Le transport public urbain exige une grande qualité de service

Dossier : La mutation du service publicMagazine N°635 Mai 2008
Par Robert JUNG (62)

Le trans­port pub­lic urbain est à la fois un ser­vice à la clien­tèle, avec ses con­cepts de mar­ket­ing de ser­vice et de qual­ité de ser­vice élaborés dans les années qua­tre-vingt, mais aus­si un out­il priv­ilégié de l’urbanisme et de la vie urbaine de nos métrop­o­les. Ce rôle de « ser­vice pub­lic » a son principe fon­da­teur dans la pénurie d’espace pub­lic urbain. Elle oblige la col­lec­tiv­ité à adopter des poli­tiques de déplace­ment, arbi­trant entre le trans­port col­lec­tif et le trans­port indi­vidu­el motorisé, ce dernier très con­som­ma­teur d’espace et d’atmosphère. Se rajoute aujourd’hui une autre pénurie à venir, celle de l’énergie fos­sile, sans oubli­er les con­traintes écologiques, telles que l’émission de CO2.

Écologie, fiabilité, confort

Il faut mari­er le nou­veau « poli­tique­ment cor­rect » qu’est devenu le trans­port col­lec­tif urbain avec les car­ac­téris­tiques de con­fort et de lib­erté, qui car­ac­téri­saient aupar­a­vant des poli­tiques plus « auto­mo­biles ». La tâche des respon­s­ables poli­tiques en est dev­enue plus facile à définir sinon à met­tre en œuvre : il faut dévelop­per le trans­port pub­lic pour le ren­dre à la fois por­teur du mes­sage écologique du futur de la planète, et attrac­t­if pour les électeurs d’aujourd’hui, qui récla­ment de la fia­bil­ité et du con­fort pour adopter de « bon gré » ce ser­vice que la RATP avait bap­tisé, il y a près de trente ans, « la deux­ième voiture ». 

Un marketing triangulaire

Pub­lic ou privé ?
Il n’y a pas de sché­ma idéal qui s’impose comme une évi­dence. Au début du vingtième siè­cle, la solu­tion des con­ces­sions privées pré­valait, comme ce fut le cas pour le métro parisien. Après 1945, la mode s’est inver­sée pour de mul­ti­ples activ­ités, dont le trans­port urbain. La créa­tion de la RATP se situe dans ce con­texte. Dès les années qua­tre-vingt le mou­ve­ment de pri­vati­sa­tion se développe surtout en Grande-Bre­tagne et en France (loi SRU). C’est pourquoi des groupes français et bri­tan­niques occu­pent les pre­mières places sur le marché mon­di­al. Ce mou­ve­ment s’est depuis ralen­ti, parce que trop de pri­vati­sa­tions ont été mal pré­parées ou réal­isées sur de mau­vais­es bases. 

La ques­tion de l’organisation des trans­ports publics est liée au choix « pub­lic-privé » (voir encadré). La solu­tion qui pré­vaut aujourd’hui dans le monde est celle de la créa­tion d’une « Autorité organ­isatrice », organ­isme pub­lic dépen­dant du pou­voir poli­tique munic­i­pal, région­al, voire nation­al. Cette autorité met en œuvre la poli­tique de déplace­ment, décidée au nom de la col­lec­tiv­ité, et attribue la respon­s­abil­ité de ges­tion à des « entre­pris­es exploitantes ». Cette attri­bu­tion est accordée, soit à une entre­prise publique ad hoc, soit, par appel d’offres, à des sociétés qual­i­fiées. L’entreprise choisie entre­tient une dou­ble rela­tion avec la clien­tèle (qui exprime ses attentes et ses appré­ci­a­tions) et avec la col­lec­tiv­ité (qui fixe ses objec­tifs). C’est le mar­ket­ing « triangulaire ». 

Investir efficacement

L’infrastructure à la charge de la collectivité
Il n’est pas pos­si­ble, dans les grandes métrop­o­les, de réper­cuter le coût com­plet des trans­ports urbains à leurs util­isa­teurs. Ce coût est donc par­tielle­ment pris en charge par la collectivité.
Le ser­vice est fac­turé au client selon un tarif fixé par la col­lec­tiv­ité avec l’objectif de ren­dre ce ser­vice attrac­t­if par rap­port à l’usage de la voiture. À Paris, avec un niveau de tarif sen­si­ble­ment plus faible que la moyenne des villes (grosso modo, la moitié du prix lon­donien), les recettes du traf­ic cou­vrent sen­si­ble­ment les coûts d’exploitation.
Nulle part dans le monde, les recettes ne per­me­t­tent de cou­vrir les coûts d’infrastructure.

Le champ d’activité où la ques­tion de la répar­ti­tion des tâch­es se pose, avec des répons­es vari­ables, est celui de la maîtrise d’ouvrage déléguée des investisse­ments de trans­port. Si la maîtrise d’ouvrage revient naturelle­ment à l’autorité organ­isatrice, sa mise en œuvre peut être très utile­ment con­fiée à l’opérateur, si celui-ci est inscrit dans la durée, comme cela est le cas d’une entre­prise publique ad hoc. La con­nais­sance de la clien­tèle et l’expérience de l’exploitation du réseau lui don­nent des atouts-clés pour être « con­cep­teur-réal­isa­teur-opéra­teur » du sys­tème de trans­port avec les meilleures garanties d’adaptation et de cohérence dans l’investissement public.
Enfin, notons que là où les opéra­teurs ont des rela­tions con­tractuelles avec les autorités organ­isatri­ces, ce qui est le cas général en France aujourd’hui, un prix de pro­duc­tion de ser­vice est négo­cié et sert de base à la rémunéra­tion de l’opérateur. Celui-ci assume le risque de pro­duc­tion et la sanc­tion pour la qual­ité de ser­vice, à tra­vers un sys­tème de bonus-malus basé sur la mesure d’indicateurs de qual­ité. Le plus sou­vent, il par­ticipe au risque de traf­ic, par un intéresse­ment au niveau de la recette. 

LA RATP, UN CAS SYMBOLIQUE

Un schéma directeur d’urbanisme

La RATP est créée le 1er jan­vi­er 1949 (voir his­torique en encadré). Le trans­port urbain n’était pas alors la pri­or­ité. Au début des années soix­ante, le général de Gaulle con­fie à Paul Delou­vri­er, super­préfet en charge de la région parisi­enne, la mis­sion de dévelop­per har­monieuse­ment l’agglomération. Il éla­bore le Sché­ma directeur d’urbanisme et des trans­ports, avec l’ambition de met­tre de l’ordre dans l’urbanisme de la Région Cap­i­tale, avec la créa­tion des villes nou­velles, mais aus­si avec une cou­ver­ture fer­rovi­aire de toute l’agglomération, comme Ful­gence Bien­venüe l’avait fait, pour Paris, qua­tre-vingts ans plus tôt. 

Les orig­ines de la RATP
La RATP prend ses racines en 1828 dans les nom­breuses com­pag­nies con­cur­rentes d’omnibus à trac­tion hip­po­mo­bile. En 1855, un mono­pole de con­ces­sion est attribué à la Com­pag­nie générale des omnibus.
La réforme de 1920 donne nais­sance à un organ­isme pub­lic auquel le départe­ment de la Seine con­fie l’exploitation de tout le réseau de surface.
Par­al­lèle­ment, deux con­ces­sions sont attribuées en 1898 par la ville de Paris pour l’exploitation du nou­veau chemin de fer mét­ro­pol­i­tain (la Com­pag­nie du Mét­ro­pol­i­tain et la Com­pag­nie Nord-Sud), l’une absorbant l’autre en 1929.
Le gou­verne­ment de Vichy uni­fie métro et auto­bus en 1942. La Régie autonome des trans­ports parisiens (RATP) est créée en 1949. 

La modernité publique, version années soixante

Pierre Weil est nom­mé à la tête de la RATP pour réveiller la belle au bois dor­mant et met­tre en œuvre à la fois la mod­erni­sa­tion de l’entreprise et la réal­i­sa­tion du RER. Des batail­lons de jeunes cadres sont embauchés. 

L’opérateur de trans­port assume sys­té­ma­tique­ment le risque de production 

Pierre Weil donne de la créa­tiv­ité et du dynamisme aux struc­tures de con­cep­tion et d’exploitation. Il crée et développe les équipes d’études de trans­port et les équipes de maîtrise d’œu­vre des lignes nou­velles du RER. La ligne A du RER est réal­isée à grande pro­fondeur, avec de vastes sta­tions de cor­re­spon­dance, autant de défis aux lois de la mécanique des sols. Se créa ain­si une con­cen­tra­tion sans précé­dent de savoir-faire en travaux souter­rains et en con­cep­tion de métros.
En quelques années, l’entreprise change de vis­age. Le métro est boulever­sé : le pilotage automa­tique des trains per­met la sup­pres­sion du 2e agent embar­qué, la com­mande cen­tral­isée des lignes facilite la régu­la­tion des trains ; les départs pro­gram­més des rames en sta­tion autorisent une réduc­tion des inter­valles et per­me­t­tent donc un ren­force­ment des lignes ; le péage automa­tique entraîne une réduc­tion forte du per­son­nel des sta­tions et la sup­pres­sion du « con­trôleur des Lilas ». 


Tick­et chic et choc : le tick­et, élé­ment de snobisme.

Pierre Giraudet suc­cède à Pierre Weil en 1972 et pro­longe son action en dévelop­pant la plan­i­fi­ca­tion et le mar­ket­ing. Il améliore les rela­tions avec la SNCF. La créa­tion de la Carte orange, qui en résulte en 1975, dope le trans­port col­lec­tif, dont le traf­ic n’arrête plus de grimper durable­ment jusqu’à nos jours. 

Chic et choc et temps réel

Pen­dant les années qua­tre-vingt, et mal­gré une sit­u­a­tion morose à la tête de l’entreprise, deux actions se dévelop­pent, sans impul­sion d’en haut, mais avec un fort impact sur son avenir. D’abord, en matière de com­mu­ni­ca­tion, par la pro­mo­tion crois­sante du trans­port pub­lic par les cam­pagnes « chic et choc », val­orisant le « client » du métro et met­tant en scène le sym­bole du tick­et. Ces cam­pagnes télévisées firent un tabac auprès du pub­lic et des pro­fes­sion­nels et eurent un impact fort et durable sur l’image du trans­port pub­lic et donc sur le trafic.
Ensuite vint la créa­tion des con­cepts de mar­ket­ing de ser­vice, si dif­férent du mar­ket­ing de grande con­som­ma­tion. C’est la démarche du ser­vice pro­duit en temps réel sous le regard et avec la par­tic­i­pa­tion du con­som­ma­teur, pas de cor­rec­tion pos­si­ble. C’est toute la prob­lé­ma­tique de la qual­ité de ser­vice, large­ment dévelop­pée depuis, et qui agit en pro­fondeur sur l’essence du ser­vice pro­posé par l’entreprise.
Cette inscrip­tion de la fonc­tion com­mer­ciale au cœur de l’exploitation des réseaux coïn­cide avec l’arrivée de Chris­t­ian Blanc en 1989. 

REPÈRES
La fil­iale d’ingénierie Sofre­tu, créée en 1964, mul­ti­plie son activ­ité d’ingénierie des métros dans le monde en puisant dans le réser­voir de jeunes ambitieux qu’est dev­enue la RATP : Mon­tréal, Mex­i­co, San­ti­a­go, Rio de Janeiro, Le Caire, Caracas. 
REPÈRES
Fil­ilale de la Caisse des Dépôts créée en 1955, Trans­dev a mis en place 89 réseaux urbains et 44 réseaux interur­bains dans 7 pays d’Europe dont la France (47 %) et le Roy­aume-Uni (26 %).
Chiffre d’affaires : 1 mil­liard d’euros en 2006 ; résul­tat net 25 mil­lions d’euros.

La modernité publique, version années quatre-vingt-dix

De grands patrons dégagés du politique
Les grands patrons qui ont fait avancer la RATP avaient des per­son­nal­ités qui leur per­me­t­taient d’exister face au pou­voir poli­tique. Ils étaient les chefs les plus capa­bles de met­tre en oeu­vre des poli­tiques ambitieuses s’inscrivant dans la durée. Ils savaient se dégager de la pres­sion du poli­tique pour gér­er les sit­u­a­tions sociales conflictuelles. 

Au plan du man­age­ment, Chris­t­ian Blanc joue un rôle ana­logue à celui de Georges Besse chez Renault quelques années plus tôt. La direc­tion dirige, ori­ente et donne le sens. L’encadrement encadre, sou­tient, donne les out­ils et l’appui qu’il faut aux agents. Ceux-ci réalisent le ser­vice en pleine respon­s­abil­ité. Les syn­di­cats représen­tent le per­son­nel et défend­ent ses intérêts. Des lignes hiérar­chiques cour­tes. Des direc­tions opéra­tionnelles décen­tral­isées et respon­s­abil­isées par ligne de métro et par « cen­tre bus ». 

De 1960 à 1970, la capac­ité de trans­port du métro aug­mente de 60 % à effec­tif constant 

Au plan de la pré­pa­ra­tion de l’avenir, c’est à Blanc et non à Dejouany que l’on doit la phrase : « La Com­pag­nie générale des Eaux pour­rait très bien exploiter les trans­ports à la place de la RATP », pré­parant la révo­lu­tion cul­turelle d’une sor­tie du mono­pole public.
Jean-Paul Bail­ly pro­longe l’action et fait entr­er la RATP dans l’ère con­cur­ren­tielle. Il crée « RATP Inter­na­tion­al » en 1998. Un rap­proche­ment s’opère avec la Caisse des Dépôts pour un parte­nar­i­at avec Trans­dev. Les cap­i­taux de la Caisse des Dépôts et de la RATP se crois­eront lors de la créa­tion de « RATP développe­ment » après le vote sur la loi SRU en l’an 2000. 


Omnibus à trac­tion hip­po­mo­bile. La con­ces­sion d’un mono­pole dès 1855.

ANNÉE  1970  1985  1995  2005 
Traf­ic (mil­lions de passagers)  1 756  2 261  2 362  2 829 
Offre (mil­liards de places x km)  38 676  59 370  63 324  72 410 
Effectif  38 636  38 963  38 340  42 462 
Pro­duc­tiv­ité (offres/effectif) 1,00 1,53 1,65 1,70

Défis et stratégie

Une recon­nais­sance par le pub­lic de la qual­ité du service 

Deux élé­ments pour la stratégie future de la RATP sont à met­tre en œuvre concomitamment.
Tout d’abord ne pas sus­citer l’envie du don­neur d’ordre fran­cilien de vouloir met­tre fin au rôle his­torique de la RATP en région parisi­enne. Cela grâce à une pro­fonde recon­nais­sance par sa clien­tèle de la qual­ité du ser­vice. Mais cela aus­si par la con­vic­tion de l’autorité organ­isatrice du bon niveau de maîtrise de ses coûts et de sa com­péti­tiv­ité tech­nique et commerciale.
Côté offen­sif, inve­stir, comme cela est engagé depuis dix ans, pour pren­dre une part sig­ni­fica­tive sur le marché mon­di­al d’opérateur de trans­port urbain. Il faut ren­forcer l’alliance avec Trans­dev, voire envis­ager la fusion, lorsque la Caisse des Dépôts aura défi­ni claire­ment sa stratégie dans les transports.
Il faut men­er à bien, avec l’actionnaire pub­lic, un tra­vail lourd de révi­sion et de clar­i­fi­ca­tion des régimes d’investissement à la RATP, avec leurs con­séquences sur l’endettement de l’entreprise. La répu­ta­tion de qual­ité de ser­vice, de qual­ité de man­age­ment et de maîtrise des coûts demeure les argu­ments clés de l’avenir.

REPÈRES
Étab­lisse­ment pub­lic, désigné comme opéra­teur par le STIF (Syn­di­cat des trans­ports de la région Île-de-France), la RATP (Régie autonome des trans­ports parisiens) a été créée en 1949. Chiffre d’affaires : 3 mil­liards d’euros en 2006 ; résul­tat net 43 mil­lions d’euros.

Commentaire

Ajouter un commentaire

wiem aouiti répondre
27 avril 2012 à 11 h 03 min

Bon­jour je suis etu­di­ante a
Bon­jour je suis etu­di­ante a l’institut supérieurs du trans­port de Sousse-Tunisie en 2ème année mas­tère pro­fes­sion­nelle co-con­stru­ire trans­port col­lec­tif de voyageurs , je pré­pare un mémoire sur la qual­ité de ser­vice dans l’offre de trans­port et son impact sur la demande et entraine de faire un stage chez une société de trans­port de Sousse-Tunis .
Svp pou­vez-vous aider pour mon sujet et me pro­pos­er un mémoire par­lant du thème qual­ité de ser­vice de trans­port ou un site offi­ciel sur inter­net et merci:).

Répondre