Le métier du capital investissement, deux ou trois choses que je sais de lui

Dossier : Capital Risque Capital risqué !Magazine N°573 Mars 2002
Par Xavier MORENO (68)

Ah ! qu’il est beau le méti­er du cap­i­tal investisse­ment, quand on lit le flot des let­tres de moti­va­tion qui défer­le sur les adhérents de l’AFIC !

Je suis passé par l’au­dit, dit l’un, ce qui est très for­ma­teur, mais tend à une cer­taine rou­tine, et puis, con­trôler c’est bien, mais faire soi-même, c’est mieux.

Je m’é­panouis dans le Con­seil en Stratégie, dit un autre, où mes nom­breuses lumières trou­vent matière à éclair­er. Mais don­ner tou­jours de bons con­seils sans les appli­quer, ni voir leurs résul­tats à terme, est frus­trant.

Je vous con­nais bien puisque je struc­ture vos dettes de LBO, et maîtrise la gamme des out­ils financiers sophis­tiqués que vous utilisez, dit encore celui-ci, mais j’aimerais main­tenant pass­er du côté de ceux qui déci­dent, et action­naire c’est plus val­orisant que banquier.

Je suis votre appor­teur d’af­faire, votre con­fi­dent, grâce à mon méti­er de con­seil en Fusions et Acqui­si­tions, dit celui-là. Certes, je suis mieux payé que chez vous. Mais, trans­ac­tion faite, je dis­parais et c’est la suite qui m’in­téresse.

Je tra­vaille dans une entre­prise, dit enfin ce dernier, à m’échin­er pour génér­er vos report­ings et plus-val­ues, et j’aspire à vous rejoin­dre, pour mon­ter sur la passerelle fort de la con­nais­sance que j’ai de vos machines.

Oui, vous n’avez pas tort : ce méti­er est paré de beau­coup d’at­traits. Mais, avant de vous y engager, réfléchissez.

Un client lointain

À votre client d’abord. C’est une per­son­ne loin­taine qui fait un méti­er dif­fi­cile : gér­er beau­coup d’ar­gent qui ne lui appar­tient pas, et qui est pré­cieux, car il finance des retraites, des réserves d’as­sur­ances ou d’in­sti­tu­tions dont la voca­tion est de dur­er, et toute mau­vaise sur­prise finan­cière est source de scan­dale… et de perte d’emploi pour votre client.

Pré­cau­tion, méthode, véri­fi­ca­tion sont donc ses maîtres mots. L’ob­jec­tif que lui ont fixé ses patrons est de trou­ver, pour 5 % des Fonds qu’il gère, des investisse­ments qui, au prix d’un hori­zon de temps plus loin­tain, auront un ren­de­ment supérieur à celui des 95 % restants. Com­ment faire ? En allant inve­stir dans des entre­pris­es non cotées, donc inac­ces­si­bles par la Bourse, et où la fameuse ” créa­tion de valeur ” est plus rapi­de qu’ailleurs.

Mais il ne peut le faire lui-même et il va donc sélec­tion­ner des équipes qui le fer­ont à sa place. Ces équipes, c’est vous ! Et il va vous pass­er au grill pour que vous démon­triez que vous exercez ce méti­er depuis longtemps, avec suc­cès son­nant et trébuchant ; en équipe et avec tou­jours la même équipe ; que vous avez gag­né et fait gag­n­er à vos investis­seurs suff­isam­ment d’ar­gent ; mais que vous avez, plus que tout, envie et besoin d’en gag­n­er plus, sans état d’âme.

Son attente de ren­de­ment annuel souhaité est de 25 %, un taux de 20 % est encore acceptable.

Pour y arriv­er, il faut pou­voir reven­dre 300 au bout de qua­tre à six ans ce qu’on a acheté 100 au départ, avec l’ar­gent dudit client. Cela fait plus que 20 %. Mais il faut vous pay­er, il y a par­fois des ratés, et puis, si vous lui ren­dez tout son argent avec un ren­de­ment min­i­mum, il partage avec vous le sur­plus. Mais il ne partage que parce que vous avez investi à ses côtés au départ, et risqué avec lui de tout per­dre. Si la carotte peut attein­dre une bonne taille, elle est accrochée à un très long bam­bou et peut n’être jamais croquée.
Voilà votre client, c’est-à-dire celui qui vous paye le ser­vice que vous lui vendez : du ren­de­ment par des plus- val­ues sur l’ar­gent qu’il vous confie.

Trois fournisseurs clés

Votre four­nisseur est beau­coup plus com­plexe. La fab­ri­ca­tion de la plus-val­ue dépend en effet de trois four­nisseurs clés : un vendeur, un man­ag­er, un acheteur.

Il faut d’abord trou­ver une entre­prise non cotée, à ven­dre, ou qui a besoin de cap­i­taux : belle, pleine d’avenir, pas chère à l’en­trée, et qu’on décide de vous pro­pos­er, à vous plutôt qu’à vos con­cur­rents, pour d’autres raisons que le prix, sinon elle devient trop chère et adieu plus-val­ue, veau, vache…

Il faut aus­si que toute votre équipe partage votre envie d’a­cheter. Le meilleur moyen d’éviter les bêtis­es, c’est en effet de pass­er oblig­a­toire­ment par le crible rigoureux du juge­ment de per­son­nal­ités dif­férentes. Mais pour un sim­ple prob­lème d’or­gan­i­sa­tion de trans­port, La Fontaine nous a dit com­bi­en c’est dif­fi­cile. Alors, pour inve­stir dans une entreprise…

Il arrive qu’on y réus­sisse. Entre alors en jeu le deux­ième four­nisseur, per­son­nage le plus méri­tant de toute l’his­toire : le man­ag­er. Déjà là, ou para­chuté, sa feuille de route est claire : diriger, motiv­er des équipes, dévelop­per, économiser le cash mieux qu’un Écos­sais, ren­dre compte, et, enfin, pré­par­er la belle, l’en­tre­prise, pour que dans qua­tre à six ans, ou même trois ans pour les rapi­des, le troisième four­nisseur, l’a­cheteur, puisse effi­cace­ment jouer son rôle. Oui, notre méti­er repose sur ces hommes aux­quels nous pro­posons chaque jour de résoudre la quad­ra­ture du cer­cle du man­age­ment. Der­rière tous nos suc­cès il s’en trou­ve tou­jours un, ou plusieurs qui agis­sent en équipe.

À l’im­age de ce que fait notre client avec nous, nous veil­lons à les inciter et à les remerci­er (au sens pro­pre !) en partageant avec eux la plus-val­ue générée. Mais ils parta­gent aus­si, avec nous, la tâche déli­cate de con­stru­ire un pro­jet qui tran­scende les change­ments de pro­priété du cap­i­tal, qui puisse motiv­er toute l’en­tre­prise, ses équipes et son envi­ron­nement, sur des objec­tifs de long terme. Et qui soit com­pat­i­ble avec les objec­tifs, à plus court terme, de ren­de­ment de notre client à nous. Quad­ra­ture du cer­cle, on vous dit !

Quant au troisième four­nisseur, l’a­cheteur, il fut un temps où il n’é­tait pas trop regar­dant, prêt à rêver, lors de l’in­tro­duc­tion en Bourse, à la belle his­toire qu’on lui racon­te, ou prêt à sur­pay­er, pour grossir sa part de marché, entr­er avec panache dans un nou­veau secteur, ou récupér­er une tech­nolo­gie que ses pro­pres chercheurs n’ont pas vu venir. Mais les temps changent. Et sou­vent, aujour­d’hui, cet acheteur vous ressem­ble. Du méti­er, il con­naît toutes les ficelles. Et il ne faut jamais miser sur son aveu­gle­ment, même si cela peut réus­sir de temps en temps.

Quel méti­er, direz-vous ! N’est-il pas plus sim­ple de faire com­merce de pain ou de vin, ou même de pro­duits financiers arbi­trés d’heure en heure sur un écran d’ordinateur.

Un si beau métier

Si le com­merce d’en­tre­prise est un si beau méti­er, c’est que son pro­duit, l’en­tre­prise, est vivant : il a une jeunesse avec ses mal­adies mais aus­si son ent­hou­si­asme, une crois­sance avec ses crises mais aus­si ses con­quêtes, une matu­rité avec ses rou­tines et ses con­sécra­tions, il réu­nit des hommes et des femmes, des idées et des briques (with mor­tar) en une com­bi­nai­son qui se renou­velle constamment.

Mais le com­merce d’êtres vivants a ses exi­gences. Plus que tout autre com­merce, il ne peut se con­tenter d’une util­ité finan­cière. Son util­ité sociale doit être sa deux­ième rai­son d’être, sans laque­lle il ver­rait se détourn­er ses four­nisseurs et se retrou­verait, face à son client, ses rayons asséchés, pour com­menter seule­ment les suc­cès du passé.

Com­ment con­cili­er util­ité finan­cière et util­ité sociale, allez-vous deman­der ? Si vous êtes tou­jours can­di­dat c’est juste­ment le sujet de la dernière épreuve de sélection.

Alors à vous de jouer.

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