Le triomphe des robots

La France et l’IA, vues de la Silicon valley

Dossier : L'intelligence artificielleMagazine N°733 Mars 2018
Par Emmanuel SCHNEIDER (12)

La France a beau­coup d’a­touts dans le déve­lop­pe­ment de l’in­tel­li­gence arti­fi­cielle, à la fois par la for­ma­tion et la qua­li­té des ses ingé­nieurs et par la poli­tique inci­ta­tive de l’É­tat. Mais de là à voir l’émergence d’un lea­der régio­nal, voire mon­dial, il y a un pas dif­fi­cile à franchir. 

Après mes débuts en tant que data scien­tist chez BNP Pari­bas, j’ai rejoint Cathay Inno­va­tion, fonds de capi­tal- risque au modèle unique, à la fron­tière entre start-up et grands groupes au niveau mon­dial. Nous met­tons en contact par­tout dans le monde nos grands groupes par­te­naires avec des start-up. 

Notre fonds contri­bue ain­si à rap­pro­cher le monde des start-up et celui des grandes entre­prises. Nous voyons ce trip­tyque entre grands groupes, start-up et inves­tis­seurs comme un véri­table cata­ly­seur de la 4e révo­lu­tion industrielle. 

Ce type de coopé­ra­tion tend à se déve­lop­per. Par exemple, Soft­Bank vient de lan­cer un fonds de 93 mil­liards de dol­lars réunis­sant des fonds sou­ve­rains, des inves­tis­seurs ins­ti­tu­tion­nels et des grands groupes indus­triels, pour inves­tir dans des sec­teurs d’avenir incluant l’intelligence artificielle. 

La pré­sence de fonds sou­ve­rains montre l’enjeu pour les États d’anticiper la révo­lu­tion en cours. 

REPÈRES

Cathay Innovation est une activité de capital-risque récemment lancée par Cathay Capital, leader dans les investissements internationaux entre l’Europe, la Chine et les États-Unis.
De nombreux grands groupes français comme Valeo, Michelin, BNP Paribas Cardif, Total, Seb, ou Groupe ADP, sont devenus des partenaires privilégiés du fonds.

L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE VUE DE LA SILICON VALLEY

Jusqu’à pré­sent, nous n’avons pas assis­té au rem­pla­ce­ment tant redou­té des humains par la machine. On a pu consta­ter en revanche un recen­trage pro­gres­sif de ces der­niers sur des tâches à plus forte valeur ajou­tée pour l’entreprise avec une aide à la déci­sion appor­tée par l’intelligence artificielle. 


Jusqu’à pré­sent, nous n’avons pas assis­té au rem­pla­ce­ment tant redou­té des humains par la machine. © TIAGOZR

Un des pre­miers cas d’usage est la détec­tion auto­ma­ti­sée de fraudes ou d’anomalies : se pas­ser d’humains (ou en dimi­nuer le nombre requis pour ces opé­ra­tions) per­met de trai­ter un nombre consi­dé­ra­ble­ment plus éle­vé de requêtes, contre­ba­lan­çant aisé­ment une pré­ci­sion poten­tiel­le­ment plus faible au départ. 

Un grand nombre de start-up cherchent aus­si à amé­lio­rer au sens large tout ce qui relève de l’expérience client. Par exemple, on a vu émer­ger récem­ment des outils d’aides à la vente ou au sup­port qui conseillent en direct des ven­deurs ou des assis­tants en centre d’appel sur les phrases à pro­non­cer pour conver­tir des pros­pects ou gar­der des clients mécon­tents, selon leur profil. 

En revanche, les chat­bots ont encore besoin d’une prise en main humaine pour de nom­breuses tâches. 

Par ailleurs, l’intelligence arti­fi­cielle com­mence aus­si à affec­ter la ges­tion de la pro­duc­tion. De nom­breuses start-up déve­loppent des pla­te­formes pour amé­lio­rer la main­te­nance et l’exploitation des machines de pro­duc­tion, ou opti­mi­ser les chaînes d’assemblage. Néan­moins, le retour sur inves­tis­se­ment est par­fois dif­fi­cile à démontrer. 

Enfin, un der­nier exemple inté­res­sant à men­tion­ner concerne la régu­la­tion, lors de la mise en appli­ca­tion du Règle­ment géné­ral sur la pro­tec­tion des don­nées, pour savoir où se trouve l’ensemble des don­nées à chaque ins­tant, et qui y a accès. Anti­ci­pant ce chal­lenge, de nom­breuses start-up se spé­cia­lisent dans les tech­no­lo­gies de data map­ping.

En résu­mé, toutes les fonc­tions clés d’une entre­prise vont être tou­chées, couche par couche et de manière inter­con­nec­tée, avec un réel risque de mar­chan­di­sa­tion de cer­tains métiers. 

LA CHINE, LEADER EN PUISSANCE DANS L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE

À de nom­breux égards, la Chine est en avance sur l’Occident dans l’adoption de tech­no­lo­gies liées au mobile, aux moyens de paie­ment et aux réseaux sociaux. De nom­breuses start-up flo­ris­santes émergent, fon­dées par des talents for­més par les meilleures uni­ver­si­tés occi­den­tales et chinoises. 

LES RH À L’HEURE DE L’IA

Un autre domaine largement impacté aux États-Unis est la gestion des ressources humaines, du processus de recrutement au management des talents acquis.
À titre d’illustration, ces technologies permettent d’écrire des offres plus efficaces selon les profils recherchés et d’effectuer un meilleur filtrage des candidats, grâce à des éléments de théorie du langage couplés à du profilage psychologique.

L’écosystème entre­pre­neu­rial dis­pose de beau­coup de capi­tal, avec un mar­ché domes­tique mature, et des talents à foi­son, per­met­tant à la Chine de faire jeu égal avec les États-Unis ou l’Europe en termes d’innovation.

De plus, il existe en Chine autant de grands groupes capables d’acquérir et finan­cer des start-up qu’aux États-Unis (Ali­ba­ba, Tencent, Bai­du ou Xiao­mi par exemple). 

La Chine accé­lère son déve­lop­pe­ment, avec un sou­tien impor­tant du gou­ver­ne­ment. Ain­si, ce der­nier a annon­cé récem­ment un plan pour faire de ce pays le lea­der dans le domaine de l’IA pour 2030. Il a aus­si annon­cé un plan d’investissement mas­sif dans la moder­ni­sa­tion des trans­ports, en par­ti­cu­lier celui de la voi­ture auto­nome et connec­tée, ce qui donne à cer­taines start-up chi­noises des pers­pec­tives d’avenir aus­si brillantes que les meilleures de la Sili­con Valley. 

LA FRANCE A DES ATOUTS

La France peut-elle faire jeu égal avec ces mas­to­dontes ? Elle a un grand nombre d’atouts qu’on aurait tort de sous-estimer. 

“ L’État a toutes les cartes en main pour aider l’écosystème entrepreneurial à se développer ”

Tout d’abord, les ingé­nieurs fran­çais sont très appré­ciés en Sili­con Val­ley : ils sont vus comme loyaux et très bien for­més, notam­ment dans les data sciences.

De plus en plus de géants glo­baux comme Face­book, Gene­ral Elec­tric ou Hua­wei décident d’installer des bureaux de R & D en France, pour pro­fi­ter de la qua­li­té éle­vée de nos ingé­nieurs et de salaires plus abor­dables qu’en Californie. 

HUAWEI investit en R&D en France
De plus en plus de géants glo­baux comme Hua­wei décident d’installer des bureaux de R & D en France, pour pro­fi­ter de la qua­li­té éle­vée de nos ingé­nieurs et de salaires plus abor­dables qu’en Cali­for­nie. © IVAN GARCIA / SHUTTERSTOCK.COM

De nom­breuses déci­sions favo­rables ont été prises ces der­nières années pour sti­mu­ler l’écosystème, allant du déve­lop­pe­ment de l’appétence pour l’entreprenariat chez les étu­diants en amont, à l’accès à davan­tage de sources de finan­ce­ment et de struc­tures d’accompagnement en aval (créa­tion et suc­cès de Bpi­france, ou lan­ce­ment de nom­breux incu­ba­teurs, dont le géant Sta­tion F). 

En outre, les rela­tions entre les labo­ra­toires de pointe des meilleures uni­ver­si­tés et grandes écoles et le sec­teur pri­vé seront un élé­ment dif­fé­ren­ciant que la France pour­rait mettre en avant. 

Enfin, l’État peut contri­buer encore davan­tage à l’émergence de nou­veaux acteurs : ain­si du fonds pour l’innovation de 10 mil­liards d’euros qui devait voir le jour au 1er jan­vier 2018. Aujourd’hui, l’État a toutes les cartes en main pour aider l’écosystème entre­pre­neu­rial à se développer. 

Cela devient d’autant plus cri­tique que le reste du monde, en par­ti­cu­lier dans les pays émer­gents, n’attendra pas pour aider ses jeunes pousses à deve­nir les géants de demain, comme le montrent les poli­tiques très actives du gou­ver­ne­ment chi­nois, ou la révo­lu­tion numé­rique de l’Estonie.

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