Vue d’artiste d’un réseau de neurones artificiel mimant l’apprentissage par le cerveau humain.

Les nouvelles applications des mathématiques en biologie et en médecine

Dossier : MathématiquesMagazine N°782 Février 2023
Par David HOLCMAN

Les appli­ca­tions des math­é­ma­tiques aux autres sci­ences ne cessent de se ren­forcer. Depuis plus de vingt ans les nou­veaux besoins en math­é­ma­tiques appliquées sont en plein essor en biolo­gie et en médecine dans le monde de l’économie, de la tech­nolo­gie, de la san­té (Medtech), des start-up, de la recherche et de l’éducation uni­ver­si­taire et tech­nologique. 

Je voudrais évo­quer ici en quoi les math­é­ma­tiques appliquées appa­rais­sent comme un instru­ment de décou­verte en biolo­gie et en médecine, et d’ouverture vers l’économie Medtech. Les mathé­matiques appliquées avaient béné­fi­cié au siè­cle dernier de l’apport de la physique et de l’ingénierie : comme la mécanique quan­tique, la rel­a­tiv­ité (avec les struc­tures de la géométrie rie­man­ni­enne et l’espace-temps de Minkows­ki), la théorie con­trol (motivée par l’aviation), la mécanique des milieux con­ti­nus, la mécanique des flu­ides (pour la pré­dic­tion météo, les courants des océans, etc.) ou encore les pré­dic­tions finan­cières (stock-options). Aujourd’hui, nous sommes le témoin depuis ces vingt dernières années d’un accroisse­ment des ques­tions de math­é­ma­tiques en biolo­gie molécu­laire et cel­lu­laire. 

Les math­é­ma­tiques appliquées à la biolo­gie et la médecine de ces dernières années ont béné­fi­cié de l’arrivée à matu­rité des grandes avancées de la bio­physique, de la géné­tique et surtout de la biolo­gie molécu­laire et cel­lu­laire. La physique a égale­ment con­tribué aux avancées de la biolo­gie à tra­vers l’instrumentation comme l’optique, l’électronique, dis­ci­plines qui ont pro­fondé­ment impacté et per­mis les grandes décou­vertes mod­ernes de la biolo­gie : le micro­scope per­me­t­tant de voir le monde molécu­laire dans la cel­lule, d’enregistrer l’activité élec­trique des neu­rones et cel­lules excita­bles. Les nou­velles ques­tions de math­é­ma­tiques se sont ori­en­tées vers la mod­éli­sa­tion du vivant, l’analyse de grands jeux de don­nées et la sim­u­la­tion depuis la molécule, la cel­lule, le réseau, jusqu’aux organes. 


REPÈRES

Qu’est-ce que les math­é­ma­tiques appliquées ? Ce sont les math­é­ma­tiques qui pren­nent pour objet d’étude des ques­tions sci­en­tifiques provenant des sci­ences comme la physique, la chimie, la biolo­gie, l’ingénierie, etc. Il ne s’agit pas sim­ple­ment de prou­ver des théorèmes ou de trou­ver des solu­tions d’équations, mais de faire des cal­culs effec­tifs, d’analyser des don­nées, de traiter le sig­nal pour en extraire de l’information per­ti­nente, de savoir con­stru­ire des sim­u­la­tions, de dériv­er des for­mules qui relient les paramètres des mod­èles entre eux afin de trou­ver des lois et faire des décou­vertes sci­en­tifiques dans le domaine d’application. Comme Pas­teur en son temps, qui util­i­sait un micro­scope, le math­é­mati­cien appliqué aujourd’hui se doit de faire des décou­vertes dans les dis­ci­plines sci­en­tifiques étudiées. 


L’analyse des modèles

Cette analyse a per­mis de dériv­er des nou­velles for­mules pour reli­er les vari­ables d’états entre elles, ce qui définit en fait les nou­velles lois de la bio­physique ou de la biolo­gie. Par exem­ple, les temps d’activation de proces­sus biologiques, comme la réponse des cel­lules sen­sorielles, cel­lules olfac­tives, cel­lules cil­iées de l’oreille interne ou encore pho­toré­cep­teurs. Pour ces dernières, elles se doivent de trans­former un pho­ton en une cas­cade de réac­tions chim­iques qui a pour but de génér­er un sig­nal élec­trique dans la cel­lule, pour ensuite être trans­mise à d’autres cel­lules de la rétine.

Les recherch­es de ces dernières années en mod­éli­sa­tion mon­trent que ces répons­es dépen­dent de la cas­cade chim­ique et de l’organisation molécu­laire et enfin de la géométrie fine sous-cel­lu­laire. Cela dérive des for­mules pour les temps d’activation, en reliant les paramètres de la géométrie des cel­lules avec ceux des réac­tions chim­iques. 

Les simulations numériques

Il est encore impos­si­ble de simuler des mil­lions de molécules en des temps raisonnables pour la biolo­gie, comme la sec­onde : alors com­ment simuler peu de molécules tout en ayant des résul­tats sig­ni­fi­cat­ifs extrap­o­lables à des grandes pop­u­la­tions ? Ces ques­tions motivent tou­jours un axe de recherche pour trou­ver des mod­èles grossiers mais effi­caces, pour accélér­er les sim­u­la­tions en évi­tant de simuler entière­ment les tra­jec­toires. 

L’analyse des grands ensembles de données grâce à la puissance de calcul

Les méth­odes sta­tis­tiques de clas­si­fi­ca­tion, cou­plées aux mod­èles math­é­ma­tiques qui met­tent en avant des paramètres à éval­uer, ont large­ment béné­fi­cié de la mon­tée en puis­sance des cal­cu­la­teurs. En util­isant des esti­ma­teurs sta­tis­tiques, cela a sou­vent per­mis l’extraction fine de paramètres provenant de sig­naux élec­triques ou d’images et d’identifier des com­porte­ments cachés : ain­si ont été iden­ti­fiés les proces­sus mem­branaires qui per­me­t­tent aux molécules de se sta­bilis­er dans les neu­rones du cerveau, mais aus­si de prédire la sen­si­bil­ité à l’anesthésie en mélangeant des motifs du sig­nal élec­troencéphalo­gramme avec des méth­odes de régres­sion linéaire.

Savoir faire des groupes à par­tir de jeux de don­nées uni­formes est devenu une véri­ta­ble dis­ci­pline avec un pou­voir pré­dic­tif. Les autres domaines en explo­sion sont ceux asso­ciés aux diag­nos­tics, comme les ary­th­mies car­diaques ou encore l’épidémiologie à la suite de la Covid-19, et enfin la pré­dic­tion de l’évolution des patients en soins inten­sifs. Un autre domaine est celui de l’application du traite­ment d’image et du deep learn­ing pour recon­naître auto­matiquement les cel­lules pos­si­ble­ment can­céreuses dans des grands jeux d’échantillons. La dif­fi­culté est de trou­ver des pro­priétés invari­antes dans de larges ensem­bles de don­nées con­tenant beau­coup de fluc­tu­a­tions. 

L’algorithmique pour reconstruire les protéines dans le vivant

L’essor de la biolo­gie math­é­ma­tique est aus­si allé de pair avec le développe­ment du cal­cul sci­en­tifique et de la recherche sur le développe­ment et l’amélioration d’algorithmes pour résoudre numérique­ment des équa­tions. Ain­si, la micro­scopie util­isant les fais­ceaux d’électrons (EM = elec­tron-microscopy) per­me­t­tait de voir des pro­téines con­gelées dans le vivant avec une réso­lu­tion de l’ordre de quelques nanomètres, mais restait insuff­isante pour car­ac­téris­er en détail les struc­tures vivantes.

Avec l’arrivée de la Cryo-EM il y a vingt ans, les molécules iden­tiques sont gelées à de moins fortes tem­péra­tures dans des posi­tions aléa­toires sur des sur­faces. L’aventure math­é­ma­tique con­siste à recon­stru­ire l’organisation atom­ique avec une pré­ci­sion de l’ångström (10-10 m) alors que la réso­lu­tion micro­scopique est de l’ordre de la dizaine de nanomètres (10-8 m). Il s’agit de trou­ver les trans­for­ma­tions géométriques pour align­er les molécules et de faire des moyennes pour aug­menter la réso­lu­tion. Les méth­odes sont encore en développe­ment. 

Les applications et découvertes récentes 

On peut citer les quelques sujets suiv­ants. Simuler les grandes pos­si­bil­ités de con­fig­u­ra­tions des molécules a per­mis de réduire l’espace des pos­si­bil­ités de dizaines de mil­lions à quelques dizaines de mil­liers ; ces résul­tats sont util­isés dans le ciblage molécu­laire de l’industrie phar­ma­ceu­tique. Un autre type de décou­verte a con­sisté à révéler l’organisation molécu­laire dans les micro­domaines comme pour les synaps­es neu­ronales ou immunologiques.

Dans ce con­texte, la ques­tion de prou­ver des pro­priétés math­é­ma­tiques des mod­èles bien étab­lis est sec­ondaire par rap­port aux ques­tions beau­coup plus urgentes et impor­tantes d’intégration de nou­velles don­nées et de com­plex­i­fi­ca­tion des mod­èles pour qu’ils soient encore plus pré­dic­tifs. Enfin, l’analyse des don­nées biologiques a explosé ces dernières années, béné­fi­ciant des méth­odes sta­tis­tiques, des proces­sus sto­chas­tiques, des sys­tèmes dynamiques en petite ou grande dimen­sion, et de bien d’autres dis­ci­plines con­nex­es. 

De nouveaux masters de mathématiques appliquées à la biologie ? 

Il y a donc besoin de nou­velles écoles, de mas­ters mélangeant les fon­da­men­taux des maths appliquées, inclu­ant traite­ment du sig­nal, mod­éli­sa­tion, sim­u­la­tions, traite­ment des don­nées, ingénierie en math­é­ma­tiques, sans oubli­er quelques rudi­ments de médecine, bio­physique, biochimie, neu­ro­sciences, phys­i­olo­gie, sans quoi il sera dif­fi­cile de com­mu­ni­quer et de com­pren­dre les prob­lèmes à for­muler puis à résoudre.

“Une nouvelle école de mathématiques appliquées pourrait contribuer aux changements de l’économie médicale.”

On peut dire qu’une bonne for­ma­tion doc­tor­ale défini­ra le math­é­mati­cien appliqué de demain, qui n’aura pas besoin d’attendre qu’un bon prob­lème arrive, comme une bouteille flot­tante jetée à la mer, mais il-elle sera capa­ble de dia­loguer avec des expéri­men­tal­istes, de trou­ver ces ques­tions sci­en­tifiques à traiter par soi-même ou en col­lab­o­ra­tion, de lire de façon indépen­dante la lit­téra­ture de biolo­gie ou médi­cale. C’est un(e) matheux(se) appliqué(e) qui pour­ra faire ces cal­culs, sim­u­la­tions, obten­tions des nou­velles lois, comme en neu­ro­sciences com­pu­ta­tion­nelles, phys­i­olo­gie ou biophysique.

La recherche des struc­tures math­é­ma­tiques abstraites reste ouverte pour inté­gr­er les mil­liards d’informations neu­ronales, de réduire les dimen­sions pour trou­ver les principes fon­da­men­taux ou pour trou­ver les nou­velles géométries du cerveau. Les prob­lèmes à résoudre sem­blent encore aujourd’hui infi­nis… 

Un nouveau profil pour les start-up en analyse de données pour la médecine et la biologie 

Enfin, il y a eu dans le passé la ten­ta­tive de la Sloan Foun­da­tion en 1995–2005, qui était une pre­mière aux USA : met­tre des post­docs théoriciens dans les labos expéri­men­taux. Le pro­gramme de 300 M$ sur cinq uni­ver­sités a don­né un essor aux neu­ro­sciences com­pu­ta­tion­nelles. Saurons-nous établir une école de ce type ? Y a‑t-il une volon­té ? Une nou­velle école de math­é­ma­tiques appliquées pour­rait être créée et con­tribuer aux change­ments de l’économie médi­cale fondée sur la sci­ence et les math­é­ma­tiques. De toute façon la ten­dance est là et les nou­velles start-up com­men­cent à être frian­des de ces pro­fils. 


Références

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