La navigation par satellite à l’heure européenne : Egnos et Galileo

Dossier : Le transport aérienMagazine N°645 Mai 2009
Par Alain JULIER (89)
Par Gonzague BERTIN DE LA HAUTIÈRE (02)

Sous la forme d’un petit appareil accroché der­rière le pare-brise, le GPS envahit notre quo­ti­di­en. L’ap­pareil déter­mine sa posi­tion en cal­cu­lant la dis­tance qui le sépare de plusieurs satel­lites de la con­stel­la­tion GPS. Ce sys­tème dévelop­pé par le min­istère de la Défense améri­cain s’est irréversible­ment inséré dans notre vie, à la manière d’In­ter­net ou des télé­phones porta­bles, sus­ci­tant quelques inter­ro­ga­tions. Une coupure totale du ser­vice par les mil­i­taires améri­cains n’est pas à crain­dre, car les civils améri­cains, à com­mencer par l’avi­a­tion, sont les pre­miers à en avoir besoin. En revanche une dégra­da­tion locale est possible.

La con­fi­ance d’un auto­mo­biliste dans le GPS est accrue par les algo­rithmes du nav­i­ga­teur embar­qué qui posi­tion­nent le véhicule sur la route par défaut et lis­sent la tra­jec­toire. Cela aug­mente l’im­pres­sion de pré­ci­sion, mais celle-ci est rapi­de­ment mise en défaut lorsque la voiture emprunte une sor­tie d’au­toroute alors que l’écran indique qu’elle roule tou­jours sur la voie rapi­de. Que penser alors des usages met­tant en jeu la vie des per­son­nes : avions, bateaux, trains, route ?

Repères
Le min­istère de la Défense améri­cain a ouvert son ser­vice de GPS au pub­lic sous le prési­dent Rea­gan, suite au drame du B‑747 de la Kore­an Air­lines abat­tu par un chas­seur sovié­tique Su-15 le 1er sep­tem­bre 1983 parce qu’il sur­volait par erreur l’e­space aérien sovié­tique (269 morts !). En mai 2000, le prési­dent Bush per­mit l’ou­ver­ture de ce ser­vice sans dégra­da­tion volon­taire, la Selec­tive Avail­abil­i­ty, qui lim­i­tait la pré­ci­sion à une cen­taine de mètres. Cette déci­sion était liée à l’u­til­i­sa­tion mas­sive de récep­teurs civils par les troupes améri­caines lors de la guerre du Golfe et à l’es­sor de sys­tèmes de cor­rec­tion de type Egnos ou DGPS. Enfin le 19 sep­tem­bre 2007, le min­istère de la Défense a annon­cé offi­cielle­ment que la Selec­tive Avail­abil­i­ty ne serait plus pos­si­ble avec les satel­lites de prochaine généra­tion GPS III.

Les limites du GPS

Le ser­vice GPS peut être dégradé par des erreurs au niveau du satel­lite ou liées à la dif­fu­sion des sig­naux. Des solu­tions exis­tent pour réduire celles-ci.

Même si le GPS four­nit cer­tains ser­vices gra­tu­its, il n’est pas inutile de dévelop­per des sys­tèmes con­cur­rents. Par analo­gie Microsoft Inter­net Explor­er est ” gra­tu­it ” et néan­moins con­cur­rencé par Fire­fox, gra­tu­it lui aus­si. La con­cur­rence est moteur d’in­no­va­tion ; la gra­tu­ité n’in­ter­dit pas la concurrence.

La con­cur­rence est moteur d’innovation

L’avi­a­tion civile tir­erait beau­coup de la nav­i­ga­tion par satel­lite, mais ne peut se con­tenter d’u­tilis­er le GPS seul. Quelle serait la respon­s­abil­ité du gou­verne­ment améri­cain et de son min­istère de la Défense, dans un acci­dent d’avion lié à une défail­lance du GPS ? L’Eu­rope ambi­tionne de pal­li­er les défauts du GPS avec d’une part Egnos qui four­nit aujour­d’hui un ser­vice ouvert et n’at­tend plus que la cer­ti­fi­ca­tion pour l’ou­ver­ture de ser­vices aéro­nau­tiques ; d’autre part Galileo, sys­tème qui assur­era une cou­ver­ture mon­di­ale, indépen­dante du GPS.

Egnos trace la route

Les per­for­mances d’Egnos
Qua­tre mots-clés car­ac­térisent le sys­tème : pré­ci­sion mesurée par la dif­férence entre posi­tions réelle et estimée ; con­ti­nu­ité définie par la prob­a­bil­ité que le sys­tème soit disponible à l’in­stant suiv­ant (elle est par­ti­c­ulière­ment impor­tante pour les avions en phase d’ap­proche) ; intégrité, représen­tée par le degré de con­fi­ance qu’un util­isa­teur peut avoir dans la posi­tion cal­culée et exprimée comme la prob­a­bil­ité que la posi­tion réelle sorte du niveau de pro­tec­tion req­uis ; et enfin disponibilité.

Egnos détecte les défail­lances du GPS et en aver­tit dans un temps très court un util­isa­teur n’im­porte où en Europe. Pour cela, il dis­pose d’un réseau de 34 sta­tions récep­tri­ces qui com­par­ent leurs posi­tions cal­culées grâce au GPS avec leurs posi­tions préal­able­ment con­nues pour en déduire une erreur locale. Elles trans­met­tent ces don­nées à des cal­cu­la­teurs déter­mi­nant des cor­rec­tions à appli­quer par un util­isa­teur n’im­porte où quelle que soit sa local­i­sa­tion en Europe. Ces cor­rec­tions sont trans­mis­es par l’in­ter­mé­di­aire de 3 satel­lites géo­sta­tion­naires avec une redon­dance per­me­t­tant une grande disponi­bil­ité. Le sys­tème Egnos est actuelle­ment déployé en Europe et son sig­nal est dif­fusé depuis plus de trois ans. Il n’a souf­fert aucune inter­rup­tion depuis un an.

Ce n’est pas tant le gain en pré­ci­sion hor­i­zon­tale que celui en pré­ci­sion ver­ti­cale et la garantie de fia­bil­ité qui font les atouts d’Eg­nos. D’ailleurs le besoin d’aug­men­ta­tion du GPS n’est pas lié à des craintes européennes : en effet les Améri­cains ont dévelop­pé le sys­tème WAAS, qui apporte sen­si­ble­ment les mêmes ser­vices qu’Eg­nos, pour les besoins de l’Avi­a­tion civile améri­caine (FAA).

La dernière ver­sion d’Eg­nos four­nit d’ex­cel­lentes per­for­mances, comme le con­firme la cam­pagne de tests con­duite au print­emps 2008 : aucune perte d’in­tégrité, une pré­ci­sion hor­i­zon­tale et ver­ti­cale moyenne meilleure que le mètre au cen­tre de l’Eu­rope (pré­ci­sion large­ment meilleure que pour le GPS seul pen­dant ces tests).

L’ESSP (Euro­pean Satel­lite Ser­vices Provider), four­nisseur du ser­vice Egnos dont le siège est instal­lé à Toulouse, est respon­s­able d’obtenir et de main­tenir sa cer­ti­fi­ca­tion auprès de la Direc­tion générale de l’avi­a­tion civile française (DGAC). L’ob­jec­tif de ce proces­sus de cer­ti­fi­ca­tion est l’u­til­i­sa­tion d’Eg­nos comme moyen de nav­i­ga­tion dans dif­férentes phas­es de vol par­mi lesquelles les procé­dures d’at­ter­ris­sage des avions. Autrement dit, une fois Egnos cer­ti­fié, un avion pour­ra vol­er aux instru­ments, avec un récep­teur Egnos en faisant de moins en moins appel aux moyens clas­siques de radionavigation.

Télépéage pour poids lourds
La loi d’ori­en­ta­tion du Grenelle Envi­ron­nement 1 prévoit une taxe kilo­métrique pour les poids lourds en France pour réduire les impacts envi­ron­nemen­taux et financer des actions de développe­ment durable. Celle-ci fait par­tie du pro­jet de loi de finances pour 2009. La mise en place d’une solu­tion tech­nique mêlant des por­tiques sans con­tacts et des sys­tèmes de nav­i­ga­tion par satel­lite per­met de répon­dre aux attentes de l’É­tat et aux direc­tives européennes d’in­teropéra­bil­ité (2004/52). Avec un seul ter­mi­nal util­isa­teur embar­qué, le sys­tème déployé béné­fi­cie de la cou­ver­ture géo­graphique, la pré­ci­sion, la fia­bil­ité, la robustesse grâce à Egnos aujour­d’hui et à Galileo demain.

Egnos dès à présent utilisé

Des util­isa­teurs pro­fes­sion­nels n’hési­tent pas à utilis­er le sig­nal Egnos avant sa cer­ti­fi­ca­tion. Pour les déli­cates manoeu­vres d’ac­costage dans un port, les pétroliers et car­gos font appel aux ser­vices d’un pilote. Les pilotes du port autonome de Saint-Nazaire et des ports mar­itimes de Dunkerque, Le Havre-Fécamp utilisent quo­ti­di­en­nement des ” valis­es de posi­tion­nement ” rece­vant le sig­nal Egnos.

Pour l’Eu­rope, la cer­ti­fi­ca­tion d’Eg­nos con­stitue une grande pre­mière : la cer­ti­fi­ca­tion d’un sys­tème de Com­mu­ni­ca­tion, Nav­i­ga­tion ou Sur­veil­lance (CNS) paneuropéen.

Galileo offre de nouveaux services

Un enjeu envi­ron­nemen­tal et énergétique
La nav­i­ga­tion par satel­lite per­met d’op­ti­miser les tra­jec­toires, d’aider là la ges­tion des flottes, de réduire les encom­bre­ments, de met­tre en place des éco-tax­es sur les poids lourds.

Le pro­gramme Galileo soulève une ques­tion récur­rente : pourquoi et com­ment con­cur­rencer le GPS, un ser­vice gra­tu­it ? Si la Russie avec Glonass, la Chine avec Com­pass ont dévelop­pé et dévelop­pent encore leurs pro­pres sys­tèmes, ce n’est sans doute pas pour rien.

Le GPS offre deux ser­vices dis­tincts : un ser­vice ouvert util­isé par le grand pub­lic dans le monde entier, et un fer­mé, cryp­té réservé aux mil­i­taires améri­cains et alliés. De son côté, Galileo pro­pose cinq ser­vices per­me­t­tant une util­i­sa­tion plus var­iée de la nav­i­ga­tion par satel­lite : un ser­vice ouvert (OS), ana­logue au GPS ouvert, un ser­vice com­mer­cial (CS), un ser­vice de sauve­g­arde de la vie (SOL), un ser­vice pub­lic régle­men­té (PRS), un ser­vice de recherche et sauve­tage (SAR).

Ces qua­tre derniers ser­vices pour­ront génér­er des revenus, mais pour autant, il ne faut plus penser que les revenus directs per­me­t­tront de financer de façon sig­ni­fica­tive le développe­ment ou les opéra­tions de Galileo. La fin de la Con­ces­sion Galileo et du parte­nar­i­at pub­lic-privé en 2007 a été la matéri­al­i­sa­tion de cette prise de conscience.

Egnos et Galileo sont main­tenant à juste titre con­sid­érés comme des infra­struc­tures publiques, financées par les insti­tu­tions publiques, pour le béné­fice macroé­conomique de l’U­nion européenne. Dans ces con­di­tions, un tel pro­gramme dont les revenus sont essen­tielle­ment indi­rects n’est pas suff­isam­ment rentable pour des investis­seurs privés.

Un avion pour­ra vol­er aux instru­ments avec un récep­teur Egnos

Les phas­es de déploiement de Galileo et d’ex­ploita­tion d’Eg­nos sur cinq ans représen­tent 3,4 mil­liards d’eu­ros soit moins de 1,5 % du coût total des trente grands ” pro­jets pri­or­i­taires ” de réseaux de trans­ports trans-européens (et la moitié du coût moyen d’un seul de ces pro­jets) de l’U­nion européenne dont le coût total s’élève à 225 mil­liards d’euros.

La phase de développe­ment et val­i­da­tion a révélé des prob­lèmes de finance­ments. Elle est main­tenant relancée sur finance­ments publics seuls (ESA et Union européenne) sous la maîtrise d’ou­vrage de l’E­SA. Après les satel­lites de test Giove-1A et Giove-1B, qua­tre satel­lites de la con­stel­la­tion sont en con­struc­tion pour un lance­ment en 2010.

Un projet emblématique et un enjeu stratégique

Appli­ca­tions sci­en­tifiques de la nav­i­ga­tion par satellite
GPS, Egnos et Galileo sont des out­ils priv­ilégiés d’in­ves­ti­ga­tions sci­en­tifiques. Après un pre­mier col­loque à Toulouse, un sec­ond se tien­dra en octo­bre 2009 afin de béné­fici­er au mieux de ces sig­naux gra­tu­its et per­ma­nents : prop­a­ga­tion des ondes, mesures dif­féren­tielles, mesures des sig­naux directs et réfléchis, géodésie, etc.

Aujour­d’hui Galileo con­stitue, dans la con­ti­nu­ité d’Ari­ane, un pili­er de la poli­tique spa­tiale européenne. Il représente un véri­ta­ble défi pour la poli­tique européenne, per­me­t­tant le con­trôle d’une infra­struc­ture vitale pour l’indépen­dance et la sou­veraineté de l’Eu­rope. Galileo con­stitue égale­ment un levi­er de développe­ment économique (avec des appli­ca­tions inno­vantes dans de nom­breux secteurs) et tech­nique (avec des tech­nolo­gies nou­velles pour l’in­dus­trie européenne, notam­ment des récep­teurs et des hor­loges), qui sert de référence pour tout autre pro­gramme européen.

Galileo assur­era une com­pat­i­bil­ité avec le sys­tème actuel GPS. En aug­men­tant le nom­bre de satel­lites en orbite, Galileo aug­mente la cou­ver­ture satel­li­taire et amélior­era ain­si la pré­ci­sion. D’autre part les satel­lites de généra­tion plus récente auront des per­for­mances plus grandes, béné­fi­ciant du retour d’ex­péri­ence d’Eg­nos. Des défis tech­niques s’of­frent pour Egnos comme pour Galileo. Pic ionosphérique, mul­ti-tra­jet, prob­lèmes de récep­tion dans des canyons urbains.

Des retombées économiques liées à l’utilisation du système

Les ser­vices de nav­i­ga­tion pro­posés per­me­t­tent par l’op­ti­mi­sa­tion de tra­jec­toires, par la ges­tion de flottes… de réduire les coûts énergé­tiques et les émis­sions pol­lu­antes. La nav­i­ga­tion par satel­lite peut être cou­plée avec d’autres sys­tèmes pour offrir des ser­vices inté­grés tou­jours plus var­iés, avec des sys­tèmes satel­lites d’ob­ser­va­tion de la Terre, avec des réseaux de télé­phones mobiles (GSM).

Acronymes
 
APV 1 : Approach with Ver­ti­cal Guid­ance de niveau 1.
CNS-ATM : Com­mu­ni­ca­tion, Nav­i­ga­tion, Sur­veil­lance, Air Traf­ic Management.
DGAC : Direc­tion générale de l’avi­a­tion civile.
DGPS : Dif­fer­en­tial GPS.
EGNOS : Euro­pean Geo­sta­tion­ary Nav­i­ga­tion Over­lay Sys­tem.
ESA : Euro­pean Space Agency.
ESSP : Euro­pean Satel­lite Ser­vices Provider.
ILS : Instru­ment Land­ing Sys­tem.
LPV200 : Local­iz­er Per­for­mance with Ver­ti­cal guid­ance at 200 feets.
WAAS : Wide Area Aug­men­ta­tion System.

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