Les petites entreprises financent les grosses

Dossier : La France a besoin d'entrepreneursMagazine N°549 Novembre 1999
Par Hubert KIRCHNER (80)

L’analyse sta­tis­tique des bilans et comptes de résul­tats est sans appel. Elle mon­tre que les finance­ments à long terme (fonds pro­pres et emprunts) des PME cou­vrent mieux en moyenne leurs immo­bil­i­sa­tions que ne le font ceux des grandes entre­pris­es. Leur taux d’en­det­te­ment ne pose pas non plus de problème.

En revanche, le besoin de finance­ment du cycle d’ex­ploita­tion est tou­jours sen­si­ble­ment plus impor­tant dans le cas des PME. Et cette par­tic­u­lar­ité a pour seule cause les longs délais de paiement de leurs clients, expres­sion d’un rap­port de force qui leur est presque tou­jours défavorable.

Cet usage, abusif en France et dans les pays latins, de ce qu’il est con­venu d’ap­pel­er le crédit inter­en­tre­pris­es hand­i­cape lour­de­ment le développe­ment de nos PME. Il faut pren­dre con­science que la tré­sorerie faite par les grandes entre­pris­es sur les petites dépasse, en France, le mon­tant de 100 mil­liards de francs.

Cela veut dire que si toutes les entre­pris­es payaient leurs four­nisseurs à trente jours, ce qui est la pra­tique dans le monde anglo-sax­on, chaque PME de 30 MF de chiffre d’af­faires ver­rait en moyenne sa tré­sorerie aug­menter de 1,5 MF. C’est une somme con­sid­érable pour une entre­prise de cette taille, une somme qui lui per­me­t­trait d’in­ve­stir indus­trielle­ment ou com­mer­ciale­ment sans ris­quer de met­tre en péril son équili­bre financier.

Il faut cepen­dant se garder du mau­vais réflexe qui con­sis­terait à légifér­er ou à régle­menter ces délais car ce serait tomber dans le piège, véri­ta­ble­ment désas­treux pour les PME, de l’ap­pli­ca­tion par elles seules de cette nou­velle régle­men­ta­tion ou lég­is­la­tion. Les PME ne peu­vent pas s’of­frir le luxe de con­flits avec des clients et four­nisseurs plus puis­sants qu’elles.

Les nou­veaux usages devraient, à mon sens, repos­er sur les principes suivants :

  • respon­s­abilis­er l’en­tre­prise cliente en lui faisant sup­port­er finan­cière­ment les frais des titres de paiement qu’elle utilise,
  • pénalis­er fis­cale­ment les entre­pris­es qui abusent des délais de paiement en ren­dant le crédit inter­en­tre­pris­es plus coû­teux que le crédit bancaire,
  • per­me­t­tre aux PME d’être payées à trente jours sans frais,
  • préserv­er la rela­tion com­mer­ciale de tout lit­ige por­tant sur les délais de paiement,
  • éviter toute inter­ven­tion de l’É­tat en faisant en sorte que le sys­tème s’autorégule.

Trois mesures simples seraient, à cet égard, suffisantes :

1 — Pénaliser fiscalement les abus de délais de paiement en majorant l’impôt sur les sociétés des entreprises responsables de ces abus.

L’abus con­sis­terait pour une entre­prise à pay­er ses four­nisseurs dans un délai qui soit à la fois supérieur à trente jours et supérieur au délai de paiement de ses clients.

Si, à par­tir des élé­ments de la liasse fis­cale, ces deux dépasse­ments simul­tanés étaient con­statés, l’im­pôt sur les sociétés serait majoré d’un mon­tant égal aux intérêts annuels que devrait pay­er l’en­tre­prise si elle emprun­tait la total­ité de son compte four­nisseur au taux offi­ciel de l’usure.

Cette mesure per­me­t­trait de ren­dre le crédit inter­en­tre­pris­es plus cher que le crédit ban­caire. Et donc de faire pro­gres­sive­ment dis­paraître ces pra­tiques néfastes.

2 — Permettre aux PME fournisseurs d’être payées à trente jours sans frais, sur simple présentation des pièces justificatives.

Ces pièces jus­ti­fica­tives seraient : soit le titre de paiement soit la fac­ture. La BDPME, ou toute autre banque, réglerait aus­sitôt à l’en­tre­prise la somme due et se charg­erait de recou­vr­er la créance auprès du client, ain­si que les frais de son inter­ven­tion. L’en­tre­prise four­nisseur resterait bien enten­du respon­s­able de tout lit­ige por­tant sur la vente.

3 — Imputer à l’émetteur d’un titre de paiement les frais afférents.

L’usage veut que le des­ti­nataire d’un titre de paiement paie les frais qui y sont asso­ciés, alors que c’est l’émet­teur qui choisit le mode de paiement qui lui convient.

Il serait plus sain que ce soit l’émet­teur du titre qui paie : frais admin­is­trat­ifs et frais d’escompte lorsque le délai de trente jours est dépassé. La banque du four­nisseur, récep­trice du paiement, fac­tur­erait directe­ment ces frais à l’émet­teur du paiement.

Ces propo­si­tions de mesures sont issues de la pra­tique du terrain.
Dis­cutées avec des prati­ciens des opéra­tions de paiement, elles restent, bien sûr, des propo­si­tions ouvertes.
L’im­por­tant est de faire évoluer ces usages de crédit inter­en­tre­pris­es qui hand­i­capent forte­ment notre économie au moyen de mesures inci­ta­tives et non coercitives.

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