Palais Bourbon

Les X, l’amour et la politique

Dossier : L'ingénieur dans la sociétéMagazine N°737 Septembre 2018
Par Hervé MARITON (77)

Les X n’aimeraient pas la poli­tique ? La poli­tique n’aimerait pas les X ? Pour Hervé Mari­ton, X longue­ment passé par la poli­tique, locale comme nationale, les choses ne sont pas si simples. 

REPÈRES
Après de nom­breuses années dans la vie par­lemen­taire, Hervé Mari­ton, tou­jours maire de Crest dans la Drôme, est actuelle­ment ingénieur général des Mines au Con­seil général de l’économie. Très engagé cette année pour le cen­te­naire de Sol­jen­it­syne, il pour­suit une œuvre de pub­li­ciste. Entré en poli­tique à l’UDF, il rejoint l’UMP en 2002 et se définit comme « libéral pragmatique ». 

Armé de mon expéri­ence de maire (à Crest, dans la Drôme), de député, d’élu région­al ou de min­istre, d’un engage­ment de plus de trente ans de vie poli­tique et d’implication dans un par­ti (le Par­ti répub­li­cain, l’UDF, l’UMP, les Répub­li­cains), je pro­poserai ici d’examiner deux idées-forces : tout d’abord, les X n’aimeraient pas la poli­tique ; ensuite, la poli­tique n’aimerait pas les X. La vie étant plus com­plexe, tout cela n’interdit pas d’exprimer en poli­tique un sen­ti­ment de bon­heur et un sens de l’honneur – être heureux et utile. Avis ! 

Les X n’aimeraient pas la politique

Les X ne sont pas la caté­gorie de citoyens la plus évidem­ment des­tinée à s’engager en poli­tique. D’abord, notre for­ma­tion pour ce qu’elle est : la sci­ence, le doute, l’humilité, qui vont avec, ne des­ti­nent pas au mieux à l’affirmation publique. Valéry Gis­card d’Estaing l’a dit… et a aus­si man­i­feste­ment pu sur­mon­ter ce hand­i­cap. La cul­ture de la ratio­nal­ité n’aide pas à saisir l’ampleur du champ de la psy­cholo­gie. Beau­coup de mesures sont décidées au nom de l’impression qu’elles créeront ; celui qui les analyse en rai­son de leur nature aura du mal à dia­loguer avec ses pairs, avec la presse et sans doute avec une grande part de l’opinion. Autrement dit, les équa­tions ne résu­ment pas la vie. Cer­tains iront même jusqu’à refuser toute équa­tion, et il en résul­tera des mal­heurs cer­tains. On pour­ra alors regret­ter que la rai­son ne se fasse pas mieux entendre. 

En général, nous com­prenons vite. C’est le cas aus­si de la plu­part des poli­tiques. Un ami me décrivait l’Assemblée nationale comme l’assemblée non pas des plus intel­li­gents, mais des plus dégour­dis. Mais les autres savent le cacher : nous mar­quons trop notre impa­tience. L’exercice poli­tique exige de savoir « per­dre son temps ». C’est d’ailleurs faux : le temps n’est pas don­né en vain mais, oui, nous sommes rapi­des et même impatients. 

Est bien sûr aus­si en cause notre for­ma­tion, pour ce qu’elle n’est pas. Nos matières sont moins immé­di­ate­ment présentes dans le débat poli­tique et médi­a­tique que celles enseignées à Sci­ences-Po ou à l’ENA. C’est ain­si. La for­ma­tion asci­en­tifique des jour­nal­istes ne sim­pli­fie pas les choses. Au-delà des matières, il y a un rap­port de force. Les écoles de com­merce par exem­ple ont pris, dans la for­ma­tion des élites, une place qu’elles n’avaient pas avant. À nous de ne pas déserter. 

Notre lucid­ité nous fait aus­si voir que les lieux de pou­voir, d’influence et d’action se sont déplacés. La déci­sion poli­tique déter­mine moins le des­tin de notre société, alors à quoi bon s’engager ?

Ajou­tons, dans la vie publique, des rémunéra­tions plutôt mod­estes. Et cette réal­ité s’est aggravée ces dix ou vingt dernières années. Les poli­tiques n’osent pas deman­der une recon­nais­sance dont ils ont le sen­ti­ment que la société la mégoterait. Alors, déser­tion ou sub­sti­tu­tion… La vie poli­tique n’y gagne pas ! 

Enfin, en poli­tique plus qu’ailleurs, la roche Tarpéi­enne est proche du Capi­tole. Une car­rière n’aura sou­vent rien de linéaire, ni de strat­i­fié. C’est, selon, un risque matériel, psy­chologique, statu­taire, existentiel. 

“Il y a une tendance
à se méfier de l’intelligence supposée”

La politique n’aime pas les X

Évidem­ment, la poli­tique n’est pas affaire de diplôme. Celui-ci est un trait par­mi d’autres, qui peut dis­tinguer ou enfer­mer. Plusieurs car­ac­téris­tiques de notre pays se joignent : l’égalitarisme qui fait cri­ti­quer celui qui se dis­tingue ; le rel­a­tivisme qui n’apprécie pas la démon­stra­tion ; le scep­ti­cisme qui se méfie de la rai­son ; le lyrisme qui s’effraie des chiffres… 

Le poly­tech­ni­cien sera volon­tiers bro­cardé, non parce qu’il aura tort, mais parce que sa rai­son ne pour­ra pas être enten­due. Il est gen­til, on le laisse dire, et on laisse pass­er. Il sera enfer­mé, dans sa logique, dans des mis­sions utiles, intéres­santes, mais pas trop proches du vrai pou­voir (dans un par­ti, le pro­jet plutôt que les élec­tions ou les fédérations). 

Il y a prob­a­ble­ment, dans la vie poli­tique française, une ten­dance à se méfi­er de l’intelligence sup­posée. On élim­in­era volon­tiers un argu­ment au nom de son intel­li­gence ! Curieux. Loin de moi l’idée anti­dé­moc­ra­tique d’un par­ti des gens intel­li­gents, mais la poli­tique française a pris trop d’aisance avec l’intelligence, la for­ma­tion, la cul­ture des électeurs. 

À l’ingénieur, soit d’avancer masqué soit, en effet, de s’enfermer dans la case de l’esprit, utile peut-être mais pas dangereux. 

J’ai ressen­ti cela lors de vœux aux­quels un col­lègue député m’avait invité. Il me présen­ta : « Vous ver­rez, c’est pas­sion­nant, c’est con­stru­it et en plus Hervé Mari­ton a un grand avan­tage, il n’a pas d’ambition. » Quelle gifle d’impuissance ! Je décidai sitôt de le con­tredire et, quand les con­di­tions se présen­tèrent, s’enclenchèrent ma can­di­da­ture à la prési­dence de l’UMP, puis pour les pri­maires de la droite et du centre. 


L’Assemblée nationale rassem­ble non pas les plus intel­li­gents, mais les plus dégourdis. 

Désamour ou engagement ?

La droite a vu s’éloigner de plus en plus les cadres, issus de la plus petite école comme de la plus grande. Claire­ment, en 2017, elle l’a payé. 

La vie publique et sociale française n’aime pas les chiffres. Être igno­rant en lit­téra­ture ou en ciné­ma, c’est humiliant et dis­qual­i­fi­ant. Être igno­rant en sci­ences ne l’est pas et beau­coup même s’en glo­ri­fient. La République n’a jamais trop aimé ses savants, et elle n’aime pas les chiffres. Parce que les chiffres sont gênants (les équili­bres budgé­taires évanouis…) et que, de toute manière, on ne les com­prendrait pas. La France est spé­ciale­ment rebelle. Les polémiques sur le pou­voir d’achat, sur les effets du pas­sage à l’euro sont par­ti­c­ulières à notre pays. Je l’ai mis en évi­dence dans un rap­port par­lemen­taire en 2008 : Mesur­er pour comprendre. 

On ne s’arrêtera pas évidem­ment à ce désamour réciproque. La France a besoin d’hommes et de femmes qui s’engagent et les poly­tech­ni­ciens n’ont pas le droit (« Pour la Patrie, les Sci­ences et la Gloire ») de ne pas se pos­er la ques­tion de leur engage­ment. Sans doute con­naî­tra-t-on à l’avenir davan­tage d’allers-retours entre la vie publique et la vie civile, des engage­ments plus tardifs, mais tou­jours cette extra­or­di­naire com­bi­nai­son du plaisir et de l’utilité, du bon­heur et de l’honneur. Recevoir et servir. Notre pays et notre cité. 

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