Noeud riutier

Le problème du péage urbain

Dossier : Transport et développement durableMagazine N°523 Mars 1997Par : André LAUER ( 61), directeur du CERTU

Le péage urbain est une expres­sion qui, depuis plus de vingt ans, appa­raît épisodique­ment dans des écrits d’é­con­o­mistes ou de prospec­tivistes. Mais tout récem­ment, la grande presse l’a égale­ment util­isée, car, au moment de la pré­pa­ra­tion de la récente loi sur l’air, il a été envis­agé que celle-ci puisse instau­r­er un péage urbain. Mais cette sit­u­a­tion n’a pas duré longtemps : comme en de nom­breuses cir­con­stances antérieures, le con­cept a com­mencé par séduire, puis lorsqu’on a envis­agé de pass­er de la spécu­la­tion à l’ac­tion, la plu­part des per­son­nes ini­tiale­ment séduites ont changé d’avis et l’idée s’est enlisée.

À tra­vers une brève analyse de la con­sis­tance et des enjeux du péage urbain, nous allons essay­er de com­pren­dre les raisons du blocage d’une idée qui présente pour­tant bien des avantages.

Péage et péage

Nous définis­sons dans cet arti­cle le péage urbain comme “une forme quel­conque de paiement imposée aux auto­mo­bilistes pour pou­voir cir­culer en cer­tains endroits des zones urbaines”.

Nous lais­sons ain­si en dehors du champ le sta­tion­nement paiement. Mais cette exclu­sion est unique­ment motivée par le fait que celui-ci est aujour­d’hui passé dans les moeurs et ne sus­cite plus de grands débats sur son intérêt ou son accept­abil­ité. Par con­tre, se trou­vera man­i­feste­ment dans le champ une sit­u­a­tion comme celle du Tun­nel “Pra­do-Caré­nage” à Mar­seille où le pas­sage dans le tun­nel est soumis au paiement d’une somme d’en­v­i­ron 10 F par pas­sage. Cette inclu­sion sera pour­tant cri­tiquée par cer­tains. Ils estimeront que seules méri­tent d’être qual­i­fiées de véri­ta­ble péage urbain des sit­u­a­tions comme celle de Sin­gapour ou d’Oslo. Dans ces deux villes, il faut pay­er pour le fran­chisse­ment d’une ligne qui cein­ture la par­tie cen­trale de l’agglomération.

Mal­gré ces réti­cences, nous allons nous en tenir à notre déf­i­ni­tion. Des diver­gences d’ap­pré­ci­a­tion, nous déduirons plutôt qu’il fau­dra dis­tinguer plusieurs types de péage qui ne soulèveront sans doute pas les mêmes enjeux.

La dis­tinc­tion qui est faite le plus sou­vent est basée sur l’or­gan­i­sa­tion topologique de la per­cep­tion du péage, en opposant un péage de zone, à des péages linéaires ou ponctuels.

Ce n’est pour­tant pas l’ap­proche la plus per­ti­nente pour la réflex­ion sur l’in­térêt du péage urbain, et nous adopterons ici une autre dif­féren­ci­a­tion basée sur la final­ité économique et sociale à laque­lle répond le péage.

On peut, de ce point de vue, dis­tinguer trois grands types de péage :

  • le péage de financement ;
  • le péage de régulation ;
  • le péage d’orientation.


Beau­coup de malen­ten­dus et d’in­com­préhen­sion dans les débats sur le péage urbain provi­en­nent du fait que les inter­locu­teurs se réfèrent implicite­ment à deux notions de péage dif­férentes sans bien s’en ren­dre compte. Cha­cune de ces formes a d’ailleurs des affinités cul­turelles très typées : le péage de finance­ment est surtout latin, le péage de régu­la­tion anglo-sax­on et le péage d’ori­en­ta­tion plutôt nordique. Décrivons briève­ment cha­cun de ces types.


© DREIF

Péage de financement

Le péage de finance­ment con­siste à prélever sur des auto­mo­bilistes, qui cir­cu­lent en cer­tains endroits, les sommes néces­saires au finance­ment d’ou­vrages qui les intéressent. En France, on est famil­iarisé avec ce type de péage qui existe sur nos autoroutes interur­baines et qui tend main­tenant à appa­raître aus­si dans les grandes zones urbaines (Mar­seille, Lyon, Paris).

Par­mi les cas étrangers, celui d’Oslo mérite une men­tion par­ti­c­ulière. Son orig­i­nal­ité con­siste à décon­necter la local­i­sa­tion de la per­cep­tion du péage, de celle de l’ou­vrage à financer : le péage est perçu à la tra­ver­sée d’une ligne cor­don cein­tu­rant le cen­tre et sert à financer des tun­nels pour auto­mo­biles dans la par­tie cen­trale de l’ag­gloméra­tion. Si le péage avait été perçu dans les tun­nels, une par­tie des auto­mo­bilistes ne les aurait pas emprun­tés, alors que le but des tun­nels est au con­traire de dimin­uer le traf­ic restant en surface.

Péage de régulation

Dans le péage de régu­la­tion, l’ob­jec­tif n’est plus de prélever une recette, mais de mod­i­fi­er le com­porte­ment de l’au­to­mo­biliste. La recette encais­sée devient acces­soire ; l’essen­tiel est de dis­suad­er les auto­mo­bilistes de cir­culer, là où il y a con­ges­tion et à l’heure con­cernée. Le moyen con­siste à ajuster le mon­tant du péage au min­i­mum néces­saire pour rétablir la flu­id­ité de la circulation.

C’est cette approche du péage qui ren­con­tre le plus de suc­cès auprès des écon­o­mistes et une abon­dante lit­téra­ture lui est consacrée.

Pen­dant de nom­breuses années, Sin­gapour a été le seul endroit au monde où ce type de péage fut pra­tiqué. Mais depuis peu de temps le péage de régu­la­tion a sus­cité un fort intérêt aux USA sous l’ap­pel­la­tion “con­ges­tion pric­ing”. Une réal­i­sa­tion vient de voir le jour sur l’au­toroute 91 en Cal­i­fornie. Ces deux exem­ples cor­re­spon­dent à des sit­u­a­tions con­trastées en matière de topolo­gie de per­cep­tion : le cas de Sin­gapour illus­tre le principe de la per­cep­tion au fran­chisse­ment d’un cor­don, le cas des USA fait référence à une per­cep­tion linéaire.

Le péage de régu­la­tion a une par­tic­u­lar­ité déli­cate à saisir. À la dif­férence d’une fis­cal­ité tra­di­tion­nelle cor­re­spon­dant à un sim­ple trans­fert de richesse, il y a ici créa­tion nette de richesse. En effet, la mod­i­fi­ca­tion des com­porte­ments des auto­mo­bilistes induite par le péage fait dis­paraître la gêne qu’ils s’in­fli­gent mutuelle­ment en sit­u­a­tion ordinaire.

Une autre manière de présen­ter les choses con­siste à dire que l’au­to­mo­biliste qui paye le péage reçoit, en échange, une flu­id­ité de cir­cu­la­tion qui représente pour lui une valeur au moins com­pa­ra­ble (il aurait autrement adop­té un autre com­porte­ment). Il ne perd donc rien au total. De plus, la col­lec­tiv­ité publique qui perçoit le péage peut redis­tribuer du bien-être sup­plé­men­taire à ses mem­bres. On a donc en quelque sorte une mul­ti­pli­ca­tion par deux de la valeur du péage. Peu de per­son­nes com­pren­nent ce fait si sim­ple mais para­dox­al et en con­tra­dic­tion man­i­feste avec l’apho­risme pop­u­laire qui dit qu’on ne peut pas avoir “le beurre et l’ar­gent du beurre”.

Péage d’orientation

Le péage d’ori­en­ta­tion a, lui aus­si, pour but d’in­flu­encer le com­porte­ment des acteurs. Mais sa final­ité ne se lim­ite pas à influ­encer les choix dans un univers rel­a­tive­ment restreint et sup­posé con­nu et qui peut donc relever d’une cer­taine mod­éli­sa­tion économique (par exem­ple, pren­dre ou ne pas pren­dre sa voiture, à une cer­taine heure). L’am­bi­tion du péage d’ori­en­ta­tion est aus­si d’ori­en­ter des com­porte­ments qui ne se réduisent pas à des choix sim­ples mais relèvent d’ac­tiv­ités men­tales plus com­plex­es, telles que l’imag­i­na­tion et la créa­tiv­ité (par exem­ple, inven­tion d’un nou­veau mode de trans­port ou d’un nou­veau type d’of­fre résidentielle).

Le péage d’interface

Par­mi les mul­ti­ples organ­i­sa­tions topologiques pos­si­bles d’un péage urbain, le péage d’in­ter­face mérite une atten­tion par­ti­c­ulière. Il con­siste à lier l’oblig­a­tion de pay­er au fran­chisse­ment d’une ligne imag­i­naire con­sti­tuée par l’in­ter­face entre le réseau autorouti­er et la voirie urbaine ordi­naire. Le sché­ma don­né ci-dessous illus­tre ce mode d’or­gan­i­sa­tion pos­si­ble. Trois de ses avan­tages sont à citer : per­son­ne n’est obligé de pay­er, on peut aller d’un point quel­conque de la ville à tout autre sans pay­er, il suf­fit pour cela de ne pas pren­dre le réseau autorouti­er, les allergiques abso­lus, au prix de quelques sac­ri­fices d’it­inéraires, peu­vent donc échap­per au péage. Ensuite, des per­son­nes qui tra­versent la ville sans s’y arrêter n’ont pas besoin de pay­er, ceci écarte le seul argu­ment de fond que l’on pou­vait oppos­er à une ges­tion poli­tique locale du péage. Enfin, cette forme de péage per­met de faire pay­er plus cher les per­son­nes qui vont s’in­staller dans la périphérie urbaine loin du cen­tre ; la dis­per­sion de l’habi­tat en périphérie est en effet actuelle­ment une des plus fortes caus­es de crois­sance de la pol­lu­tion régionale et de l’émis­sion de gaz à effet de serre..

Schéma du péage d'interface urbain

Pour que chaque acteur con­tribue à faire évoluer la société dans le bon sens, il faut partout établir la “vérité des prix”. Ces prix vrais sont des “sig­naux” aidant à trou­ver les solu­tions les mieux adap­tées aux prob­lèmes de la société.

Dans cet esprit on fera donc pay­er à l’au­to­mo­biliste, chaque fois qu’il se déplace, le coût des nui­sances qu’il cause au reste de la société (bruit, pol­lu­tion, etc.). On appelle cela le principe “d’in­ter­nal­i­sa­tion des externalités”.

Pour illus­tr­er, par une car­i­ca­ture, le rôle de sig­nal d’un tel péage, imag­i­nons un auto­mo­biliste ten­té de s’in­staller dans une rési­dence assez éloignée du cen­tre-ville où il tra­vaille. Deux sit­u­a­tions pour­ront s’of­frir à lui :

  • ou bien le plaisir que lui pro­cure sa nou­velle demeure est suff­isant pour qu’il paye de bon coeur, à tous ses déplace­ments, une cer­taine somme à la société ;
  • ou bien le plaisir atten­du est insuff­isant et il renon­cera à déménager.


Dans le pre­mier cas, la société aura les moyens de sup­primer ou de com­penser les dom­mages causés par notre auto­mo­biliste heureux, et per­son­ne ne sera lésé dans une évo­lu­tion glob­ale­ment avan­tageuse ; dans le deux­ième cas, notre auto­mo­biliste renon­cera à sa nou­velle rési­dence, et ce sera aus­si une bonne chose pour la société.

En com­para­i­son avec le raison­nement économique tra­di­tion­nel qui est à la base du péage de régu­la­tion, on a là une approche plus sys­témique s’in­téres­sant davan­tage aux évo­lu­tions com­plex­es. Les écol­o­gistes et plus générale­ment les per­son­nes qui réfléchissent sur les prob­lèmes d’en­vi­ron­nement adoptent générale­ment cette approche du péage.

C’est sur elle que nous allons focalis­er l’in­térêt et nous l’ap­pellerons péage envi­ron­nemen­tal dans la suite du texte. Deux expres­sions-slo­gans la car­ac­térisent : le principe “d’in­ter­nal­i­sa­tion des exter­nal­ités” ou encore le principe “pol­lueur-payeur”. La pre­mière sent le jar­gon d’in­tel­lectuels fam­i­liers de l’ab­strac­tion, la sec­onde, large­ment équiv­a­lente en sens, est un appel bien plus direct au bon sens, mais elle intro­duit aus­si man­i­feste­ment une con­no­ta­tion morale.

Péage environnemental et péage de régulation

Le péage de régu­la­tion et le péage envi­ron­nemen­tal vien­nent d’être défi­nis à par­tir de deux démarch­es assez dif­férentes et l’on est donc tout naturelle­ment con­duit à se deman­der si elles sont antag­o­nistes ou au con­traire con­ver­gentes. Si l’on observe que la final­ité pre­mière du péage de régu­la­tion est d’amélior­er la flu­id­ité de la cir­cu­la­tion et donc le bien-être des auto­mo­bilistes, on est ten­té, influ­encé par le cliché de l’hos­til­ité irré­ductible entre auto­mo­bilistes et écol­o­gistes, de penser que ces deux formes de péage ne peu­vent être qu’antagonistes.

En fait, il n’en est rien, le péage urbain peut être béné­fique pour les deux enne­mis à la fois ! On peut d’ailleurs, en cher­chant à inté­gr­er les deux approches, définir une notion d’op­ti­mum glob­al. On mon­tre alors que le niveau de péage glob­ale­ment opti­mal est le plus élevé des opti­mums par­tiels résul­tant des deux approches indépen­dantes1. On est ici dans une logique de “jeu à somme pos­i­tive” et il est bien dom­mage que les parte­naires con­cernés ne s’en ren­dent pas compte.

Péage environnemental et péage de financement

Tel que nous avons intro­duit le péage envi­ron­nemen­tal à par­tir de l’ob­jec­tif d’ori­en­ta­tion des com­porte­ments, ce péage trou­ve une légitim­ité com­plète dans la seule instau­ra­tion du paiement, même si les fonds sont ver­sés au bud­get général de la col­lec­tiv­ité (en per­me­t­tant une baisse des autres impôts).

Mais dès lors que des fonds sont ren­dus disponibles, au titre d’un objec­tif d’en­vi­ron­nement, il peut être ten­tant d’en ren­dre autonome le réem­ploi et de le faire au titre du même objec­tif. Le péage envi­ron­nemen­tal devient alors en même temps péage de financement.

Il y a au moins deux bonnes raisons de procéder ain­si : l’une d’or­dre moral, l’autre d’or­dre psychologique.

Lorsqu’on affirme que le pol­lueur doit pay­er, il n’y a pas sim­ple­ment, dans l’ac­cep­tion courante de ce principe, l’ob­jec­tif d’ori­en­ter les com­porte­ments futurs du pol­lueur ; il y a aus­si l’idée qu’une “faute” a été com­mise et qu’il faut la “répar­er”. Lorsque des exter­nal­ités résul­tant de la cir­cu­la­tion auto­mo­bile sont effec­tive­ment répara­bles, on ne com­prendrait pas que le péage envi­ron­nemen­tal prélevé au titre des exter­nal­ités ne soit pas util­isé à les réparer.

La deux­ième rai­son, d’or­dre psy­chologique, recou­vre d’une cer­taine manière la précé­dente mais se situe sur un autre plan. Pay­er des impôts n’a jamais été pop­u­laire et l’on n’a jamais ven­du aux con­tribuables un impôt pour ses ver­tus pro­pres. Les impôts ne sont accep­tés que comme le moyen d’obtenir quelque chose qui a un intérêt en soi. Si, à l’ex­cep­tion de Sin­gapour, les seuls péages qui exis­tent au monde sont des péages de finance­ment, c’est cer­taine­ment pour cette raison.

Il ne paraît guère réal­iste d’imag­in­er qu’un péage envi­ron­nemen­tal soit accep­té quelque part par les citoyens, s’il n’est pas assor­ti d’un pro­jet com­plet de réem­ploi des fonds.

Péage environnemental, gestion politique locale

Le con­stat qui vient d’être fait a une con­séquence impor­tante, c’est que le péage urbain ne peut relever que d’une logique poli­tique locale. L’ac­cep­ta­tion du péage ne pour­ra se faire sur la base de con­sid­éra­tions générales sur son util­ité, elle ne pour­ra se faire que sur un pro­jet con­cret don­nant des avan­tages recon­nus comme suff­isants par ceux qui paieront. Seule l’au­torité poli­tique d’ag­gloméra­tion est en sit­u­a­tion de le faire. En out­re, si c’est elle qui est chargée de la respon­s­abil­ité du péage urbain, on sat­is­fait aus­si un principe élé­men­taire de démoc­ra­tie qui veut que le payeur soit l’électeur du décideur.

Péage environnemental et financement des transports en commun

Le finance­ment des trans­ports en com­mun paraît devoir con­stituer un réem­ploi priv­ilégié des fonds du péage envi­ron­nemen­tal pour plusieurs raisons qui méri­tent d’être explicitées.

Tout d’abord, avoir un pro­jet d’emploi des fonds à une fin générale­ment recon­nue comme utile est, comme on vient de le voir, essen­tiel à l’ac­cept­abil­ité du péage et le finance­ment des trans­ports en com­mun répond bien à ces exi­gences de con­cret et d’utilité.

Sur un plan d’équité sociale, le réem­ploi dans les trans­ports en com­mun présente égale­ment un intérêt à relever. Un des incon­vénients du péage urbain est que son instau­ra­tion con­duit à écarter de l’u­til­i­sa­tion de l’au­to­mo­bile, davan­tage les per­son­nes à revenus mod­estes que celles à revenus élevés. Il ne crée pas de dis­par­ités de revenus mais les rend plus vis­i­bles et plus sensibles.

Le réem­ploi des fonds pour le finance­ment des trans­ports en com­mun con­duira lui, au con­traire, à favoris­er plutôt les per­son­nes à revenus mod­estes dans la mesure où elles sont plus nom­breuses par­mi les util­isa­teurs de trans­ports en com­mun. Le péage peut ain­si pren­dre une fonc­tion très sociale puisqu’il réalise un trans­fert de fonds des class­es aisées vers les class­es défa­vorisées et, avec cer­taines formes d’or­gan­i­sa­tion du péage comme le péage d’in­ter­face (voir pre­mier encadré), ce trans­fert prend de plus un car­ac­tère volon­taire par oppo­si­tion à une fis­cal­ité obligatoire.

Sur un plan stricte­ment économique, le finance­ment des trans­ports en com­mun s’im­pose égale­ment car la néces­sité d’ap­porter un finance­ment pub­lic est une des “exter­nal­ités” du développe­ment con­sid­érable de l’usage de l’au­to­mo­bile. Elle n’est pas sou­vent perçue.

Pour­tant, avant le grand développe­ment de l’usage de l’au­to­mo­bile apparu après la Sec­onde Guerre mon­di­ale, l’ex­ploita­tion des trans­ports en com­mun urbains était une activ­ité économique de statut courant pleine­ment rentable. La con­cur­rence de l’au­to­mo­bile a d’abord érodé les marges béné­fi­ci­aires puis a con­duit jusqu’à la rup­ture. Les trans­ports publics urbains auraient dis­paru, s’il n’y avait pas eu déci­sion de les sub­ven­tion­ner, pour qu’ils con­tin­u­ent à exister.

À par­tir du moment où on a, dans ce con­texte, décidé d’af­fecter des fonds publics pour garder l’ex­is­tence de ce ser­vice pub­lic, il faut bien con­sid­ér­er que cette dépense est une exter­nal­ité du développe­ment de l’au­to­mo­bile. La cohérence économique impose de la traiter comme telle dans une démarche de péage d’orientation.

Obser­vons aus­si que, au con­traire, le mode de finance­ment pub­lic actuel des trans­ports en com­mun est pro­fondé­ment inco­hérent. Il est en effet assuré en grande par­tie par le “verse­ment trans­port”, c’est-à-dire une taxe sur les salaires, type de taxe dont l’i­nadap­ta­tion a été maintes fois soulignée, dans la sit­u­a­tion actuelle de chô­mage élevé. Une alter­na­tive à cette pra­tique est de plus en plus sou­vent souhaitée.

L’ac­cord Den­nis à Stockholm

Carte de l'accord DENIS, péage urbain à StockholmLes sué­dois pour­raient franchir au début de 1997 le point de non-retour dans l’in­stau­ra­tion du péage urbain à Stock­holm. Leur démarche illus­tre remar­quable­ment plusieurs idées exposées dans l’ar­ti­cle ; la néces­sité d’un débat de société et d’une mat­u­ra­tion des idées, la pos­si­bil­ité d’un com­pro­mis entre “auto­mo­bilistes” et “envi­ron­nemen­tal­istes” qui soit avan­tageux pour les deux, la néces­sité d’avoir un pro­gramme de réem­ploi des fonds et l’in­clu­sion dans ce pro­gramme d’un volet impor­tant de finance­ment des trans­ports publics.

Le débat dans la société sué­doise a duré plus d’une dizaine d’an­nées. Les pre­miers sondages d’opin­ion ont été très négat­ifs et ce n’est que vers 1990 qu’on s’est approché de l’équili­bre entre opposants et par­ti­sans. C’est à ce moment qu’a été engagée une négo­ci­a­tion entre tous les par­tis poli­tiques présidée par un ancien gou­verneur de la Banque Cen­trale, appelé Den­nis. Un accord a pu être trou­vé entre les trois plus grands par­tis politiques.

Chaque sen­si­bil­ité élec­torale y trou­ve quelque avan­tage, les auto­mo­bilistes auront la con­struc­tion de deux rocades d’évite­ment du cen­tre et les défenseurs de l’en­vi­ron­nement l’in­stau­ra­tion d’un péage décourageant l’u­til­i­sa­tion de l’au­to­mo­bile au cen­tre et le finance­ment d’un impor­tant pro­gramme de développe­ment des trans­ports en com­mun : bus, tram et RER.

L’ac­cord a été signé en 1992. Les par­tis qui y ont souscrit sont les soci­aux-démoc­rates, les con­ser­va­teurs et les libéraux, à not­er toute­fois que les écol­o­gistes sont restés en dehors, préférant adopter une stratégie dure. Cepen­dant, à l’ap­proche de l’échéance ultime du vote au par­lement, la grande presse et l’opin­ion sont rede­v­enues très cri­tiques à l’é­gard du pro­jet et, mal­gré l’ac­cord scel­lé entre par­tis poli­tiques, l’is­sue reste incertaine.

Stationnement payant

Bien que nous l’ayons lais­sé en dehors du champ de cet arti­cle, il nous faut évo­quer un instant le sta­tion­nement payant. Bien des per­son­nes con­sid­èrent que, puisque le péage urbain sus­cite trop de réti­cences, il suf­fit de se con­tenter de l’arme du sta­tion­nement payant et con­tin­gen­té, pour dis­suad­er de l’usage exces­sif de l’automobile.

Il y a, à l’év­i­dence, une part de vérité dans ce raison­nement. Le sta­tion­nement étant un élé­ment de la chaîne de déplace­ments, il est clair que le prix du sta­tion­nement con­tribue à influ­encer le choix d’une per­son­ne qui envis­age de se servir de son automobile.

Cepen­dant, il ne peut s’a­gir que d’un pal­li­atif car, pour d’autres enjeux, le sta­tion­nement payant est inopérant. Ain­si la ten­dance actuelle à aller habiter en zones péri­ur­baines, de plus en plus loin du cen­tre, n’est nulle­ment entravée par une pra­tique de restric­tion du sta­tion­nement, qui frappe de la même manière celui qui habite près de la ville que celui qui habite loin. Le sec­ond pol­lue pour­tant net­te­ment plus.

Libérer l’initiative et l’imagination

On a pu voir que le péage urbain bien util­isé a des avan­tages poten­tiels con­sid­érables. On peut se deman­der dans ces con­di­tions pourquoi cette idée n’a pas plus de suc­cès. Deux raisons appa­rais­sent facilement :

  • le péage est une forme d’im­pôt et évo­quer l’idée d’im­pôts est d’en­trée de jeu une source de désagrément,
  • la prob­lé­ma­tique du péage est assez abstraite et dif­fi­cile à com­pren­dre ; on s’en sera ren­du compte à la lec­ture de cet article.


Si l’on ajoute cette dif­fi­culté au désagré­ment précé­dent, on conçoit que peu de per­son­nes fran­chissent cette dou­ble barre. Et si elles le font, elles tombent encore sur deux pièges d’or­dre con­ceptuel, qui peu­vent les fourvoyer :

  • la réflex­ion sur le péage urbain se réfère sou­vent implicite­ment au mod­èle de Sin­gapour, qui est en fait loin d’être le seul et prob­a­ble­ment pas le mieux adap­té au con­texte français,
  • l’ap­proche du péage est sou­vent influ­encée par l’e­sprit jacobin et s’é­gare dans une voie sans issue qui con­sis­terait à instau­r­er le péage urbain par un proces­sus national.


Peut-on sor­tir de cette impasse ? Prob­a­ble­ment pas en une seule étape, et il faut chang­er d’ob­jec­tif pre­mier : ne plus vouloir “instau­r­er” le péage urbain, mais sim­ple­ment “ren­dre pos­si­ble” son instau­ra­tion. Aujour­d’hui, nos lois inter­dis­ent d’in­stau­r­er le péage dans des rues ou sur des routes exis­tant déjà.

La pre­mière étape serait de ren­dre l’in­stau­ra­tion du péage légale­ment pos­si­ble, à l’ini­tia­tive des autorités poli­tiques locales, avec tous les con­trôles démoc­ra­tiques jugés utiles (référen­dum local par exem­ple) pour éviter toute crainte d’abus. Ce n’est qu’à par­tir du moment où le péage sera pos­si­ble, que pour­ra se dévelop­per ensuite, dans la société civile, un vrai débat sur le fait qu’il soit souhaitable. Ce débat pour­ra alors faire émerg­er des organ­i­sa­tions pra­tiques bien adap­tées aux réal­ités locales qui pour­ront, elles, recueil­lir une adhé­sion large. En deux mots, il faut d’abord libér­er l’ini­tia­tive et l’imagination.

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1. Voir “le péage urbain”, CERTU, tél : 04.72.74.59.59.

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