Lancement en janvier 2016 du premier méthanier brise-glace

Accès à de nouvelles ressources : les défis des grands froids

Dossier : Gaz et transition énergétiqueMagazine N°725 Mai 2017
Par Philippe SAUQUET (76)

Le pro­jet de l’u­sine de liqué­fac­tion de gaz Yamal LNG situé au delà du cercle polaire, auquel par­ti­cipe Total. Mise en ser­vice en 2017. Le trans­port du GNL est assu­ré par des métha­niers brise-glaces. 

Pour demeu­rer l’un des prin­ci­paux pour­voyeurs de gaz sur le long terme – voire repas­ser devant les États-Unis que les gaz de schiste ont pro­pul­sé au rang de pre­mier pro­duc­teur mon­dial –, la Rus­sie doit rele­ver deux défis majeurs : pal­lier le déclin des grands champs de pro­duc­tion ; ouvrir de nou­veaux débou­chés pour ses pro­duc­tions, prin­ci­pa­le­ment vers l’Asie.

Les réserves situées dans le Grand Nord russe, et notam­ment dans la pénin­sule de Yamal, sont à la croi­sée de ces deux enjeux. 

Abon­dantes – elles repré­sentent dix ans de la consom­ma­tion mon­diale actuelle – elles consti­tuent le seul relais connu à ce jour des gise­ments de Sibé­rie occi­den­tale. Mais leur mise en valeur repré­sente un défi tech­no­lo­gique inédit, de même que leur trans­port vers les zones de consommation. 

REPÈRES

Actuellement deuxième producteur mondial de gaz naturel, la Russie possède des réserves prouvées de gaz de l’ordre de 32 000 milliards de mètres cubes, soit 17 % des réserves mondiales.
Le GNL est une industrie encore récente pour le pays puisque sa première usine de liquéfaction n’a vu le jour qu’en 2009, sur l’île de Sakhaline.
En 2005, seuls 7 % des exports russes de gaz se faisaient sous forme de GNL.

YAMAL LNG, UN PROJET EMBLÉMATIQUE DU GRAND NORD RUSSE

Le pro­jet Yamal LNG, dont les par­te­naires sont Nova­tek, Total, CNPC et Silk Road Fund, vise à déve­lop­per le gigan­tesque gise­ment onshore de Tam­bey-Sud via la construc­tion d’une usine de liqué­fac­tion d’une capa­ci­té de pro­duc­tion annuelle de 16,5 mil­lions de tonnes. 

“ La mise en valeur de ces gisements représente un défi technologique inédit ”

Un pro­jet par­ti­cu­liè­re­ment com­plexe puisqu’il se situe dans une zone au-delà du cercle polaire, gelée sept à neuf mois par an, avec des tem­pé­ra­tures qui peuvent chu­ter jusqu’à – 50 °C, sans comp­ter la longue nuit polaire d’une durée de quatre à cinq mois. 

Outre le tour de force logis­tique qu’a consti­tué la construc­tion d’une ins­tal­la­tion indus­trielle dans une zone aus­si inhos­pi­ta­lière, il a fal­lu mettre en œuvre des tech­no­lo­gies appro­priées pour pro­duire à long terme en toute sécu­ri­té par grand froid. 

On parle d’hivernisation des ins­tal­la­tions, laquelle consiste sché­ma­ti­que­ment à confi­ner les espaces pour limi­ter les déper­di­tions de cha­leur et évi­ter les chutes de neige sur les équi­pe­ments de production. 

La construc­tion de l’usine s’est par ailleurs faite sur per­gé­li­sol (sols gelés en per­ma­nence). Cette contrainte consti­tuait un défi majeur du fait de l’échelle inédite du pro­jet : vaste éten­due des ins­tal­la­tions et charges extrêmes des équi­pe­ments à sup­por­ter (140 000 tonnes pour chaque réser­voir de stockage !). 

“ Produire à long terme en toute sécurité par grand froid ”

La solu­tion rete­nue a consis­té à ancrer des pieux de dia­mètre et de pro­fon­deur variables dans le per­gé­li­sol. Ces fon­da­tions per­mettent de pal­lier les aléas de varia­tions de por­tance et de volume de la couche active, et assu­re­ront la sta­bi­li­té de l’usine pen­dant toute la durée de vie du site, soit au moins cin­quante ans. 

Plu­sieurs dizaines de mil­liers de pieux ont ain­si été ins­tal­lés pour garan­tir la sta­bi­li­té des trois trains de liqué­fac­tion de l’usine, des uni­tés de trai­te­ment et des quatre réser­voirs de stockage. 

MÉTHANIERS BRISE-GLACE : UNE PREMIÈRE DANS LE TRANSPORT DU GNL

La consom­ma­tion mon­diale de gaz aug­mente deux fois plus vite que celle de pétrole, et celle de GNL deux fois plus vite que celle du gaz en géné­ral. Le GNL contri­bue for­te­ment à l’internationalisation et à la flexi­bi­li­té des mar­chés du gaz. Pour un pays comme la Rus­sie qui cherche à ouvrir de nou­veaux débou­chés pour ses pro­duc­tions, le GNL est donc très attractif. 


Lan­ce­ment en jan­vier 2016 du pre­mier métha­nier ARC 7 au chan­tier DSME en Corée du Sud. © LAURENT MALLEJAC / TOTAL

DES MÉTHANIERS D’UN NOUVEAU GENRE

Dotés d’une coque renforcée, ces méthaniers sont classés ARC 7 suivant la notation du Russian Maritime Register of Shipping. D’une capacité de 172 600 m³, ils sont à double action : une étrave de profil brise-glace modéré permet au bateau d’ avancer plus facilement en eaux libres et dans des conditions de glace légère, jusqu’à 1,5 mètre d’épaisseur ; dans une glace plus épaisse, le navire tourne à 180° et progresse en marche arrière. Le profil brise-glace lourd de la coque au niveau de la poupe lui permet alors de naviguer en cassant jusqu’à 2,1 mètres de glace.

Cepen­dant, le site de Yamal LNG est construit sur les bords de l’Ob, un fleuve pris par les glaces huit mois par an. Déver­rouiller l’accès au site était donc un enjeu majeur. Cou­plé à l’action des navires et des jetées brise-glace dans le port, un sys­tème de dégla­çage par dif­fu­sion de bulles et d’injection d’eau sera ins­tal­lé en fond de bas­sin portuaire. 

Il contri­bue­ra à mini­mi­ser la for­ma­tion de glaces rési­duelles pro­vo­quée par le tra­fic des navires, glaces qui tendent à s’accumuler en gros bour­re­lets le long des quais. 

Par ailleurs, tou­jours pour s’affranchir des glaces, des navires d’un nou­veau genre ont été conçus : des métha­niers brise-glace. Concen­trés de tech­no­lo­gie, ils per­mettent d’assurer effi­ca­ce­ment le trans­port de grandes quan­ti­tés de GNL pen­dant toute l’année et sans assis­tance de brise-glace. 

Quinze de ces métha­niers de nou­velle géné­ra­tion vont être mis en ser­vice pro­gres­si­ve­ment. Le pre­mier d’entre eux, pro­prié­té de l’armateur Sov­com­flot, a d’ores et déjà été livré et porte le nom de Chris­tophe de Mar­ge­rie. Actuel­le­ment en phase d’essai en mer, il sera tes­té en glace durant l’hiver 2017 et bap­ti­sé au printemps. 

Pour expor­ter du GNL vers l’Asie toute l’année, les métha­niers emprun­te­ront soit le pas­sage du Nord-Est durant l’été, soit la route de l’Ouest vers l’Europe du Nord où leurs car­gai­sons seront trans­bor­dées en rou­tine dans le ter­mi­nal GNL belge de Zee­brugge pour rejoindre l’Asie par le canal de Suez. 

La route du Nord- Est a pour avan­tage de mettre l’Asie à quinze jours de voyage du port de Sabet­ta, d’où par­ti­ront les car­gai­sons, contre trente jours par le canal de Suez. 

Yamal LNG, dont le démar­rage est pro­gram­mé fin 2017, est aujourd’hui l’un des plus grands pro­jets de GNL au monde. En dépit d’investissements lourds, c’est un pro­jet qui reste concur­ren­tiel grâce à son faible coût d’exploitation.

Yamal LNG est une for­mi­dable vitrine du savoir-faire tech­no­lo­gique fran­çais puisque, aux côtés de Total, on trouve le para­pé­tro­lier Tech­nip, le groupe Vin­ci pour la construc­tion des bacs de sto­ckage, l’équipementier GEA BTT qui a four­ni les 400 échan­geurs ther­miques de l’usine ou encore Cryos­tar pour les pompes et com­pres­seurs cryogéniques. 

Routes d'été et d'hiver du GNL à partir de Yamal
 

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