Les assureurs européens ont besoin de leur propre système de contrôle

Dossier : Le nouvel espace financierMagazine N°652 Février 2010
Par Gérard de La MARTINIÈRE (63)

L’in­dus­trie de l’as­sur­ance s’est mobil­isée de con­cert avec la Com­mis­sion et les super­viseurs, pour pré­par­er une réforme en pro­fondeur de son cadre pru­den­tiel, bien que les défail­lances d’en­tre­pris­es d’as­sur­ance soient restées peu nom­breuses et de taille mod­este, en tout cas en Europe continentale.

C’est donc l’e­spoir de dis­pos­er d’un out­il per­me­t­tant de con­cili­er la meilleure sécu­rité des assurés avec la per­for­mance économique, qui a per­mis d’emporter l’ad­hé­sion de l’in­dus­trie européenne.

REPÈRES
La pré­pa­ra­tion de la réforme trou­ve son inspi­ra­tion dans le con­stat d’une mon­tée générale des risques : marchés financiers plus volatils, cat­a­stro­phes naturelles plus fréquentes et plus intens­es, accroisse­ment de la con­cur­rence entre les acteurs, ten­dances lour­des sur la longévité, la dépen­dance, la mal­adie, etc. Elle répond égale­ment au besoin de recon­fig­ur­er le con­trôle externe en fonc­tion des pro­grès réal­isés par les entre­pris­es d’assurance, à l’exigence de stan­dard­i­s­a­tion de la régle­men­ta­tion européenne liée au besoin de créer un réel lev­el play­ing field et au souci des grands acteurs d’optimiser leur ges­tion des fonds propres.

Pour­tant plusieurs écueils appa­rais­sent aujour­d’hui de nature à com­pro­met­tre ce pre­mier succès.

Le pre­mier écueil réside dans la con­cep­tion même d’un régime pru­den­tiel trop exclu­sive­ment axé sur une optique liq­uida­tive, à savoir : si on arrête l’ac­tiv­ité à tout instant, y aura-t-il assez d’ar­gent dans la caisse pour pou­voir régler toutes les indem­nités dues aux assurés ?

La crise exac­erbe les lim­ites de la nou­velle régle­men­ta­tion finan­cière des assurances

Or à la ques­tion : que peut-on récupér­er lorsque l’avion explose en vol ? il vaudrait mieux sub­stituer celle-ci : com­ment peut-on s’as­sur­er que l’avion pour­ra atter­rir sans encom­bre au terme de son tra­jet ? Le biais intro­duit par cette approche liq­uida­tive pro­duit des effets ravageurs quant à la capac­ité des assureurs à jouer pleine­ment leur rôle dans l’é­conomie ; il a égale­ment l’in­con­vénient d’être en total décalage avec le man­age­ment de l’en­tre­prise d’as­sur­ance calé sur la durée et la per­ma­nence de la mis­sion, ce qui intro­duit une diver­gence struc­turelle entre con­trôleur et contrôlé. 

Paramétrer les risques

Le deux­ième écueil se man­i­feste à l’oc­ca­sion des travaux en cours pour fix­er les paramé­trages de risques sur lesquels seront établies les exi­gences de fonds pro­pres. L’ex­péri­ence de la crise finan­cière que nous venons de tra­vers­er induit notam­ment chez les con­trôleurs un réflexe de pré­cau­tion tous azimuts qui tend à détru­ire l’équili­bre raison­né du pro­jet Sol­ven­cy II.

La solv­abil­ité
Sol­ven­cy II est une réforme régle­men­taire européenne qui har­monise les procé­dures de ges­tion des risques et adapte les fonds pro­pres exigés des com­pag­nies d’assurances.

La ten­ta­tion est forte de pass­er d’une mesure courante à une mesure extrême, de mul­ti­pli­er les marges de pré­cau­tion, de nég­liger l’ap­port des moyens de cou­ver­ture, de trans­pos­er des ” solu­tions ban­caires ” pour­tant inap­pro­priées, de ménag­er le max­i­mum d’oc­ca­sions d’in­stiller un peu de juge­ment arbi­traire du contrôleur.

Le troisième écueil résulte de l’am­pu­ta­tion de la direc­tive cadre des dis­po­si­tions rel­a­tives au con­trôle des groupes et de celles rel­a­tives à la prise en compte du sup­port apporté par un groupe d’as­sur­ance à ses filiales.

Celles-ci ont été retranchées devant les réti­cences des super­viseurs nationaux à aban­don­ner une par­celle de leurs pou­voirs théoriques. 

Une impasse sur la diversification géographique

Il en résulte notam­ment que la future régu­la­tion pru­den­tielle européenne fera l’im­passe sur une grande par­tie de l’ef­fet de diver­si­fi­ca­tion géo­graphique des risques, effet fon­da­teur de l’as­sur­ance depuis son orig­ine (!), et qu’elle ren­dra par­faite­ment aléa­toire la réso­lu­tion d’une crise affec­tant un groupe opérant dans plusieurs pays européens.

Assurances, banques et marchés

En France, on a de sur­croît con­sid­éré que le con­trôle de l’as­sur­ance devait repos­er sur un haut niveau de com­pé­tence tech­nique puisqu’on l’a con­fié à un corps de con­trôle… recruté à l’É­cole polytechnique.

Les organ­ismes systémiques
Nous voyons aus­si avec beau­coup de réserves l’in­clu­sion de cer­tains groupes d’as­sur­ance dans la caté­gorie dite des ” organ­ismes sys­témiques ” qui devraient faire l’ob­jet d’une sur­veil­lance par­ti­c­ulière de la Banque cen­trale européenne, alors qu’au­cune preuve n’a été apportée de la con­tri­bu­tion du secteur de l’as­sur­ance à la récente crise financière.

L’as­sur­ance a longtemps béné­fi­cié d’un dis­posi­tif de con­trôle dédié qui per­me­t­tait de mobilis­er une exper­tise adéquate (actu­ar­i­at) et de focalis­er l’at­ten­tion sur les points clés de la sécu­rité des assurés.

Mais, la mode lancée par le Roy­aume-Uni, avec l’in­stal­la­tion d’un régu­la­teur unique, la Finan­cial Ser­vices Author­i­ty, a con­duit à la général­i­sa­tion d’un sché­ma de con­trôle inté­grant assur­ances, ban­ques et marchés. En France c’est ce que pro­pose le rap­port Delettrez.

Une assim­i­la­tion inadap­tée du con­trôle des assur­ances avec celui des banques

À l’o­rig­ine de cette général­i­sa­tion se trou­ve le rôle de la Banque cen­trale dont l’in­ter­ven­tion est indis­pens­able à un con­trôle effi­cace de l’ac­tiv­ité ban­caire, comme l’a encore mon­tré l’ex­péri­ence de la crise aiguë de liq­uid­ité de la fin de l’an­née 2008.

Un tel sché­ma s’est sou­vent traduit par un affaib­lisse­ment du con­trôle de l’as­sur­ance. On observe en effet que la cul­ture de con­trôle ban­caire tend à l’emporter sur les com­pé­tences tech­niques des con­trôleurs de l’ac­tiv­ité d’as­sur­ance bien qu’elles répon­dent à des natures de risques différentes.

Mais il y a plus grave. Soumet­tre les com­pag­nies d’as­sur­ances à l’au­torité d’un gou­verneur de Banque cen­trale dont la préoc­cu­pa­tion pre­mière est de prévenir les crises de con­fi­ance ban­caire et la course aux guichets pour le retrait d’ar­gent liq­uide, c’est met­tre à portée de sa main les réserves de liq­uid­ités les plus abon­dantes de tout le paysage financier, ce qui con­stituera en temps de crise un con­flit d’in­térêts majeur.

Promouvoir les groupes européens d’assurance

Ces ten­dances néga­tives se man­i­fes­tent alors qu’il appa­raît claire­ment que la réal­i­sa­tion du grand marché européen des ser­vices financiers et la meilleure répar­ti­tion des risques passent par la pro­mo­tion des groupes européens d’assurance.

Pour un con­trôle dédié à chaque métier
Para­doxale­ment, cette réforme va inter­venir dans notre pays au moment même où l’U­nion européenne, en se con­for­mant aux recom­man­da­tions du rap­port de Larosière, se prononce claire­ment en faveur d’une approche séparée du con­trôle de la banque, de l’as­sur­ance et des marchés financiers. Elle inter­vient alors que face aux grandes manœu­vres de la finance domes­tique ou européenne qui com­bine les activ­ités de banque de marché, de banque de dépôt et d’as­sur­ance, la réponse européenne repose sur le principe d’un con­trôle pri­maire dédié à chaque métier.

Pour se dévelop­per et élargir le champ de leurs activ­ités dans un cli­mat de con­fi­ance garan­ti par le sen­ti­ment de sécu­rité de leurs clients, les assureurs européens ont besoin d’un sys­tème de con­trôle qui com­bine de façon étroite le niveau nation­al et le niveau européen.

Au niveau nation­al doit pou­voir s’ef­fectuer la syn­thèse des car­ac­téris­tiques d’un marché qui demeure très large­ment par­ti­c­uli­er du fait des fortes inter­férences entre l’as­sur­ance et la lég­is­la­tion locale de la respon­s­abil­ité, de la préven­tion des risques, de la fis­cal­ité de l’é­pargne, de la pro­tec­tion sociale publique ; à ce niveau égale­ment doit se pra­ti­quer la rela­tion de prox­im­ité entre con­trôleur et con­trôlé req­uise pour une meilleure con­nais­sance de la réal­ité des sit­u­a­tions et pour une plus grande réactivité ;

Au niveau européen doivent impéra­tive­ment se situer l’ap­préhen­sion com­plète des acteurs multi­na­tionaux et le règle­ment coor­don­né des sit­u­a­tions de crise qu’ils peu­vent ren­con­tr­er ; à ce niveau égale­ment doit s’ex­ercer le pilotage de l’ap­pli­ca­tion homogène de la régle­men­ta­tion pru­den­tielle pour éviter les dis­tor­sions de concurrence.

Risque de résistance

Or, si rien n’est fait pour cor­riger cer­taines des ori­en­ta­tions pris­es par la régle­men­ta­tion et l’or­gan­i­sa­tion de la super­vi­sion, on obtien­dra une résis­tance accrue des entre­pris­es d’as­sur­ance pour bas­culer dans le nou­v­el envi­ron­nement régle­men­taire, un délaisse­ment des branch­es d’ac­tiv­ité con­sid­érées comme trop risquées (respon­s­abil­ité civile pro­fes­sion­nelle, risque indus­triel, etc.), une réduc­tion de la pres­sion con­cur­ren­tielle par la dif­fi­culté de mobilis­er un gros vol­ume de cap­i­taux en sou­tien de l’as­sur­ance européenne, et un renchérisse­ment très sig­ni­fi­catif du coût de l’as­sur­ance pour les par­ti­c­uliers comme pour les entreprises. 

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