Un candidat français aux Olympiades de chimie à Leyde (Pays-Bas) en 1986.

Les Olympiades internationales de chimie, observatoire des sytèmes éducatifs

Dossier : La chimie nouvelleMagazine N°572 Février 2002
Par Ayalon (Alain) VANICHE (87)

Une préparation et une sélection difficiles

L’i­dée des Olym­piades inter­na­tio­nales est née dans les années soixante, lorsque les pays de l’an­cien bloc sovié­tique met­taient en com­pé­ti­tion leurs meilleurs étu­diants en chimie.

Les Olym­piades se sont ouvertes à l’Oc­ci­dent dans les années quatre-vingt, puis à l’O­rient dans les années quatre-vingt-dix. Elles regroupent aujourd’­hui une cin­quan­taine de pays qui orga­nisent à tour de rôle la manifestation.


Olym­piade de Leyde (Pays-Bas) en 1986.

La par­ti­ci­pa­tion fran­çaise aux Olym­piades est prise en charge par le minis­tère de l’É­du­ca­tion natio­nale et l’U­nion des indus­tries chi­miques (UIC), qui ont en outre orga­ni­sé avec suc­cès la 22e Olym­piade à Paris en 1990. La pré­pa­ra­tion, la sélec­tion et l’en­ca­dre­ment des can­di­dats sont pris en charge par des ensei­gnants volon­taires, des repré­sen­tants de l’Ins­pec­tion géné­rale du minis­tère, de jeunes nor­ma­liens et de jeunes poly­tech­ni­ciens anciens can­di­dats, selon une tra­di­tion main­te­nant bien éta­blie : l’au­teur Alain Vaniche (87), Tho­mas Leclerc (93), Damien Lavergne (94), et aujourd’­hui Mat­thieu Ber­nard (98), Pas­cal Ger­bert-Gaillard (2000) et Guillaume Man­gin (2000).

Chaque pays par­ti­ci­pant sélec­tionne, habi­tuel­le­ment dans ses classes ter­mi­nales, 4 can­di­dats qui le repré­sen­te­ront à l’O­lym­piade de l’an­née en cours.

Cette sélec­tion se fait par des épreuves natio­nales, avec une par­ti­ci­pa­tion par­fois obli­ga­toire. En France, il existe bien des Olym­piades natio­nales des­ti­nées aux élèves de ter­mi­nale (voir enca­dré), mais la sélec­tion pour les Olym­piades inter­na­tio­nales suit une filière spé­ci­fique et intense pour par­ve­nir au niveau requis.

En effet, le règle­ment olym­pique pré­voit que les can­di­dats doivent avoir moins de 20 ans et pour­suivre leurs études géné­rales et non des études supé­rieures de chi­mie. Concrè­te­ment, les can­di­dats de la plu­part des pays sortent de leur der­nière année de lycée, avec option chi­mie. Cer­tains pays y ajoutent des pré­pa­ra­tions sup­plé­men­taires ou des stages inten­sifs pour les pré­sé­lec­tion­nés. En ex-URSS, une tren­taine de can­di­dats repé­rés un an avant les Olym­piades devaient démé­na­ger à Mos­cou pour être regrou­pés dans une classe de ter­mi­nale dédiée. Des élèves » auto­di­dactes » obtiennent par­fois de beaux résul­tats, mais la concur­rence est rude…

Pour qu’ils puissent atteindre un niveau com­pa­rable, les can­di­dats fran­çais sont sélec­tion­nés en classes de mathé­ma­tiques supé­rieures. En outre, les élèves de maths sup volon­taires doivent par­ti­ci­per à une pré­pa­ra­tion spé­ci­fique don­née tout au long de l’an­née en vue de la sélec­tion natio­nale, puis à une semaine de stage inten­sif. Ain­si le centre de pré­pa­ra­tion de Paris orga­nise une dizaine de cours de 4 heures le mer­cre­di après-midi à l’at­ten­tion des volon­taires de maths sup de la Région pari­sienne, cou­vrant une par­tie du pro­gramme de maths spé ain­si que des sujets ensei­gnés d’ha­bi­tude en second cycle ou en école d’ingénieur.

Synthèse du pentacatenane “ Olympiadane "
Syn­thèse du penta­ca­te­nane “ Olym­pia­dane ” : D. B. Ama­bi­li­no, P. R. Ash­ton, A. S. Reder, N. Spen­cer, J. F. Stod­dart in Angew. Chem. Int. Ed. Engl. 1994, 33, 1286–1290.

Des épreuves de haut niveau

Les équipes s’af­frontent donc à haut niveau lors de la com­pé­ti­tion. Les can­di­dats sont éva­lués sur 5 à 6 heures d’exer­cices théo­riques et 4 à 5 heures de tra­vaux pra­tiques, ces der­niers comp­tant pour 40 % des points. Les exer­cices couvrent cha­cun un domaine de la chi­mie : orga­nique, ana­ly­tique, inor­ga­nique, phy­sique, bio­lo­gique, indus­trielle… L’é­qui­libre entre ces par­ties per­met de cari­ca­tu­rer les tem­pé­ra­ments des pays orga­ni­sa­teurs : les pays de l’Est mettent en avant une chi­mie d’ob­ser­va­tion très orien­tée vers les miné­raux et la chi­mie phy­sique, les pays amé­ri­cains sont plu­tôt atti­rés par la chi­mie bio­lo­gique mais évitent la com­plexi­té, les Alle­mands favo­risent la syn­thèse et la chi­mie orga­nique sans fan­tai­sie, les Fran­çais aiment la chi­mie ana­ly­tique et mathé­ma­tique, etc.

Les tra­vaux pra­tiques sont aus­si variés et sou­vent ori­gi­naux. Je cite­rai en exemple le dosage de l’a­cide phos­pho­rique du Coca-Cola (Alle­magne 1984 ; le liquide devait être déco­lo­ré sur char­bon actif au préa­lable), ou bien la syn­thèse, l’i­so­le­ment et la carac­té­ri­sa­tion d’un com­plexe orga­no­mé­tal­lique (Pays-Bas 1986 ; le nickel néces­saire pro­ve­nait de la dis­so­lu­tion d’une pièce d’un cent hol­lan­dais dans l’a­cide nitrique). Les Olym­piades mettent en lumière la place des tra­vaux pra­tiques dans l’en­sei­gne­ment de la chi­mie, qui varie beau­coup d’un pays à l’autre. C’est le domaine dans lequel les élèves fran­çais accusent le plus grand retard par rap­port à toute l’Eu­rope, et en par­ti­cu­lier aux pays d’Eu­rope du Nord.

Les sujets de ces épreuves, pro­po­sés par le pays orga­ni­sa­teur, sont négo­ciés et ajus­tés (en géné­ral allé­gés…) par le jury inter­na­tio­nal com­po­sé de deux ensei­gnants de chaque pays, à huis clos et loin des can­di­dats. Comme dans beau­coup d’autres ins­tances inter­na­tio­nales, les pays anglo­phones mènent la dis­cus­sion sous les regards d’en­sei­gnants cubains ou chi­nois qui inter­viennent peu. Les inter­ven­tions fran­çaises servent alors à dire, en anglais néan­moins, ce que les autres pays pensent tout bas…

Une fois adop­tés, les sujets sont tra­duits par les ensei­gnants dans la langue de leurs can­di­dats, qui com­posent dans leur langue mater­nelle. Leurs copies sont cor­ri­gées par leurs ensei­gnants, puis sou­mises pour har­mo­ni­sa­tion des nota­tions au pays orga­ni­sa­teur. Believe it or not, aucun ensei­gnant ne favo­rise indû­ment ses élèves, les orga­ni­sa­teurs n’ont aucun mal à s’en assu­rer et cor­rigent sans dif­fi­cul­té les 200 copies rédi­gées en une tren­taine de langues !

Les prin­cipes de cor­rec­tion des copies sont inté­res­sants. Pour des rai­sons pra­tiques, le jury consi­dère qu’une réponse est bonne dès lors qu’elle contient les élé­ments atten­dus, quel que soit le » ver­biage » qui l’en­toure. De fait, peu de can­di­dats enve­loppent autant leurs réponses que les Fran­çais, habi­tués à expli­quer tous les tenants et abou­tis­sants de leurs réponses. En revanche, si le rai­son­ne­ment est bon mais que par étour­de­rie le can­di­dat ne par­vient pas au résul­tat atten­du, il obtient au mieux la moi­tié des points, alors que les élèves fran­çais sont par­fois habi­tués à ne pas être péna­li­sés en cas d’er­reur d’ap­pli­ca­tion numé­rique. » Chez nous, une faute d’é­tour­de­rie peut signi­fier votre mort » m’a­vait gaie­ment signa­lé un pro­fes­seur polo­nais en 1991…

Des enjeux politiques

Les can­di­dats sont alors clas­sés sur une seule liste, et les meilleurs 10 % reçoivent une médaille d’or lors d’une céré­mo­nie solen­nelle de remise des prix. Les 20 % sui­vants reçoivent une médaille d’argent et les 30 % sui­vants finissent avec du bronze. Il n’y a pas de clas­se­ment par pays, mais on retrouve régu­liè­re­ment aux meilleures places les élèves chi­nois, alle­mands, et les repré­sen­tants des pays de l’an­cien bloc sovié­tique. Les Fran­çais se classent hono­ra­ble­ment, avec quelques médailles d’argent, et deux médailles d’or seule­ment en près de vingt ans de par­ti­ci­pa­tion décro­chées par Tho­mas Leclerc et Damien Bour­geois (tous deux X 93) à Pitts­burgh en 1992.

Les par­ti­ci­pants sont bien conscients de leur rôle de repré­sen­ta­tion. Les dra­peaux voire les hymnes natio­naux sont très pré­sents. Les élèves issus des régimes poli­tiques les plus stricts sont par­fois accom­pa­gnés de » com­mis­saires poli­tiques » et d’en­sei­gnants dont la tenue de tra­vail est davan­tage un uni­forme d’of­fi­cier qu’une blouse de chi­miste. Les Olym­piades de chi­mie donnent alors lieu à des manœuvres dis­pro­por­tion­nées, comme pour les invi­ta­tions lan­cées par la Pologne aux États baltes sépa­ré­ment de l’URSS, avant qu’ils soient pro­cla­més, ou pour la par­ti­ci­pa­tion simul­ta­née de Taï­wan et de la Répu­blique popu­laire de Chine. Sans par­ler des ensei­gnantes néo-zélan­daises qui n’a­dres­saient pas la parole aux délé­gués fran­çais depuis l’af­faire du Rain­bow Warrior…

Les Olym­piades natio­nales de chimie

sont une mani­fes­ta­tion très simi­laire aux Olym­piades inter­na­tio­nales, mais stric­te­ment fran­çaise et s’a­dres­sant aux classes de ter­mi­nales géné­rales et tech­no­lo­giques. Elles ont été créées en 1984 et finan­cées inté­gra­le­ment par le groupe Elf, sous l’im­pul­sion du pro­fes­seur Bar­bou­teau qui vou­lait créer un » anti-concours géné­ral » en met­tant davan­tage l’ac­cent sur la pré­pa­ra­tion, la pra­tique et les épreuves orales que sur les exer­cices théoriques.

Elles ont ensuite été prises en charge par l’U­nion des indus­tries chi­miques et le minis­tère de l’É­du­ca­tion natio­nale. L’ac­cent mis sur les tra­vaux pra­tiques et sur les ques­tions de chi­mie dans la vie de tous les jours a fina­le­ment convain­cu l’É­du­ca­tion natio­nale. Cette approche et divers sujets d’O­lym­piades ont été inté­grés au pro­gramme des lycées, et ont contri­bué à amor­cer une vague de chan­ge­ments pro­fonds en faveur de la chi­mie. Ce n’est pas par hasard que la tranche d’âge qui était en ter­mi­nale entre 1984 et 1986 a béné­fi­cié des pre­mières Olym­piades, puis de la pre­mière majeure de chi­mie en pre­mière année de l’X, puis de la pre­mière majeure de chi­mie orga­no­mé­tal­lique et des mineures de chi­mie en deuxième année à l’X.

Il s’a­git d’un exemple à médi­ter dans lequel un groupe indus­triel patient, relayé par une union patro­nale for­te­ment mobi­li­sée, a contri­bué à l’a­mé­lio­ra­tion du sys­tème édu­ca­tif national.

Cepen­dant, la sélec­ti­vi­té des épreuves, l’at­tri­bu­tion de médailles et l’am­biance d’as­sem­blée géné­rale de l’O­NU qui règne au sein du jury ne suf­fisent pas à créer entre can­di­dats un esprit de com­pé­ti­tion per­cep­tible. J’ai plu­sieurs fois été fas­ci­né par la faci­li­té avec laquelle tous ces jeunes gens se lient d’a­mi­tié entre eux, sans bar­rière cultu­relle ou lin­guis­tique, alors que les Olym­piades sont sou­vent leur pre­mier voyage à l’é­tran­ger. Une fois pas­sées les épreuves, au bout de trois jours, les can­di­dats passent une semaine à visi­ter le pays hôte, faire du sport, dan­ser et boire (rai­son­na­ble­ment), et c’est le sou­ve­nir que je garde de mes par­ti­ci­pa­tions aux Olym­piades en tant que candidat

Et nos taupins dans tout cela ?

Du point de vue extrachi­mique, nos élèves s’en sortent plu­tôt bien. La délé­ga­tion fran­çaise ne passe jamais inaper­çue, avec des can­di­dats mûrs, rela­ti­ve­ment épa­nouis, qui com­mu­niquent faci­le­ment et savent mettre de l’am­biance. Les per­for­mances sont moins claires du point de vue chi­mique. Il est évident que l’en­sei­gne­ment de la chi­mie en France, même dans des cur­sus que nous aimons consi­dé­rer comme éli­tistes, souffre d’un déca­lage par rap­port à l’en­sei­gne­ment géné­ral pro­di­gué dans des pays voisins.

Nos » ses­sions de rat­tra­page » le mer­cre­di après-midi donnent aux élèves fran­çais des repères utiles, mais ne suf­fisent pas pour créer l’ins­tinct de chi­miste qu’ac­quièrent par exemple les élèves alle­mands au fil des années, à force de tra­vaux pra­tiques notam­ment. Les Fran­çais par­viennent néan­moins à de bons résul­tats lorsque leur rigueur scien­ti­fique, leur matu­ri­té et leur capa­ci­té à sup­por­ter le stress de la com­pé­ti­tion viennent com­pen­ser les insuf­fi­sances de leur bagage chi­mique, ce qui est fina­le­ment un mes­sage encou­ra­geant pour nos taupins.

Le lien avec l’X se fait ensuite natu­rel­le­ment, car beau­coup d’an­ciens can­di­dats se retrouvent ensuite à l’X. Ils en ont la capa­ci­té, vu leur aisance en chi­mie qui leur per­met d’être davan­tage dis­po­nibles dans les autres matières, et ils ont une atti­rance pour l’X. Leur par­ti­ci­pa­tion aux Olym­piades de chi­mie, sou­vent contre l’a­vis de leur pro­fes­seur de mathé­ma­tiques, marque leur goût pour l’ex­plo­ra­tion de sujets non tra­di­tion­nels, plu­ri­dis­ci­pli­naires, poly­tech­niques en fait ! J’es­père que cette tra­di­tion se pour­sui­vra, et que nos Chers Cama­rades chi­mistes conti­nue­ront à sou­te­nir cette ini­tia­tive ori­gi­nale et atta­chante, afin d’en­cou­ra­ger des ensei­gnants dévoués et des jeunes gens méritants.

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