L’eau potable pour tous est un droit de l’homme

Dossier : De l’eau pour tousMagazine N°683 Mars 2013
Par Gérard PAYEN (71)

En France comme dans tous les pays dévelop­pés, il est évi­dent pour cha­cun qu’avoir accès à l’eau potable, c’est avoir l’eau courante à domi­cile, c’est-à-dire avoir de l’eau saine qui s’écoule des robi­nets de son loge­ment chaque fois qu’on en a besoin. Aujourd’hui pour­tant, moins de la moitié de la pop­u­la­tion mon­di­ale est dans cette situation.

REPÈRES
L’accès à l’eau potable est devenu un droit en France en 2006. Durant la dernière décen­nie, plusieurs pays ont inscrit ce droit dans leur con­sti­tu­tion nationale. En 2010, tous les pays mem­bres des Nations unies ont recon­nu cet accès comme un droit de l’homme. Chaque pays peut définir dans sa lég­is­la­tion et sa régle­men­ta­tion la nature de l’eau à laque­lle cha­cun a droit, ain­si que ses modal­ités d’accès. Mais, ces dis­po­si­tions doivent respecter le droit inter­na­tion­al qui définit le con­tenu du droit de l’homme à l’eau potable et à l’assainissement.

Faire des choix

Amélior­er cette sit­u­a­tion est l’une des pri­or­ités de la com­mu­nauté inter­na­tionale. Le grand pro­gramme mon­di­al 2000–2015, dit des Objec­tifs du mil­lé­naire pour le développe­ment (OMD), com­prend une com­posante pour l’accès à l’eau potable. Les efforts et les réal­i­sa­tions sont très importants.

Les critères d’accès à l’eau
De très nom­breux débats ont cher­ché à iden­ti­fi­er les critères d’un accès à l’eau sat­is­faisant dans le but d’établir un niveau min­i­mal d’exigences et de mieux ori­en­ter les efforts d’amélioration.
Vaut-il mieux avoir de l’eau courante en per­ma­nence à domi­cile, mais pol­luée, ou de l’eau saine à une borne-fontaine à 1000 mètres de son logement ?
Lorsqu’on a accès à un réseau d’eau qui ne coule que pen­dant qua­tre heures tous les deux jours, vaut-il mieux inve­stir dans un réser­voir de stock­age où l’eau risque de croupir, ou recourir à des sys­tèmes d’approvisionnement alter­nat­ifs four­nissant une eau de moins bonne qualité ?
Vaut-il mieux aller chercher soi-même son eau au puits ou à une borne-fontaine, mal­gré le temps que cela con­somme, ou acheter des bidons d’origine incon­nue à un vendeur ambulant ?

Mais, devant l’ampleur des besoins, il faut faire des choix pour la bonne allo­ca­tion des besoins financiers. La com­mu­nauté inter­na­tionale a recon­nu depuis longtemps que l’eau saine en per­ma­nence à domi­cile était une ambi­tion exces­sive pour un objec­tif uni­versel à court terme.

À quoi ai-je droit ?

La recon­nais­sance en 2010 de l’accès à l’eau potable comme un droit de l’homme a per­mis de définir pré­cisé­ment l’accès sat­is­faisant à l’eau. Cha­cun a évidem­ment droit à une eau en quan­tité suff­isante pour ses besoins quo­ti­di­ens min­i­maux (bois­son, ali­men­ta­tion, hygiène). Cette eau doit être de bonne qual­ité sanitaire.

Mais des critères sup­plé­men­taires ont été ajoutés. L’eau doit être simul­tané­ment acces­si­ble, disponible, accept­able, de coût abor­d­able et son accès doit se faire de façon équitable, sans discrimination.

Ces exi­gences font qu’un accès à une eau dont seul le critère de « pota­bil­ité » est assuré n’est pas suff­isant en ter­mes de droit de l’homme.

L’obligation de mise en œuvre progressive

Ce n’est qu’en 2010 qu’une vision com­mune a pu se dessiner

La con­trepar­tie du droit indi­vidu­el est une oblig­a­tion pour les pou­voirs publics. Mais une dis­po­si­tion très impor­tante du droit inter­na­tion­al est que la recon­nais­sance du droit de l’homme n’emporte pas jouis­sance immé­di­ate pour les béné­fi­ci­aires. Ce ne serait pas réaliste.

Les besoins sont trop impor­tants. L’obligation de mise en œuvre du droit par les autorités publiques n’est que pro­gres­sive. Il s’agit pour les États de s’organiser pour amélior­er pro­gres­sive­ment l’accès à l’eau pour leur pop­u­la­tion selon leurs possibilités.

La rose de l'eauLa rose du droit
La représen­ta­tion graphique de la « rose du droit à l’eau potable » per­met de visu­alis­er une sit­u­a­tion indi­vidu­elle par rap­port à dif­férents critères, fig­urés comme six axes indépendants.
La sat­is­fac­tion à 100% des dif­férents critères du « droit de l’homme » est représen­tée par l’hexa­gone réguli­er rouge, alors que le cen­tre cor­re­spond à la sit­u­a­tion d’un indi­vidu qui utilise de l’eau ne sat­is­faisant à aucun de ces critères. Ce sché­ma per­met de com­par­er le sens com­mun de l’ac­cès à l’eau potable dans les pays dévelop­pés (poly­gone bleu) avec celui du droit de l’homme (hexa­gone rouge). Cette com­para­i­son est approx­i­ma­tive car les exi­gences peu­vent vari­er suiv­ant les con­di­tions locales.
Elle mon­tre cepen­dant que le droit de l’homme est un niveau min­i­mal, bien inférieur à ce dont béné­fi­cient les habi­tants des pays « rich­es ». En effet, si les exi­gences de pota­bil­ité et de coût abor­d­able sont a pri­ori assez sim­i­laires, il n’en est pas de même pour les autres critères. Avoir l’eau courante à domi­cile per­met de faire fonc­tion­ner des WC, d’ar­roser son jardin ou de laver sa voiture, ce qui con­somme bien plus d’eau que la quan­tité min­i­male du droit.
Devoir porter l’eau sur quelques cen­taines de mètres n’est pas incom­pat­i­ble avec le droit de l’homme. De même, aller à une borne-fontaine qui ne marche que quelques heures par jour ou avoir un robi­net à domi­cile où l’eau ne coule que la moitié du temps est con­sid­éré comme satisfaisant.

N’oublier personne

Alors s’agit-il de poudre aux yeux ? Est-ce que le droit de cha­cun est bien réel ? Est-ce que les pou­voirs publics peu­vent s’abriter der­rière cette tolérance de pro­gres­siv­ité pour ne rien faire ? Les pou­voirs publics ont l’obligation de faire, et donc chaque année d’apporter des amélio­ra­tions con­crètes au moins pour une par­tie de la pop­u­la­tion, ain­si que d’avoir un pro­gramme d’ensemble organ­isant pro­gres­sive­ment un niveau d’accès à l’eau potable sat­is­faisant pour la total­ité de la population.

Ce pro­gramme peut se dérouler sur plusieurs décen­nies mais il doit cou­vrir toutes les zones habitées en n’oubliant per­son­ne. Ain­si, les indi­vidus ne peu­vent pas réclamer l’amélioration de leur sort pour demain ou après-demain, mais ils peu­vent exiger que l’accès à l’eau potable s’améliore pro­gres­sive­ment dans leur environnement.

Une question d’organisation des pouvoirs publics

La con­trepar­tie du droit indi­vidu­el de l’homme à l’eau potable est l’obligation pour les États de le met­tre en œuvre pour la total­ité de leur pop­u­la­tion. Ils y con­sacrent beau­coup de moyens avec des résul­tats spec­tac­u­laires. Chaque année, ce sont env­i­ron 65 mil­lions de per­son­nes qui accè­dent à l’eau courante à domi­cile, l’équivalent de la pop­u­la­tion française.

Un indi­ca­teur intermédiaire
Au niveau des experts, un indi­ca­teur d’accès « inter­mé­di­aire » fait de plus en plus con­sen­sus. Il s’agirait d’assurer l’accès à une eau qui sat­is­fasse un test sim­ple de non-con­t­a­m­i­na­tion biologique, qui néces­site moins de trente min­utes pour l’apporter à domi­cile et qui soit disponible au moins douze jours par quin­zaine. Ces trois seuils sont loin de sat­is­faire les critères de pota­bil­ité et d’accessibilité du droit de l’homme, mais ils vont dans la bonne direction.

Ces dix dernières années, un mil­liard de per­son­nes ont eu un meilleur accès à l’eau. Les États n’ont pas seule­ment à pilot­er des amélio­ra­tions par­tielles, ils doivent s’organiser pour qu’elles béné­fi­cient pro­gres­sive­ment à tous. Cette organ­i­sa­tion compte trois volets.

Le con­tenu pré­cis du droit à l’eau et les oblig­a­tions cor­re­spon­dantes des pou­voirs publics et des par­ti­c­uliers doivent être défi­nis dans la loi ou la régle­men­ta­tion nationale.

L’État doit iden­ti­fi­er les autorités publiques chargées de la mise en œuvre des dif­férentes com­posantes du droit à l’eau. Cha­cun de ces organ­ismes publics doit man­dater des opéra­teurs (internes ou externes) pour met­tre en œuvre con­crète­ment toutes les actions néces­saires en allant au con­tact des util­isa­teurs pour n’ignorer aucun besoin.

La progressivité des objectifs mondiaux

La recon­nais­sance du droit de l’homme n’emporte pas jouis­sance immédiate

Les Nations unies n’ont pas de respon­s­abil­ité directe dans la mise en œuvre du droit à l’eau potable. Sa recon­nais­sance comme un droit de l’homme est cepen­dant en train de mod­i­fi­er leurs pro­grammes d’incitation à l’action.

L’accès à l’eau potable est en effet l’une des pri­or­ités de la com­mu­nauté inter­na­tionale qui en a fait l’un de ses Objec­tifs du mil­lé­naire pour le développe­ment. En 2000, lorsque ce pro­gramme 2000–2015 a été défi­ni, on ne par­lait pas de droit de l’homme. Une cible con­crète a été définie. Il s’agissait en pra­tique de réduire de moitié la pro­por­tion de la pop­u­la­tion mon­di­ale qui puise son eau à des sources poten­tielle­ment con­t­a­m­inées par des ani­maux. Cet objec­tif a été atteint dès 2010.

Aujourd’hui, la com­mu­nauté inter­na­tionale pré­pare le pro­gramme mon­di­al qui pren­dra la suite des OMD en 2015. L’indicateur util­isé paraît main­tenant bien insuff­isant. Mais adopter l’accès uni­versel à l’eau dans des con­di­tions sat­is­faisant le droit de l’homme comme nou­v­el objec­tif ne serait pas réal­iste à l’horizon de quinze ou vingt ans. Un objec­tif inter­mé­di­aire inté­grant plusieurs élé­ments du droit est en train de se dessiner.

Une porteuse d'eau en Afrique

Des besoins énormes

Les besoins d’amélio­ra­tion de l’ac­cès à l’eau potable dans le monde sont sou­vent sous-estimés. Les infor­ma­tions sta­tis­tiques disponibles au niveau mon­di­al sont peu détail­lées. Le seul indi­ca­teur sta­tis­tique disponible au niveau mon­di­al ne con­cerne qu’un accès à l’eau min­i­mum et ne tient pas compte de la salubrité de l’eau. Il mesure à peu près le nom­bre des per­son­nes qui pren­nent leur eau au même endroit que des ani­maux (riv­ière, puits, etc.).

Elles sont aujour­d’hui un peu moins de 800 mil­lions. L’ab­sence d’indi­ca­teur sta­tis­tique mesurant la pota­bil­ité de l’eau a con­duit à un énorme malentendu.

Beau­coup, gou­verne­ments, médias, ONG, croient que seule­ment 800 mil­lions de per­son­nes n’ont pas accès à l’eau potable. La réal­ité est bien plus grave : elles sont des mil­liards. L’au­teur estime à près de deux mil­liards le nom­bre de ceux qui n’u­tilisent que de l’eau mal­saine, dan­gereuse pour leur san­té, et entre trois et qua­tre mil­liards, soit la moitié de l’hu­man­ité, ceux qui utilisent de l’eau recon­nue comme non potable ou, au moins de temps en temps, une eau de qual­ité incertaine.

Une fracture sociale

Les dif­férences d’accès à l’eau créent une véri­ta­ble frac­ture sociale. Il y a, d’un côté, ceux qui ont de l’eau saine en per­ma­nence à domi­cile. Ils ne perçoivent pas vrai­ment la valeur de l’eau potable ni la chance dont ils béné­fi­cient. De l’autre côté, il y a tous ceux qui ont un accès à l’eau plus dif­fi­cile, plus risqué ou plus coû­teux (env­i­ron 57 % de la pop­u­la­tion mon­di­ale). L’eau potable a une valeur évi­dente pour eux, mais ils n’y ont pas accès, ou difficilement.

Mobiliser les acteurs

La moitié de l’humanité utilise de l’eau de qual­ité incertaine

La recon­nais­sance de l’accès à l’eau potable comme un droit de l’homme a per­mis de pré­cis­er les con­di­tions min­i­males d’un accès sat­is­faisant à l’eau. Elles font défaut à plus de la moitié de la pop­u­la­tion mon­di­ale. Dans les villes, la sit­u­a­tion ne s’améliore pas : les efforts impor­tants de développe­ment des réseaux d’eau n’arrivent pas à suiv­re le rythme de la crois­sance urbaine.

BIBLIOGRAPHIE

► G. PAYEN, « Les besoins en eau potable dans le monde sont sous-estimés : des mil­liards de per­son­nes sont con­cernées », dans H. Smets (dir.), Le Droit à l’eau potable et à l’assainissement en Europe, Paris, Éd. Johanet, 2012. 

► Kyle ONDA, Joe LOBUGLIO & Jamie BARTRAM, « Glob­al Access to Safe Water : Account­ing for Water Qual­i­ty and the Result­ing Impact on MDG Progress », Pub­lic Health, 2012.

Les États ont affir­mé en 2012 leur volon­té de met­tre en oeu­vre le droit à l’eau potable, d’abord au Forum mon­di­al de l’eau de Mar­seille, puis au som­met « Rio + 20 ». Un sur­saut des poli­tiques publiques est cepen­dant néces­saire pour met­tre en oeu­vre ce droit de façon effec­tive. Au vu de l’ampleur des besoins, des objec­tifs mon­di­aux et nationaux beau­coup plus ambitieux sont indispensables.

Espérons que les Nations unies sauront s’accorder sur une accéléra­tion des réal­i­sa­tions dans leur pro­gramme post-2015. Mais, c’est aus­si une ques­tion d’organisation des pou­voirs publics avec une répar­ti­tion claire de leurs com­pé­tences et de leurs moyens respectifs.

Le « droit à l’eau potable » ne sera pas sat­is­fait par hasard. Seule une mobil­i­sa­tion des acteurs con­cernés à tous les niveaux, mon­di­al, nation­al et local, per­me­t­tra d’assurer à cha­cun un accès sat­is­faisant à de l’eau véri­ta­ble­ment potable

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