Le Private Equity : pilier du financement des transitions

Dossier : Vie des entreprisesMagazine N°786 Juin 2023
Par Emmanuel LAILLIER (X94)

Pour financer les tran­si­tions actuelles qui redessi­nent nos sociétés, l’investissement et notam­ment le Pri­vate Equi­ty ont un rôle clé à jouer. Emmanuel Lail­li­er (X94), directeur du Pri­vate Equi­ty au sein de Tike­hau Cap­i­tal, nous en dit plus dans cet entre­tien et revient égale­ment sur le posi­tion­nement et la stratégie de l’asset man­ag­er dans ce cadre.

Dans un contexte marqué par de forts enjeux environnementaux et sociétaux, quel rôle doit jouer l’investissement ? Comment un acteur comme Tikehau Capital appréhende ce sujet ?

Tike­hau Cap­i­tal est un ges­tion­naire d’actifs alter­nat­ifs. Nous col­lec­tons ain­si l’épargne mon­di­ale afin de la fléch­er et de l’investir dans les besoins de l’économie réelle. Pour ce faire, nous sommes posi­tion­nés sur dif­férentes class­es d’actifs : le Pri­vate Equi­ty, qui per­met d’investir au cap­i­tal des entre­pris­es pour les accom­pa­g­n­er dans leur développe­ment et dans leur crois­sance, la dette privée et les act­ifs réels (immo­bili­er et infra­struc­ture). Tike­hau dis­pose aus­si d’une activ­ité nom­mée Cap­i­tal mar­kets straté­gies, qui gère les straté­gies à liq­uid­ité quo­ti­di­enne du Groupe, et opérant à tra­vers des fonds actions et obligations.

“Nous sommes positionnés sur différentes classes d’actifs : le Private Equity, qui permet d’investir au capital des entreprises pour les accompagner dans leur développement et dans leur croissance, la dette privée et les actifs réels (immobilier et infrastructure). ”

Au tra­vers de l’ensemble de ces class­es d’actifs, Tike­hau Cap­i­tal gère près de 40 mil­liards d’euros pour compte de tiers. Dans ce cadre, notre enjeu pre­mier est d’aller chercher du ren­de­ment, mais aus­si une forme d’impact sur les entre­pris­es que nous finançons, et plus large­ment sur la Société.

Nous voyons émerg­er plusieurs ten­dances : la néces­sité de faire évoluer les chaînes de valeurs, le souhait des con­som­ma­teurs pour de plus en plus de dura­bil­ité et une prise en compte plus forte de l’aspect humain par les acteurs économiques. Ces change­ments inci­tent les entre­pris­es à se trans­former, ce qui engen­dre des besoins de finance­ment. Nous les accom­pa­gnons dans cette démarche car nous sommes con­va­in­cus car nous sommes con­va­in­cus qu’elle est de nature à leur faire gag­n­er des parts de marché aux dépens d’entreprises ayant des mod­èles économiques plus traditionnels.

Dans ce cadre, quels sont les axes autour desquels s’articule votre politique d’investissement durable et responsable alors que vous privilégiez une logique d’investissement dit « ESG by design » ?

Au niveau du Pri­vate Equi­ty dont j’ai la respon­s­abil­ité, nous avons prin­ci­pale­ment trois axes d’investissement qui sont « ESG by design ». En 2018, nous avons lancé un fonds dont la voca­tion est d’accompagner la décar­bon­a­tion au tra­vers d’investissements dans des acteurs qui par­ticipent, avec leurs pro­duits ou leurs ser­vices, à décar­bon­er l’économie et à con­tribuer à cette tran­si­tion vers un monde bas car­bone. Dans ce cadre, nous nous sommes con­cen­trés sur trois axes : le développe­ment des éner­gies renou­ve­lables, l’efficacité énergé­tique, notam­ment des bâti­ments, et la mobil­ité bas car­bone (véhicule élec­trique, rail…). À l’époque, en 2018, Tike­hau Cap­i­tal était l’un des pre­miers asset man­agers à se posi­tion­ner sur ce seg­ment. Aujourd’hui encore, ce fonds est le plus impor­tant en Europe sur cette thé­ma­tique avec un mil­liard d’euros investi dans onze sociétés. Son déploiement se pour­suit actuellement.

Fin 2022, nous avons ren­for­cé notre plate­forme d’impact avec le lance­ment, en parte­nar­i­at avec AXA Cli­mate et Unilever, d’une nou­velle stratégie dédiée à l’investissement dans des pro­jets et des entre­pris­es qui sou­ti­en­nent et accélèrent la tran­si­tion vers une agri­cul­ture régénéra­trice. Les Nations Unies esti­ment que plus de 40 % des sols sont aujourd’hui dégradés, notam­ment du fait d’une exploita­tion inten­sive et de l’utilisation exces­sive d’engrais*. Or, les sols sont des réser­voirs de car­bone et per­me­t­tent de pro­duire 95% de la nour­ri­t­ure mondiale.

“Aujourd’hui encore, ce fonds est le plus important en Europe sur cette thématique avec un milliard d’euros investi dans onze sociétés.”

L’agriculture régénéra­trice se présente ain­si comme une alter­na­tive bas car­bone et plus respectueuse des sols, de la ressource en eau et de la bio­di­ver­sité. Elle priv­ilégie le recours à la chimie verte et aux tech­niques agri­coles plus adap­tées et s’appuie sur les nou­velles tech­nolo­gies, comme l’IA, pour être plus effi­cace et per­for­mante tout en réduisant son impact sur l’environnement de manière générale.

Enfin, nous avons une troisième stratégie, dite de cap­i­tal-crois­sance, se con­cen­trant sur les entre­pris­es aux objec­tifs durables affichés.
Les enjeux envi­ron­nemen­taux et socié­taux font par­tie inté­grante de notre stratégie d’investissement et sont au cœur de notre offre et de notre positionnement.

Concrètement, comment cela se traduit-il ? Pouvez-vous nous donner des exemples d’investissement que vous avez réalisés ?

Nous avons ain­si investi dans la société Isotrol, un édi­teur espag­nol de logi­ciels pour le pilotage de la per­for­mance des cen­trales solaires ou éoli­enne. Aujourd’hui, plus de 130 gigawatts de pro­duc­tion d’électricité renou­ve­lable dans le monde sont pilotés par ces solu­tions qui per­me­t­tent, entre autres, d’optimiser et d’augmenter le niveau de pro­duc­tiv­ité de ces infrastructures.

En France, nous avons notam­ment investi dans l’entreprise VALGO, qui est un spé­cial­iste du désami­antage, du déman­tèle­ment, de la dépol­lu­tion et de la réha­bil­i­ta­tion des sols, des frich­es et des sites indus­triels. Cette activ­ité représente un enjeu clé dans le cadre de la Loi ZAN (Zero Arti­fi­cial­i­sa­tion Nette). En effet, il s’agit doré­na­vant de réha­biliter les sites et frich­es indus­triels afin de con­stru­ire de nou­velles usines et d’éviter ain­si d’artificialiser des sols.

On peut aus­si citer l’entreprise GreenYel­low, qui était le pre­mier investisse­ment de notre fonds dédié à la décar­bon­a­tion en 2018. L’entreprise installe des pan­neaux pho­to­voltaïques sur le toit des hyper­marchés et développe des solu­tions d’efficacité énergé­tique qui per­me­t­tent à ces hyper­marchés de dimin­uer de près de 30 % par an leur con­som­ma­tion et donc leurs fac­tures énergé­tiques. Enfin, nous venons d’accompagner l’introduction en Bourse de la société ital­i­enne Eurogroup Lam­i­na­tions, sur la bourse de Milan.

Et dans cette démarche, quels sont les principaux enjeux et freins auxquels vous êtes confrontés ?

Notre prin­ci­pal défi est d’être en mesure d’accompagner effi­cace­ment la tran­si­tion écologique et énergé­tique de nos sociétés en porte­feuille. Pour ce faire, il est impor­tant d’avoir une stratégie claire et doc­u­men­tée adossée à des indi­ca­teurs per­ti­nents en ter­mes de per­for­mance. Par exem­ple, en matière de décar­bon­a­tion, nous mesurons dif­férents élé­ments comme la pro­duc­tion d’énergie renou­ve­lable, les émis­sions de CO2 évitées, ou encore l’empreinte car­bone des pro­duits et des ser­vices pro­posés par les sociétés dans lesquelles nous investis­sons… Pour notre stratégie dédiée à l’agriculture régénéra­trice, nous allons regarder plutôt l’impact sur la bio­di­ver­sité et les ressources naturelles.
Et au-delà du suivi de ces dif­férents indi­ca­teurs, nous nous enga­geons aus­si sur des objectifs.

Comment vous projetez-vous sur ces questions alors que nous visons la neutralité carbone à horizon 2050 et que la transition environnementale s’accélère ?

Pour attein­dre la neu­tral­ité car­bone, Tike­hau Cap­i­tal s’est doté d’un plan qui est struc­turé autour de plusieurs jalons. D’ici à 2030, notre objec­tif est de divis­er par deux nos émis­sions de CO2 en priv­ilé­giant l’investissement dans des sociétés qui vont nous per­me­t­tre de con­cré­tis­er ce but grâce à leur savoir-faire ou à des solu­tions tech­nologiques matures et éprou­vées. Nous nous enga­geons égale­ment à ce que d’ici à 2030, toutes les sociétés que nous accom­pa­gnons aient un plan de réduc­tion de leurs émis­sions validé par l’organisme SBTi.

Et pour conclure ?

Plus que jamais, la mobil­i­sa­tion de l’épargne et, in fine, le cap­i­tal-investisse­ment vers lequel cette épargne est fléchée, con­stituent l’un des prin­ci­paux leviers de finance­ment et d’accélération des transitions.


*(1) FAO, 2021. The State of the World’s Land and Water Resources for Food and Agri­cul­ture – Sys­tems at break­ing point. Syn­the­sis report. Rome

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