Le statut de la femme, choc juridique ou choc de religions

Dossier : La démographie déséquilibréeMagazine N°639 Novembre 2008Par Jeanne-Hélène KALTENBACH

REPÈRES

REPÈRES
Aux États-Unis, les immi­grants ont choisi. Un débat ani­me les philosophes améri­cains depuis trente ans. Les « lib­er­als » plaident pour un État « juste » par rap­port à toute con­cep­tion du bien. Et les « com­mu­nau­tariens » (à ne pas con­fon­dre avec le com­mu­nau­tarisme) plaident pour que l’État reflète un bien com­mun, avec ses valeurs sociales et morales. Mais en ce qui con­cerne les immi­grants ils sont unanimes : « Ils ont choisi, ils se sont eux-mêmes dérac­inés, en déci­dant de se déracin­er les immi­grants ont volon­taire­ment renon­cé aux droits liés à leur appar­te­nance nationale ini­tiale. » Et les nou­veaux Améri­cains prê­tent ser­ment : « Je renonce et j’abjure entière­ment et absol­u­ment toute allégeance à un quel­conque prince, poten­tat, État ou sou­verain étranger. »

Il ne faut pas remon­ter bien loin dans notre his­toire pour retrou­ver un machisme solide­ment enrac­iné. Certes le fameux « Votre sexe n’est là que pour la dépen­dance, du côté de la barbe est la toute-puis­sance » de Molière, nous paraît aujourd’hui bien loin­tain ; mais le devoir d’obéissance de l’épouse a duré jusqu’en 1938, le droit de cor­rec­tion jusqu’en 1958, l’autorité pater­nelle jusqu’en 1970. 

Sou­vent les par­tic­i­pants du dia­logue islamo-chré­tien se deman­dent ce qui les rassem­ble ? Eh bien, la « feuille de route » des femmes qui suit les mêmes chemins dans le temps et l’espace. Qu’on en juge : « On veut dépouiller la femme de sa pudeur native, la pro­duire en pub­lic, la détourn­er de la vie et des devoirs domes­tiques, l’enfler d’une fausse et vaine sci­ence, en sorte que, celle qui bien et religieuse­ment élevée, serait sem­blable à une pure lumière dans sa mai­son, la gloire de son époux, l’édification de sa famille… gon­flée d’orgueil et d’arrogance, dédaign­era les soins et les devoirs pro­pres à la femme. » Est-ce une let­tre de Pie IX au père Dupan­loup en 1867 ou bien une con­férence, réservée aux femmes, de Tariq Ramadan à Mul­house en avril 2000 ? 

Une situation française fragilisée

Les deux civil­i­sa­tions mitoyennes sem­blent en décalage sur cer­tains points, plus désyn­chro­nisées qu’incompatibles. Pas de suff­i­sance donc, d’autant que les femmes turques ont voté avant les Français­es (1944), mais qui con­testera les pro­grès de l’égalité entre les sexes ?

À Lon­dres : « Le mul­ti­cul­tur­al­isme n’est plus… Sauf que pour mourir il faut avoir vécu et pour cela avoir un cœur et un cerveau. Le mul­ti­cul­tur­al­isme n’avait ni l’un ni l’autre, il n’a tou­jours été qu’un mot en quête de déf­i­ni­tion, un dra­peau recon­nu par aucune nation, ce qui me direz-vous était pré­cisé­ment son but. Nous l’agitions pour dire adieu à une patrie com­mune. » (The Inde­pen­dent, 4 févri­er 2004).

Finie la béat­i­tude mul­ti­cul­turelle, les nou­veaux citoyens bri­tan­niques doivent, depuis 2002, jur­er, ou affirmer leur allégeance, à sa Majesté et à ses héri­tiers, promet­tre fidél­ité au Roy­aume bri­tan­nique et à ses lib­ertés démocratiques.
Au con­traire la sit­u­a­tion française est frag­ilisée par les largess­es com­binées de nos trois cre­dos nationaux et répub­li­cains. Notre code de la nation­al­ité : droit du sol automa­tique à par­tir de 18 ans, recon­nais­sance de la dou­ble nation­al­ité, absence de ser­ment, absence de déc­la­ra­tion de fidél­ité à la Con­sti­tu­tion (comme cela se fait en Alle­magne). Notre droit inter­na­tion­al privé est per­son­nal­iste, cer­taines ques­tions rel­a­tives à l’État et à la capac­ité des per­son­nes étrangères sont liées à leur loi nationale, ce qui con­duit par­fois à des sit­u­a­tions kafkaïennes : si une Française demande, en France, le divorce d’un mari retourné en Algérie, le juge français doit appli­quer la loi algéri­enne, à cette Française vivant en France avec ses enfants français !

Enfin, con­traire­ment aux habi­tudes anglais­es, la coloni­sa­tion française n’a que très peu touché au statut per­son­nel algérien, même si, à l’époque, la cour d’Alger prof­i­tait de « l’option de droit » pour empêch­er quelques mariages for­cés d’impubères con­formes au droit malékite. 

La polygamie

En ce domaine, comme en quelques autres, nos chiffres sont aus­si indi­gents qu’incertains1.

Équité inique
En 1980 le Con­seil d’É­tat a cassé la déci­sion d’un préfet qui avait inter­dit le séjour d’une sec­onde femme par un arrêt ain­si com­men­té : ” La vie famil­iale nor­male d’un musul­man con­siste à respecter les oblig­a­tions d’en­tre­tien et surtout d’équité entre ses femmes, comme le pre­scrit la Sourate des Femmes. ” On s’é­tonne que le Con­seil d’É­tat cite le Coran et surtout nimbe d’une auréole d’équité une insti­tu­tion inique et dis­crim­i­na­toire par essence. C’est un véri­ta­ble oxy­more juridique2.

Selon Ghaleb Bencheikh : « La polyg­a­mie est une sur­vivance d’une pra­tique antéis­lamique dont l’anarchie fut réglée par le Coran… Eu égard aux sept cents femmes de Salomon par exem­ple, la réduire à qua­tre femmes fut un pro­grès spec­tac­u­laire ! » Mais il ne s’agit pas de marchan­der à la baisse le nom­bre d’épouses, et ce n’est pas à un musul­man qu’il faut expli­quer ce que sig­ni­fie L’Unique. Mon amour n’a rien à voir avec mes amours, pas plus que le Prophète avec les prophètes. Tariq Ramadan le sait par­faite­ment. Dans son bul­letin Présence musul­mane, très influ­ent par­mi les jeunes, il évoque avec suavité « Mohammed, si atten­tif, si doux, si patient. Avant d’être La Mère de ses enfants, son épouse était Une Femme, Sa Femme. » Euphémique emploi du singulier !

Un mariage célébré en Angleterre, qui exclut la polyg­a­mie, doit être monogame

Avant 1993 un décret laconique stip­u­lait « Le con­joint et les enfants mineurs d’un ressor­tis­sant étranger qui veu­lent s’établir auprès de ce dernier ne peu­vent se voir refuser l’accès au ter­ri­toire français. » Voilà la thèse, pour repren­dre la ter­mi­nolo­gie de Mon­seigneur Dupan­loup. Et voici les hypothès­es : Qu’est-ce qu’un con­joint ? Qu’est-ce qu’un mariage ? Qu’est-ce qu’un divorce de polygame ? Qu’est-ce qu’un adultère dans un mariage de polygame ? L’enfant mineur est-il mineur selon le droit étranger ou selon le droit français ? Il a fal­lu dix ans pour que la Cour de cas­sa­tion mar­que enfin un arrêt face à l’indulgence crois­sante que le droit inter­na­tion­al privé témoignait à la polyg­a­mie. En 1990 elle fut déclarée « con­traire à l’ordre pub­lic » et en 1993, une loi sur la con­di­tion des étrangers sup­pri­ma le regroupe­ment famil­ial, le titre de séjour et l’octroi de la nation­al­ité française pour un époux polygame, tout en gar­dant les polygames présents sur le territoire.

Que dit cepen­dant le tal­entueux soci­o­logue Alain Touraine en 1996 ? « Je ne vois pas pourquoi la polyg­a­mie doit être inter­dite, même si je recon­nais qu’elle rend plus dif­fi­cile l’intégration sociale des femmes africaines… » toute­fois il s’oppose à l’excision au nom d’une con­cep­tion uni­verselle des droits de l’homme !

Le machisme, sans doute incon­scient, de cer­tains hommes haut placés les empêchent de pren­dre la mesure de cette injus­tice faite aux femmes. L’esclavage aus­si avait ses défenseurs autre­fois, qu’un racisme incon­scient aveuglait, et qui ne stig­ma­ti­saient que « les abus de l’esclavage ».

Le mariage musulman
Le mariage musul­man clas­sique est du domaine privé, à la lim­ite du droit rit­uel et con­tractuel. Par­mi les Turcs d’au­jour­d’hui, encore 98 % des filles et 94 % des garçons subis­sent des unions arrangées, ou for­cées pour être plus exact, et qui se ter­mi­nent par­fois dans la vio­lence. Toute cette tra­di­tion est en train de bouger. Au Maroc, depuis 1993, la jeune fille doit don­ner son con­sen­te­ment par écrit.

Vive l’Eu­rope

Le 22 novem­bre 1984, l’ar­ti­cle 5 du pro­to­cole numéro 7 de la Con­ven­tion européenne de sauve­g­arde des droits de l’homme spé­ci­fia : ” L’é­gal­ité entre époux ne garan­tit pas seule­ment l’é­gal­ité de droits et de respon­s­abil­ités de l’homme et de la femme lors de la dis­so­lu­tion du mariage, mais encore entre eux durant le mariage. ”

Aspects chrétiens du mariage civil

Une remar­que pour com­mencer. L’empêchement religieux au mariage pour la musul­mane (une musul­mane ne peut épouser qu’un musul­man…) heurte à la fois la lib­erté du mariage et la laïc­ité, elle est une dis­crim­i­na­tion man­i­feste par rap­port aux hommes. Cet empêche­ment est, hélas, con­forme à tous les Statuts per­son­nels maghrébins – tunisiens com­pris – et à la cul­ture de nom­breuses familles issues du Maghreb.

Sec­onde remar­que : « la répu­di­a­tion de fait à la française » d’un con­cu­bin ou d’une con­cu­bine ou d’un pac­sé, qui aban­don­nent leur com­pagnon sans autre forme de procès, devrait nous faire réfléchir. La « répu­di­a­tion musul­mane » est encadrée par la loi de là-bas… et con­sid­érée comme con­traire à notre ordre pub­lic depuis l’an 2000 ! Les autres cul­tures nous inter­ro­gent sur nous-mêmes.

Qu’est-ce qu’un adultère dans un mariage de polygame ?

Revenons à notre droit du mariage métis­sé de droit romain, de cou­tume, de droit ger­main et de catholi­cisme. L’Église prim­i­tive a emprun­té au droit romain tout ce qui ne choquait pas la morale chré­ti­enne : la monogamie, c’est-à-dire la fidél­ité, l’exogamie, la pub­lic­ité, l’âge min­i­mum. L’exogamie très stricte du droit romain est ren­for­cée par le catholi­cisme qui pro­scrit le mariage entre par­ents jusqu’au 7e degré. Le mariage est une insti­tu­tion publique, célébrée en pub­lic, les bans sont là pour cette rai­son, les reg­istres de l’Église sont privés, mais con­sulta­bles par tous. Le code civ­il a ren­for­cé la supéri­or­ité du mariage civ­il d’une norme d’antériorité, et con­damne les min­istres du culte qui célébr­eraient un mariage religieux avant le mariage civil. 

Pour con­clure avec l’offensive des cyber­prêcheurs : aurons-nous un jour « dans l’espace de nos dif­férences » un code de statut musul­man, applic­a­ble, cela va de soi, aux Français con­ver­tis, code com­por­tant la déval­ori­sa­tion du témoignage de la femme devant un tri­bunal, la demi-part d’héritage pour les filles, l’indignité suc­ces­so­rale pour les non-musul­mans, l’interdit à la femme musul­mane d’épouser un non-musul­man. La ques­tion nous est posée de manière récur­rente. Dans le style de Tarik Ramadan cela se dit « œuvr­er pour une meilleure har­monie entre la per­son­nal­ité musul­mane et le paysage occi­den­tal ». Lui et beau­coup d’autres revendiquent haut et fort « le droit des sociétés majori­taire­ment islamiques de rester fidèles à leurs sources et de penser une organ­i­sa­tion qui con­vi­enne à leur iden­tité ». Voilà bien une opin­ion que nous parta­geons. Si cela est néces­saire il nous fau­dra vot­er, sans écouter ceux qui, à la manière de Louis Veuil­lot, par­lent de la tyran­nie majori­taire, quand ils sont minori­taires, et du respect de la majorité là où ils sont majori­taires. On ne peut sac­ri­fi­er l’avenir des filles au passé des mères.

Pour ter­min­er je voudrais soulign­er com­bi­en je suis écœurée et scan­dal­isée par la démis­sion et le manque de courage de nos hommes poli­tiques de tous bor­ds face à cette sit­u­a­tion. Ont-ils vrai­ment pris le recul néces­saire et la mesure du problème ?


1. Les éval­u­a­tions vont de 8000 à 80000 polygames.
2. Avec une con­tra­dic­tion dans les ter­mes : ” Cette obscure clarté qui tombe des étoiles. ”

Cet arti­cle est extrait d’un exposé présen­té le 26 jan­vi­er 2005 au groupe X‑Dé­mo­gra­phie-économie –pop­u­la­tion.

Quelques ques­tions
 
Impor­tance de la dif­férence d’âge ?
Elle est essen­tielle : quand un homme de trente ou trente-cinq ans épouse une fille de qua­torze ans, elle ne peut qu’être dom­inée par son mari.
 
D’où vient notre faiblesse ?
Il y a bien sûr une part de veu­lerie et pour cer­tains un com­plexe de cul­pa­bil­ité résul­tant de notre his­toire colo­niale. Il y a surtout les réflex­es de nom­breux anti­cléri­caux, francs-maçons ou non, qui ” bouf­fent du curé “, y com­pris cer­tains protes­tants devenus pour cette rai­son des toqués de Tariq Ramadan.
 
Qu’en est-il des autres communautés ?
Les Indochi­nois, les immi­grés européens et même les Africains non musul­mans s’adaptent bien mieux à la société et aux lois françaises.

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