con­ven­tion inter­na­tionale Mar­pol, dévelop­pée sous l’égide de l’Organisation mar­itime inter­na­tionale (OMI). Le dur­cisse­ment a longtemps été pro­gres­sif, mais un pas décisif et spec­tac­u­laire vient d’être franchi. 

La dernière déci­sion, prise en octo­bre dernier, fait pass­er de 3,5 % à 0,5 % le pour­cent­age max­i­mal d’oxydes de soufre admis­si­ble dans les émis­sions des navires sur toutes les mers à par­tir de 2020. Cette lim­ite inter­di­ra de fac­to l’utilisation du fioul lourd tel qu’il existe actuelle­ment, sauf à équiper les navires, lorsque cela est pos­si­ble, de dis­posi­tifs très spé­ci­fiques de net­toy­age des fumées. 

Elle se super­pose à d’autres, plus sévères ou por­tant sur d’autres pol­lu­ants, mais de portée locale. Une prochaine déci­sion de l’OMI pour­rait con­sis­ter en un mécan­isme de con­trôle des émis­sions de CO2, voire des gaz à effet de serre en général. 

LES ATOUTS DU GAZ NATUREL LIQUÉFIÉ

Il existe essen­tielle­ment deux types de répons­es aux nou­velles normes envi­ron­nemen­tales : con­tin­uer à utilis­er un car­bu­rant pétroli­er ou utilis­er le gaz naturel. 

“ Le principal obstacle est le coût d’investissement, supérieur pour un navire à propulsion gaz ”

La pre­mière solu­tion revient à déplac­er le prob­lème des rejets soufrés : les arma­teurs peu­vent con­tin­uer à brûler du fioul lourd en s’équipant de net­toyeurs de fumée, mais dans ce cas les pro­duits de lavage doivent être retraités avant rejet en mer (net­toyeurs en boucle ouverte) ou déchargés et traités à terre (net­toyeurs en boucle fer­mée) ; ils peu­vent trou­ver d’autres car­bu­rants comme le gasoil, qui est cher, ou les fiouls lourds à basse teneur en soufre, qui requièrent des investisse­ments impor­tants de la part des raf­fineurs et une réor­gan­i­sa­tion du marché des pro­duits raf­finés, selon un proces­sus qui pren­dra plusieurs années et qui génér­era des incer­ti­tudes sur les prix. 

La sec­onde solu­tion est l’utilisation du gaz naturel sous sa forme liqué­fiée, la seule com­mode pour le stock­age, donc à très basse tem­péra­ture (GNL).

UN USAGE ENCORE CONFIDENTIEL

La tech­nolo­gie est disponible mais l’utilisation du gaz pour la propul­sion s’est longtemps lim­itée aux méthaniers. Depuis une quin­zaine d’années cepen­dant, on assiste au développe­ment de la propul­sion au gaz dans les pays nordiques sous l’effet d’incitations fis­cales ou de normes. 

Il s’agit pour l’essentiel de navires dédiés à la nav­i­ga­tion côtière (petits fer­ries, patrouilleurs, remorqueurs) à faibles ton­nage et autonomie, et dont l’alimentation en GNL est assurée par camions-citernes. 

DE NOUVEAUX DÉVELOPPEMENTS QUI CHANGENT LA DONNE

DES CHOIX FINANCIERS DIFFICILES

Le prix du MWh GNL étant plus élevé que celui du MWh fioul lourd mais moins élevé que celui du MWh gasoil, la décision de la propulsion au gaz n’est pas simple et dépend des perspectives commerciales des armateurs, de leur horizon économique et financier, et de leur perception du risque réglementaire.
Le gasoil satisfait tout autant à la réglementation sur les émissions d’oxydes de soufre et nécessite peu ou pas d’investissement mais son prix est nettement plus élevé que celui du gaz naturel.
Le fioul lourd est moins cher que le gaz naturel mais nécessite d’investir dans des nettoyeurs de fumée et n’est pas à l’abri de restrictions environnementales plus sévères.

Plus récem­ment ont été mis en ser­vice des navires de gros ton­nage : grands fer­ries, navires porte-con­teneurs, navires porte-véhicules dont l’autonomie est impor­tante et qui ont voca­tion à être ali­men­tés par des barges de soutage dédiées au GNL, capa­bles de livr­er en une seule fois des quan­tités de plusieurs cen­taines de tonnes. 

Au cours des derniers mois, plusieurs navires de croisière géants à propul­sion gaz ont été com­mandés. Le mou­ve­ment est lancé. L’avantage du gaz naturel est que, com­posé essen­tielle­ment de méthane (CH4), sa com­bus­tion génère le min­i­mum de dioxyde de car­bone par unité d’énergie pro­duite : env­i­ron 25 % de moins que les car­bu­rants pétroliers. 

Par ailleurs, sous forme liqué­fiée, il est exempt de com­posés soufrés et autres impuretés incom­pat­i­bles avec le procédé de liqué­fac­tion. Le choix de la propul­sion au gaz naturel appa­raît donc comme val­able à long terme. 

OBSTACLES LOGISTIQUES

Du côté de l’offre, la ving­taine d’usines de liqué­fac­tion en ser­vice dans le monde pro­duisent env­i­ron 300 mil­lions de tonnes par an de GNL. 


Le navire rav­i­tailleur en gaz naturel liqué­fié d’Engie. 
© ENGIE / AGENCE MARC PRAQUIN

Celles qui entreront en ser­vice dans les cinq prochaines années porteront cette capac­ité aux alen­tours de 400 mil­lions de tonnes par an. 

Du côté de la demande, les navires propul­sés au gaz, exis­tants ou en con­struc­tion, représen­tent seule­ment une con­som­ma­tion de l’ordre de 1 mil­lion de tonnes par an de GNL. Si toute la flotte mon­di­ale util­i­sait le gaz comme car­bu­rant, la demande serait de 250 mil­lions de tonnes par an. Pour des raisons tech­niques et logis­tiques, le GNL ne captera qu’une frac­tion de cette demande, qu’on estime générale­ment à env­i­ron 10 % à l’horizon 2030. 

Il est clair que l’offre de GNL est à même de sat­is­faire une telle demande sans per­tur­ba­tion du marché. 

UNE TRANSITION QUI S’ACCÉLÈRE

La général­i­sa­tion en 2020 de la restric­tion sur les émis­sions de SOx accélér­era la tran­si­tion vers le GNL. Le prin­ci­pal obsta­cle est le coût d’investissement, supérieur pour un navire à propul­sion gaz : le moteur lui-même, mais aus­si le stock­age et la tuyau­terie à bord, qui doivent faire appel à des matériels cryo­géniques plus coûteux. 

La masse volu­mique du GNL est beau­coup plus faible, d’où, à autonomie don­née, une occu­pa­tion plus impor­tante à bord du navire et donc des vol­umes plus réduits des espaces utiles. Au total, on estime que le sur­coût d’investissement pour un navire à gaz, à même autonomie et même capac­ité utile, est de l’ordre de 10 à 25 %, en fonc­tion de la caté­gorie du navire. 

CONTRAINTES LOGISTIQUES

Si l’on con­sid­ère que la durée de vie d’un navire peut excéder vingt ans, et que le GNL est le seul car­bu­rant mar­itime dont la péren­nité vis-à-vis des normes envi­ron­nemen­tales est à peu près assurée, pourquoi son développe­ment n’est-il pas plus rapide ? 

Le Gravifloat développé avec le chantier naval Sembcorp Marine
Le Grav­i­float dévelop­pé avec le chantier naval Sem­b­corp Marine.
© ENGIE / SEMBCORP MARINE

Des paramètres logis­tiques doivent être pris en compte. Pour un navire neuf des­tiné à être opéré pen­dant toute sa durée de vie sur la même ligne, il suf­fit qu’une infra­struc­ture de livrai­son de GNL soit disponible dans l’un des ports desservis. C’est dans cette con­fig­u­ra­tion – la plus favor­able au GNL – que se situent la plu­part des arma­teurs ayant fait ce choix. 

Pour d’autres, la prob­lé­ma­tique est dif­férente : cer­tains types de navire doivent pou­voir être réaf­fec­tés à d’autres lignes en fonc­tion de la con­jonc­ture économique (porte-con­teneurs, pétroliers, vraquiers) ; ou, ce qui revient au même, les arma­teurs aiment garder la pos­si­bil­ité de reven­dre leur navire. 

Or, pour le moment les barges de GNL sont en petit nom­bre car les déci­sions d’investissement les con­cer­nant ont été pris­es avant la déci­sion de l’OMI d’octobre 2016 et ne con­cer­nent que les zones à émis­sions con­trôlées : une en ser­vice à Stock­holm, une demi-douzaine d’autres en con­struc­tion, des­tinées à l’Europe et l’Amérique du Nord. 

NOUVELLES OPPORTUNITÉS

La ques­tion n’est plus la crédi­bil­ité de la propul­sion au gaz pour les navires, mais celle de son rythme de développement. 

“ La question n’est plus la crédibilité de la propulsion au gaz, mais celle de son rythme de développement ”

Il dépen­dra de plusieurs acteurs : les arma­teurs (en fonc­tion de la demande des opéra­teurs et des clients de ces derniers), les four­nisseurs de GNL (qui pour le moment por­tent l’effort d’investissement dans les infra­struc­tures de soutage, mais qui appré­cient l’émergence de nou­veaux débouchés) et les ports (qui super­visent les études de risque néces­saires à la délivrance des autori­sa­tions de soutage de GNL, et qui sont les pre­miers con­cernés par la réduc­tion de la pol­lu­tion, mais qui cherchent aus­si à attir­er le traf­ic maritime). 

C’est la con­trainte envi­ron­nemen­tale qui en est à l’origine, mais le développe­ment est en cours, et il est por­teur de nou­velles oppor­tu­nités économiques pour cha­cun des acteurs concernés.

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