L’ère des alchimistes du digital : Quels défis pour l’ingénieur ?

Dossier : Dossier FFE hors sérieMagazine N°737 Septembre 2018
Par Antoine MENU (94)

Comment le métier de l’ingénieur s’adapte-t-il à cet environnement en perpétuel changement sous l’impulsion des nouvelles technologies ?

La société est ryth­mée par l’innovation et les nou­veaux usages. Nous par­lons beau­coup de dig­i­tal­i­sa­tion, gam­i­fi­ca­tion, robo­t­i­sa­tion, intel­li­gence arti­fi­cielle… La tech­nolo­gie a redess­iné l’univers des pos­si­bles. Nous vivons dans un monde d’addictivité et d’immédiateté qui a aboli les fron­tières tra­di­tion­nelles de l’espace et du temps. Cette ten­dance s’est man­i­festée d’un point de vue économique, en bous­cu­lant les indus­tries tra­di­tion­nelles, et socié­tal, en mod­i­fi­ant nos façons de vivre et de tra­vailler. L’ingénieur est évidem­ment un acteur de pre­mier plan de ces trans­for­ma­tions. Pour autant, con­traire­ment à l’homme poli­tique, au philosophe, au médecin, il s’exprime peu sur la société qu’il con­tribue à façon­ner. Pour repren­dre le physi­cien Eti­enne Klein, « son silence est assour­dis­sant ». Une coquet­terie de l’ingénieur ?

Dans le cadre de votre périmètre d’action, comment appréhendez-vous cette réalité ?

Un volet de mon tra­vail est lié à la con­cep­tion des sys­tèmes d’information et à l’exploitation de la don­née, qu’elle soit interne ou externe à l’entreprise. Le prin­ci­pal enjeu est d’incarner une ori­en­ta­tion méti­er, un besoin, une intu­ition, par une réponse tech­nique appro­priée. En d’autres ter­mes don­ner du sens à la tech­nolo­gie… Le rôle est ambiva­lent, idéale­ment entre vision­naire et ges­tion­naire. Il faut savoir repenser, com­bin­er, expéri­menter pour accom­pa­g­n­er la trans­for­ma­tion des métiers. L’autocensure n’est pas de mise puisque les voies sans issue font égale­ment pro­gress­er. Mais les solu­tions abouties ne font pas de con­ces­sion en matière de fia­bil­ité et de sécu­rité. On ne tran­sige pas avec le nou­v­el or noir de la don­née. Et la régle­men­ta­tion sait le rappeler ! 

Dans le secteur de l’immobilier, l’ingénieur se trouve aujourd’hui au carrefour du monde physique et digital. Qu’est-ce que cela implique pour lui ?

L’immobilier est un secteur par­ti­c­ulière­ment stim­u­lant qui mêle le vis­i­ble et l’invisible. La ten­dance est aux univers « hyper-con­nec­tés » : ville intel­li­gente, bâti­ment con­nec­té, Inter­net des objets (IoT)… De ce point de vue, l’exemple précurseur de Tes­la est instruc­tif. Le con­struc­teur a choisi de créer une voiture autour d’un ordi­na­teur là où la con­cur­rence gref­fait arti­fi­cielle­ment de l’informatique sur un exis­tant… Demain, nous inter­a­girons de manière naturelle avec l’immeuble pour décou­vrir et con­som­mer ses ser­vices. Au-delà des don­nées tech­niques, l’immeuble nous livr­era les don­nées d’usage… pour répon­dre au mêmes enjeux : analyser, com­pren­dre et anticiper. L’immobilier devient l’art de con­juguer le physique et le virtuel en ramenant l’humain au coeur de ses préoccupations. 

Comment voyez-vous le rôle de l’ingénieur évoluer ?

La sig­na­ture de l’ingénieur est assez dif­fuse puisqu’elle entremêle spé­cial­i­sa­tion et pluridis­ci­pli­nar­ité. La créa­tiv­ité, la curiosité, la capac­ité à assem­bler restent néan­moins des invari­ants. Les évo­lu­tions sci­en­tifiques et tech­nologiques créent régulière­ment de nou­veaux métiers – le monde de la don­née en est un exem­ple avec son cortège de data archi­tect, (big) data engi­neer, data sci­en­tist… Mais au-delà des seg­men­ta­tions, je crois en l’hybridation des com­pé­tences. L’alchimie est à trou­ver entre une maîtrise de la tech­nolo­gie, une com­préhen­sion pro­fonde du méti­er et une bonne lec­ture de la société. 

Bio express
Ancien élève de l’école poly­tech­nique et tit­u­laire d’un diplôme d’ingénieur de Télé­com Paris­Tech, Antoine Menu a occupé jusqu’en novem­bre dernier le poste de Directeur des Sys­tèmes d’Information (DSI) au sein de BNP Paribas Real Estate, fil­iale de la banque BNP Paribas spé­cial­isée dans les métiers de l’immobilier. Actuelle­ment, il est respon­s­able du départe­ment Tech­nolo­gie, Data et Services. 

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