Union européenne de l'énergie

Les politiques de l’énergie dans l’Union européenne

Dossier : Croire en l'EuropeMagazine N°759 Novembre 2020
Par Henri PRÉVOT (64)

L’Europe a une poli­tique énergé­tique affichée et des ambi­tions cli­ma­tiques proclamées. Tout cela est-il cohérent ? effi­cace ? com­pat­i­ble avec les sit­u­a­tions par­ti­c­ulières des États mem­bres ? Com­ment pro­gress­er et créer une véri­ta­ble Union européenne de l’énergie ?

L’Union européenne pour­suit une bonne dizaine d’objectifs dans sa poli­tique de l’énergie, si l’on en croit ses pub­li­ca­tions. Aucun de ces objec­tifs ne peut être con­sid­éré comme « sec­ondaire par rap­port à d’autres » (dans son 18e con­sid­érant du règle­ment sur la gou­ver­nance de l’Union européenne de l’énergie). Or ces mul­ti­ples objec­tifs non hiérar­chisés sont sou­vent contradictoires…

Par exem­ple, pour chauf­fer l’eau san­i­taire, rem­plac­er une résis­tance élec­trique par un chauffe-eau ther­mo­dy­namique dimin­ue la con­som­ma­tion d’énergie sans effet sur les émis­sions de CO2 lorsque la pro­duc­tion d’électricité n’en émet pas, mais coûte beau­coup plus cher, ce qui empêche de financer d’autres actions qui dimin­ueraient les émis­sions. Il en est ain­si de gross­es dépens­es d’isolation ther­mique lorsque le loge­ment est chauf­fé par une pompe à chaleur.

Autre exem­ple : un marché con­cur­ren­tiel de l’électricité per­met d’utiliser de façon effi­cace les moyens de pro­duc­tion exis­tants mais agit con­tre la sécu­rité d’approvisionnement, car le prix de l’électricité qui en émerge est inca­pable de financer le développe­ment des moyens dont nous aurons besoin pour rem­plac­er pét­role, gaz et char­bon. Faire naître au for­ceps puis engraiss­er les éoli­ennes et le pho­to­voltaïque à coups de déci­sions publiques qui leur assurent un con­fort­able revenu même en péri­ode de crise con­duit en France à met­tre un terme à l’activité de réac­teurs nucléaires encore en état de marche, ce qui oblig­era à dépenser des mil­liards d’euros par an de plus sans aucun effet sur les émis­sions de CO2, aux dépens de la com­péti­tiv­ité de notre économie et du pou­voir d’achat des consommateurs.

“Le nucléaire n’est pas complètement exclu mais seulement toléré.”

Encore un exem­ple. Le nucléaire répond par­faite­ment à plusieurs des objec­tifs de développe­ment durable : il n’émet pas plus de CO2 que l’éolien et le pho­to­voltaïque, con­somme dix à vingt fois moins de matéri­au, occupe très peu de sur­face au sol, ce qui est favor­able à la bio­di­ver­sité. Pour­tant une très forte pres­sion s’exerce pour qu’il ne béné­fi­cie pas du finance­ment européen du Green Deal à cause de ses déchets radioac­t­ifs à vie longue. Ils seront enfouis à 500 mètres sous la terre, dans de l’argile. Ils sont insol­ubles et l’argile est imper­méable. Bien sûr, ils finiront par migr­er, mais telle­ment lente­ment que leur radioac­tiv­ité résidu­elle, lorsqu’elle pour­ra touch­er l’homme, sera locale­ment inférieure à la radioac­tiv­ité naturelle.

L’attention portée à nos loin­tains descen­dants, dans quelques cen­taines de mil­liers d’années, pour leur éviter cette hausse imper­cep­ti­ble de radioac­tiv­ité est vrai­ment touchante, surtout si l’on pense aux mil­liards d’euros dépen­sés pour rem­plac­er du nucléaire par des éoli­ennes et du pho­to­voltaïque et, plus grave encore, aux enjeux stratégiques cachés sous ce masque écologique. En défini­tive le nucléaire n’est pas com­plète­ment exclu mais seule­ment toléré comme une énergie de tran­si­tion, alors même que l’AIE vient de con­stater que le nucléaire est indispensable.


REPÈRES

Sur le site inter­net du Par­lement européen la fiche tech­nique « La poli­tique de l’énergie : principes généraux » énonce les objec­tifs de la poli­tique de l’énergie : bon fonc­tion­nement du marché intérieur de l’énergie et inter­con­nex­ion des réseaux énergé­tiques ; sécu­rité de l’approvisionnement énergé­tique dans l’Union ; effi­cac­ité énergé­tique et économies d’énergie ; décar­bon­i­sa­tion de l’économie ; développe­ment des éner­gies nou­velles et renou­ve­lables ; recherche, inno­va­tion et com­péti­tiv­ité. En out­re les États mem­bres ont décidé en 2019 un Green Deal qui prévoit 1 000 mil­liards d’euros en dix ans pour financer des actions de développe­ment durable en visant huit objec­tifs dont plusieurs con­cer­nent l’énergie : l’économie cir­cu­laire, les pol­lu­tions et la biodiversité. 


Vingt-huit décideurs : l’Union européenne et chacun de ses 27 États membres

Le traité de Lis­bonne, juste après avoir énon­cé les objec­tifs de l’Union européenne, ajoute que les mesures adop­tées pour les attein­dre « n’affectent pas le droit d’un État mem­bre de déter­min­er les con­di­tions d’exploitation de ses ressources énergé­tiques, son choix entre dif­férentes sources d’énergie et la struc­ture générale de son appro­vi­sion­nement énergé­tique » (arti­cle 194 du traité sur le fonc­tion­nement de l’Union européenne, TFUE). De plus, comme ses prédécesseurs, le traité rap­pelle sys­té­ma­tique­ment que la respon­s­abil­ité en matière de sécu­rité publique revient aux États mem­bres. À ce titre l’État peut pren­dre des mesures dif­férentes des règles ordi­naires de l’Union sur la cir­cu­la­tion des pro­duits (arti­cle 36), des per­son­nes, des ser­vices et des cap­i­taux (arti­cle 45).

“Le droit est souvent objet d’interprétations différentes.”

Ce droit a été remar­quable­ment décrit et con­fir­mé par la Cour de Lux­em­bourg dans un arrêt qui date de près de quar­ante ans mais qui sert tou­jours de référence : L’arrêt Cam­pus Oil. En autorisant des écarts aux règles de libre marché, de con­cur­rence et d’aides publiques pour préserv­er les moyens d’action des États dans un domaine qui relève de leur respon­s­abil­ité, la Cour de Lux­em­bourg a appliqué le principe de l’effet utile (selon ce principe, une insti­tu­tion à qui est recon­nu un droit d’agir doit dis­pos­er des moyens néces­saires à cette action) auquel la Com­mis­sion, de son côté, a abon­dam­ment recou­ru pour installer le marché unique et élargir le champ d’action de la Com­mu­nauté économique européenne bien au-delà de ce que pou­vait don­ner à penser une lec­ture naïve des traités.

Le droit est sou­vent objet d’interprétations dif­férentes. C’est par­ti­c­ulière­ment vrai en ce domaine où les textes et la jurispru­dence ouvrent large­ment le débat sur le rôle respec­tif de l’Union européenne et des États mem­bres. L’Allemagne n’a pas con­trevenu au droit européen en déci­dant uni­latérale­ment de met­tre fin à sa pro­duc­tion d’énergie nucléaire, ni le Roy­aume-Uni en accor­dant une garantie de ressource à une future pro­duc­tion nucléaire avec un Con­tract for Dif­fer­ence par lequel l’État s’engage à assur­er une ressource indiquée au con­trat si les prix de marché sont inférieurs à un seuil égale­ment indiqué au contrat.

Il serait pos­si­ble de faire beau­coup plus sim­ple que les 75 pages et les 90 con­sid­érants du règle­ment sur la gou­ver­nance de l’Union européenne : clar­i­fi­er les objec­tifs et le rôle de chacun.


L’arrêt Campus Oil

Cet arrêt de la Cour de Lux­em­bourg, du 10 juil­let 1984, con­firme que l’approvisionnement en énergie est une con­di­tion de la sécu­rité publique. Le gou­verne­ment irlandais avait décidé de nation­alis­er la seule raf­finer­ie du pays, que ses action­naires, qua­tre majors, avaient décidé d’arrêter ; de plus il oblig­eait les dis­trib­u­teurs de pro­duits raf­finés à acheter à la raf­finer­ie nationale, à un prix fixé par lui, 35 % de leurs ventes. 

Le rap­port de l’avocat général est par­ti­c­ulière­ment nour­ri et intéres­sant. Notam­ment ceci : La « sécu­rité publique » est attachée au « bien-être de l’État, afin de garan­tir le fonc­tion­nement des ser­vices essen­tiels et l’approvisionnement » ; « elle ne se lim­ite pas […] à la sécu­rité intérieure au sens de la défense du droit et de l’ordre » ; elle tend à préserv­er la « sta­bil­ité et la cohé­sion de la vie d’un État mod­erne ». À cette fin la Cour jus­ti­fie les déci­sions pris­es par l’État irlandais à con­di­tion qu’elles soient juste suff­isantes (principe dit de proportionnalité). 


Choisir un objectif

« Le Con­seil européen fait sien l’objectif con­sis­tant à par­venir d’ici 2050 à une Union européenne neu­tre pour le cli­mat, con­for­mé­ment aux objec­tifs de l’accord de Paris » : con­clu­sions de la réu­nion du Con­seil européen du 12–13 décem­bre 2019 ; c’est-à-dire que les émis­sions de CO2 ne seront pas supérieures à ce qui sera absorbé ou stocké. Voilà un objec­tif sim­ple. Serait-ce l’amorce d’un recen­trage de la poli­tique de l’Union européenne ? On n’ose l’espérer.

Un objec­tif de très forte diminu­tion des émis­sions de CO2 recou­vre large­ment l’objectif d’indépendance énergé­tique. En effet, même si l’humanité par­ve­nait à dimin­uer sa con­som­ma­tion de pét­role, de gaz et de char­bon con­for­mé­ment à l’accord de Paris, l’Europe resterait dépen­dante. Russie, Opep et États-Unis ont mon­tré qu’ils étaient capa­bles de s’entendre pour met­tre fin à une baisse des cours ; ils pour­raient se ren­dre compte qu’ils ont grand intérêt à les faire mon­ter pour capter la rente créée par une rareté qu’ils auront ain­si créée. De plus aller vers la neu­tral­ité car­bone con­tribue à dimin­uer les pol­lu­tions locales. Faut-il aller jusqu’à la neu­tral­ité car­bone dès 2050 ? Quoi qu’il en soit, pour répon­dre aux objec­tifs de com­péti­tiv­ité économique et de pro­tec­tion des con­som­ma­teurs, la diminu­tion des émis­sions devrait être recher­chée en menant les actions les moins coûteuses.

“L’objectif devrait être d’aller vers la neutralité carbone
en dépensant aussi peu que possible.”

Au total, l’objectif de l’Union européenne devrait être : « Aller vers la neu­tral­ité car­bone en dépen­sant aus­si peu que pos­si­ble. » Alors, les économies d’énergie et les éner­gies renou­ve­lables, notam­ment éoli­ennes et pho­to­voltaïques, ne sont pas des buts ; ce sont des moyens, pas tou­jours effi­caces, à la dis­po­si­tion des États, qui les utilis­eront comme ils l’entendront. Il serait intéres­sant d’étudier com­ment le développe­ment des éner­gies renou­ve­lables a drainé des fonds publics mas­sifs sans aucun effet, en France, sur les émis­sions de CO2 ni sur l’indépendance énergé­tique. L’explication ferait appel à la soci­olo­gie, à l’étude des rap­ports de force, au jeu de la démoc­ra­tie, à la façon dont l’information se répand, peut-être à l’anthropologie. Mais cer­taine­ment pas à la raison.

Entre l’Union européenne et ses États membres, répartir clairement les responsabilités

L’objectif et les moyens étant ain­si clar­i­fiés, la gou­ver­nance de l’énergie en Europe pour­rait se décrire sim­ple­ment. Voici com­ment. Comme ils le font aujourd’hui, les États mem­bres s’accordent sur les lim­ites d’émission de CO2 de cha­cun d’entre eux. Ain­si, chaque État mem­bre est libre de choisir les moyens qu’il utilis­era : il respecte les règles ordi­naires de l’Union européenne mais peut s’en écarter dans la mesure où cela est néces­saire pour men­er à bien sa poli­tique énergétique. 

L’Union européenne finance la recherche et le développe­ment selon les poli­tiques choisies par les États mem­bres. Dans le domaine de l’électricité, vu les défail­lances struc­turelles du marché, pour que les investisse­ments néces­saires à long et moyen terme soient financés par les con­som­ma­teurs, non par les con­tribuables, l’État peut installer un régime d’acheteur unique, fix­ant les prix de vente en gros selon une tar­i­fi­ca­tion à la Boi­teux qui a fait ses preuves : selon la tar­i­fi­ca­tion for­mal­isée et mise en œuvre par Mar­cel Boi­teux, les prix de gros sont ceux qui éman­eraient d’un marché par­fait (c’est-à-dire qui est sans posi­tion dom­i­nante et où l’information est par­faite), sachant qu’un tel marché est impos­si­ble vu la taille des équipements de pro­duc­tion et leur durée de vie.

“L’Union européenne finance la recherche et le développement
selon les politiques choisies par les États membres.”

Pour l’équipement et pour la ges­tion des moyens de pro­duc­tion, l’acheteur unique fera appel à la con­cur­rence ; la vente au détail sera le fait d’entreprises qui se fer­ont con­cur­rence non sur leurs achats d’électricité mais sur la qual­ité des ser­vices ren­dus aux con­som­ma­teurs. L’Union européenne organ­ise le marché de per­mis d’émettre du CO2 et pro­tège les entre­pris­es con­cernées de la con­cur­rence d’autres entre­pris­es qui ne sont pas soumis­es à des oblig­a­tions sem­blables – ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Comme aujourd’hui, l’Union européenne éla­bore les normes tech­niques com­munes, par­ticipe au finance­ment des actions qui dimin­u­ent les émis­sions de CO2, mène des études d’intérêt com­mun, etc. En par­ti­c­uli­er, pour aider les États à éla­bor­er leurs poli­tiques, il serait très intéres­sant de class­er les actions qui évi­tent des émis­sions de CO2 selon le coût de la tonne évitée. 

Des coopérations sur des projets importants d’intérêt commun

D’un État mem­bre à l’autre, la diver­sité des sit­u­a­tions, des rela­tions inter­na­tionales, des disponi­bil­ités en ressources pro­pres, de l’organisation insti­tu­tion­nelle, de l’histoire et de la cul­ture est impor­tante. Cette diver­sité est telle que les poli­tiques nationales de l’énergie res­teront très dif­férentes les unes des autres. Cela n’empêchera pas de fructueuses coopéra­tions pou­vant éventuelle­ment recevoir des aides publiques en tant que « pro­jets impor­tants d’intérêt européen com­mun » (arti­cle 107 du TFUE, para­graphe 3‑b) et pou­vant aus­si associ­er des pays non mem­bres de l’Union européenne.

Le pro­jet de fab­ri­ca­tion de bat­ter­ies, dont la ges­ta­tion a été bien longue, sera-t-il repro­duit ? Les sujets ne man­queraient pas, regroupant des pays dif­férents : stock­age du CO2, ges­tion et stock­age des déchets nucléaires, nou­velle généra­tion de cel­lules pho­to­voltaïques, nucléaire de qua­trième généra­tion, sécu­rité des sys­tèmes d’information néces­saires à la ges­tion de réseaux élec­triques. Ce n’est qu’après avoir réus­si des actions com­munes entre États mem­bres respon­s­ables de leur pro­pre poli­tique de l’énergie que le sen­ti­ment de sol­i­dar­ité se ren­forcera et que l’on pour­ra par­ler d’une Union européenne de l’énergie.

“L’objectif devrait être d’aller vers la neutralité carbone
en dépensant aussi peu que possible.”

Une dernière remar­que : faisons tomber nos œil­lères ! Con­tre les émis­sions de CO2 les déci­sions sont locales mais leurs effets ne sont pas local­isés : le CO2 se moque des fron­tières. Au fur et à mesure que l’on se rap­prochera de la neu­tral­ité car­bone, éviter des émis­sions de CO2 coûtera de plus en plus cher, jusqu’à dépass­er 700 euros par tonne de car­bone évitée (selon ce que nous dit la com­mis­sion Quinet du Plan). Or, pas loin de chez nous, plus de 600 mil­lions d’Africains entre Sahara et Afrique du Sud n’ont pas d’électricité, sinon celle de groupes électrogènes.

En com­bi­nant pho­to­voltaïque, gaz, hydraulique et bat­ter­ies, il suf­fi­rait de moins de 100 euros pour non seule­ment éviter l’émission d’une tonne de CO2 mais aus­si con­tribuer au développe­ment économique et social de ces pays. Certes, les obsta­cles à lever sont nom­breux mais cette sim­ple com­para­i­son invite à rechercher com­ment con­stru­ire une coopéra­tion effi­cace per­me­t­tant au plus grand nom­bre de dis­pos­er d’électricité en évi­tant un max­i­mum d’émissions de CO2.

Cela ne don­nerait-il pas d’autres couleurs aux poli­tiques de l’énergie menées par l’Union européenne et ses États membres ?


Ressources

> L’arrêt Cam­pus Oil est longue­ment com­men­té dans La France : économie, sécu­rité (Hachette, 1994)

> Sur les aspects stratégiques


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Commentaire

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bruno wiltzrépondre
10 novembre 2020 à 7 h 47 min

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