Les vœux du Provéditeur-Inquisiteur Général

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°705 Mai 2015Rédacteur : Jonathan CHICHE (05)

À l’heure des SMS, les amoureux des livres peu­vent s’estimer heureux de recevoir encore par voie postale une carte de vœux pour la nou­velle année.

Louis Barnier, directeur de l’Imprimerie Union, offrait pour sa part à ses amis de pré­cieux vol­umes qui, de 1961 à 1986, con­sti­tuèrent de la sorte une sin­gulière col­lec­tion de vingt ouvrages, tous hors-com­merce et tirés à petit nom­bre, dont la par­faite tenue typographique accom­pa­g­nait des œuvres lit­téraires ou graphiques tou­jours remarquables.

Barnier occu­pait la dig­nité de Provédi­teur-Inquisi­teur Général du Col­lège de ’Pat­a­physique, au nom­bre des pub­li­ca­tions duquel fig­urent d’autres édi­tions de cer­tains de ces rares ouvrages de cir­con­stance, et l’on ne doit pas s’étonner de la présence du dis­cret fon­da­teur de cette insti­tu­tion, sous forme anonyme ou pseu­do­nyme, d’abord dans un recueil de prophéties traduites de Léonard de Vin­ci, qu’accompagnait – tou­jours gra­cieuse­ment – une gravure signée de Max Ernst – 111 exem­plaires, 1961 –, puis dans un hom­mage posthume à ses tal­ents de pho­tographe de lieux rim­bal­diens, d’aisance y com­pris – 555 exem­plaires, 1975.

Sig­nalons La Vache au pré noir, qui présente les vingt-qua­tre résul­tats obtenus à par­tir d’un tableau de Jean Dubuf­fet par per­mu­ta­tion des qua­tre tons de base de la quadrichromie – ce dont le pein­tre se réjouira fort, ain­si qu’en atteste la réponse qu’il fit à l’imprimeur, repro­duite dans le vol­ume ; c’est du reste à cette époque que se dévelop­paient, non loin, les travaux ana­logues de l’Oulipo.

Le même procédé sera recon­duit quelques années plus tard pour pro­duire de sem­blables vari­a­tions quadrichromiques à par­tir de La Joconde – 333 exem­plaires, 1984–1985. D’autres pub­li­ca­tions rap­pelaient le sou­venir de curieux per­son­nages mécon­nus, tels Solon de Voge, auteur au XVIe siè­cle d’adages et proverbes orig­in­aux – 333 exem­plaires, avec une aquat­inte signée d’Édouard Pignon, 1964 – ou Nico­las Ciri­er, « typographe fou » du XIXe siè­cle – 333 exem­plaires, 1981.

En 1972, ce sont les tal­ents de graveur de Chaval – l’auteur des Gros Chiens – qui se trou­vaient révélés de la sorte – 444 exem­plaires –, faisant suite à la savante étude de Ray­mond Fleury dévoilant d’étonnantes beautés pat­a­physiques – en est-il d’autres ? – des archives de l’Office nation­al de la pro­priété indus­trielle – 333 exem­plaires, 1971 –, moins ésotériques que celles de la réédi­tion des prophéties « per­pétuelles, très-anci­ennes et très-cer­taines » de Thomas-Joseph Moult – 333 exem­plaires, 1967 – ou du Mutus Liber – 333 exem­plaires, 1968.

Invi­tant le lecteur à par­tir à la recherche de ces ouvrages et de ceux que, faute de place, nous n’évoquons pas – le cat­a­logue thé­ma­tique du libraire Syl­vain Goude­mare pour­ra servir d’utile guide –, con­tentons-nous de sig­naler, pour les années 1977–1978, la réédi­tion du Crève-Cœur du vieux sol­dat, d’après la maque­tte d’un ouvrage jamais réal­isé que Picas­so devait illus­tr­er pour l’éditeur Ili­azd ; hom­mage à ces derniers de Barnier et Cár­de­nas – auteur d’un beau fron­tispice –, ce vol­ume reprend le texte d’un extra­or­di­naire poème auto­bi­ographique d’un sol­dat cru­elle­ment dés­abusé du temps de Louis XIII.

Don­né par Barnier comme ne sub­sis­tant qu’en un seul exem­plaire, provenant de la bib­lio­thèque du maréchal de Riche­lieu, ce texte se trou­ve toute­fois dans deux édi­tions dif­férentes à la BnF. Un lecteur pour­ra-t-il nous en dire davan­tage sur cette œuvre, son auteur et ses éditions ?

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