Les avions d’affaires du futur

Dossier : Le transport aérienMagazine N°645 Mai 2009
Par Bruno STOUFFLET (78)
Par Philippe ROSTAND (83)

REPÈRES
Les avions d’affaires représen­tent aujourd’hui une flotte com­pa­ra­ble en nom­bre à celles des avions com­mer­ci­aux. On dénom­bre env­i­ron 27 000 avions d’affaires dont plus de 15 000 avions à réac­tion dans le monde. Le marché, autre­fois forte­ment con­cen­tré sur le con­ti­nent nord-améri­cain, est doré­na­vant planétaire.

Longtemps perçus comme des attrib­uts de luxe, les avions d’af­faires s’im­posent aujour­d’hui comme des out­ils de tra­vail adap­tés au con­texte de l’é­conomie mon­di­al­isée en offrant avec un min­i­mum de préavis la capac­ité d’ac­céder au plus près du lieu final de des­ti­na­tion dans n’im­porte quel endroit du monde. Conçus comme de véri­ta­bles bureaux volants, dotés de moyens de com­mu­ni­ca­tion les plus sophis­tiqués, ils pro­lon­gent ” en tout con­fort ” l’en­vi­ron­nement de tra­vail et de détente de leurs passagers.

Il faut simul­tané­ment pro­pos­er une plate­forme d’aéronef et des con­cepts d’emploi

Attein­dre rapi­de­ment une alti­tude de vol élevée, au-dessus du traf­ic com­mer­cial, pou­voir décoller et atter­rir sur des pistes cour­tes, sat­is­faire aux con­traintes locales de bruit, garan­tir un haut niveau de fia­bil­ité com­pat­i­ble avec des opéra­tions en tout point de la planète et assur­er une facil­ité de pilotage et de mise en oeu­vre con­stituent les prin­ci­paux atouts de ces avions.


Empreinte au sol com­parée d’un Fal­con « tech­nolo­gie an 2000 » et d’un con­cept d’avion d’affaires « ultra-vert ».

Ils sont con­fron­tés aux mêmes enjeux et défis que les avions de ligne, mais présen­tent quelques spé­ci­ficités. Le pre­mier des enjeux est envi­ron­nemen­tal : l’avi­a­tion d’af­faires s’in­scrit dans la démarche de réduc­tion de l’empreinte envi­ron­nemen­tale portée par les ambitieux objec­tifs de l’Acare1. Cela demande un effort de recherche majeur. Il s’ag­it en effet pour leur mise en appli­ca­tion effec­tive à l’hori­zon 2020 de porter à une matu­rité suff­isante des tech­nolo­gies per­me­t­tant une forte réduc­tion des nui­sances : 50 % pour le nom­bre de riverains con­cernés par le bruit des avions au décol­lage et à l’at­ter­ris­sage, 50 % pour les émis­sions de CO2, et même 80 % pour les émis­sions de Nox. Et cela par com­para­i­son des niveaux obtenus par les tech­nolo­gies des années 2000, avec bien enten­du la con­trainte de main­tenir et même élever le niveau de sécurité. 

Des besoins et enjeux spécifiques

Bien qu’elle partage ces objec­tifs avec l’avi­a­tion com­mer­ciale, l’avi­a­tion d’af­faires a cepen­dant un cer­tain nom­bre de spé­ci­ficités. Du fait à la fois de ses modes opéra­toires pro­pres (en par­ti­c­uli­er opéra­tions à par­tir des aéro­ports de l’avi­a­tion générale, donc de pistes cour­tes sou­vent en milieu urbain et égale­ment croisière à très haute alti­tude) et des con­traintes d’en­com­bre­ment des avions de petite taille, les points de dimen­sion­nement en con­cep­tion et les con­di­tions d’in­té­gra­tion pour attein­dre ces objec­tifs sont pour une bonne part spé­ci­fiques. Néan­moins, il est indis­pens­able d’établir avec l’avi­a­tion com­mer­ciale des pro­grammes com­muns de développe­ment tech­nologique pour en partager les coûts (voir encadré en fin d’article).

Le pre­mier domaine d’évo­lu­tion con­cerne l’of­fre que le con­struc­teur d’un avion d’af­faires doit met­tre à la dis­po­si­tion de ses clients : il faut simul­tané­ment pro­pos­er une plate­forme d’aéronef et des con­cepts d’emploi de celle-ci dans son envi­ron­nement, per­me­t­tant d’of­frir un ser­vice inté­gré. Des inno­va­tions impor­tantes sont atten­dues en termes :

— de capac­ité de diag­nos­tic embar­qué, cou­plée à un sys­tème de sou­tien opti­misé, pour une part à dis­tance, afin de per­me­t­tre une disponi­bil­ité max­i­male de l’avion pour des opéra­tions à par­tir de ter­rains sans infrastructures,
— d’as­sis­tance dans la con­duite de la plate­forme, dans toutes les phas­es de la mis­sion, appor­tant à la fois une sécu­rité accrue et une disponi­bil­ité plus grande du per­son­nel nav­i­gant pour la ges­tion de la mission,
— de capac­ités de com­mu­ni­ca­tion à la fois au prof­it des pas­sagers (con­cept de bureau volant con­nec­té) et au prof­it de l’équipage et de la con­duite de la plate­forme (con­cept d’In­ter­net du ciel),
— des moyens et des procé­dures de nav­i­ga­tion per­me­t­tant des opéra­tions à la fois flex­i­bles et sûres : procé­dures d’ap­proche ou de décol­lage don­nant l’ac­cès au plus grand nom­bre de ter­rains par tous les temps et en maîtrisant les nui­sances aux riverains, capac­ité à réalis­er une croisière à finesse max­i­male et donc d’alti­tude con­tinû­ment crois­sante au fur et à mesure de l’al­lége­ment de l’avion, à moyen terme capac­ité de sépa­ra­tion avec le reste de la cir­cu­la­tion en autonome, capac­ité de réal­i­sa­tion de tra­jec­toires ” 4D ” (espace + temps) et plus glob­ale­ment capac­ité d’in­té­gra­tion dans le futur ATM (Air Traf­fic Man­age­ment) dévelop­pé dans le cadre du pro­gramme Sesar2 en Europe et de NextGen3 aux États-Unis.

Main­tenir la com­péti­tiv­ité de pro­duits conçus et assem­blés dans des pays à coûts salari­aux élevés

En grande par­tie, les développe­ments cor­re­spon­dants sont sim­i­laires à ceux qu’en­tre­pren­dra l’avi­a­tion com­mer­ciale, les opéra­tions devant s’in­té­gr­er dans un ciel unique qui com­pren­dra égale­ment l’avi­a­tion générale. Cepen­dant, les con­cepts d’emploi des avions d’af­faires sont pour une part spé­ci­fiques, du fait des opéra­tions atten­dues par leurs clients. On peut citer en par­ti­c­uli­er les opéra­tions depuis les aéro­ports en prox­im­ité des cen­tres urbains, qui néces­si­tent pour rester accept­a­bles par les riverains un niveau d’op­ti­mi­sa­tion très avancé (voir encadré).


Approches inno­vantes à base de tra­jec­toires courbes (ici pour éviter des obsta­cles au voisi­nage du ter­rain) qui sont dès aujourd’hui d’actualité pour les avions d’affaires.

L’agilité des avions d’affaires est mise à prof­it pour éla­bor­er des tra­jec­toires évi­tant les con­cen­tra­tions urbaines. Ces tra­jec­toires élaborées – comme les tra­jec­toires à pente non con­stante ou courbes – sont ren­dues pos­si­bles par les évo­lu­tions des moyens de guidage (guidage GPS sécurisé prin­ci­pale­ment); elles sont aujourd’hui réservées à des cir­con­stances (aéro­port, avion, équipages) spé­ci­fiques dans le cadre de procé­dures spé­ciales du type RNP SAAAR (Required Nav­i­ga­tion Per­for­mance, Spe­cial Air­craft and Air­crew Autori­sa­tion Required) et devront demain être général­isées. L’exemple ci-dessus illus­tre un tel type d’approche.

Maintenir la compétitivité par la différenciation


Maque­tte de souf­flerie d’avant-projet d’avions d’affaires super­son­iques réal­isée dans le cadre du pro­jet européen Hisac du 6e pro­gramme cadre de recherche et développement

Autre série d’en­jeux, les enjeux de com­péti­tiv­ité, ren­for­cés dans un monde glob­al­isé où des acteurs issus de pays émer­gents avec des coûts bien plus faibles appa­rais­sent dans le monde des avions d’af­faires d’en­trée de gamme. À ce titre, l’in­tro­duc­tion de dif­féren­ci­a­teurs en per­for­mance deman­dant une maîtrise fine du dimen­sion­nement d’un avion tels qu’une capac­ité de vitesse de croisière aug­men­tée, et éventuelle­ment supérieure à la vitesse du son, de croisière à haute alti­tude per­me­t­tant de se dégager des couloirs de l’avi­a­tion de trans­port et de capac­ité à atter­rir et décoller depuis des pistes cour­tes et étroites, reste un gage de compétitivité.

Par ailleurs, la recherche d’amélio­ra­tion des proces­sus et de con­cep­tions plus effi­caces est un enjeu clé pour réduire les coûts de pro­duc­tion et en con­séquence main­tenir la com­péti­tiv­ité de pro­duits conçus et assem­blés dans des pays à coûts salari­aux élevés.

Technologies et concepts pour le futur

Les avions qui entreront en ser­vice en 2020 seront défi­nis et dimen­sion­nés quelques années aupar­a­vant (typ­ique­ment qua­tre à cinq ans). Cepen­dant pour per­me­t­tre le choix per­ti­nent puis le développe­ment effi­cace des tech­nolo­gies qu’in­té­greront ces avions, des avant-pro­jets dits ” con­ceptuels ” sont créés afin de ” met­tre en sit­u­a­tion ” et fédér­er les développe­ments en explo­rant les con­cepts d’avion ren­dus possibles.

Des avant-pro­jets dits « con­ceptuels » sont créés afin de « met­tre en sit­u­a­tion » et fédér­er les développements

Deux avant-pro­jets con­ceptuels d’avions d’af­faires décrits ci-dessous illus­trent cette démarche. Le pre­mier pré­fig­ure un avion d’af­faires à ray­on d’ac­tion moyen ” ultra-vert “. Il intè­gre l’ensem­ble des tech­nolo­gies promet­teuses visant à réduire émis­sions et bruit. Par­mi les tech­nolo­gies inté­grées dans ce con­cept et per­me­t­tant des gains envi­ron­nemen­taux impor­tants, on peut citer :

— une voil­ure lam­i­naire en com­pos­ite, inté­grant des tech­nolo­gies d’ac­tion­neur fluidique,
— une con­fig­u­ra­tion d’ar­rière-corps per­me­t­tant de réfléchir les sources de bruit moteur vers le haut, — un train d’at­ter­ris­sage caréné et des hyper­sus­ten­ta­teurs faible bruit,
— des sys­tèmes de ges­tion de l’én­ergie et d’ac­tion­nement tout électriques,
— un guidage évolué per­me­t­tant l’op­ti­mi­sa­tion envi­ron­nemen­tale des trajectoires.


Con­cept d’avion d’affaires « ultra-vert ».

Le sec­ond pré­fig­ure un avion d’af­faires à long ray­on d’ac­tion, ultra-per­for­mant à tous points de vue, y com­pris sur le plan envi­ron­nemen­tal, et en par­ti­c­uli­er très rapi­de. Il intè­gre l’ensem­ble des tech­nolo­gies per­me­t­tant une croisière rapi­de la plus effi­cace pos­si­ble. Par­mi les tech­nolo­gies inté­grées dans ce con­cept et per­me­t­tant des gains de per­for­mance impor­tants, on peut citer :

— un sys­tème d’hy­per­sus­ten­ta­tion très per­for­mant, per­me­t­tant de maîtris­er le dimen­sion­nement voil­ure sans pénal­ité sur l’ef­fi­cac­ité en croisière,
— un con­trôle adap­tatif des charges et des défor­ma­tions de la voilure,
— un sys­tème per­me­t­tant l’an­nu­la­tion des bruits et vibra­tions en cabine,
— un sys­tème de com­man­des de vol per­me­t­tant l’u­til­i­sa­tion de con­fig­u­ra­tions aéro­dy­namiques plus effi­caces (tri­plan en particulier),
— un sys­tème de com­mu­ni­ca­tion mod­u­laire et de très haute capac­ité inté­grable sur les avions d’affaires,
— un sys­tème de diag­nos­tic embar­qué per­me­t­tant une disponi­bil­ité totale.

En par­al­lèle de ces développe­ments tech­nologiques, les évo­lu­tions décrites précédem­ment néces­siteront le développe­ment de nou­velles archi­tec­tures du sys­tème embar­qué ain­si que des évo­lu­tions de cock­pit adap­té aux futurs types d’opéra­tions. Là aus­si, les solu­tions qui seront retenues devront être com­pat­i­bles avec l’emploi et les opéra­tions des avions d’af­faires afin de val­oris­er sou­p­lesse d’u­til­i­sa­tion et haute fiabilité.


Con­cept d’avion à haut niveau de service

Das­sault Avi­a­tion délivre près de 40 % du marché mon­di­al sur le seg­ment haut de gamme des avions à large cab­ine et long ray­on d’ac­tion avec la famille des Fal­con dans un con­texte de con­cur­rence essen­tielle­ment nord-américaine.
La société pour­suit une démarche de coor­di­na­tion des développe­ments tech­nologiques avec ceux de l’avi­a­tion com­mer­ciale pour partager une part des coûts asso­ciés à leur val­i­da­tion avant appli­ca­tion, en par­tic­i­pant notam­ment au pro­gramme européen de démon­stra­tion tech­nologique Clean Sky qui représente une activ­ité de recherche sans précé­dent pour un mon­tant de 1 600 Me (dont 800 Me de finance­ment des indus­triels). Ce pro­jet dont la durée ini­tiale a été fixée à sept ans regroupe les prin­ci­paux don­neurs d’or­dre par­mi lesquels les avion­neurs, les motoristes, les équipemen­tiers, des PME inno­vantes et des insti­tuts de recherche.
Elle a engagé depuis plusieurs années la révo­lu­tion numérique de ses proces­sus de con­cep­tion et de fab­ri­ca­tion ; la mise en place, dans le cadre du pro­gramme de développe­ment du Fal­con 7X, d’un bureau d’é­tudes en plateau col­lab­o­ratif physique puis virtuel avec de mul­ti­ples parte­naires a été une pre­mière mondiale.

1. Acare : Advi­so­ry Coun­cil for Aero­nau­ti­cal Research in Europe.
2. Sesar : développe­ment du futur Sin­gle Euro­pean Space.
3. NextGen : développe­ment du futur ATM aux États-Unis.

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