Les Chaussettes opus 124

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°630 Décembre 2007Par : Daniel ColasRédacteur : Philippe OBLIN (46)

Les Chaus­settes opus 124, mise en scène Daniel Colas, avec M. Gal­abru et G. Desarthe, au Théâtre des Math­urins, 36, rue des Math­urins, 75008 Paris. Tél. : 01.42.65.90.00.

Un mauvais public

On va au théâtre : il arrive que la pièce soit mau­vaise, ou les acteurs, ou même les deux à la fois. L’autre jour au Théâtre des Math­urins, c’était le pub­lic. Il s’agissait pour­tant d’une pièce de haute tenue, pleine de finesse mal­gré un titre un peu inat­ten­du : Chaus­settes opus 124, écrite et mise en scène par Daniel Colas.

Une pièce à deux voix, celles de deux vieux comé­di­ens en mal d’engagements. Seule­ment voilà : le rôle d’un de ces deux-là est tenu par M. Gal­abru. Et il a ses fans, trans­portés d’aise quand il « en fait beau­coup », ce qui lui arrive certes, mais pas dans cette inter­pré­ta­tion, et loin de là au con­traire. Or il ne pou­vait ouvrir la bouche sans qu’aussitôt cha­cun s’esclaffât dans la salle, même si ce qu’il dis­ait n’avait, de soi, rien de drôle. Au point que l’on per­dait des répliques, tant les rires intem­pes­tifs étaient bruyants. À croire que toutes ces rom­bières endi­manchées étaient venues aux Math­urins pour se dévieil­lir en retrou­vant le Gal­abru des films de leur jeunesse, et point pour écouter une évo­ca­tion, mag­nifique­ment inter­prétée, des décep­tions pro­pres à la vie comédienne.

Des comédiens sur le déclin

Le thème des comé­di­ens sur le déclin aura déjà été traité au théâtre : Petits boulots pour vieux clowns, de Matei Vis­niec par exem­ple, dont nous disions un jour du bien dans ces colonnes, et surtout l’émouvant Chant du cygne de Tchekhov. Ici, Daniel Colas nous mon­tre deux pro­fes­sion­nels besogneux, l’un d’âge mûr, plutôt réservé, ironique et hau­tain, Verdier (joué par Gérard Desarthe), le sec­ond, Bré­mont, plus mûr encore (joué par Michel Gal­abru, por­tant avec aisance ses quelque qua­tre-vingt-cinq ans) anci­enne célébrité de la scène et du film aujourd’hui oubliée et vivant chiche­ment de sa retraite, avec un vieux chat. Des mal­heurs famil­i­aux les ont, de sur­croît, ren­dus solitaires.

Un peu écrivain sur les bor­ds, Verdier est venu chercher Bré­mont pour ten­ter de créer avec lui un spec­ta­cle de sa con­cep­tion : un mon­tage de textes poé­tiques entre­coupés de morceaux musi­caux – d’où la sec­onde par­tie du titre. Verdier tien­dra le vio­lon, Bré­mont le vio­lon­celle, qu’il ne pra­tique pour­tant qu’en ama­teur. Verdier a par­lé de son idée à un pro­duc­teur de renom et il s’agit de met­tre l’affaire au point pour la lui faire auditionner.

Or Bré­mont se révèle être un ron­chon­neur, trou­vant tou­jours tout mal, exas­péré par exem­ple lorsqu’il s’aperçoit que Verdier porte des chaus­settes trouées – d’où la pre­mière par­tie du titre – de sorte que chaque fois qu’ils se réu­nis­sent en vue de répéter, ils com­men­cent par se dis­put­er à pro­pos de tout et de rien, des sujets les plus sérieux ou les plus saugrenus : les chaus­settes trouées, la neige dehors, l’absence de chauffage du théâtre dont on leur a prêté la scène, la façon de dire La Mort du loup, le bien-fondé de rin­cer la vais­selle à l’eau chaude plutôt qu’à l’eau froide, le choix des per­ruques et des cos­tumes : l’idée de Verdier est en effet de les faire jouer en clowns, pour créer une « dis­tan­ci­a­tion », ce qui exas­père son com­parse, furieux à la per­spec­tive de se ridi­culis­er avec un faux nez tout rouge.

Plusieurs fois, ils en arrivent même au bord de la rup­ture, pour néan­moins, lorsqu’il devient de plus en plus évi­dent que le pro­duc­teur de renom ne vien­dra jamais les audi­tion­ner, avoir pitié l’un de l’autre et essay­er de s’arranger pour au moins dîn­er ensem­ble le soir de Noël.

Je ne saurais alors trop vous recom­man­der d’aller voir ce touchant En atten­dant Godot, où les deux clochards seraient des « has been » des planch­es et Godot un impre­sario. Un spec­ta­cle où l’inattendue drô­lerie de cer­taines répliques s’enrichit d’une pro­fonde human­ité, où vous ver­rez un tout autre Gal­abru que celui du Gen­darme de Saint-Tropez, incar­nant là le désar­roi d’une anci­enne vedette désar­gen­tée et lucide sur soi.

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