Les revers de Justinien

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°707 Septembre 2015Rédacteur : Jonathan CHICHE (05)

Si l’on se sou­vient surtout de 1869 comme de l’année des Chants de Mal­doror, c’est égale­ment celle au cours de laque­lle un curieux mil­i­taire de car­rière fit paraître un ouvrage sin­guli­er, passé jusqu’ici qua­si inaperçu des his­toires de la lit­téra­ture, qui mérite une plus ample reconnaissance.

Voici la brève descrip­tion de notre exem­plaire, ce texte ne présen­tant qu’un état pro­vi­soire de nos recherch­es sur cer­tains points.

[TRUMELET (Corneille)] LUTTEMER. UN AMOUR SOUS-MARIN.
Alger, Typogra­phie Bouy­er, 1869. Demi-basane bor­deaux, dos à nerfs et titre et fleu­rons dorés – reli­ure de l’époque –, 20 x 12,5 cm, 174 p. Édi­tion originale.

Exem­plaire de la soeur et du fils adop­tif de l’auteur, com­por­tant cet envoi sur la page de titre : « À ma soeur aimée, Mme Vic­toire Varnie[r.] Sou­venir de bonne ami­tié, L’Auteur, Le Colonel C. Trumelet[.] Vin­cennes, le 4 jan­vi­er 1873. »

Sur la page de titre fig­ure l’ex-libris man­u­scrit du fils adop­tif de Corneille Trumelet, l’alors Cap­i­taine Trumelet- Faber, prénom­mé Gus­tave Ernest, fils naturel de Marie Faber, saint-cyrien, pho­tographe de l’Indochine dont il revien­dra pour par­tir en Afrique du Nord où son père adop­tif avait effec­tué sa carrière.

Nous con­jec­tur­ons qu’il est l’auteur de l’ouvrage – que nous n’avons pas encore vu – Les États-Unis d’Europe : étude par le Dr G. Lut­te­mer […], Tunis, F. Weber, 1913, pour lequel il aurait adop­té le même pseu­do­nyme que celui de son père adoptif.

Notons tout de même que la dimen­sion mar­itime du texte de ce dernier rendait par­ti­c­ulière­ment per­ti­nent le choix de cette anagramme.

Aucun bib­li­ographe ne sem­ble citer cette pre­mière édi­tion, aucune bib­lio­thèque publique n’en compter d’exemplaire. Blavier, dans Les Fous lit­téraires – bien qu’il ne range pas Trumelet dans la caté­gorie désignée par le titre de sa bib­li­ogra­phie –, n’en men­tionne que la sec­onde édi­tion, qui parut à Lodève en 1877, chez Tiffy-Jul­lian, sous le pseu­do­nyme d’état civ­il de l’auteur : « Ce livre curieux, bien fait et bien écrit, […] nous paraît mérit­er quelques pages de citations. »

Nous devons nous lim­iter ici à quelques lignes, déjà juste­ment remar­quées par Blavier.

— « Mais, à pro­pos, lui demandai-je, dis-moi donc Louise, — si tu ne vois pas là une ques­tion céra­tine, — quelle est la posi­tion sociale de l’homme avec lequel tu com­pos­es cette sorte de poudingue con­ju­gal dont tu n’es pas ravie ? »
— « Lieu­tenant de vaisseau. »
— « Noble pro­fes­sion, mais qui doit te laiss­er une assez jolie col­lec­tion de loisirs, lui répondis-je, surtout si cet homme s’amuse sou­vent à faire le tour du monde, ou à aller sur­veiller la pêche de la morue. Il fau­dra chercher, s’il en man­quait, à lui don­ner du goût pour ces sortes de mis­sion. Fais[-]lui entrevoir ce qu’il se ramasserait de gloire s’il pou­vait retrou­ver le crâne de La Pérouse, ou le sec­ond cubi­tus de Franklin. »
— « Je tâcherai ; mais il ne voudra peut-être pas », reprit-elle avec l’accent de la plus adorable tristesse.
[…]
« Nous mazourkions toujours. »
— « Mais où est-il, dis, Louise ? dis-moi où il a l’infamie de respir­er, » m’écriai-je en broy­ant ma rage entre mes molaires.
— « Au salon de jeu, et il y perd tou­jours ! Mais fais, Jus­tinien, comme si tu l’ignorais ; fais-cela [sic], et tu n’en seras pas fâché ! » me dit-elle d’un ton sup­pli­ant à faire fon­dre un coeur de platine.
— « Est-il jeune cet homme de mer ? » lui demandai-je avec un calme apparent.
— « Peuh !… Médiocre­ment… Pour­tant, je ne saurais fix­er que très approx­i­ma­tive­ment la date de son éclo­sion à la lumière. »
— « Tâche de voir ses dents pen­dant son som­meil, lui répondis-je, et si ses osanores sont authen­tiques, tu pour­ras te pro­cur­er ce renseignement. »

Faute de place, nous ne citerons pas davan­tage le texte de cet ouvrage ; allez‑y voir vous-mêmes, pour décou­vrir les amours sous-marines du mono­mane Justinien.

Ajou­tons que nous sommes pre­neurs de tout ren­seigne­ment sur l’activité lit­téraire de Corneille Trumelet, qui sem­ble avoir été meilleur prosa­teur que poète, s’il est bien l’auteur des Ser­vices d’Alice.

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