Les datacenters, la première brique du numérique durable

Les datacenters, la première brique du numérique durable

Dossier : Vie des entreprisesMagazine N°781 Janvier 2023
Par Géraldine CAMARA

Acteur stra­té­gique de l’écosystème numé­rique et de son déve­lop­pe­ment, les data­cen­ters sont aujourd’hui à la croi­sée d’enjeux envi­ron­ne­men­taux, éner­gé­tiques, éco­no­miques et socié­taux. Géral­dine Cama­ra, Délé­guée Géné­rale de France Data­cen­ter, l’association pro­fes­sion­nelle de la filière data­cen­ter fran­çaise, nous en dit plus sur ce sec­teur, son posi­tion­ne­ment et ses prin­ci­paux défis et pers­pec­tives. Entretien.

Pouvez-vous nous présenter France Datacenter ? 

À l’origine, l’association a été créée en 2008 sous le nom de Comi­té des Exploi­tants des Salles Infor­ma­tiques et Télé­com (CESIT). Elle a chan­gé de nom en 2017 et est depuis connue comme France Data­cen­ter. Aujourd’hui, nous nous posi­tion­nons comme une asso­cia­tion pro­fes­sion­nelle qui regroupe toute la filière et la chaîne de valeur des data­cen­ters en France. On retrouve donc par­mi nos adhé­rents les acteurs en charge de la concep­tion, de la construc­tion, de la main­te­nance et de l’exploitation des data­cen­ters (bureaux d’études, cabi­nets d’architectes, équi­pe­men­tiers, four­nis­seurs d’énergie et de solu­tions de refroi­dis­se­ment…) ; les opé­ra­teurs de data­cen­ters comme OVH­cloud, DATA4, Equi­nix, Inter­xion… ; des héber­geurs régio­naux comme Etix eve­ryw­here, Euclyde, Full­save,… Nous avons une cen­taine d’adhérents de taille très dif­fé­rente (TPE, PME, grandes entre­prises, groupes inter­na­tio­naux…). Si le mar­ché reste concen­tré sur l’Île-de-France, nous avons tout de même de plus en plus d’adhérents dans les régions. Por­tée par la crois­sance et le déve­lop­pe­ment de la filière en France, notre asso­cia­tion connaît éga­le­ment une hausse régu­lière du nombre de ses adhérents. 

Quelles sont les missions de France Datacenter ? 

En notre qua­li­té de porte-parole de la filière en France, notre rôle est d’échanger avec les pou­voirs publics sur les régle­men­ta­tions et les dif­fé­rents dis­po­si­tifs qui concernent les data­cen­ters. Nous avons, d’ailleurs, accueilli cette année dans notre équipe une per­sonne dédiée aux affaires publiques et aux rela­tions avec les ins­ti­tu­tions. Plus concrè­te­ment, nous répon­dons régu­liè­re­ment aux consul­ta­tions sur les règle­men­ta­tions et légis­la­tions rela­tives aux data­cen­ters, nous éla­bo­rons éga­le­ment des pro­po­si­tions à des­ti­na­tion du gouvernement…

En interne, nous faci­li­tons et ani­mons les échanges tech­niques entre nos dif­fé­rents adhé­rents. Nous avons plu­sieurs groupes de tra­vail qui sont mobi­li­sés sur des sujets à forts enjeux pour la filière comme l’intelligence arti­fi­cielle, la récu­pé­ra­tion de la cha­leur fatale infor­ma­tique, le refroi­dis­se­ment… Dans ce cadre, nous nous appuyons sur des antennes régio­nales dans les Hauts-de-France, le Grand Ouest, la région PACA, ou encore en Auvergne-Rhône-Alpes. Ce maillage ter­ri­to­rial per­met à cha­cun de nos adhé­rents de contri­buer au déve­lop­pe­ment, à la visi­bi­li­té et à l’attractivité de la filière sur son ter­ri­toire. En paral­lèle, nous tra­vaillons sur l’attractivité de la France à une échelle euro­péenne, voire mon­diale, pour accom­pa­gner le déve­lop­pe­ment des entre­prises. Sur cette ques­tion, nous col­la­bo­rons notam­ment avec Busi­ness France. 

Qu’en est-il de votre plan stratégique 2025 ? 

Les grandes lignes de notre plan stra­té­gique ont été déter­mi­nées en 2020. Le plan, qui couvre donc la période allant de 2020 à 2025, s’articule autour de plu­sieurs axes. Le pre­mier concerne l’attractivité de nos métiers et inclut un impor­tant volet dédié à l’emploi et à la for­ma­tion. Dans un contexte de pénu­rie de com­pé­tences, il est impor­tant de déve­lop­per la visi­bi­li­té et la noto­rié­té de notre sec­teur et des oppor­tu­ni­tés qu’il peut offrir. La filière data­cen­ter repré­sente plu­sieurs dizaines de mil­liers d’emplois directs et indi­rects. Chaque année, c’est en moyenne un mil­lier d’emplois qui sont créés (ingé­nieurs, tech­ni­ciens…). Nous accor­dons aus­si un inté­rêt par­ti­cu­lier au déve­lop­pe­ment de l’offre de for­ma­tion qui reste encore aujourd’hui très limitée.

Le second axe se foca­lise sur la rési­lience des infra­struc­tures et leur sécu­ri­sa­tion face aux attaques cyber notam­ment. Sur ce der­nier point, nous col­la­bo­rons avec l’ANSSI afin de sécu­ri­ser et fia­bi­li­ser ces infra­struc­tures stra­té­giques pour l’économie de pays. D’ailleurs, un cer­tain nombre de data­cen­ters en France sont consi­dé­rés et clas­si­fiés comme des infra­struc­tures critiques. 

Nous avons un troi­sième axe visant à déve­lop­per et pro­mou­voir l’innovation au ser­vice de l’environnement. Dans un contexte où nous enten­dons par­ler de plus en plus d’optimisation de la per­for­mance éner­gé­tique, la filière ambi­tionne de contri­buer à son niveau à la réus­site de la tran­si­tion envi­ron­ne­men­tale et éner­gé­tique. Dans cette démarche, nous nous appuyons notam­ment sur les tra­vaux de notre groupe de tra­vail dédié à la décarbonation.

Enfin, comme pré­cé­dem­ment men­tion­né, nous sommes mobi­li­sés en faveur de l’attractivité de la France afin de pro­mou­voir ses atouts et sa valeur ajou­tée face aux autres pays euro­péens. Nous avons d’ailleurs publié une bro­chure en ce sens, « La France, des­ti­na­tion idéale pour implan­ter votre data­cen­ter et héber­ger vos don­nées1 », qui met en avant les atouts de la des­ti­na­tion France pour les acteurs qui sou­haitent héber­ger leurs don­nées et leur data­cen­ter de manière fiable et responsable.

L’actualité est marquée par la crise énergétique et la hausse du coût de l’énergie, deux enjeux qui impactent fortement l’activité de votre filière. Comment appréhendez-vous ces sujets ? 

La filière data­cen­ter en France est rela­ti­ve­ment récente. Elle a vu le jour il y a une ving­taine d’annés. Tou­te­fois, le sec­teur n’a pas atten­du les règle­men­ta­tions et les crises éner­gé­tiques pour se poser la ques­tion de sa per­for­mance éner­gé­tique. En effet, la consom­ma­tion éner­gé­tique et le coût de l’énergie impactent direc­te­ment les opé­ra­teurs de data­cen­ter. Concrè­te­ment, toute éco­no­mie à ce niveau repré­sente un gain réel pour ces der­niers et, au cours des dix der­nières années, la per­for­mance éner­gé­tique des data­cen­ters s’est consi­dé­ra­ble­ment améliorée. 

Aujourd’hui, à l’instar de tous les sec­teurs d’activité, nous devons faire face à une impor­tante crise éner­gé­tique qui est accom­pa­gnée par une forte hausse du prix de l’énergie. En effet, la fac­ture éner­gé­tique repré­sente 30 % des coûts liés à l’exploitation d’un data­cen­ter. Avec la hausse actuelle des prix, on estime qu’elle devrait atteindre 50 % de ces coûts. À cela s’ajoute le pro­blème de la rési­lience du réseau avec des déles­tages qui pour­raient inter­ve­nir cet hiver. Pour faire face à cette situa­tion, nous sommes en étroite concer­ta­tion et col­la­bo­ra­tion avec RTE. En effet, la filière est inci­tée à orga­ni­ser son effa­ce­ment afin de sou­la­ger le réseau et contri­buer à sa rési­lience. Signa­taires de la Charte Eco­Watt, nous avons aus­si été à l’initiative d’une pro­po­si­tion qui a été reprise dans le plan de sobrié­té éner­gé­tique pré­sen­té par le gou­ver­ne­ment le 6 octobre der­nier. Il s’agit d’une pro­po­si­tion visant à remon­ter de 1 à 3 degrés la tem­pé­ra­ture dans la salle des ser­veurs, ce qui per­met­trait de réduire de 7 à 10 % la consom­ma­tion éner­gé­tique des datacenters. 

En interne, pour nos adhé­rents, nous avons éta­bli un docu­ment afin de par­ta­ger et d’harmoniser les bonnes pra­tiques envi­ron­ne­men­tales2. Nous avons aus­si des groupes de tra­vail qui explorent dif­fé­rentes pistes en termes de refroi­dis­se­ment des salles de ser­veur, de récu­pé­ra­tion de cha­leur fatale infor­ma­tique… Nos adhé­rents sont aus­si très mobi­li­sés sur ces enjeux et lancent de nom­breux pro­jets en ce sens. Par exemple, un de nos adhé­rents a mis en place un pro­jet pour récu­pé­rer la cha­leur fatale infor­ma­tique de ses infra­struc­tures afin de chauf­fer la pis­cine olym­pique. Ces pro­jets ont voca­tion à se mul­ti­plier au cours des pro­chaines années afin de ren­for­cer l’efficacité éner­gé­tique de notre filière de manière durable. D’ailleurs, nous nous atten­dons aus­si à ce que la valo­ri­sa­tion de la cha­leur fatale infor­ma­tique des data­cen­ters soit davan­tage prise en compte dès les phases de concep­tion des nou­veaux data­cen­ters, ce qui, en plus, est très inté­res­sant en termes d’empreinte car­bone et envi­ron­ne­men­tale du point de vue de la construction. 

Au-delà, comment se porte la filière ? Quels sont ses enjeux et perspectives ? 

Notre filière joue un rôle cen­tral sur un plan éco­no­mique et socié­tal. En effet, sans data­cen­ter, il n’y a tout sim­ple­ment pas de numé­rique ! Les data­cen­ters sont véri­ta­ble­ment la pre­mière brique du numé­rique durable. Ces infra­struc­tures phy­siques per­mettent le télé­tra­vail, la télé­mé­de­cine, le e‑commerce… Ce sont véri­ta­ble­ment des bâti­ments au ser­vice d’intérêt géné­ral. Dans le sec­teur glo­bal du numé­rique, contrai­re­ment aux idées reçues, les data­cen­ters repré­sentent 16 % de l’empreinte envi­ron­ne­men­tale. C’est, en effet, les usages et le réseau qui sont res­pon­sables de la part la plus impor­tante. Pour réduire cette empreinte, il y a une res­pon­sa­bi­li­té col­lec­tive qui implique toutes les par­ties pre­nantes, y com­pris les uti­li­sa­teurs finaux. Et comme men­tion­né pré­cé­dem­ment, nous res­tons for­te­ment mobi­li­sés sur la ques­tion éner­gé­tique qui va lar­ge­ment nous occu­per en 2023. 

Et pour conclure, quelles pistes de réflexion pourriez-vous partager avec nos lecteurs ? 

À côté des efforts de la filière pour valo­ri­ser la cha­leur fatale infor­ma­tique, d’autres pistes sont explo­rées. Par­mi celles-ci, il y a le déve­lop­pe­ment du recours aux éner­gies renou­ve­lables pour déve­lop­per l’autoconsommation de data­cen­ters et la mutua­li­sa­tion des infra­struc­tures et des salles de ser­veurs. En effet, la mutua­li­sa­tion de l’énergie et du refroi­dis­se­ment peut per­mettre une réduc­tion de la consom­ma­tion éner­gé­tique com­prise entre 25 et 30 %. C’est non seule­ment une éco­no­mie d’énergie, mais aus­si une éco­no­mie sur la fac­ture éner­gé­tique pour les opé­ra­teurs de data­cen­ters. Récem­ment, l’Université de Nantes, le Mans et Angers ont ain­si regrou­pé leurs infra­struc­tures et sont pas­sés de 40 salles infor­ma­tiques à deux data­cen­ters. Aujourd’hui, nous encou­ra­geons ces pro­jets et ini­tia­tives au sein de la filière.


1 https://www.francedatacenter.com/ressource/la-france-destination-ideale-pour-implanter-votre-datacenter-et-heberger-vos-donnees/

2 https://www.francedatacenter.com/ressource/bonnes-pratiques-environnementales-de-la-filiere-datacenter/

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