Les Fonds Infrastructure, une nouvelle classe d’actifs ?

Dossier : Gestion d'actifMagazine N°634 Avril 2008
Par Vincent LEVITA (86)

Depuis quelques années, une nou­velle forme de véhicule d’in­vestisse­ment s’est dévelop­pée en Europe, les Fonds d’In­fra­struc­ture. Conçus en Aus­tralie, ces Fonds sont arrivés en Europe récem­ment avec des car­ac­téris­tiques par­ti­c­ulières qui en font une nou­velle classe d’ac­t­ifs poten­tielle­ment aus­si dynamique que le Real Estate ou le Pri­vate Equi­ty. De nom­breux pays ont adap­té leur cadre régle­men­taire via les con­trats de Parte­nar­i­at pub­lic privés (PPP) ou de Pri­vate Finance Ini­tia­tive (PFI). De nom­breux investis­seurs s’in­téressent à ces investisse­ments qui four­nissent des cash-flows récur­rents sur un hori­zon de long terme, une pro­tec­tion con­tre l’in­fla­tion et un bon niveau de diver­si­fi­ca­tion. La plu­part des ban­ques ont mis en place des finance­ments de pro­jet spé­ci­fiques pour ces opéra­tions. Cet investisse­ment ” hybride ” entre l’im­mo­bili­er, le pri­vate equi­ty et l’oblig­ataire indexé est en train de s’im­pos­er comme une des class­es d’ac­t­ifs les plus attrac­tives du moment. 

La rencontre des deux besoins

L’ap­pari­tion de ce nou­veau for­mat d’in­vestisse­ment provient de la ren­con­tre de deux besoins : d’un côté, le besoin de financer des infra­struc­tures nou­velles ou exis­tantes par du finance­ment privé adap­té et de l’autre côté la demande des investis­seurs insti­tu­tion­nels en pro­duits d’in­vestisse­ment long terme attrac­t­ifs. Les besoins d’in­vestisse­ment en infra­struc­ture est colos­sal, qu’il s’agisse de besoins de renou­velle­ment comme cela est essen­tielle­ment le cas dans les pays de l’OCDE ou de besoins en nou­velles infra­struc­tures (dites Green­field), comme cela est le cas dans les pays émer­gents. On estime les investisse­ments à 2 500 Md$ par an pour les vingt prochaines années dont 500 Md$ dans les pays émer­gents, essen­tielle­ment sur les secteurs du trans­port, de l’én­ergie, des util­i­ties et des télé­coms. Les ressources publiques qui assur­aient plus de 90 % du finance­ment sont désor­mais insuff­isantes et le relais d’in­vestis­seurs privés indis­pens­able. Les indus­triels peu­vent assumer une par­tie de ce finance­ment, d’au­tant que cela leur donne accès à des marchés ” cap­tifs ” en tant que con­struc­teur ou opéra­teur. Mais, les acteurs financiers étaient jusqu’à présent moins bien équipés si ce n’est pour assur­er le finance­ment ban­caire. Les Fonds d’In­fra­struc­ture per­me­t­tent de fournir non seule­ment une solu­tion com­péti­tive de finance­ment à ces pro­jets mais égale­ment des car­ac­téris­tiques que de nom­breux investis­seurs insti­tu­tion­nels recherchent et ne trou­vent plus dans les class­es d’ac­t­ifs tra­di­tion­nelles, ni vrai­ment dans les class­es d’ac­t­ifs alter­na­tives. En effet, les Fonds Infra­struc­ture procurent :

  • une durée et un hori­zon d’in­vestisse­ment long terme,
  • un ren­de­ment réel et une pro­tec­tion inflation,
  • une diver­si­fi­ca­tion et une faible cor­réla­tion aux marchés financiers,
  • une prime de non-liq­uid­ité avec un risque en cap­i­tal assez faible.

En un mot, toutes les car­ac­téris­tiques req­ui­s­es par les investis­seurs long terme (assur­ance vie et caisse de retraite notam­ment) à la recherche de nou­veaux types de place­ment (notons que les act­ifs d’In­fra­struc­ture, quoique très endet­tés, ne souf­frent que très mod­éré­ment de la crise finan­cière actuelle qui est pour­tant une crise du crédit avant tout).

Le pro­jet de mod­i­fi­ca­tion de l’ordonnance sur les con­trats de partenariat
L’ordonnance du 17 juin 2004 sur les con­trats de parte­nar­i­at (CP) a créé un con­trat d’un type nou­veau per­me­t­tant aux per­son­nes publiques de rémunér­er sur l’ensemble de la durée du con­trat un parte­naire privé chargé de financer, réalis­er et gér­er un équipement néces­saire à la per­son­ne publique. La pra­tique a mon­tré la néces­sité de plusieurs clarifications.
Un pro­jet de loi per­met de recourir à ces con­trats lorsqu’il y a un intérêt économique et financier pour la per­son­ne publique ; et pour un temps lim­ité. Il améliore égale­ment le régime juridique et fis­cal applicable.
Un autre volet de ce pro­jet per­met le recours à ces con­trats dans des cas d’urgence dans des domaines rel­e­vant de l’enseignement supérieur et la recherche, la sécu­rité intérieure, la jus­tice, le déploiement de nou­velles tech­nolo­gies, la san­té, ou les transports.

La question du périmètre

Une des ques­tions récur­rentes con­siste à essay­er de définir le périmètre pré­cis que recou­vre le voca­ble ” Infra­struc­ture “. La déf­i­ni­tion tra­di­tion­nelle du mot (“ les act­ifs et ser­vices essen­tiels dont la pro­duc­tiv­ité économique d’une société dépend ”) ne don­nant pas de pré­ci­sions utiles, il est courant de se référ­er à des périmètres sectoriels :

  • Tout d’abord, le secteur du trans­port : les autoroutes, les aéro­ports, les ports, le ferroviaire…
  • Ensuite le secteur de l’én­ergie : le trans­port et la dis­tri­b­u­tion d’élec­tric­ité, de gaz, de pét­role. La pro­duc­tion d’én­ergie est cou­verte par cer­tains acteurs Infra­struc­ture, mais cela n’est pas systématique.
  • Puis, les util­i­ties et les ser­vices envi­ron­nement : dis­tri­b­u­tion et traite­ment des eaux, des déchets…
  • Cer­tains acteurs inclu­ent dans leur périmètre les infra­struc­tures de télé­com­mu­ni­ca­tions comme les tours de téléd­if­fu­sions ou les satel­lites de com­mu­ni­ca­tions quand d’autres les con­sid­èrent comme trop risquées d’un point de vue technologique.
  • Enfin, les bâti­ments publics, sou­vent nom­més Infra­struc­tures sociales comme les hôpi­taux, les écoles… se car­ac­térisent par le fait qu’ils génèrent des revenus payés directe­ment par la puis­sance publique et non par l’utilisateur.

La meilleure manière de définir le périmètre des investisse­ments Infra­struc­ture con­siste à revenir aux car­ac­téris­tiques indus­trielles, économiques et finan­cières des act­ifs, soit typ­ique­ment un act­if physique avec un usage bien défi­ni, générant des cash-flows sta­bles basés sur des pro­jec­tions de prix et de vol­umes prévis­i­bles du fait d’un mono­pole naturel ou régle­men­taire avec des fortes bar­rières à l’en­trée et peu de con­cur­rence directe pos­si­ble, ou d’un cadre con­tractuel sta­ble à tra­vers un con­trat de parte­nar­i­at, de con­ces­sion, de délé­ga­tion de ser­vice pub­lic, et de con­trepar­tie publique ou bien notée. 

Une ” nouvelle ” manière d’investir

Pour abor­der ce type d’in­vestisse­ment, il faut inté­gr­er plusieurs élé­ments fon­da­men­taux. Tout d’abord, il s’ag­it de secteurs fon­da­men­tale­ment sta­bles mais assis sur une ten­dance de forte crois­sance struc­turelle, aus­si bien dans le trans­port, l’én­ergie, les ser­vices envi­ron­nement et les télé­coms. Ensuite, un pro­jet réus­si néces­site les trois com­posantes indus­trielle, publique et finan­cière et la logique de coopéra­tion entre les trois acteurs est indis­pens­able. Enfin l’ap­proche long terme per­met d’op­ti­miser la struc­ture finan­cière et de ratio­nalis­er la ges­tion des risques indus­triels et con­tractuels. Dès lors, c’est autant par intérêt que par néces­sité que les Fonds Infra­struc­ture retour­nent à une philoso­phie d’in­vestisse­ment orig­inelle qui con­siste à accom­pa­g­n­er ses parte­naires indus­triels et publics en appor­tant une capac­ité de finance­ment struc­turée et adap­tée. Chaque acteur peut se con­cen­tr­er sur sa valeur ajoutée et en tir­er son béné­fice : la puis­sance publique définit les besoins, four­nit le cadre régle­men­taire et obtient le développe­ment d’in­fra­struc­ture néces­saire à son développe­ment économique ; les acteurs indus­triels four­nissent les ser­vices de con­cep­tion, de développe­ment, de con­struc­tion, d’équipement ou d’opéra­teur et sont rémunérés pour cela ; les financiers four­nissent du cap­i­tal struc­turé de manière adap­tée et sont rémunérés en fonc­tion de leur niveau de risque. Tout cela étant assez logique finalement.


Le via­duc de Mil­lau, parte­nar­i­at pub­lic-privé réussi.

Un risque limité en théorie

La ges­tion des risques reste cri­tique et de nom­breux exem­ples sont là pour nous rap­pel­er la rigueur néces­saire pour inve­stir dans ce domaine. Un proces­sus d’in­vestisse­ment doit repos­er sur une analyse rigoureuse et sys­té­ma­tique d’une matrice de risque ex-ante cou­vrant les risques indus­triels (con­struc­tion, tech­nolo­gie…) ; con­tractuels et régle­men­taires ; con­trepar­ties (pub­lic, indus­triels et financiers) ; financiers (finance­ment, taux, mon­naie, infla­tion…) et marché (traf­ic, prix…). Lorsqu’elle est bien exé­cutée, cette analyse des risques per­met de met­tre en place une struc­ture finan­cière, indus­trielle et régle­men­taire robuste. Il est tout à fait intéres­sant de not­er que la crise finan­cière actuelle n’ait pas eu (pour l’in­stant) d’Im­pacts sig­ni­fi­cat­ifs sur les act­ifs Infra­struc­ture, pour­tant struc­turés dans des véhicules par­ti­c­ulière­ment endet­tés. À ce titre, le via­duc de Mil­lau con­stitue une réus­site indus­trielle, com­mer­ciale et finan­cière exem­plaire. À défaut d’une analyse rigoureuse cou­vrant tous les risques ci-dessus, on s’ex­pose à des cat­a­stro­phes finan­cières comme celle d’Eurotunnel. 

Romains et Vikings

Alors que les Vikings pas­saient d’un vil­lage à l’autre, après avoir mas­sacré les habi­tants et pil­lé les réserves, les Romains ont préféré coopér­er avec les pop­u­la­tions occupées, con­serv­er un dirigeant local, met­tre en place un con­sul et des armées romaines pour sur­veiller leurs intérêts et surtout con­stru­ire des infra­struc­tures. C’est ain­si qu’ils ont bâti un empire qui a duré qua­si­ment mille ans. Les Fonds d’In­fra­struc­ture ont cet état d’e­sprit : leur poten­tiel de con­quête est immense, pour autant qu’ils sachent dévelop­per une coopéra­tion pos­i­tive avec les acteurs indus­triels et publics et qu’ils sachent garder la rigueur d’in­vestisse­ment indis­pens­able à ces struc­tures finan­cières complexes.

Les acteurs du secteur Infrastructure
•Les con­cé­dants publics : l’État, les col­lec­tiv­ités locales… : ils définis­sent les besoins, choi­sis­sent le cadre régle­men­taire (PPP, AOT, DSP…), met­tent en place les con­trats per­me­t­tant de garder le con­trôle qual­i­tatif (cahi­er des charges indus­triel) et quan­ti­tatif (struc­ture tarifaire) ;
•Les acteurs indus­triels : les con­struc­teurs, opéra­teurs, four­nisseurs d’équipement inter­vi­en­nent dans la con­cep­tion, le développe­ment et la ges­tion des infrastructures ;
•Les prê­teurs : les ban­ques via du finance­ment par prêt ou les marchés des cap­i­taux via du finance­ment par titre (oblig­a­tion…). Aujourd’hui de nom­breuses ban­ques ont dévelop­pé une exper­tise spé­ci­fique pour adress­er ce marché.
•Les investis­seurs : cer­tains investis­seurs insti­tu­tion­nels ont dévelop­pé une telle ambi­tion dans ce secteur qu’ils ont con­sti­tué des équipes internes pour inve­stir directe­ment dans ces actifs.
•Les Fonds d’Infrastructure : pro­posent aux autres investis­seurs des solu­tions d’investissement mutu­al­isées. Ils sont sou­vent spon­sorisés par des ban­ques (en par­ti­c­uli­er améri­caines) qui peu­vent prof­iter de syn­er­gies avec leur activ­ité de finance­ment ; par­fois par des indus­triels (notam­ment espag­nols) qui peu­vent dévelop­per des syn­er­gies avec leur activ­ité ; et cer­tains sont indépen­dants, ce qui per­met de mieux gér­er les con­flits d’intérêts inhérents à cette activité.

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