Les enjeux économiques et environnementaux de la mobilité

Dossier : Transport et développement durableMagazine N°523 Mars 1997
Par Jean POULIT (57)

L’or­gan­i­sa­tion urbaine, celle de l’habi­tat comme celle de l’emploi ou des loisirs, sup­pose des échanges crois­sants au sein et entre des ter­ri­toires de den­sités vari­ables. La mobil­ité est ain­si dev­enue un des enjeux majeurs de la vie col­lec­tive — et de la vie quo­ti­di­enne. Car elle est un moyen indis­pens­able au bon fonc­tion­nement de la société.

Pour­tant cer­tains pensent qu’il faut lim­iter voire stop­per ce phénomène qui, selon eux, porte atteinte à l’en­vi­ron­nement, con­somme des éner­gies non renou­ve­lables, favorise la pol­lu­tion ou une expan­sion urbaine incon­trôlable. D’autres pensent que les échanges sont source de développe­ment économique mais aus­si de qual­ité de vie et de lib­erté, à con­di­tion de pren­dre les pré­cau­tions indis­pens­ables pour ne plus repro­duire les erreurs du passé en matière d’ur­ban­isme ou de con­cep­tion des infra­struc­tures. La lib­erté d’aller et venir n’est-elle pas un droit imprescriptible ?

Ce débat sur la mobil­ité urbaine tient une place crois­sante dans celui, plus large, sur le devenir de notre société. Il mon­tre bien que le bilan des échanges com­porte des fac­teurs posi­tifs (le ser­vice ren­du par les des­ti­na­tions économiques ou récréa­tives) et des fac­teurs négat­ifs (le coût du déplace­ment en temps et en argent, les nui­sances induites, les frais de main­te­nance des ouvrages empruntés).

Si les ques­tions sont nom­breuses et les déci­sions lour­des à pren­dre, elles ne sont pas nou­velles. Les villes se con­stru­isent depuis bien longtemps et des réseaux ont tou­jours été néces­saires pour les irriguer. Les déplace­ments des per­son­nes et des biens ont tou­jours été au cen­tre des préoc­cu­pa­tions urbaines. La ges­tion et l’or­gan­i­sa­tion, de même que l’u­til­ité ou la “désu­til­ité” de ces déplace­ments aussi.

Nous devons aujour­d’hui faire face aux besoins d’une vaste col­lec­tiv­ité. L’Île-de-France con­cen­tre près de 20 % de la pop­u­la­tion totale de la France sur seule­ment 2,2 % du ter­ri­toire nation­al. Cette grande métro­pole de plus de 10 mil­lions d’habi­tants se trou­ve ain­si con­fron­tée à des prob­lèmes de déplace­ment d’une ampleur exceptionnelle.

Mais nous ren­con­trons aus­si des con­stances remar­quables dans le com­porte­ment des pop­u­la­tions urbaines. Les enquêtes menées à inter­valles réguliers pour con­naître l’évo­lu­tion de la phy­s­ionomie des déplace­ments urbains en témoignent.

Des constances remarquables dans les échanges urbains

Pour pren­dre l’ex­em­ple de l’Île-de-France, les enquêtes effec­tuées au cours des vingt dernières années dans la foulée des recense­ments de pop­u­la­tion ont per­mis d’ap­préci­er des phénomènes essen­tiels à la com­préhen­sion, mais aus­si à la prévi­sion, des besoins de déplacements.

Tout d’abord, le nom­bre de déplace­ments reste sta­ble. Il tourne autour de 3,5 déplace­ments par per­son­ne et par jour, tous modes de trans­port con­fon­dus, y com­pris la marche à pied. Bien sûr les modes de déplace­ment évolu­ent : la part des déplace­ments motorisés s’ac­croît régulière­ment d’en­v­i­ron 1 % par an au détri­ment de la marche à pied. Ensuite, force est de con­stater que, con­traire­ment aux idées reçues, le temps con­sacré quo­ti­di­en­nement à se déplac­er n’évolue pas. Chaque déplace­ment représente en moyenne vingt-deux min­utes tous modes de trans­port con­fon­dus, ou vingt-neuf min­utes pour les seuls déplace­ments motorisés. Cette moyenne recou­vre des sit­u­a­tions divers­es mais sta­bles égale­ment. 42 % des déplace­ments sont d’une durée inférieure à dix min­utes (marche à pied incluse), moins de 10 % sont supérieurs à une heure et moins de 5 % supérieurs à une heure quinze.

Noeud routier
© DREIF-GOBRY

Le “bud­get temps” con­sacré par le Fran­cilien à ses échanges quo­ti­di­ens demeure con­stant, autour d’une heure trente. Il y a là une régu­la­tion qua­si biologique, con­statée non seule­ment en Île-de-France mais dans de nom­breuses métrop­o­les mon­di­ales (à Lon­dres ou Los Ange­les, la durée moyenne d’un déplace­ment est égale­ment de l’or­dre de vingt-sept à vingt-neuf minutes).

Il est pour­tant con­staté que la vitesse moyenne s’améliore. Les investisse­ments con­sen­tis pour amélior­er les trans­ports en com­mun et le réseau routi­er se sont traduits entre 1976 et 1990 par une hausse de la vitesse moyenne pondérée (porte à porte et à vol d’oiseau) de 1,5 km/h, pas­sant de 12,4 km/h à 13,9 km/h.

Si le temps de déplace­ment reste con­stant alors que la vitesse s’améliore, c’est que la portée des déplace­ments croît. Elle aug­mente ain­si de manière con­tin­ue de 0,86 % par an.

Les usagers utilisent donc la plus grande per­for­mance des réseaux (les gains de vitesse) pour accroître leur domaine acces­si­ble. Cette aug­men­ta­tion de l’e­space cou­vert à temps con­stant per­met d’ailleurs aux Fran­ciliens d’a­grandir leur “bassin de vie” de 1,72 % par an.

L’amélio­ra­tion des portées a égale­ment pour effet indi­rect de “dilater” l’ur­ban­i­sa­tion. La crois­sance annuelle de la pop­u­la­tion est plus mod­este que la crois­sance du ter­ri­toire cou­vert par les réseaux de transport.

En Île-de-France, la crois­sance moyenne de la pop­u­la­tion est de 0,61 % par an alors que l’aire agglomérée croît de 1,35 % (soit un peu moins que la crois­sance annuelle de l’e­space cou­vert par les trans­ports : 1,7 %). La den­sité moyenne baisse ain­si de 0,74 % par an. Ce phénomène est égale­ment observé dans toutes les métrop­o­les des pays économique­ment avancés.

La crois­sance des zones agglomérées va de pair avec la déden­si­fi­ca­tion. À la crois­sance quan­ti­ta­tive est asso­cié un phénomène d’é­panouisse­ment spa­tial, source de sat­is­fac­tion environnementale.

En ten­ant compte des effets de déden­si­fi­ca­tion urbaine, la crois­sance de l’u­nivers de choix de des­ti­na­tions atteint 0,98 % par an si l’on con­sid­ère les des­ti­na­tions économiques et 2,46 % par an pour les des­ti­na­tions récréatives.

Il ressort de ces con­stats que les gains de temps provo­qués par la mod­erni­sa­tion des réseaux sont immé­di­ate­ment trans­for­més par les acteurs économiques en recherche de des­ti­na­tions nou­velles plus per­ti­nentes, donc en pro­grès économique et en sup­plé­ment de PIB, sans que le temps de trans­port change. Nous mesurons ain­si tout l’in­térêt des réseaux de trans­port de per­son­nes et de biens pour la prospérité d’une agglomération.

De la même façon, la mod­erni­sa­tion des infra­struc­tures de trans­port aug­mente le nom­bre des des­ti­na­tions récréa­tives et fait pro­gress­er la sat­is­fac­tion de ceux qui en béné­fi­cient. Le citadin trans­forme le temps poten­tiel qu’il pour­rait économiser en sup­plé­ment de des­ti­na­tions de détente, donc en pro­grès récréatif.

L’amélio­ra­tion des réseaux de trans­port per­met donc d’at­tein­dre simul­tané­ment deux objec­tifs qui pou­vaient paraître incompatibles :
— d’une part, un objec­tif économique d’ac­croisse­ment de la var­iété et de l’ef­fi­cac­ité des des­ti­na­tions d’ac­tiv­ités et de ser­vices acces­si­bles, sans lesquelles il n’y a pas de vie urbaine possible ;
— d’autre part, un objec­tif récréatif d’ac­croisse­ment de la var­iété et de l’in­térêt des espaces de détente acces­si­bles, sans lesquels il n’y a pas de qual­ité de vie urbaine.

L’utilité économique et récréative des déplacements

Pour appréci­er la sat­is­fac­tion que les habi­tants pour­ront retir­er de leurs déplace­ments, la richesse de leur univers de choix est quan­tifi­able. Des méth­odes d’é­val­u­a­tion per­me­t­tent de con­naître l’u­til­ité économique et envi­ron­nemen­tale d’une poli­tique ou d’un pro­jet de trans­port asso­cié à une poli­tique ou un pro­jet d’urbanisme.

Com­ment éval­uer l’in­térêt sus­cité chez un citadin par les déplace­ments qu’il effectue ?

Cette notion est d’abord sim­ple et de bon sens : si une per­son­ne se déplace, c’est qu’elle a intérêt à le faire.

Il faut donc que l’in­térêt qu’elle porte au bien ou au ser­vice qu’elle va pou­voir se pro­cur­er en se déplaçant soit supérieur à l’in­térêt des biens ou ser­vices disponibles sur place. Il con­vient même que le sup­plé­ment d’in­térêt soit au moins égal à la valeur en temps et en argent qu’elle con­sacre à ce déplacement.

On peut se déplacer à pied
© DREIF-GOBRY

D’un point de vue plus large, la diver­sité des des­ti­na­tions d’ac­tiv­ités et d’af­faires, au sein de l’e­space acces­si­ble quo­ti­di­en­nement dans un temps de trans­port con­stant, est source d’ef­fi­cac­ité économique et de pro­duc­tiv­ité. Si l’on con­sid­ère les déplace­ments liés au tra­vail, un large marché d’employés per­met à un act­if de val­oris­er sa for­ma­tion pro­fes­sion­nelle ; inverse­ment, un large marché d’ac­t­ifs per­met à l’employeur d’or­gan­is­er effi­cace­ment son entre­prise. Plus le marché des emplois et des act­ifs acces­si­bles s’élar­git, plus la pro­duc­tiv­ité des hommes et des entre­pris­es pou­vant accéder à ce marché s’améliore. Un raison­nement sim­i­laire peut être appliqué aux déplace­ments liés à d’autres activ­ités urbaines comme les affaires pro­fes­sion­nelles ou per­son­nelles, ou encore les achats. Ils seront d’au­tant plus effi­caces que le choix des des­ti­na­tions poten­tielles sera riche.

Les analy­ses per­mis­es par les enquêtes de trans­port menées dans un grand nom­bre d’ag­gloméra­tions en France et à l’é­tranger (analy­ses basées sur la stricte appli­ca­tion de la théorie du sur­plus) mon­trent que les per­son­nes en sit­u­a­tion de choix de des­ti­na­tions attribuent à la diver­sité des des­ti­na­tions acces­si­bles à par­tir de leur lieu de rési­dence une valeur économique par­faite­ment identifiable.

À la pro­gres­sion mul­ti­plica­tive du nom­bre des des­ti­na­tions acces­si­bles dans un temps de trans­port don­né — ou plus exacte­ment dans un coût général­isé de trans­port don­né — les habi­tants asso­cient une pro­gres­sion linéaire du ser­vice ren­du par ces des­ti­na­tions. En d’autres ter­mes, le log­a­rithme du nom­bre des des­ti­na­tions acces­si­bles dans un temps don­né traduit la valeur attribuée à la diver­sité des des­ti­na­tions accessibles.

En défini­tive, si les temps de trans­port (ou les coûts de trans­port) ne vari­ent pra­tique­ment pas lorsque les infra­struc­tures devi­en­nent plus per­for­mantes et facili­tent la mobil­ité, en revanche, la valeur économique des des­ti­na­tions acces­si­bles pro­gresse rapidement.

Nous obser­vons aus­si que la vari­a­tion du ser­vice ren­du en fonc­tion de la taille de l’ag­gloméra­tion est stricte­ment iden­tique à la pro­gres­sion du PIB par act­if con­statée lorsque la taille de l’ag­gloméra­tion change, c’est-à-dire lorsque le choix des des­ti­na­tions aug­mente à temps de trans­port constant.

Amélior­er l’u­til­ité des échanges par des des­ti­na­tions plus nom­breuses reliées par des réseaux de trans­port crée du développe­ment — le développe­ment endogène — et crée des emplois durables, pas seule­ment des emplois de chantier ; ce qui con­stitue un enjeu économique et social majeur.

Afin d’il­lus­tr­er cet enjeu lié aux infra­struc­tures de trans­port, on estime que les 136 mil­liards de francs d’in­fra­struc­tures de voiries rapi­des inscrites au Sché­ma directeur de la région Île-de-France, approu­vé en avril 1994, induiront 48 mil­liards de francs de richess­es annuelles sup­plé­men­taires et 120 000 emplois durables. Les 140 mil­liards de francs d’in­fra­struc­tures de trans­port col­lec­tif inscrites à ce même sché­ma induiront de leur côté 21 mil­liards de francs de richess­es annuelles sup­plé­men­taires et 52 500 emplois durables.

Out­re leur effi­cac­ité économique, les échanges ont une véri­ta­ble effi­cac­ité récréa­tive. Les déplace­ments de loisirs représen­tent plus de 15 % des déplace­ments des Fran­ciliens. L’u­til­ité récréa­tive s’ex­prime par l’élar­gisse­ment des pos­si­bil­ités d’ac­cès aux loisirs et aux espaces de haute qual­ité envi­ron­nemen­tale, dans un temps de trans­port donné.

À la dif­férence de l’u­til­ité économique, qui pro­gresse avec la taille de l’ag­gloméra­tion, l’u­til­ité récréa­tive est très peu influ­encée par la taille des aggloméra­tions. En effet, les aggloméra­tions les plus impor­tantes, dont les espaces récréat­ifs sont plus comp­tés que ceux des aggloméra­tions plus mod­estes, com­pensent leur hand­i­cap par la puis­sance de leurs réseaux de transport.

Dévelop­pés, ces réseaux don­nent accès à de grands espaces de détente et écologiques encore inac­ces­si­bles il y a quelques années. Cette offre d’e­spaces accrue con­stitue un élé­ment essen­tiel pour la sat­is­fac­tion des besoins d’é­panouisse­ment des habi­tants et la qual­ité de vie dans une grande métropole.

Que ce soit dans le domaine économique ou dans le domaine envi­ron­nemen­tal, la trans­for­ma­tion, par les citadins, du temps gag­né poten­tiel en des­ti­na­tions nou­velles acces­si­bles est car­ac­téris­tique du phénomène urbain à l’oeu­vre depuis le début de la con­struc­tion des villes.

Avec la réal­i­sa­tion d’in­fra­struc­tures d’échange tou­jours plus per­for­mantes, l’u­til­ité brute (ou l’in­térêt brut) des biens et ser­vices per­ti­nents choi­sis au sein des biens com­mod­é­ment acces­si­bles a pro­gressé régulière­ment alors que le coût général­isé des échanges restait qua­si­ment con­stant. D’où le pro­grès économique endogène observé dans les aires mét­ro­pol­i­taines au fur et à mesure de leur développement.

Aujour­d’hui, le sup­plé­ment d’u­til­ité brute (au-delà de l’u­til­ité de base en sit­u­a­tion de bien ou ser­vice unique) est très supérieur au coût général­isé des déplace­ments : dans un rap­port de 5 à 1 en moyenne.

Ain­si, en Île-de-France, l’u­til­ité brute annuelle des échanges à voca­tion économique est de 220 000 F par act­if alors que le coût général­isé des déplace­ments con­tribuant à cette util­ité est de 50 000 F. En région lyon­naise, les valeurs sont respec­tive­ment de 150 000 F et de 30 000 F.

Une obser­va­tion sim­i­laire et du même ordre de grandeur peut être faite pour les échanges à voca­tion récréative.

Le poids des nuisances : l’économique au service de l’environnement

Tous ces avan­tages ne doivent pas faire oubli­er les fac­teurs négat­ifs des déplace­ments que sont prin­ci­pale­ment les coûts des trans­ports, les nui­sances induites et les frais de fonc­tion­nement des ouvrages.

Les nui­sances induites par le développe­ment des réseaux de trans­ports fig­urent au pre­mier rang des fac­teurs négat­ifs dans les préoc­cu­pa­tions des habi­tants mais aus­si de nom­breux acteurs insti­tu­tion­nels ou respon­s­ables poli­tiques. Quelles sont-elles ?

Trois prin­ci­pales nui­sances sont liées aux trans­ports : l’in­sécu­rité routière, le bruit et la pol­lu­tion atmosphérique.

La désu­til­ité de cha­cune des trois peut être éval­uée, tout au moins d’une manière approchée. Pour l’in­sécu­rité routière, des comités inter­na­tionaux ont attribué des coûts aux acci­dents cor­porels légers, graves et aux acci­dents mor­tels. Pour le bruit, dont les habi­tants des zones agglomérées sont très nom­breux à se plain­dre, la méth­ode con­siste à éval­uer le coût des équipements de pro­tec­tion que les riverains sont prêts à met­tre en place pour se pro­téger des nui­sances phoniques. Pour la pol­lu­tion atmo­sphérique, dev­enue ces dernières années un souci crois­sant des citadins, les équiv­a­lences sont plus dif­fi­ciles à établir. Elles résul­tent prin­ci­pale­ment d’é­tudes épidémi­ologiques sur l’ef­fet que les dif­férents pol­lu­ants émis peu­vent avoir sur la san­té des habitants.

Cal­culé sur ces bases, l’équiv­a­lent moné­taire des nui­sances donne le poids le plus lourd à l’in­sécu­rité routière, suiv­ie à égal­ité par le bruit et la pol­lu­tion atmo­sphérique. Toute­fois, les valeurs obtenues restent mod­estes com­parées à l’u­til­ité des des­ti­na­tions acces­si­bles éval­uée lorsque l’on exam­ine le poids respec­tif de l’u­til­ité des déplace­ments, du coût des échanges et de la valeur des nuisances.

En effet, quand on établit le bilan économique et envi­ron­nemen­tal d’un réseau de trans­port desser­vant des rési­dents échangeant leur savoir-faire et leurs com­pé­tences, accé­dant à des ser­vices ou des espaces récréat­ifs au sein d’un “bassin de vie” quo­ti­di­en, com­paré à une sit­u­a­tion où ces rési­dents seraient isolés, on con­state que les fac­teurs posi­tifs, c’est-à-dire l’u­til­ité des échanges économiques et des échanges récréat­ifs quo­ti­di­ens, pèsent 100 quand la valeur du coût des échanges (temps de trans­port et dépens­es moné­taires) pèse 20 et la valeur des nui­sances induites 1 à 2 (dont la moitié pour la seule insécurité).

Si cette com­para­i­son rel­a­tivise le débat sur la lutte con­tre la pol­lu­tion urbaine, elle mon­tre aus­si qu’en affec­tant ne serait-ce qu’une petite part de la richesse économique pro­duite par la ville et le sup­plé­ment de mobil­ité à la maîtrise tech­nique de la pol­lu­tion, on pour­ra réduire dras­tique­ment les nui­sances, sans porter atteinte à la mobilité.

Des solu­tions tech­niques exis­tent en effet pour réduire dans d’im­por­tantes pro­por­tions les émis­sions des prin­ci­paux pol­lu­ants pro­duits par la cir­cu­la­tion motorisée (oxy­des de soufre, oxy­des d’a­zote, ozone, monoxyde de car­bone, hydro­car­bu­res imbrûlés et poussières).

La réduc­tion des émis­sions à la source est au cen­tre des normes européennes Euro 1, Euro 2 et Euro 3 appliquées ou applic­a­bles aux véhicules neufs en 1996, 1998 et 2000. La réduc­tion des con­som­ma­tions uni­taires des véhicules nou­veaux est égale­ment un objec­tif réal­iste, car des pro­grès sont encore pos­si­bles. Sachant qu’au­jour­d’hui 20 % des véhicules en cir­cu­la­tion sont à l’o­rig­ine de la pol­lu­tion, le ren­force­ment des mesures de con­trôle tech­nique des véhicules sem­ble une mesure par­ti­c­ulière­ment effi­cace. La pro­mo­tion crois­sante des car­bu­rants pro­pres ou des véhicules élec­triques ou fonc­tion­nant au gaz de pét­role liqué­fié ou au gaz naturel est égale­ment un vecteur de progrès.

Il faut par ailleurs compter avec la mise en oeu­vre de mesures d’ex­ploita­tion de la voirie favorisant la flu­id­ité du traf­ic, car un véhicule blo­qué dans un bou­chon pol­lue trois fois plus qu’un véhicule cir­cu­lant régulière­ment sur une voie non encombrée.

Enfin, la réal­i­sa­tion d’in­fra­struc­tures routières de très grande qual­ité est une con­di­tion néces­saire à une amélio­ra­tion de la pol­lu­tion atmo­sphérique en dépit de l’aug­men­ta­tion de la portée des déplace­ments. Il n’est pas exact de dire que toute infra­struc­ture nou­velle est immé­di­ate­ment sat­urée. Les dif­fi­cultés de cir­cu­la­tion sont plutôt imputa­bles aux défauts dans le mail­lage des réseaux rapi­des, aux rup­tures de capac­ité des voies, à la moin­dre effi­cac­ité d’équipements anciens… qui doivent encore être combattus.

L’intégration de l’urbanisme et des transports

Il ne faut pas espér­er un trans­fert mas­sif des trans­ports indi­vidu­els vers les trans­ports col­lec­tifs dans des aggloméra­tions qui ont ten­dance, pour des raisons de qual­ité de vie, à se déden­si­fi­er. Ces modes de trans­port sont avant tout com­plé­men­taires. Les trans­ports col­lec­tifs répon­dent par­ti­c­ulière­ment bien à la desserte des zones urbaines dens­es et aux liaisons entre pôles dens­es. Les trans­ports indi­vidu­els sont, eux, le moyen de déplace­ment adap­té aux zones de moyenne et faible den­sités, dans lesquelles la demande est et sera la plus forte.

Dans ce con­texte, il importe, pour sauve­g­arder et dévelop­per l’é­conomie des zones urbaines, et en même temps la qual­ité de leurs espaces naturels ou de loisirs, d’adopter une vision dynamique de l’évo­lu­tion urbaine et de raison­ner à par­tir du con­cept d’in­té­gra­tion de l’ur­ban­isme et des trans­ports dans le respect de l’environnement.

Les options d’ur­ban­isme doivent favoris­er les organ­i­sa­tions mul­ti­po­laires et mul­ti­spa­tiales afin d’obtenir une par­faite imbri­ca­tion des domaines bâtis et des domaines récréat­ifs, source d’équili­bre et de qual­ité de vie.

Ce type d’or­gan­i­sa­tion est favor­able à l’usage des trans­ports col­lec­tifs que ce soit pour reli­er les zones dens­es ou pour sat­is­faire des déplace­ments de prox­im­ité. Mais il n’empêche pas l’ap­pari­tion et le développe­ment des phénomènes uni­versels de déden­si­fi­ca­tion glob­ale des aires urbaines et la crois­sance des échanges entre les zones périphériques.

Il ne serait donc pas réal­iste de blo­quer la réal­i­sa­tion d’in­fra­struc­tures autoroutières en milieu urbain néces­saires à la sat­is­fac­tion des besoins non trans­férables sur les trans­ports col­lec­tifs. Ces ouvrages ont en effet une dou­ble fonc­tion : désen­claver les sites en per­me­t­tant des échanges plus com­modes ; amélior­er l’en­vi­ron­nement en délestant les voies locales. Surtout ils doivent être un moyen au ser­vice d’un urban­isme de qualité.

Ces réal­i­sa­tions sup­posent des efforts con­sid­érables d’in­ser­tion dans le milieu urbain ou naturel pour sup­primer tous les effets de coupures et les nui­sances phoniques. Il est aus­si indis­pens­able de créer ou rétablir à l’oc­ca­sion des opéra­tions nou­velles des espaces paysagers de qualité.

Par­al­lèle­ment ces autoroutes bien conçues et bien inté­grées soula­gent les voies locales et doivent soutenir une poli­tique ambitieuse pour leur recon­quête au prof­it des habi­tants : paysage­ment des voies, traite­ment soigné des abor­ds, implan­ta­tion de mobili­er urbain, réal­i­sa­tion de plates-formes de trans­ports col­lec­tifs en site propre…

Seule une approche glob­ale des désu­til­ités de la mobil­ité pour la société urbaine et des avan­tages socio-économiques de cette même mobil­ité peut con­cili­er les objec­tifs de pro­grès économique et de pro­grès envi­ron­nemen­tal au sein des aggloméra­tions. Car la mobil­ité urbaine porte de nom­breuses ver­tus : développe­ment économique, développe­ment récréatif, créa­tion d’emplois. Sans elle, la ville perd son sens, l’u­nivers se rétréc­it, la vie régresse. Elle est l’essence même de la ville, de sa richesse d’échange et de son équili­bre durable.

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