Les Joyeuses Manigances d’Arlequin et Colombine

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°532 Février 1998Rédacteur : Philippe OBLIN (46)

Quand la Rédac­tion de La Jaune et la Rouge me con­fia cette chronique, je voulus com­mencer par la Comédie ital­i­enne : à tout seigneur tout hon­neur. La pièce dont je rendais compte (Le Jardin des amours enchan­tés, de Goldoni) tint l’affiche deux ans.

Je vais récidiv­er, en évo­quant cette fois le nou­veau spec­ta­cle du même théâtre : Les Joyeuses Mani­gances d’Arlequin et Colom­bine d’après Gher­ar­di (1663–1700), un bril­lant Arle­quin dont la trop brève car­rière se déroula à Paris. Suc­cesseur de Scara­mouche, il joua d’abord aux Ital­iens, puis sans doute à la Foire Saint-Ger­main après le ban­nisse­ment des Comé­di­ens ital­iens en 1697, quand ils eurent mon­té La Fin­ta Matigna (La Fausse Prude), qui fit en son temps courir tout Paris, ravi de se diver­tir aux dépens de Mme de Maintenon.

Quant à vous, si vous voulez vous diver­tir aus­si, volez à cette Comédie ital­i­enne. Rien que la salle mérite déjà le déplace­ment. Établie dans un ancien com­mis­sari­at de police de la rue de la Gaîté, elle ne compte qu’une petite cen­taine de fau­teuils. On loue sa place à l’avance, comme partout, mais, le soir venu, on s’assoit où l’on veut, dans l’ordre d’arrivée.

Comme à l’accoutumée sur cette scène, Mme Hélène Lestrade, MM. Jean-Paul Lahore, qui s’embrouille de plaisante manière entre français et ital­ien dans le rôle d’Octave, Jean-Loup Bourel, en bondis­sant Arle­quin, et quelques autres comé­di­ens aus­si excel­lents vous emporteront au sep­tième ciel de la plus extrav­a­gante féerie.

Ils ont repris l’idée qu’ils avaient naguère exploitée avec un bon­heur infi­ni dans La Ser­va amorosa (Goldoni), celle du théâtre dans le théâtre. Ils vous don­neront un spec­ta­cle d’un comique achevé : une médiocre troupe – faute d’assez de femmes, la jeune pre­mière Isabelle est dis­tribuée à un trav­es­ti lour­daud et un tant soit peu bar­bu – impro­vise une comédie d’une totale banal­ité d’invention, avec amoureux con­trar­iés, valets farceurs, médecins à cha­peaux et l’inévitable vieil­lard Pan­talon, plus grognon que nature mais un brin magicien.

Étant cepen­dant aus­si chef de troupe, il s’interrompt sans cesse pour van­ter la pièce et cri­ti­quer le jeu des acteurs, qui renâ­clent. La mise en scène (A. Mag­guil­li) est conçue avec la pré­ci­sion d’un mou­ve­ment d’horlogerie, en sorte de ne laiss­er à l’oeil aucun instant de désoeuvrement.

Le résul­tat est grandiose. Certes, les per­son­nes d’une haute élé­va­tion d’esprit ne trou­veront pas sur cette scène un ali­ment à leurs médi­ta­tions sur les embar­ras de la con­di­tion humaine. Elles s’exposeraient au con­traire au risque d’oublier leurs tin­touins préférés.

Les masques portés par cer­tains des comé­di­ens, par la fix­ité mécanique des vis­ages, don­nent cette touche de mys­tère et de poésie qui tant seyait aux auto­mates de jadis. Cela ajoute à la magie du lieu qui, de soi, vaut déjà son pesant d’orviétan.

Les Joyeuses Mani­gances d’Arlequin et Colombine
à la Comédie Italienne,
17, rue de la Gaîté, 75014 Paris.
Tél. : 01.43.21.22.22.

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