Moyen-courrier asiatique

Le moyen-courrier du futur épargnera le temps perdu

Dossier : Le transport aérienMagazine N°645 Mai 2009
Par Christian BOIREAU (70)
Par Gilles BORDES-PAGES

REPÈRES
Les avions sont une ressource chère et sont conçus pour une durée de vie de vingt-cinq à trente ans au min­i­mum. Les con­struc­teurs procè­dent en général à des lift­ings suc­ces­sifs au fur et à mesure des avancées tech­niques (matéri­aux com­pos­ites, par exemple).

Sur moyen-cour­ri­er, il existe une attente très forte de la part des com­pag­nies aéri­ennes de voir arriv­er de nou­velles généra­tions d’avions moins con­som­ma­teurs de car­bu­rant donc plus pro­tecteurs de l’en­vi­ron­nement et moins émet­teurs de CO2. Des avions entière­ment conçus from scratch (en par­tant de zéro) avec les tech­nolo­gies d’aujourd’hui.

Ailes volantes
Des rup­tures tech­nologiques sont quelque­fois évo­quées sur les cel­lules (con­cept d’ailes volantes ou autres avancées futur­istes), nul n’est en mesure aujourd’hui de s’avancer sur leur com­pat­i­bil­ité tech­nique avec les infra­struc­tures aéroportuaires.

Mal­heureuse­ment, cela ne sem­ble pas encore être pro­gram­mé chez les deux prin­ci­paux con­struc­teurs qui enten­dent bien exploiter leur gamme d’Air­bus A‑320 et de Boe­ing B‑737. Fab­ri­cants de cel­lules et motoristes ne parais­sent pas avoir aujour­d’hui de pro­jet franche­ment révo­lu­tion­naire pour des avions moyen-cour­ri­ers au terme envisagé.

Les tur­bines de type open fan qui sont dévelop­pées à titre expéri­men­tal pour­raient débouch­er sur une évo­lu­tion sig­ni­fica­tive, au moins pour les avions court-cour­ri­ers (temps de vol de l’or­dre d’une heure) car pour ces dis­tances les vitesses plus faibles d’ex­ploita­tion ne sont pas un gros hand­i­cap. Ces propulseurs peu­vent cepen­dant être plus bruyants, même si grâce à des sys­tèmes de dou­bles rotors con­traro­tat­ifs ” le bruit est com­bat­tu par le bruit “.

Pas de pro­jet révo­lu­tion­naire pour les avions moyencourriers

Le chal­lenge pour­rait venir de cer­tains pays émer­gents, mais là aus­si les espoirs sont faibles, car ces fab­ri­cants nou­veaux venus (brésiliens, russ­es ou chi­nois) sont plutôt ori­en­tés sur des mod­ules de petites tailles adap­tés au trans­port région­al mais restant de tech­nolo­gie éprou­vée. Les acteurs pro­fes­sion­nels sont égale­ment con­va­in­cus qu’au terme envis­agé (un quart de siè­cle), nous ne dis­poserons pas de réelle énergie alter­na­tive pour le trans­port aérien. Les com­pag­nies con­tin­ueront donc à acheter des avions avec des cel­lules plus ou moins mod­ernisées et des moteurs plus ou moins inno­vants mais fonc­tion­nant encore avec du kérosène ou pour une part avec du ” bio­car­bu­rant “. La ten­dance dic­tée par les trans­porteurs et que l’on peut déjà not­er porte sur la pro­gres­sion lente mais inex­orable de la taille des mod­ules pour en amélior­er l’ef­fi­cac­ité économique. En revanche, le coût du kérosène, qui sera néces­saire­ment élevé, peut inciter les avion­neurs à lancer un mod­èle d’avion, gros moyen-cour­ri­er de 200 à 250 sièges, avec deux allées cen­trales qui per­me­t­traient d’ac­célér­er les opéra­tions au sol.

Un besoin de mobilité

Le poids du carburant
Un fac­teur décisif sur le niveau de traf­ic vient du car­bu­rant, compte tenu du poids très impor­tant qu’il risque de représen­ter dans les coûts des com­pag­nies à cet hori­zon. Même si les pro­grès tech­nologiques et les efforts des com­pag­nies aéri­ennes per­me­t­tent d’en­vis­ager une diminu­tion pro­gres­sive de la con­som­ma­tion, il n’en demeure pas moins que la rareté du kérosène se traduira par une aug­men­ta­tion des coûts de celui-ci.

L’é­conomie mon­di­ale a un rôle déter­mi­nant sur la san­té du trans­port aérien : le développe­ment du trans­port aérien est directe­ment dépen­dant du développe­ment économique dont il est en retour un des vecteurs prin­ci­paux. Le besoin de mobil­ité s’ex­prime comme une pri­or­ité dès que les besoins vitaux (se nour­rir, se loger) sont satisfaits.

Aus­si l’aspi­ra­tion aux voy­ages fig­ure très tôt dans les préférences affichées par les indi­vidus, dès que le pou­voir d’achat aug­mente. Quant aux entre­pris­es, elles voient dans l’abaisse­ment pro­gres­sif des fron­tières un élar­gisse­ment de leur marché qui les oblige à voy­ager davan­tage. Ce con­stat sur l’im­pact de l’é­conomie dans le futur du trans­port aérien n’a rien d’un scoop : le besoin de mobil­ité restera crois­sant sur les vingt ou trente prochaines années.

Asiatique d’abord


Le moyen-cour­ri­er de demain sera d’abord intra-asiatique

Par-delà la per­spec­tive de trois méga-alliances au niveau mon­di­al (One World, Star Alliance et Sky Team), la déré­gle­men­ta­tion con­tin­uera à s’é­ten­dre vers l’Asie, au même titre que la logique d’open sky. L’émer­gence d’ac­teurs puis­sants en Asie vien­dra à terme ren­forcer ce dis­posi­tif de trois méga-alliances lorsque des com­pag­nies chi­nois­es ou indi­ennes en seront dev­enues des mem­bres influ­ents : le barycen­tre des échanges mon­di­aux se déplace lente­ment vers l’Asie. Ain­si pour ce qui con­cerne les flux de trafics estimés en intra-améri­cain, intraeu­ropéen et intra-asi­a­tique, les évo­lu­tions d’i­ci 2020 seront sig­ni­fica­tives : le traf­ic intra États-Unis qui en 2005 représen­tait 25 % des flux mon­di­aux ne devrait plus peser que 16 % en 2020. Tan­dis que le traf­ic intra-asi­a­tique qui ne représen­tait que 14 % des flux de l’aérien mon­di­al devrait attein­dre 18 %. Enfin, l’in­traeu­ropéen, qui pesait 9,5 % des flux mon­di­aux, devrait s’établir à 11,5 %. Le moyen-cour­ri­er de demain sera donc d’abord intra-asiatique.

L’abaissement pro­gres­sif des fron­tières oblige à voy­ager davantage

Si l’on se con­tente de se focalis­er sur l’Eu­rope élargie et le domes­tique, trois types d’ac­teurs prin­ci­paux desservi­ront ce marché : bien sûr encore les com­pag­nies de réseaux (les trois méga-alliances), mais aus­si les low-cost et les trains à grande vitesse. Essay­er de déter­min­er aujour­d’hui quelles parts de marchés respec­tives pren­dront ces dif­férents acteurs serait une belle tromperie car la con­ver­gence entre les low-cost, dont les coûts aug­mentent en même temps que leur âge et leur com­plex­ité, et les com­pag­nies de réseaux, qui arrivent par­al­lèle­ment à faire dimin­uer les leurs, est déjà engagée.

En out­re, si le rail à grande vitesse sem­ble avoir gag­né la par­tie en prenant la majorité du traf­ic pour les liaisons de moins de trois heures, il assure en revanche très mal les inter­con­nex­ions. Il sera devenu demain un nou­v­el enjeu de con­ver­gence par les investisse­ments que les dif­férents acteurs pour­ront faire entre eux, dès lors que le rail sera enfin libéral­isé (cas, par exem­ple, de la présence d’Air France sur la très grande vitesse ferroviaire).

Enfin, il con­vient de men­tion­ner que, dans cette économie de demain, la ” télé­trans­porta­tion ” (vidéo­con­férence, vidéo­présence…) pour­rait pren­dre plus d’im­por­tance, même si ces tech­niques peinent depuis vingt ans à s’en­racin­er dans les réflex­es du monde des affaires.

Les busi­ness jets
Un seg­ment par­ti­c­uli­er du trans­port, prisé par les hommes d’af­faires, est celui des busi­ness jets. Ce seg­ment, qui a con­nu un coup de jeune et un essor aux États-Unis grâce à l’ar­rivée des VLJ (Very Light Jets), aura prob­a­ble­ment plus de mal à s’im­pos­er en Europe en rai­son à la fois de la sat­u­ra­tion du traf­ic aérien et de son impact écologique com­paré au trans­port régulier.

Gagner du temps au sol

Le rail à grande vitesse assure mal les interconnections

On a sou­vent trop vite fait, quand on débat de l’évo­lu­tion du moyen-cour­ri­er, de sous-estimer la diver­sité des attentes des clients et de croire qu’en dehors de l’ar­bi­trage entre les prix et le pro­duit à bord, rien d’autre n’ex­iste. C’est mal con­naître le besoin de nom­breux clients qui ont réal­isé depuis longtemps que, dans un voy­age aérien d’une à deux heures, le plus long ce n’é­tait jamais le voy­age mais le temps per­du autour. À com­mencer par le temps pour se ren­dre à l’aéro­port qu’il faut aug­menter d’un temps de pré­cau­tion lié aux aléas de cir­cu­la­tion : qui n’a jamais pesté ou raté un avion à cause de l’ab­sence de véri­ta­ble desserte fer­rée et de la calami­teuse desserte routière de Roissy ?

Il faut aus­si un temps de pré­cau­tion sup­plé­men­taire pour le véri­ta­ble ” par­cours du com­bat­tant ” auquel cha­cun se trou­ve con­fron­té lorsqu’il faut faire la queue pour l’en­reg­istrement, puis pour le pas­sage des fil­tres de police et d’in­spec­tion. Que de stress accu­mulé, que de temps per­du avec, faut-il le rap­pel­er, une égal­ité de traite­ment dans le temps per­du des clients qui peu­vent pour­tant avoir payé des tar­ifs qui vont du sim­ple au quintuple !

Le rail à grande vitesse l’emporte pour les liaisons de moins de trois heures

De nom­breuses com­pag­nies ont dans leurs car­tons des pro­jets prenant en compte tout ce temps per­du. C’est là, au sol, que la bataille est à gag­n­er. Le trans­port aérien sur moyen-cour­ri­er en 2040 devrait donc être un trans­port flu­ide, facile, où le temps gag­né en vol ne serait pas per­du au sol. Les tech­niques de recon­nais­sance bio­métrique exis­tent déjà, elles seront général­isées d’i­ci là ain­si que les puces RFID (iden­ti­fi­ca­tion par radiofréquence) et tous les dis­posi­tifs facil­i­ta­teurs liés par exem­ple aux télé­phones mobiles (cartes d’embarquement, etc.).

La relation humaine

Les e‑technologies
Les clients ont con­sid­érable­ment évolué ces dix dernières années grâce aux ” e‑technologies “. Ils con­tin­ueront sur cette lancée et maîtris­eront mieux ces tech­niques fiables et sûres pour s’in­former, réserv­er, pré­par­er leur vol en toute lib­erté sur Inter­net ; obtenir leur carte d’ac­cès à bord sur Inter­net, sur borne libre-ser­vice en aéro­port ou sur télé­phone mobile ; mod­i­fi­er leur voy­age ; béné­fici­er de ser­vices tels que les itinéraires pour les cor­re­spon­dances, les sys­tèmes d’alerte sur les mobiles, etc.

Les solu­tions sur Inter­net (voir encadré) répon­dent à de vraies attentes des clients, mais ne rem­pla­cent en aucun cas la rela­tion humaine. Les nou­velles tech­nolo­gies per­me­t­tent de dégager les équipes de tâch­es à faible valeur ajoutée pour les recen­tr­er sur la rela­tion de ser­vice : assis­tance par­ti­c­ulière, prise en main en cas d’aléas, etc.

De plus, la vis­i­bil­ité extrême qu’of­frent les moteurs de recherche sur Inter­net a mod­elé l’ap­pré­ci­a­tion du con­som­ma­teur autour du critère de prix, rabais­sant le trans­port aérien au rang de ” com­mod­ité ” sur court et moyen-cour­ri­er et dimin­u­ant de façon sig­ni­fica­tive le poids des marques.

Dans le même temps, même si cela est apparem­ment para­dox­al, le référen­tiel des valeurs évolue aus­si chez le con­som­ma­teur, qui est de plus en plus sen­si­ble aux préoc­cu­pa­tions éthiques et écologiques. Cette évo­lu­tion peut alors con­duire à des choix de mar­ques jugées plus vertueuses que d’autres parce que com­mu­ni­quant mieux sur les valeurs porteuses.

Un développement durable

Le con­fort des vieux
La démo­gra­phie entraîne le vieil­lisse­ment moyen des pop­u­la­tions et cela aura des con­séquences sur la clien­tèle aéri­enne : néces­sité de con­fort, de cir­cuits courts, de lieux de repos et d’as­sis­tance de manière générale.

Impos­si­ble, enfin, de réfléchir à 2040 sans évo­quer un sujet qui jouera un rôle déter­mi­nant dans le secteur du trans­port dans les années à venir.

Il s’ag­it de l’émis­sion de gaz à effet de serre (le CO2 pour ce qui con­cerne les avions). Le trans­port aérien n’émet que 2 à 3 % du CO2 total d’o­rig­ine humaine, mais c’est déjà trop, surtout aux yeux d’une opin­ion publique qui veut ignor­er les pour­cent­ages rejetés par les autres activ­ités et l’on sait que les mythes ont la vie dure.

Le trans­port aérien est très facile à rançonner

La prise de con­science de ce que notre planète est en dan­ger est une très bonne chose à laque­lle tous les acteurs — com­pag­nies aéri­ennes en tête — doivent con­tribuer. Mais désign­er l’aérien comme bouc émis­saire n’est pas sérieux. Compte tenu de sa con­tri­bu­tion à l’é­conomie, c’est com­met­tre un con­tre­sens pro­fond sur ce qu’est le développe­ment durable. Les échanges de per­mis d’émis­sions éten­dus pro­gres­sive­ment à toutes les activ­ités humaines devraient peu à peu réguler et ren­dre plus rationnel le dis­cours actuel.

Le trans­port aérien détient aujour­d’hui le triste priv­ilège d’ap­pa­raître comme étant le plus pol­lu­ant et le plus futile alors que, dans le même temps, il est très facile à rançon­ner comme en témoigne la liste impres­sion­nante des tax­es et rede­vances dont il fait régulière­ment l’objet.

On peut espér­er qu’à l’hori­zon dont nous par­lons, dis­cours et actes seront devenus plus équita­bles dans ce domaine.

Tra­quer les con­som­ma­tions inutiles
Air France s’est lancée dans la traque sys­té­ma­tique aux con­som­ma­tions inutiles de car­bu­rant, tout en assur­ant la sécu­rité des vols et la réus­site des cor­re­spon­dances. Au sol, l’amélio­ra­tion de la ges­tion du traf­ic à Rois­sy-Charles-de-Gaulle va per­me­t­tre de dimin­uer les temps de roulage et d’at­tente. En vol, le pro­jet de ciel unique européen per­me­t­tra d’op­ti­miser les routes et donc réduire les dis­tances de vol. À bord, on peut gag­n­er du poids sur l’ensem­ble des équipements et du matériel, depuis les ver­res en plas­tique jusqu’à la doc­u­men­ta­tion papi­er des équipages, en pas­sant par les équipements de cab­ine (exem­ple, nou­veaux sièges plus légers) ou l’eau potable… L’amélio­ra­tion des infor­ma­tions fournies aux équipages per­met un cal­cul plus pré­cis de l’emport de car­bu­rant. Enfin, les pilotes ont la pos­si­bil­ité d’ap­pli­quer les procé­dures de vol les plus appro­priées pour con­som­mer moins de car­bu­rant : recherche per­ma­nente du niveau de vol et de la vitesse adap­tés, négo­ci­a­tion avec le con­trôle aérien de routes directes, roulage au sol avec un moteur coupé, etc.

Poster un commentaire