Les défis de l’Enseignement supérieur et de la Recherche au XXIe siècle

Dossier : L'École polytechniqueMagazine N°622 Février 2007
Par Gilles de ROBIEN

Tout va beau­coup plus vite s’agis­sant de la con­nais­sance, car elle est immatérielle. C’est donc le plus rapi­de qui l’emportera dans cette com­péti­tion, pas néces­saire­ment celui dont la taille est la plus importante.

Cette très grande rapid­ité crée des frac­tures entre nos pays, des ten­sions au sein de nos sociétés.

C’est pourquoi cette mon­di­al­i­sa­tion de la con­nais­sance con­cerne aus­si les déci­sions poli­tiques : elle nous pose des ques­tions inédites, pour lesquelles nous devons inven­ter des solu­tions nouvelles.

L’a­gen­da inter­na­tion­al de 2006 a traduit cette prise de con­science poli­tique : cet été à Moscou, j’ai par­ticipé au pre­mier G8 con­sacré à l’é­d­u­ca­tion, et les ren­con­tres avec mes col­lègues se mul­ti­plient sur les risques de « marchan­di­s­a­tion de la connaissance ».

Voilà brossé à grands traits, le con­texte dans lequel nous nous situons. Ce con­texte nous con­duit, à mes yeux, à relever trois défis :

. 1er défi : adapter nos struc­tures pour tir­er prof­it de la mondialisation,
. 2e défi : ren­dre le paysage attrac­t­if pour les investisse­ments privés de recherche et développe­ment et les activ­ités à haute valeur ajoutée,
. 3e défi : préserv­er et réguler ce que les spé­cial­istes appel­lent « le cap­i­tal humain ».

Le 1er défi, nous sommes en marche pour le relever grâce au Pacte pour la Recherche, que je vous ai présenté il y a un an avec François Goulard

Notre poten­tiel de recherche est, aujour­d’hui, du meilleur niveau mon­di­al dans bien des domaines. Mais nos struc­tures répon­dent encore trop à la logique de rat­tra­page qui pré­valait dans l’après-guerre, alors que nous sommes entrés dans une logique de com­péti­tion mon­di­ale pour la con­nais­sance. Nos struc­tures doivent évoluer pour s’y adapter.

Désor­mais, nous devons faire val­oir nos domaines d’ex­cel­lence et les con­solid­er, con­stituer des ensem­bles de masse cri­tique suff­isante pour être à la pointe de cette com­péti­tion pour le tal­ent : attir­er les meilleurs étu­di­ants, les meilleurs chercheurs, les meilleurs enseignants dans des struc­tures rassem­blant, de façon vis­i­ble, tout le savoir-faire français.

Cette trans­for­ma­tion du paysage de la recherche se pro­duit en ce moment même avec le Pacte pour la Recherche.
Ce pacte nous a per­mis de con­stituer d’abord un paysage clair et lisible :

• avec une agence de moyens aux stan­dards inter­na­tionaux : l’A­gence nationale de la recherche (ANR). En moins de deux ans d’ex­is­tence, un acteur totale­ment nou­veau et totale­ment accep­té est en place… et il a déjà dis­tribué 600 mil­lions d’eu­ros, dans une par­faite logique d’excellence ;

 avec l’A­gence de l’in­no­va­tion indus­trielle, mise en place par le Prési­dent de la République. Elle accom­pa­gne les grands pro­jets inno­vants, et con­tribue à faire émerg­er des rup­tures technologiques ;
. avec les pôles de com­péti­tiv­ité : ils redessi­nent la carte de l’in­no­va­tion française et per­me­t­tent au monde de l’en­tre­prise, de la recherche notam­ment publique, et de l’en­seigne­ment supérieur de coopér­er pour créer des richess­es et de l’emploi ;

 et, surtout, avec les Pôles de recherche et d’en­seigne­ment supérieur (PRES) et les Réseaux thé­ma­tiques de recherche avancée (RTRA) dont le but, pour l’en­seigne­ment supérieur et la recherche, est de nous don­ner les moyens d’ac­croître notre masse cri­tique. La créa­tion de ces deux formes nou­velles de coopéra­tion répond aux besoins des uni­ver­sités et des laboratoires.

De quoi s’agit-il ?


Gilles de Robi­en, min­istre de l’é­d­u­ca­tion nationale, lors du lance­ment de Dig­i­teo Labs à l’é­cole poly­tech­nique, début octo­bre 2006
© Philippe Lavialle EP

Les PRES fédèrent sur un ter­ri­toire don­né des forces d’en­seigne­ment supérieur et de recherche autour d’une stratégie com­mune afin d’ac­quérir une vis­i­bil­ité mon­di­ale. Cela va per­me­t­tre l’émer­gence d’ensem­bles vrai­ment lis­i­bles pour les étu­di­ants et les sci­en­tifiques. C’en sera fini de la jux­ta­po­si­tion de tant d’étab­lisse­ments ou de lab­o­ra­toires, dis­per­sion sou­vent respon­s­able de nos piètres per­for­mances dans les classe­ments inter­na­tionaux. Le pro­jet de Paris­Tech regroupant onze grandes écoles parisi­ennes avec l’X comme un des points d’ap­pui, et le pro­jet Uni­ver­sud regroupant notam­ment l’X, l’u­ni­ver­sité Paris Sud, le CEA et le CNRS sont l’il­lus­tra­tion de cette dynamique.

Les RTRA, ce sont, pour une thé­ma­tique sci­en­tifique don­née, le regroupe­ment des struc­tures d’ex­cel­lence pour créer un « fer de lance » per­me­t­tant de rivalis­er avec les meilleurs lab­o­ra­toires mon­di­aux. Car là encore, nos lab­o­ra­toires, sou­vent excel­lents, sont trop petits et trop dis­per­sés pour pou­voir tir­er pleine­ment prof­it de leur attractivité.

Le Pre­mier min­istre a annon­cé début octo­bre les 13 RTRA qui ont été retenus, après avis d’une com­mis­sion présidée par Jean Der­court, Secré­taire per­pétuel de l’A­cadémie des sci­ences, com­mis­sion com­posée de représen­tants de la recherche dans toutes les dis­ci­plines, publique et privée. Deux de ces RTRA impliquent directe­ment l’X : Dig­i­teo et Tri­an­gle de la physique.

Cela a créé une vraie dynamique dans les lab­o­ra­toires, du fait des deux choix qui guident ce Pacte pour la Recherche :
 faire de l’ini­tia­tive des acteurs le moteur de cette dynamique. « Il se passe enfin quelque chose » : c’est le com­men­taire qui me revient le plus sou­vent chez les sci­en­tifiques, en par­ti­c­uli­er lors du lance­ment de Dig­i­teo Labs à l’É­cole poly­tech­nique début octo­bre 2006 ;

 recon­naître l’ex­cel­lence là où elle se trou­ve, ce qui a en par­ti­c­uli­er révélé un véri­ta­ble « Boston à la française » sur le plateau de Saclay, dont les acteurs sont impliqués dans un tiers des RTRA et dans trois pôles de com­péti­tiv­ité de dimen­sion mon­di­ale. Un tel poten­tiel mérite qu’on le mette en valeur sans tarder. Le Pre­mier min­istre vient de con­fi­er à Philippe Lagayette la mis­sion de pro­pos­er une pro­gram­ma­tion des équipements sci­en­tifiques et d’établir les pri­or­ités per­me­t­tant de con­cré­tis­er cette vit­rine de la sci­ence française.

Notre 2e défi, c’est rendre le paysage attractif pour les investissements privés de recherche et développement

C’est notre prin­ci­pale faib­lesse en France. C’est sur la recherche privée que nous avons le plus à pro­gress­er pour attein­dre les objec­tifs de Lisbonne.

Sur les qua­tre dernières années, mes prédécesseurs et moi avons lancé plusieurs ini­tia­tives dont notam­ment la réforme du crédit impôt recherche ou le développe­ment des con­trats CIFRE, dis­posi­tif de finance­ment des thès­es en entre­prise plébisc­ité tant par les doc­tor­ants que les entreprises.

Au-delà de ces aides, il nous faut surtout tra­vailler sur l’en­vi­ron­nement pour le ren­dre attrac­t­if aux investisse­ments en recherche et développement.

PRES, RTRA et pôles de com­péti­tiv­ité ont aus­si ce rôle d’ac­croître la lis­i­bil­ité et donc l’at­trac­tiv­ité de notre recherche.
Et j’e­spère que nous en ver­rons prochaine­ment des con­séquences con­crètes comme nous com­mençons déjà à le voir à Greno­ble, à Lyon ou sur le plateau de Saclay.

Notre 3e défi, c’est de préserv­er et de faire fruc­ti­fi­er le « cap­i­tal humain »
Ces cinquante dernières années, nous avons relevé le défi de l’ac­cès libre au savoir pour tous, aidés par la plus grande péri­ode de paix et de prospérité que l’Eu­rope ait con­nue au cours des deux derniers siè­cles. En France, la pop­u­la­tion estu­di­antine for­mée a ain­si été mul­ti­pliée par huit durant cette péri­ode, celle des ingénieurs a égale­ment crû dans des pro­por­tions sim­i­laires… et nos uni­ver­sités mul­ti­sécu­laires ont su relever cette gageure.

Aujour­d’hui, nous ne voulons pas que nos uni­ver­sités et nos écoles pro­duisent des esprits stan­dard­is­és, mais bien qu’elles for­ment des indi­vidus créat­ifs, inven­tifs et s’é­panouis­sant dans leur activ­ité pro­fes­sion­nelle, quelle qu’elle soit.
L’ob­jec­tif fon­da­men­tal que nous devons attein­dre est celui de garan­tir une égal­ité d’ac­cès au savoir, tout en évi­tant son uni­formi­sa­tion. Ce qui néces­site d’in­ven­ter les régu­la­tions ad hoc, de la même manière qu’au XXe siè­cle, nous avons conçu les régu­la­tions du tra­vail per­me­t­tant d’y accéder, de le préserv­er et de pro­téger les plus faibles con­tre les abus. Ces répons­es sont à inven­ter, non seule­ment par les écoles et les uni­ver­sités, mais aus­si par l’É­tat et la société civile.

Il y a, en par­ti­c­uli­er, un champ qui néces­site un renou­veau com­plet des approches, celui de la for­ma­tion tout au long de la vie. S’adapter aux nou­veautés, pro­gress­er dans ses con­nais­sances sont désor­mais les clés pour que cha­cun, quelle que soit son activ­ité, puisse s’é­panouir dans cette société de la con­nais­sance qui se dessine.
C’est indis­pens­able pour éviter les frac­tures dans un monde qui bouge de plus en plus vite, où les pro­duits qui fer­ont notre quo­ti­di­en dans cinq ans n’ex­is­tent même pas à l’é­tat d’idée aujourd’hui !

Pour con­clure, je veux soulign­er que les défis aux­quels nous faisons face sont immenses, et exaltants.
La mon­di­al­i­sa­tion du savoir présente bien enten­du des risques, mais nous offre surtout d’im­menses opportunités.

J’ai con­fi­ance dans la capac­ité et l’in­tel­li­gence de la France de les saisir.

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