Georges Painvin (1905), ingénieur du corps des Mines

Les X dans la guerre secrète

Dossier : Le Grand Magnan 2017Magazine N°727 Septembre 2017Par : Roger Y et Henri Z

Si, de fait, la direc­tion tech­nique et ses innom­brables spé­cial­ités à la pointe des tech­nolo­gies mod­ernes con­stitue le prin­ci­pal recru­teur pour les X au sein de la « Boîte », cer­tains de nos cama­rades occu­pent ou ont occupé des postes très divers, notam­ment à la direc­tion des opéra­tions, qui accueille en par­ti­c­uli­er le mythique ser­vice Action, ou encore à la direc­tion du renseignement. 

Les rédac­teurs de cet arti­cle ont choisi de présen­ter ci-dessous leurs expéri­ences per­son­nelles comme agents de ren­seigne­ment à la DGSE, mais tien­nent à pré­cis­er que celles-ci ne représen­tent qu’un mince échan­til­lon des rôles que les X sont appelés à occu­per au sein de cette mai­son où, comme l’auraient dit cer­tains com­man­dants de pro­mo­tion, « votre car­rière sera ce que vous en ferez ». 

ROGER, ANALYSTE À LA DIRECTION DU RENSEIGNEMENT

Comme ana­lyste à la direc­tion du ren­seigne­ment, j’ai décou­vert un rôle de chef d’orchestre, au cœur de la manœu­vre du ren­seigne­ment. On représente sou­vent cette dernière sous la forme d’un cycle, faisant s’enchaîner les étapes d’orientation (que cherche-t-on, où et com­ment), de recueil du ren­seigne­ment, d’analyse des élé­ments recueil­lis et de dif­fu­sion du « pro­duit final » vers les destinataires. 

“ S’adapter en permanence aux soubresauts d’un monde sans cesse en mouvement ”

Con­traire­ment à ce que son nom indique, l’analyste est appelé à inter­venir dans l’ensemble de ces phas­es. Il reçoit en effet les ques­tions que les autorités éta­tiques posent au Ser­vice, sur les sujets qui le con­cerne, et ori­ente, à par­tir de là, les divers cap­teurs de recueil de ren­seigne­ment, tant humains (sources) et tech­niques qu’opérationnels.

Il est aus­si des­tiné à par­ticiper au recueil pro­pre­ment dit du ren­seigne­ment et c’est ain­si que j’ai pu par­ticiper au traite­ment de cer­taines sources. Il est enfin le rédac­teur des notes que la DGSE adresse à ses destinataires. 

En réal­ité, en rai­son de la diver­sité des sujets sur lesquels la Boîte est amenée à tra­vailler, l’analyste devient très rapi­de­ment l’expert des sujets qui lui sont con­fiés. À ce titre, et en tant qu’X fraîche­ment arrivé au Ser­vice, mes con­nais­sances dans un domaine de spé­cial­ité très tech­nique ont immé­di­ate­ment été mis­es en œuvre. 

Si, de nos jours, c’est le ter­ror­isme qui vient le pre­mier à l’esprit lorsqu’on entend le mot « ren­seigne­ment », il en est d’autres où le pro­fil type d’un X (si tant est que cela existe) paraît plus directe­ment adap­té. Pour n’en citer que deux, on retien­dra le domaine de la lutte con­tre la pro­liféra­tion d’armes de destruc­tion mas­sives (nucléaires, bal­is­tiques, bac­téri­ologiques et chim­iques) et les activ­ités de cyberdéfense. 


Georges Painvin (1905)
© COLLECTIONS ÉCOLE POLYTECHNIQUE (PALAISEAU)

André Dewavrin (1932) dit « colonel Passy », officier du Génie, compagnon de la Libération
André Dewavrin (1932)
dit « colonel Passy »

DEUX GRANDS ANCIENS DES SERVICES

Nombre de nos anciens ont servi dans l’ombre durant les grands conflits. Parmi eux, Georges Painvin et André Dewavrin ont particulièrement marqué l’histoire des Services, à deux époques différentes, l’un à la pointe de la technique, l’autre dans la clandestinité

Georges Painvin (1905), ingénieur du corps des Mines

Affecté au service du Chiffre – ancêtre de l’actuel secteur de cryptographie de la DGSE – lorsqu’éclate la Grande Guerre, Georges Painvin se distingue en « cassant » les chiffres allemands, permettant de lire leurs télégrammes et communications militaires. Son génie technique conféra ainsi un avantage tactique décisif aux forces alliées.

André Dewavrin (1932) dit « colonel Passy », officier du Génie, compagnon de la Libération

Embarquant pour Londres à la tête de sa compagnie dès le 18 juin 1940, il prend le commandement, dès sa création, du Bureau central de renseignements et d’action (BCRA) – qui deviendra à la fin de la guerre le SDECE, puis en 1982 la DGSE.
Il prend pour nom de guerre « colonel Passy » et participe activement aux missions clandestines du Bureau, notamment lors de l’unification des branches de la Résistance et de la création du Conseil national de la Résistance.

Assez vite, l’opportunité m’a aus­si été don­née de par­ticiper à l’amélioration du fonc­tion­nement même de la direc­tion du ren­seigne­ment, dans ses process internes et ses out­ils des­tinés à l’analyse. Car c’est là l’un des prin­ci­paux défis de cette admin­is­tra­tion : s’adapter en per­ma­nence, non seule­ment aux soubre­sauts d’un monde sans cesse en mou­ve­ment, mais aus­si à l’évolution rapi­de des tech­nolo­gies qui lui sont utiles dans la réal­i­sa­tion de ses missions. 

Il existe, à ce titre, une oppo­si­tion entre la nature admin­is­tra­tive de la DGSE et les pro­grès démesurés réal­isés ces dernières années par les tech­nolo­gies de l’information et du big data. La créa­tion d’un out­il français de con­struc­tion et de ges­tion de la con­nais­sance con­stitue ain­si un réel enjeu de sou­veraineté au vu du car­ac­tère sen­si­ble des don­nées concernées. 

Je suis fier d’avoir été appelé à par­ticiper à un tel pro­jet porté par la DGSE. 

HENRI, INGÉNIEUR À LA DIRECTION TECHNIQUE

Ingénieur à la direc­tion tech­nique – la plus forte en effec­tifs de la DGSE et où sont employés la plu­part de nos cama­rades –, je tra­vaille à ren­dre les don­nées issues de nos cap­teurs tech­niques intel­li­gi­bles au prof­it des ana­lystes comme Roger. 

Le défi est à la hau­teur des enjeux : com­ment trou­ver, par­mi les don­nées com­plex­es dont dis­pose le Ser­vice, les élé­ments per­ti­nents qui per­me­t­tront d’anticiper les men­aces portées con­tre la France et ses intérêts ? Cette ques­tion, de plus en plus impor­tante aujourd’hui en rai­son de la place cen­trale qu’occupent les télé­com­mu­ni­ca­tions dans nos sociétés, est étroite­ment liée à la manière dont un ana­lyste abor­de son dossier : chaque thème, du con­tre-ter­ror­isme à la con­tre-pro­liféra­tion, néces­sit­era une approche tech­nique dif­férente et adap­tée, en appui à la manœu­vre de ren­seigne­ment conçue par ce « chef d’orchestre ».

“ Trouver les éléments pertinents qui permettront d’anticiper les menaces ”

La mod­éli­sa­tion math­é­ma­tique ou sta­tis­tique, dont le tech­ni­cien détient la clef, s’appuie alors sur les con­nais­sances du spé­cial­iste pour apporter des répons­es tech­niques aux ques­tions de ren­seigne­ment. C’est cette inter­ac­tion, répétée sur tout un pan­el de dossiers, qui donne pour moi tout son sens au tra­vail d’ingénieur au ser­vice du renseignement. 

Cette com­plé­men­tar­ité est inscrite dans la struc­ture même de la DGSE : le regroupe­ment au sein d’une même entité du ren­seigne­ment humain, du ren­seigne­ment tech­nique et de la capac­ité à men­er des actions clan­des­tines est une spé­ci­ficité française, qui en fait un « ser­vice intégré ». 

Ain­si j’ai pu, par­al­lèle­ment à mon affec­ta­tion per­ma­nente, rejoin­dre comme coor­di­na­teur tech­nique une « cel­lule de crise » regroupant des inter­venants de toutes les direc­tions du Ser­vice. La prox­im­ité avec des agents aux pro­fils très var­iés, du spé­cial­iste d’une région géo­graphique au lin­guiste en pas­sant par l’opérationnel rompu aux actions clan­des­tines, per­met alors de décu­pler la réac­tiv­ité du Ser­vice sur les sujets les plus sensibles.

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