Eau et énergie : un couple indissociable

Dossier : De l’eau pour tousMagazine N°683 Mars 2013
Par Jean-François ASTOLFI (72)
Par Xavier URSAT (86)

De gros besoins en eau
Au niveau mon­di­al, après l’agriculture, le secteur énergé­tique est ain­si le deux­ième plus gros util­isa­teur d’eau, même s’il faut dis­tinguer les prélève­ments d’eau (avec retour au milieu) des con­som­ma­tions d’eau.

Les prévi­sions de crois­sance démo­graphique et de développe­ment économique dans le monde per­me­t­tent d’anticiper une hausse impor­tante de la demande en eau et en énergie. Dans beau­coup de régions, le change­ment cli­ma­tique aura de plus une influ­ence non nég­lige­able sur la disponi­bil­ité, la quan­tité, la dis­tri­b­u­tion et la local­i­sa­tion de la ressource en eau, et exac­er­bera la com­péti­tion entre les dif­férents usages de l’eau. Or, l’eau et l’énergie sont indis­pens­ables l’une à l’autre.

Dans le domaine de l’énergie, l’eau est util­isée pour la pro­duc­tion hydroélec­trique, et est néces­saire pour le refroidisse­ment des cen­trales ther­miques, l’extraction et le raf­fi­nage des pro­duits pétroliers et gaziers, ain­si que pour la pro­duc­tion de cer­tains com­bustibles comme la bio­masse, l’éthanol ou l’hydrogène.

En retour, l’énergie est indis­pens­able à l’ensemble du cycle d’utilisation de l’eau par l’homme : extrac­tion par pom­page, trans­port, traite­ment, dessalin­i­sa­tion, util­i­sa­tions divers­es, en par­ti­c­uli­er pour l’irrigation ou l’industrie, et retraite­ment des eaux usées.

REPÈRES
Selon le scé­nario médi­an retenu par l’ONU, la pop­u­la­tion mon­di­ale devrait dépass­er 8 mil­liards de per­son­nes en 2030 et 9 mil­liards en 2050, alors qu’elle était d’environ 7 mil­liards en 2012. Aujourd’hui, env­i­ron 1,3 mil­liard de per­son­nes n’ont pas accès à l’électricité, 10 % de la pop­u­la­tion mon­di­ale n’a pas accès à l’eau potable de manière sim­ple et quo­ti­di­enne et plus de 2,5 mil­liards de per­son­nes souf­frent d’un manque d’accès à des struc­tures d’assainissement.
Sous le dou­ble effet de la démo­gra­phie et du développe­ment économique, la demande glob­ale en énergie devrait ain­si dou­bler voire tripler d’ici à 2050, et les besoins globaux en eau pour les activ­ités humaines devraient, quant à eux, aug­menter de 40 % d’ici à 2030 et même de 70 % s’agissant de l’eau potable.

L’eau pour l’énergie

L’eau est néces­saire aus­si bien à la pro­duc­tion d’énergie pri­maire (extrac­tion et raf­fi­nage des pro­duits pétroliers ou gaziers, extrac­tion du char­bon, pro­duc­tion de bio­masse et de bio­car­bu­rants, etc.) qu’au fonc­tion­nement des cen­trales ther­miques. C’est sa force motrice qui per­met la pro­duc­tion hydroélectrique.

Eau et énergie sont indis­pens­ables l’une à l’autre

Dans l’industrie pétrolière, l’eau est util­isée pour le for­age des puits, la frac­tura­tion hydraulique, la com­plé­tion et le traite­ment des puits. De plus, au fur et à mesure de l’exploitation du réser­voir, c’est le plus sou­vent de l’eau qui est injec­tée pour com­penser la diminu­tion de pres­sion (récupéra­tion dite secondaire).

L’eau est égale­ment néces­saire pour de mul­ti­ples usages dans les activ­ités de raf­fi­nage, et en par­ti­c­uli­er sous forme déminéral­isée, directe­ment ou sous forme vapeur, après pas­sage dans les chaudières de l’installation, ou comme flu­ide assur­ant le refroidisse­ment et la con­den­sa­tion des hydro­car­bu­res dans les dif­férentes unités de la raffinerie.

Mètres cubes et gigajoules
Pour l’ensemble des activ­ités de for­age, com­plé­tion, extrac­tion, on estime couram­ment la quan­tité d’eau néces­saire à 2 à 8m3 pour 1000 GJ de pét­role extrait. Lors de la récupéra­tion sec­ondaire, le vol­ume d’eau néces­saire aug­mente jusqu’à 100 à 180m3 pour 1000 GJ de pét­role extrait.

Dans les instal­la­tions récentes, les vol­umes util­isés vari­ent typ­ique­ment de 200 à 800 litres par tonne de pét­role brut, en fonc­tion du procédé util­isé et des choix de con­cep­tion du refroidisse­ment. Dans toute la chaîne de traite­ment des pro­duits pétroliers, de la prospec­tion- extrac­tion au raf­fi­nage, le retraite­ment des eaux et l’efficience des instal­la­tions pour lim­iter la quan­tité d’eau util­isée sont devenus des enjeux indus­triels majeurs.

L’eau est égale­ment, bien enten­du, indis­pens­able à la pro­duc­tion de la bio­masse com­bustible. Il faut compter un peu plus de 1 m3 d’eau par kilo­gramme de bio­masse pro­duite. L’eau est égale­ment néces­saire lors des opéra­tions de con­ver­sion de la bio­masse en biofuel.

Refroidir les centrales électriques thermiques

Les vol­umes d’eau util­isés vari­ent de 200 à 800 litres par tonne de pét­role brut

L’eau est util­isée pour assur­er le refroidisse­ment des cen­trales de pro­duc­tion ther­mique d’électricité, qu’elles soient nucléaires ou ther­miques à flamme (char­bon, gaz, fioul, etc.). En fonc­tion de la disponi­bil­ité de la ressource en eau, deux sché­mas peu­vent être adop­tés pour le cir­cuit assur­ant le refroidissement.

Lorsque l’eau est abon­dante (bor­ds de mer, estu­aires, grands fleuves), le refroidisse­ment se fait en cir­cuit ouvert : l’eau prélevée passe par les mil­liers de tubes du con­denseur et retourne ensuite au milieu. L’échauffement est de quelques degrés et il faut de l’ordre de 50 m3/s d’eau pour un réac­teur nucléaire de 1 300 MW.

Schéma de refroidissement d'une centrale nucléaire

Des cir­cuits d’eau multiples
Dans une cen­trale nucléaire de pro­duc­tion d’électricité fonc­tion­nant à eau pres­surisée, on dis­tingue trois cir­cuits d’eau indépendants :
1) le cir­cuit pri­maire pour extraire la chaleur du com­bustible (l’uranium) et la trans­met­tre au deux­ième cir­cuit via un échangeur – le généra­teur de vapeur (cir­cuit fermé) ;
2) le cir­cuit sec­ondaire qui trans­met la vapeur d’eau, pro­duite dans le généra­teur de vapeur, à une tur­bine entraî­nant un alter­na­teur qui pro­duit l’électricité (cir­cuit égale­ment fermé) ;
3) le cir­cuit ter­ti­aire ou cir­cuit de refroidisse­ment pour con­denser la vapeur du cir­cuit sec­ondaire et évac­uer la chaleur.
Dans une cen­trale ther­mique à flamme, il n’y a pas de cir­cuit pri­maire, la vapor­i­sa­tion de l’eau, chauf­fée par la com­bus­tion de char­bon, gaz ou fuel, se fait dans la chaudière.

Schéma des circuits de refroidissement "ouvert" et "fermé" Lorsque la ressource en eau est moins impor­tante, le refroidisse­ment se fait en cir­cuit fer­mé : l’eau cir­cu­lant en boucle dans le con­denseur est refroi­die par un courant d’air ascen­dant dans des tours aéroréfrigérantes. La chaleur s’évacue par la vapeur d’eau qui forme le panache au-dessus des tours. Un appoint con­tinu en eau (2 m3/s) est néces­saire pour com­penser l’eau éva­porée dans les tours (0,7 m3/s) et pour renou­vel­er l’eau des con­denseurs. L’échauffement de l’eau du cours d’eau dans le cas des cir­cuits fer­més ne dépasse pas quelques dix­ièmes de degré.

Production hydroélectrique et stockage d’énergie

Pour la pro­duc­tion hydroélec­trique, c’est la force motrice de l’eau, liée à la hau­teur de chute de l’installation et au débit, qui est util­isée directe­ment pour la pro­duc­tion d’électricité. Le cœf­fi­cient énergé­tique de l’installation dépend de la hau­teur de chute et du ren­de­ment glob­al de l’installation. Il est couram­ment com­pris entre 0,01 kWh/m3 pour les instal­la­tions de très basse chute (quelques mètres) à 2, voire 3 kWh/m3 pour les instal­la­tions de haute chute (plusieurs cen­taines de mètres, voire plus de 1 000 m de chute).

Dans le cas de la pro­duc­tion hydroélec­trique, et en dehors des phénomènes d’évaporation des réser­voirs, en général mar­gin­aux, l’eau n’est pas con­som­mée. Elle est tou­jours resti­tuée aux milieux, éventuelle­ment après stockage.

Ce stock­age de l’eau con­stitue, du reste, un gros enjeu dans le fonc­tion­nement des sys­tèmes élec­triques, puisqu’il con­stitue, et de très loin, le prin­ci­pal mode de « stock­age » de l’électricité, dans les grands lacs de barrage.

Rôle environnemental

L’eau con­stitue, de très loin, le prin­ci­pal mode de « stock­age » de l’électricité

Enfin, de nom­breuses instal­la­tions hydroélec­triques jouent un rôle dans la ges­tion du grand cycle de l’eau du bassin-ver­sant qui les accueille, et ser­vent plusieurs usages de l’eau : irri­ga­tion, activ­ités touris­tiques, sou­tien d’étiage, ser­vices envi­ron­nemen­taux, ali­men­ta­tion en eau domes­tique ou indus­trielle, pro­duc­tion d’électricité.

La bonne ges­tion coor­don­née de ces dif­férents usages représente sou­vent un fort enjeu d’optimisation de la ressource en eau. Cela est par­ti­c­ulière­ment vrai en France, où le vol­ume total des lacs asso­ciés à des instal­la­tions hydroélec­triques représente 75% du vol­ume total des retenues artificielles.

L’énergie pour l’eau

De manière symétrique, l’énergie est néces­saire à toutes les étapes de cycle de ges­tion de l’eau : extrac­tion, trans­port, traite­ment et usages indus­triels et domes­tiques. L’énergie est néces­saire pour le trans­port et les dif­férentes opéra­tions de pom­page asso­ciées et peut grande­ment vari­er (de moins de 0,1 kWh par mètre cube d’eau trans­portée dans les zones naturelle­ment appro­vi­sion­nées à plusieurs kilo­wattheures par mètre cube dans les zones plus arides ou mal appro­vi­sion­nées en eau douce).

La pro­duc­tion d’eau potable con­somme de 0,25 à 4 kWh par mètre cube d’eau potable à par­tir d’eau de sur­face. La dessalin­i­sa­tion d’eau de mer a besoin de 4 à 8 kWh par mètre cube d’eau douce produite.

Trans­fert d’énergie par pompage
Le ren­de­ment d’une instal­la­tion hydroélec­trique étant en général assez élevé (de l’ordre de 0,9), des instal­la­tions réversibles (Sta­tions de trans­fert d’énergie par pom­page – STEP) ont été dévelop­pées spé­ciale­ment pour assur­er le stock­age de l’électricité à par­tir d’un stock­age d’eau. Les STEP com­por­tent deux réser­voirs entre lesquels l’eau cir­cule : dans le sens amont vers aval pour pro­duire de l’énergie lors des péri­odes de forte con­som­ma­tion et dans le sens aval vers amont, pour stock­er de l’énergie en péri­ode de faible con­som­ma­tion. Les STEP de con­cep­tion récente ont un ren­de­ment glob­al (dit ren­de­ment de cycle) de l’ordre de 80 %. Les grandes instal­la­tions hydroélec­triques « grav­i­taires » et les STEP représen­tent l’essentiel des capac­ités de stock­age de l’électricité actives dans le monde.

Usages domestiques ou industriels

Les usages domes­tiques cor­re­spon­dent à une forte inten­sité énergé­tique, due prin­ci­pale­ment au chauffage de l’eau : les besoins en énergie pour ces usages domes­tiques sont sou­vent supérieurs à 50 kWh par mètre cube d’eau. En zone urbaine, les usages domes­tiques de l’eau peu­vent ain­si représen­ter jusqu’à 20% de la con­som­ma­tion électrique.

Le traite­ment des eaux usées représente une con­som­ma­tion de l’ordre de 1 à 10 kWh par mètre cube d’eau retraitée, en fonc­tion des qual­ités ini­tiale et finale et des effets d’échelle.

Un lac de barrage
En France, le vol­ume total des lacs asso­ciés à des instal­la­tions hydroélec­triques représente 75% du vol­ume total des retenues artificielles.

Les enjeux d’une gestion coordonnée

Eau et énergie sont indis­so­cia­ble­ment liées et la crois­sance de leur demande ne fait qu’accentuer leur inter­dépen­dance, faisant du lien entre eau et énergie un des enjeux majeurs du développe­ment durable.

20% de l’électricité
Les vol­umes d’eau à trans­porter peu­vent être con­sid­érables et ne con­cer­nent pas seule­ment l’eau potable pour l’usage domes­tique, mais tous les usages de l’eau (indus­trie, agri­cul­ture, etc.).
On estime qu’environ 20% de la pro­duc­tion mon­di­ale d’électricité sert à l’alimentation de pom­pes util­isées pour le rel­e­vage et le trans­port de l’eau.

Le défi est multiple.

  • Envi­ron­nemen­tal, d’abord, avec la néces­sité de maîtris­er l’impact des instal­la­tions indus­trielles sur la qual­ité et la bio­di­ver­sité des écosys­tèmes aqua­tiques et sur la mor­pholo­gie des cours d’eau.
  • Indus­triel, ensuite, avec le développe­ment de solu­tions inno­vantes favorisant l’efficience des util­i­sa­tions croisées de l’eau pour l’énergie et de l’énergie pour l’eau.
  • Poli­tique, enfin, avec la ques­tion de la gou­ver­nance et des out­ils adap­tés à la déf­i­ni­tion des meilleurs sché­mas de ges­tion con­jointe de l’eau et de l’énergie, dans chaque bassin hydrographique.

La crois­sance de la demande accentue l’interdépendance entre eau et énergie

Des out­ils et des méthodolo­gies ont été dévelop­pés depuis de nom­breuses années pour éval­uer, étudi­er et maîtris­er l’utilisation durable des ressources naturelles. La cer­ti­fi­ca­tion de dura­bil­ité forestière, l’empreinte écologique ou l’empreinte car­bone sont autant d’exemples témoignant de la mon­tée en puis­sance d’outils et de méthodolo­gies des­tinés in fine à une meilleure ges­tion des ressources.

Dans le domaine de l’eau, les ini­tia­tives se sont mul­ti­pliées depuis une dizaine d’années avec l’apparition du con­cept d’empreinte eau.

Une initiative d’EDF

Parte­nar­i­at
Lors du dernier Forum mon­di­al de l’eau, qui s’est tenu à Mar­seille en mars 2012, le Con­seil mon­di­al de l’eau et le Con­seil mon­di­al de l’énergie ont annon­cé un parte­nar­i­at pour favoris­er un traite­ment effi­cient du lien entre eau et énergie : partage de don­nées, coor­di­na­tion de pro­grammes de recherche sur ce thème, pro­mo­tion de solu­tions, etc.

Dans cette logique, EDF ani­me une ini­tia­tive inter­na­tionale, dans le but de dévelop­per un out­il d’évaluation des impacts de l’énergie sur l’eau, en col­lab­o­ra­tion avec la com­mu­nauté sci­en­tifique et les dif­férentes instances représen­ta­tives des secteurs énergé­tiques : pét­role et gaz, nucléaire, éner­gies renou­ve­lables, dont l’hydroélectricité.

L’objectif est de dévelop­per un lan­gage et un cadre méthodologique com­muns à tous les secteurs, applic­a­bles partout dans le monde, qui per­me­t­tront d’organiser, au niveau de chaque bassin hydro­graphique, le développe­ment de solu­tions énergé­tiques adap­tées, effi­cientes et respectueuses des ressources en eau.

2 Commentaires

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Denis Flo­ryrépondre
12 mars 2013 à 8 h 07 min

eau et energie

Bon­jour, dans l’ar­ti­cle sur eau et énergie, le sché­ma com­por­tant 3 cir­cuits d’eau pour les cen­trales nucléaires n’est val­able que pour les réac­teurs de type a eau pres­surisée (REP ou PWR) . Pour les réac­teurs à eau bouil­lante (REB ou BWR, tels que Fukushi­ma), la vapeur est pro­duite directe­ment dans le cœur du réac­teur, qui va directe­ment a la tur­bine. Il n’y a donc que deux cir­cuits d’eau.

jean-françois astolfirépondre
15 mars 2013 à 20 h 54 min
– En réponse à: Denis Flory

C’est tout à fait exact .
C’est tout à fait exact . Nous n’avons repro­duit que le schema type des cen­trales PWR car c’est la seule fil­ière qui équipe actuelle­ment le parc nucléaire français.

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