Aviron

Soutenir les start-up dans la durée : un enjeu industriel majeur

Dossier : L'ingénieur dans la sociétéMagazine N°737 Septembre 2018
Par Jérôme FAUL (86)

Beau­coup d’ingénieurs, jeunes et moins jeunes, se lancent dans l’entreprenariat au sein de start-up. Pour que ce mou­ve­ment soit une chance aus­si bien pour eux que pour notre pays, il est indis­pen­sable que ces toutes jeunes entre­prises puissent trou­ver un accom­pa­gne­ment finan­cier suf­fi­sant en mon­tant et en durée pour deve­nir les ETI de demain. 

L’engouement pour les start-up que l’on observe dans tous les pays ne doit rien au hasard. Car dans un monde où tout va très vite, ces entre­prises pré­sentent des avan­tages com­pé­ti­tifs forts. Dans une start-up, les inté­rêts sont tous par­fai­te­ment ali­gnés. Le manque chro­nique de cash défi­nit un objec­tif com­mun : indus­tria­li­ser un pro­duit ou un ser­vice pour le vendre. Tout le monde œuvre dans la même direc­tion, il ne sau­rait y avoir de cal­culs indi­vi­duels, liés à sa car­rière ou autre. Comme un navire où tout le monde rame dans le même sens, il est dif­fi­cile d’aller plus vite. Dans une start-up, il n’y a pas de pas­sé à gérer. On n’a aucun risque de can­ni­ba­li­ser un pro­duit exis­tant. On n’a aucun risque de per­tur­ber des clients fidèles avec une nou­veau­té. On fait le meilleur pro­duit à l’instant T. 


Dans une start-up, tous rament dans le même sens.

REPÈRES
​« Quelqu’un, quelque part, est en train de déve­lop­per un pro­duit qui rend le vôtre obso­lète » écri­vait Georges Doriot, le Fran­çais qui a inven­té le capi­tal inno­va­tion aux États-Unis dans les années 1950. Quelques décen­nies plus tard, en rai­son notam­ment de la loi de Moore, le rythme des inno­va­tions tech­no­lo­giques qui sont por­tées par le numé­rique atteint un rythme qui n’est sou­te­nable que par des start-up, ces jeunes entre­prises qui n’ont pas encore atteint un équi­libre finan­cier et qui financent leur crois­sance par des apports en capi­taux extérieurs. 

Marchés de niche

Une start-up vise un mar­ché de niche. C’est peut-être le plus impor­tant. Les inno­va­tions de rup­ture s’adressent à un public par­ti­cu­lier, les ear­ly adop­ters. Ce public est une mino­ri­té qui n’est pas acces­sible à un grand groupe qui doit, par nature, déployer ses offres sur des grands mar­chés, for­mer ses forces de vente, mettre en place un ser­vice après-vente uni­ver­sel, etc. Et si ce pre­mier mar­ché est petit, il suf­fit au bon­heur d’une start-up qui, par­tant de zéro, peut se conten­ter de chiffres d’affaires rela­ti­ve­ment faibles au départ. 

Des besoins de financement en fonds propres

Avoir le bon rythme ne suf­fit pas. Les start-up ont un pro­blème majeur, c’est qu’elles n’ont aucune source de reve­nus per­met­tant de finan­cer leurs déve­lop­pe­ments. Il faut qu’elles trouvent ce finan­ce­ment à l’extérieur de leur struc­ture. Ce finan­ce­ment ne sau­rait venir du sys­tème ban­caire qui attend, s’il prête, à ce qu’on lui rem­bourse des men­sua­li­tés de façon cer­taine, ce qui n’est pas pos­sible pour une start-up. Il faut donc accep­ter un finan­ce­ment en fonds propres dont on reti­re­ra les fruits quand la start-up aura créé assez de valeur pour soit deve­nir ren­table et payer des divi­dendes, soit deve­nir attrac­tive pour un acqué­reur qui rachè­te­ra avec une plus-value les parts des finan­ceurs de la pre­mière heure. 

Des fonds pour mutualiser les risques

Mais tous les pro­jets n’aboutissent pas. Pour évi­ter de perdre sa mise, un inves­tis­seur doit mutua­li­ser le risque. La meilleure façon de le faire est d’investir non pas direc­te­ment dans tel ou tel pro­jet de start-up mais dans un fonds de capi­tal inno­va­tion qui sau­ra réa­li­ser la petite ving­taine d’investissements per­met­tant que les réus­sites com­pensent signi­fi­ca­ti­ve­ment les échecs.
Ain­si, la per­for­mance moyenne sur dix ans des fonds de capi­tal inno­va­tion s’établit à 2,2 % de ren­de­ment net annuel pour les inves­tis­seurs avec une ten­dance à l’amélioration. La dis­per­sion est assez forte avec les fonds les meilleurs ren­dant une per­for­mance annuelle de l’ordre de 12 %. On compte envi­ron 200 fonds de capi­tal inno­va­tion en France gérés par une cin­quan­taine d’équipes.

Silicon Valley
L’investissement amé­ri­cain dans l’innovation est de 170 $ par habi­tant et par an.

Agi­li­té et réactivité
Une start-up est agile. Les déci­sions se prennent en temps réel. Il n’y a jamais besoin d’attendre la vali­da­tion d’un éche­lon supé­rieur, la réunion qui ne se pro­gramme pas faute de place dans les agen­das, le chan­ge­ment d’avis de telle ou telle par­tie pre­nante. Si on se trompe, on en fait le constat sans état d’âme et on repart dans le bon sens. 

Mobiliser les professionnels du financement

La France souffre clai­re­ment d’un manque d’argent pour sou­te­nir les pro­jets d’avenir. Le sec­teur public, les fonds sou­ve­rains, les per­sonnes phy­siques et les indus­triels sont sur­re­pré­sen­tés dans le finan­ce­ment des socié­tés les plus jeunes et sup­plantent les « pro­fes­sion­nels de la pro­fes­sion » que sont les purs finan­ciers – banques, assu­rances, mutuelles, caisses de retraite et fonds de fonds. Ces der­niers, dont c’est pour­tant le métier, ne repré­sentent ensemble que 28 % du capi­tal inno­va­tion alors qu’ils financent à 63 % les socié­tés pri­vées non cotées de façon géné­rale (capi­tal investissement). 

L’étau des ratios prudentiels

Une pre­mière rai­son tient aux ratios pru­den­tiels qui leur sont impo­sés depuis la crise de 2008. Un inves­tis­se­ment dans un fonds de capi­tal inno­va­tion (dont les ges­tion­naires sont pour­tant là pour limi­ter les risques) les oblige à mobi­li­ser beau­coup plus de fonds propres que pour d’autres types d’investissements. Le ren­de­ment des capi­taux ain­si enga­gés est défa­vo­rable. Les États pour­raient des­ser­rer cet étau qui n’a pas vrai­ment lieu d’être, d’autant moins qu’une étude a démon­tré dès 2010 que les ratios rete­nus ne sont pas bons parce que l’investissement dans des socié­tés non cotées est jus­te­ment dans une logique de moyen et long terme qui per­met de lis­ser les effets liés à la vola­ti­li­té des marchés. 

Les USA loin devant
En 2017, c’est 1,2 mil­liard d’euros qui a été inves­ti par des fonds fran­çais dans 847 start-up : le plus fort mon­tant de l’histoire. Rap­por­té au pro­duit inté­rieur brut, le mon­tant inves­ti en capi­tal inno­va­tion en France est supé­rieur à la moyenne euro­péenne, en-des­sous des pays scan­di­naves, équi­valent au Royaume-Uni, au-des­sus de l’Allemagne et des pays du Sud. C’est 0,05 % du PIB fran­çais qui est inves­ti dans les start-up. Cela reste faible par rap­port aux États-Unis qui sont, selon la Natio­nal Ven­ture Capi­tal Asso­cia­tion, à 0,30 % (don­nées 2016). Autre­ment dit, ce sont envi­ron 18 euros par Fran­çais contre 170 euros par Amé­ri­cain qui sont injec­tés dans les entre­prises inno­vantes de cette façon. 

Dynamiser les fonds en capital innovation

Une seconde rai­son est que la per­for­mance des fonds de capi­tal inno­va­tion est plus faible que celle d’autres classes d’actifs du capi­tal inves­tis­se­ment. L’amélioration de cette per­for­mance qui est en cours semble être la pre­mière condi­tion pour atti­rer à nou­veau les finan­ciers mais aus­si pour atti­rer plus d’industriels et de par­ti­cu­liers. Il y a 3 façons de faire : payer moins cher à l’entrée, vendre plus cher à la sor­tie, réduire l’intervalle entre l’entrée et la sor­tie. Le pre­mier moyen est sans doute com­pli­qué à mettre en œuvre dans un contexte où il y a déjà peu de concur­rence entre pro­fes­sion­nels du sec­teur, et donc peu d’inflation de leur part pour entrer même sur les meilleurs dos­siers, et où les entrepreneurs/fondateurs de start-up ont des pré­ten­tions que l’on arrive à contrô­ler mal­gré les exemples rêveurs venus d’outre-Atlantique. Sur le second moyen, il est très dif­fi­cile de réa­li­ser des « sor­ties » en France comme on en voit aux États-Unis sur des prix éle­vés. Il n’y a pas vrai­ment de mar­ché bour­sier et les ache­teurs poten­tiels sont assez rares ou en tout cas avares en matière de valo­ri­sa­tion. Les ache­teurs indus­triels pré­fèrent sou­vent déve­lop­per en interne ou attendre des dif­fi­cul­tés de tré­so­re­rie de leurs cibles pour récu­pé­rer de l’innovation à faible coût. Il faut donc être capable de pour­suivre le finan­ce­ment des jeunes socié­tés les plus pro­met­teuses pour en faire des PME puis des ETI.
Le troi­sième moyen impli­que­rait des cycles de déve­lop­pe­ment des socié­tés plus rapides. C’est dif­fi­cile d’accélérer le déve­lop­pe­ment d’entreprises qui réus­sissent et qui doivent prendre le temps de mettre en place leur busi­ness model. Il est peut-être plus facile d’arrêter plus rapi­de­ment le sup­port aux entre­prises les moins pro­met­teuses. Il y a donc un triple tra­vail à effec­tuer de la part des ges­tion­naires de fonds, des sous­crip­teurs pri­vés et des struc­tures publiques dans ce domaine de la performance. 

Palais Brongniart
Les 6 500 entre­prises non cotées sou­te­nues par des action­naires pri­vés pèsent 20 % du CAC 40.

Des soutiens publics prééminents

De fait, plus de la moi­tié des finan­ce­ments des jeunes entre­prises inno­vantes pro­vient de l’État qu’il s’agisse de fonds propres ou d’autres méca­nismes (sub­ven­tions, cré­dits ou réduc­tions d’impôts, avances rem­bour­sables, aides à l’export, prêts d’honneur, prêts à taux zéro, finan­ce­ment de cher­cheurs…). Pôle emploi se vante par ailleurs, avec humour et non sans rai­son, d’être l’un des prin­ci­paux sou­tiens finan­ciers des jeunes entre­pre­neurs vivant d’allocations de chômage.
L’Europe n’est pas en reste puisque son bras armé dans le capi­tal inno­va­tion, le Fonds euro­péen d’investissement, pré­tend peser à hau­teur de 12 % dans les fonds levés par les socié­tés de ges­tion. On peut s’interroger sur l’intérêt qu’il y a à s’éloigner encore plus du ter­rain et à ajou­ter une couche admi­nis­tra­tive pour dis­tri­buer des aides qui sont sou­vent régio­nales ! Cela dit, l’institution euro­péenne a lan­cé récem­ment un pro­gramme de fonds paneu­ro­péen pour inves­tir dans des véhi­cules ciblant au moins quatre pays de l’Union européenne. 

Réformes structurelles

L’État fran­çais doit impé­ra­ti­ve­ment mener des réformes struc­tu­relles pour per­mettre au sec­teur pri­vé de jouer son rôle. Il fau­drait qu’il arrête de se sub­sti­tuer aux acteurs pri­vés dont l’action est bien plus effi­cace et de limi­ter leur capa­ci­té à inves­tir. Bpi­france a la déli­cate mis­sion d’ajuster le cur­seur en injec­tant dans l’écosystème une petite par­tie de l’argent qui lui a été pré­le­vé par ailleurs. En 2017, la banque publique a dépas­sé le mil­liard d’euros inves­tis… à com­pa­rer aux 400 mil­liards de recettes fiscales. 

Donner du temps au temps

En atten­dant ces réformes struc­tu­relles et sans inves­tir plus, l’État pour­rait, par ailleurs, jouer sur sa péren­ni­té à long terme et évi­ter de se com­por­ter comme un action­naire cher­chant des retours sur inves­tis­se­ment rapides et sans risque. Il pour­rait, par exemple, pri­vi­lé­gier des inves­tis­se­ments dans des socié­tés ne trou­vant pas faci­le­ment de fonds dans le sec­teur pri­vé. Il pour­rait aus­si ne récla­mer sa plus-value qu’après les inves­tis­seurs pri­vés. Par une bonne ges­tion de ces deux axes, l’attractivité des fonds de capi­tal inno­va­tion s’en trou­ve­rait amé­lio­rée au seul prix d’un retour sur inves­tis­se­ment retar­dé pour l’État et un cercle ver­tueux s’enclencherait pour atti­rer plus de fonds privés.
Les inves­tis­seurs pri­vés, rares sur le capi­tal inno­va­tion, se retrouvent sur les autres seg­ments du capi­tal inves­tis­se­ment qui connaît un véri­ta­ble­ment boom défi­nis­sant une solide 4e voie capi­ta­liste après l’actionnariat d’État, bour­sier et fami­lial. Elle repré­sente 14,3 mil­liards d’euros inves­tis dans 2 142 entre­prises dif­fé­rentes en 2017. C’est un record en Europe.
Les 8 000 entre­prises non cotées sou­te­nues par des action­naires pri­vés (start-up, PME, ETI) pèsent 225 mil­liards d’euros de chiffre d’affaires (20 % du CAC 40) et 1,4 mil­lion d’emplois. Elles croissent 3 fois plus vite que l’économie fran­çaise et ont créé 256 000 emplois entre 2010 et 2015 contre 15 000 pour le reste du sec­teur marchand. 

Passer à la vitesse supérieure

Cette créa­tion de valeur socié­tale com­plète une créa­tion de valeur finan­cière puisque la per­for­mance glo­bale sur dix ans atteint 8,7 % de ren­de­ment net annuel. Selon France Invest et EY, c’est mieux que la Bourse avec un CAC 40 à 3,0 % ou l’immobilier à 5,2 %.
Les grandes trans­for­ma­tions dans le numé­rique, les éner­gies, la san­té sont tirées par des inno­va­tions de rup­ture qui, de fait, émanent de struc­tures agiles : start-up, PME voire ETI. Elles attirent de plus en plus de capi­taux pri­vés selon un modèle qui a démon­tré son suc­cès aux États-Unis, dont Israël a fait son leit­mo­tiv, que la Chine déve­loppe de façon ver­ti­gi­neuse. L’Europe et la France en par­ti­cu­lier ont mon­tré que le vieux conti­nent n’est pas en reste mais ses moyens res­tent trop faibles face aux enjeux. Il est temps de pas­ser à la vitesse supérieure.
Pour cela, l’État peut et doit comp­ter avec les acteurs pri­vés qu’il doit sup­por­ter de façon indé­fec­tible sans se sub­sti­tuer à eux. 


Réfé­rences
Toutes les don­nées sur le capi­tal inno­va­tion en France sont issues de France Invest -– l’association des inves­tis­seurs pour la crois­sance – et dis­po­nibles sur le site inter­net : http://www.franceinvest.eu/

« De la per­ti­nence de la cali­bra­tion du risque Pri­vate Equi­ty dans la for­mule stan­dard de Sol­ven­cy II », EDHEC | AFIC, 22 juin 2010. 

The Euro­pean ven­ture capi­tal land­scape : an EIF pers­pec­tive, EIF Research & Mar­ket Ana­ly­sis, Wor­king Paper 201634.

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