Mécanique : les métamatériaux

Les métamatériaux en mécanique

Dossier : La mécaniqueMagazine N°752 Février 2020
Par Jean-Jacques MARIGO

Au cours des vingt dernières années, de nou­veaux matéri­aux sont sor­tis des lab­o­ra­toires uni­ver­si­taires. Pos­sé­dant des pro­priétés élec­tro­mag­né­tiques, acous­tiques, mécaniques et ther­miques que l’on ne ren­con­tre pas dans la nature, ils ont été qual­i­fiés de méta­matéri­aux (méta sig­nifi­ant au-delà en grec). Par­mi ces pro­priétés extra­or­di­naires, celle qui à ce jour a le plus frap­pé l’esprit du grand pub­lic est sans nul doute celle, bap­tisée « cape d’invisibilité », rel­a­tive à la prop­a­ga­tion des ondes électromagnétiques.

On peut relever quelques appli­ca­tions à la mécanique du principe de la cape d’invisibilité. L’idée générale est que, en util­isant dif­férents matéri­aux ayant des forts con­trastes de pro­priétés et en jouant sur leur agence­ment géométrique, on peut obtenir des pro­priétés effec­tives que l’on n’observe pas dans la nature sur les matéri­aux réels. L’origine de ce com­porte­ment « anor­mal » peut être sim­ple­ment sta­tique, mais les pro­priétés les plus orig­i­nales sont obtenues en dynamique en s’appuyant sur le phénomène de réso­nance. Les para­graphes qui suiv­ent vont l’illustrer.


REPÈRES

Le principe de la « cape d’invisibilité » est le suiv­ant : en arrangeant astu­cieuse­ment dans une région de l’espace des hétérogénéités (de petite taille), les ondes seront déviées, con­tourneront l’obstacle et ren­dront invis­i­ble à un obser­va­teur extérieur cette région de l’espace. On voit immé­di­ate­ment toutes les appli­ca­tions que l’on pour­rait tir­er de ce phénomène. Cette pro­priété n’est pas spé­ci­fique aux ondes élec­tro­mag­né­tiques, mais peut se généralis­er à tout phénomène ondu­la­toire. D’où par exem­ple l’idée de l’Insti­tut Fres­nel de fab­ri­quer des amor­tis­seurs de houle en dis­posant des piliers sur des couronnes con­cen­triques. Ici il s’agit de pro­téger la région cen­trale des effets de la houle, les piliers ser­vant de déviateurs.


Les matériaux auxétiques

Rap­pelons que, mis en évi­dence (ana­ly­tique­ment) par Siméon Denis Pois­son, le coef­fi­cient dit de Pois­son per­met de car­ac­téris­er la con­trac­tion de la matière per­pen­dic­u­laire­ment à la direc­tion de l’effort appliqué. Les matéri­aux tra­di­tion­nels ont un coef­fi­cient de Pois­son posi­tif : quand on les étire dans une direc­tion, ils se con­tractent dans les direc­tions trans­vers­es. De la même façon, si on fab­rique une struc­ture com­pos­ite en dis­posant un matéri­au en nid‑d’abeilles, le com­porte­ment effec­tif obtenu cor­re­spon­dra à un matéri­au avec coef­fi­cient posi­tif. En revanche, si le matéri­au de base est dis­posé suiv­ant des cel­lules réen­trantes (c’est-à-dire con­caves), alors on obtient un matéri­au effec­tif auxé­tique, c’est-à-dire à coef­fi­cient de Pois­son négatif.

Onde de Love
Per­tur­ba­tion d’une onde de Love (à 70 Hz) par une forêt d’arbres de hau­teur vari­able : (d) con­ver­sion en onde de vol­ume d’une onde venant de la gauche ; (b) réflex­ion d’une onde venant de la droite.

La conversion d’ondes par une forêt d’arbres

On envis­age aujourd’hui de pro­téger cer­tains sites sen­si­bles des risques sis­miques en plan­tant une forêt d’arbres de hau­teur vari­able. On s’appuie pour cela sur le fait que les arbres vont mod­i­fi­er la prop­a­ga­tion des ondes guidées (Love) ou de sur­face (Rayleigh) en créant des con­di­tions aux lim­ites effec­tives à la sur­face du sol dif­férentes des con­di­tions de bord libre usuelles en l’absence d’arbres. La théorie, étayée par la sim­u­la­tion numérique, mon­tre qu’une onde inci­dente de sur­face peut être entière­ment réfléchie ou con­ver­tie en onde de vol­ume lorsque la fréquence d’excitation cor­re­spond à une fréquence pro­pre de vibra­tion d’une rangée d’arbres, par sim­ple effet de réso­nance. Ces résul­tats théoriques fon­da­men­taux intéressent évidem­ment le génie para­sis­mique. Il reste à véri­fi­er la fais­abil­ité du sys­tème en vraie grandeur.

Mécanique des métamatériaux
Obten­tion d’un matéri­au à coef­fi­cient de Pois­son négatif à par­tir de cel­lules réen­trantes (à gauche), alors qu’un agence­ment en nid‑d’abeilles (à droite) don­nerait un coef­fi­cient
de Pois­son positif.

La récupération d’énergie par résonance locale

En util­isant des matéri­aux élas­tiques à fort con­traste de rigid­ité, on peut obtenir un matéri­au dont la masse effec­tive en dynamique devient néga­tive à cer­taines fréquences. C’est le cas par exem­ple d’une matrice raide com­por­tant un réseau péri­odique d’inclusions très molles. On mon­tre, par un cal­cul explicite util­isant des tech­niques asymp­to­tiques, que du fait d’un phénomène de réso­nance locale des inclu­sions la masse effec­tive de ce com­pos­ite est néga­tive dans cer­taines ban­des de fréquence. De ce fait les ondes élas­tiques ne pour­ront pas se propager dans le com­pos­ite à ces fréquences-là, qui con­stituent donc des ban­des interdites.

Cette pro­priété peut être util­isée pour con­cen­tr­er de l’énergie dans une zone prédéfinie d’un microsys­tème comme l’illustre l’exemple suiv­ant : on insère deux ban­des de largeur l d’un méta­matéri­au com­pos­ite dans la matrice, en les espaçant d’une dis­tance 2d. Si l’on envoie un sig­nal à une fréquence cor­re­spon­dant à une fréquence inter­dite du méta­matéri­au, alors on peut obtenir une trans­mis­sion totale dans la par­tie droite, pourvu que l’espacement d soit con­ven­able­ment choisi. De plus, l’amplitude du sig­nal dans la par­tie cen­trale de la matrice sera con­sid­érable­ment ampli­fiée. On a donc con­cen­tré de l’énergie dans la par­tie cen­trale. Ce phénomène est ana­logue à l’effet tun­nel en mécanique quan­tique. Il s’explique par les divers effets de réso­nance qui sont présents dans cette sit­u­a­tion (dans les méta­matéri­aux et dans la par­tie centrale).

Utilisation des métamatériaux : exemples de cape d'invisibilité
Exem­ples de cape d’invisibilité. En haut : un « méta­matéri­au » pour les micro-ondes con­sti­tué de couch­es con­cen­triques d’anneaux fendus dont la taille croît avec la dis­tance entre les anneaux et le cen­tre du dis­posi­tif (Duke Uni­ver­si­ty, Impe­r­i­al Col­lege Lon­don) ; en bas : un « méta­matéri­au » pour les vagues con­sti­tué de piliers (Insti­tut Fres­nel, Marseille).

Des perspectives stimulantes

Les méta­matéri­aux ouvrent donc de for­mi­da­bles per­spec­tives du point de vue des appli­ca­tions. Ils con­stituent égale­ment un grand défi tant sci­en­tifique que tech­nologique. D’un point de vue sci­en­tifique, il s’agit de mieux com­pren­dre les phénomènes qui con­duisent à ces com­porte­ments extra­or­di­naires, de bien iden­ti­fi­er les microstruc­tures sus­cep­ti­bles de les provo­quer et de con­stru­ire des mod­èles pré­dic­tifs capa­bles d’en ren­dre compte. Du point de vue tech­nologique, il s’agira d’être capa­ble de fab­ri­quer à grandes échelles ces matéri­aux microstruc­turés et de valid­er sur le ter­rain leurs per­for­mances pressenties.


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