Étymologie :
À propos de l’espace

Dossier : Reconquête spatialeMagazine N°736 Juin 2018
Par Pierre AVENAS (X65)

Le mot espace, issu du latin spatium, a con­nu des évo­lu­tions au cours du temps, prenant un sens tem­porel au Moyen-Âge qu’il n’a pas totale­ment per­du aujour­d’hui, et hési­tant entre le mas­culin et le féminin. 

La sig­ni­fi­ca­tion du mot espace dépend du con­texte, c’est nor­mal. Ici, par exem­ple, il ne s’agit pas sim­ple­ment de l’espace disponible dans un lieu spa­cieux, mais bien de l’espace situé au-delà de l’atmosphère ter­restre, celui qui intéresse le spa­tial !

Plus sérieuse­ment, on s’aperçoit qu’à par­tir du latin spatium, le mot espace a con­nu une évo­lu­tion séman­tique et gram­mat­i­cale éton­nante, une sorte d’aller et retour dans le temps… et dans l’espace.

ESPACE OU TEMPS

Comme le plus sou­vent, on part du très con­cret : au pre­mier sens, le latin spatium désigne un champ de cours­es, une arène, un lieu de prom­e­nade, une place publique… c’est-à-dire une éten­due de ter­rain amé­nagée où l’on peut se mou­voir librement. 

Il est pos­si­ble que spatium ait un rap­port avec le verbe patere « être ouvert, acces­si­ble », d’où vient patent « évi­dent ». Ain­si, le verbe latin spa­tiari sig­ni­fie d’abord « aller et venir, marcher, s’avancer », avant de pren­dre le sens fig­uré de « s’étendre » pour occu­per plus d’espace.

Le latin spatium s’est ensuite général­isé à toute sur­face ou vol­ume disponible pour une rai­son ou une autre. Toute­fois, ce mot spatium désig­nait aus­si par­fois une éten­due de temps, un inter­valle de temps, voire un délai. Et curieuse­ment, c’est ce sens tem­porel minori­taire qui est devenu dom­i­nant en ancien et moyen français. 

La poésie du milieu du XVIe siè­cle en donne de jolis exem­ples, autour de la rose, dont Ron­sard écrit « qu’en peu d’espace » elle perd sa beauté, cepen­dant que, pour Mal­herbe, elle ne vit « que l’espace d’un matin ».

Puis, à par­tir du XVIIe siè­cle, le mot espace s’est éloigné à nou­veau du sens tem­porel, qui pour autant n’a pas com­plète­ment dis­paru : on par­le tou­jours de l’espace d’un an, ou d’un instant, ou encore d’espac­er… des lance­ments de fusée par exemple. 

En résumé, le sens tem­porel du mot espace, minori­taire en latin (spatium), est devenu majori­taire à la fin du Moyen Âge, pour rede­venir minori­taire aujourd’hui.

UN OU UNE ESPACE ?

À côté de cet aller et retour séman­tique, on a pu observ­er une évo­lu­tion gram­mat­i­cale. Le latin spatium, un mot neu­tre, s’employait aus­si au pluriel spa­tia, qui a pu, en bas latin, être pris pour un féminin. 

À cause de cela sans doute, le mot espace a longtemps fluc­tué entre le mas­culin et le féminin, qui a d’ailleurs sub­sisté jusqu’à nos jours dans un domaine bien par­ti­c­uli­er, celui de la typogra­phie : l’espace entre deux mots est en principe un mot féminin. 

Ain­si, l’espace édi­to­r­i­al don­né à un Éty­mologiX est de 3 500 car­ac­tères, y com­pris les espaces, c’est-à-dire de 3 500 car­ac­tères, espaces com­prises.

ESPACE ET TEMPS

Mais que dis­ent de cette ques­tion les math­é­ma­tiques et la physique ? Les pre­mières sont ambiguës car un espace vec­to­riel peut avoir des dimen­sions de toutes natures, tem­porelles ou pas. L’espace math­é­ma­tique est abstrait. Rien n’empêche un espace vec­to­riel d’avoir par exem­ple trois dimen­sions, dont cha­cune est la durée de tel ou tel phénomène. On aurait alors un espace à trois dimen­sions temporelles. 

La physique est plus claire, car on y par­le d’espace-temps, ce qui range oblig­a­toire­ment l’espace en dehors de temps, sans quoi l’espace-temps serait un pléonasme. On pré­cise même que l’espace-temps a trois dimen­sions d’espace et une de temps. On ne peut pas mieux dis­tinguer l’espace du temps. 

ÉPILOGUE

On en arrive ain­si à l’espace aérien, le domaine de l’aéronautique, et à l’espace qui est celui de la con­quête spa­tiale, où d’ailleurs il sem­ble que l’on finisse par man­quer d’espace pour y plac­er tous les satel­lites sans risque de collisions 

Poster un commentaire