Le capital-risque et les nouvelles technologies

Dossier : Capital Risque Capital risqué !Magazine N°573 Mars 2002
Par André LÉVY-LANG (56)

Le développe­ment remar­quable du cap­i­tal-risque au cours des dix années de la fin du siè­cle dernier est lié à la prise de con­science par les financiers de la révo­lu­tion indus­trielle que con­stituent les tech­nolo­gies de l’in­for­ma­tion et de la com­mu­ni­ca­tion (TIC). La chute des valeurs bour­sières et le dégon­fle­ment de la bulle Inter­net ne doivent pas con­duire à sous-estimer cette révo­lu­tion. Il n’est pas inutile, dans le con­texte dépres­sif actuel de ce secteur, de rap­pel­er en quoi elle con­siste, avant de voir quelques-uns de ses effets. Nous ver­rons ensuite que le cap­i­tal-risque n’est qu’un des moyens de finance­ment des TIC et que le suc­cès de ces entre­pris­es repose sur bien d’autres élé­ments de l’en­vi­ron­nement d’un pays, en com­para­nt la sit­u­a­tion française à celle des États-Unis.

L’innovation est le moteur de la croissance économique

Dans les économies dévelop­pées, la crois­sance des fac­teurs de pro­duc­tion tra­vail et cap­i­tal est lim­itée. La crois­sance économique, la com­péti­tiv­ité des entre­pris­es, la crois­sance du pou­voir d’achat sont déter­minées par la crois­sance de la pro­duc­tiv­ité des fac­teurs. Pour l’ensem­ble de l’é­conomie, la crois­sance de la pro­duc­tiv­ité du tra­vail et du cap­i­tal dépend à son tour d’un ensem­ble com­plexe d’élé­ments qui inclu­ent les savoir-faire, le sys­tème édu­catif, les moyens d’in­for­ma­tion. Elle dépend plus générale­ment de la capac­ité de la société à favoris­er l’in­no­va­tion et à l’in­té­gr­er dans l’é­conomie du pays.

La dif­férence de taux de crois­sance entre les États-Unis et l’Eu­rope dans les années qua­tre-vingt-dix, à l’a­van­tage des États-Unis, s’ex­plique en grande par­tie par une plus forte pro­gres­sion de la pro­duc­tiv­ité. Celle-ci s’a­joute à l’ac­croisse­ment du cap­i­tal investi et des heures tra­vail­lées. Cet avan­tage de pro­duc­tiv­ité est attribuable à un sys­tème social, économique et financier qui a per­mis le développe­ment rapi­de des nou­velles tech­nolo­gies de l’in­for­ma­tion et de la com­mu­ni­ca­tion, et leur dif­fu­sion rapi­de dans l’ensem­ble de l’économie.

La mise en œuvre des TIC a con­tribué aus­si au boom des investisse­ments. Mal­gré les excès de la bulle finan­cière, et le marasme actuel du secteur, le bilan de cette péri­ode reste très posi­tif pour l’é­conomie américaine.

La sit­u­a­tion de la France est beau­coup moins favor­able. Il est vrai que cer­taines de nos grandes entre­pris­es ont réus­si à se plac­er dans le pelo­ton de tête mon­di­al du secteur des tech­nolo­gies de l’in­for­ma­tion et de la com­mu­ni­ca­tion. Mais la per­for­mance glob­ale de l’é­conomie française depuis vingt ans n’a pas été bril­lante : ain­si, en ter­mes de pro­duc­tion intérieure brute par habi­tant, la France est passée du 5e au 13e rang en vingt ans.

Ce recul relatif est masqué pour l’opin­ion publique par la crois­sance du pou­voir d’achat, mais il est révéla­teur de la néces­sité de réformes struc­turelles. Il faut en effet pou­voir tir­er un meilleur par­ti de nos atouts, par­ti­c­ulière­ment pour tout ce qui touche au développe­ment et à la dif­fu­sion de l’innovation.

Les technologies de l’information et de la communication créent une nouvelle révolution industrielle

L’ap­port des TIC a été com­paré à celui de l’élec­tric­ité, source d’une révo­lu­tion indus­trielle il y a un siè­cle. En per­me­t­tant de dis­tribuer l’én­ergie et en en réduisant le coût, l’élec­tric­ité a mod­i­fié rad­i­cale­ment les con­di­tions de la pro­duc­tion indus­trielle. Un par­al­lèle entre énergie et infor­ma­tion peut être fait : l’une et l’autre sont des fac­teurs de pro­duc­tion qui inter­vi­en­nent dans tous les secteurs.

Dans le cas de l’élec­tric­ité, la baisse des prix a per­mis une pro­gres­sion de la con­som­ma­tion de plus de 10 % par an pen­dant plusieurs décen­nies. Les TIC ont per­mis une pro­gres­sion encore plus forte de la con­som­ma­tion d’in­for­ma­tion grâce à la baisse des coûts asso­ciés, baisse qui va se pour­suiv­re pen­dant les dix ans qui viennent :

  • baisse du coût de traite­ment, divisé par deux tous les dix-huit mois pour les micro­processeurs à per­for­mance donnée ;
  • baisse du coût de trans­mis­sion, avec le développe­ment des fibres optiques qui réduisent le coût de la bande pas­sante et celui des tech­niques de com­pres­sion des don­nées qui en réduisent la consommation ;
  • et baisse du coût de stock­age des don­nées, coût qui est divisé par deux tous les trois ans.


Par­al­lèle­ment, la stan­dard­i­s­a­tion des logi­ciels (Win­dows, Lin­ux) et des procé­dures de cod­i­fi­ca­tion, d’ac­cès et de trans­mis­sion des don­nées (pro­to­coles IP, XML pour les bases de don­nées, GSM pour la télé­phonie) per­met la pro­duc­tion en grande série des matériels et des logi­ciels. Le développe­ment d’in­fra­struc­tures de com­mu­ni­ca­tion acces­si­bles à bas prix per­met une réduc­tion des coûts d’ac­cès au marché pour les nou­veaux entrants et donc une accéléra­tion de la dif­fu­sion des innovations.

Avec la baisse de ses coûts, l’in­for­ma­tion est dev­enue un fac­teur impor­tant de pro­duc­tion. Cela a plusieurs con­séquences économiques favorables :

  • réduc­tion du cap­i­tal employé (stocks, fonds de roule­ment, équipements) : par exem­ple, en inté­grant dans un sys­tème en temps réel les four­nisseurs, la pro­duc­tion et la demande des clients, ce qu’In­ter­net per­met à un coût lim­ité, le fab­ri­cant d’or­di­na­teurs DELL fonc­tionne avec seule­ment cinq jours de stocks, con­tre plusieurs semaines dans la pro­duc­tion tra­di­tion­nelle de matériel électronique ;
     
  • meilleure pro­duc­tiv­ité du tra­vail : par le partage de l’in­for­ma­tion, par les aides à la déci­sion, par exem­ple les out­ils de sim­u­la­tion graphique et de cal­cul per­me­t­tent d’ac­célér­er la mise au point de pro­to­types et de les ” essay­er ” virtuelle­ment avant même de les fab­ri­quer ; les rela­tions avec les clients dans les ser­vices peu­vent être traitées en grande par­tie à dis­tance en com­bi­nant com­mu­ni­ca­tion par Inter­net et liai­son vocale ; plus générale­ment, la délo­cal­i­sa­tion des ser­vices suc­cède à celle des fab­ri­ca­tions — les cen­tres d’ap­pels, le développe­ment de logi­ciels peu­vent être délocalisés ;
     
  • créa­tion de nou­veaux ser­vices (enchères, com­mu­nautés) : par exem­ple, la vente aux enchères entre par­ti­c­uliers, la dif­fu­sion instan­ta­née des appels d’of­fres des entre­pris­es pour leurs achats, la créa­tion de com­mu­nautés virtuelles autour d’un pôle d’intérêt ;
     
  • exten­sion et accéléra­tion de la con­cur­rence, réduisant les marges et les prix : l’ac­cès immé­di­at des acheteurs à des offres dis­tantes facilite la com­para­i­son des prix, par exem­ple pour le trans­port aérien et le tourisme mais aus­si pour des biens physiques bien iden­ti­fiés (livres, musique, films, pro­duits de marque).


Ces quelques exem­ples per­me­t­tent de soulign­er que les TIC — et ce qu’on a appelé la Nou­velle Économie — con­cer­nent avant tout les entre­pris­es de l’é­conomie clas­sique qui en sont, avec leurs clients, les prin­ci­pales béné­fi­ci­aires. Cela veut dire aus­si que la four­ni­ture de pro­duits et de ser­vices aux entre­pris­es ” clas­siques ” pour l’u­til­i­sa­tion des TIC est le marché le plus impor­tant pour les entre­pris­es nou­velles et pour les investis­seurs en cap­i­tal-risque, alors qu’il appa­raît que l’u­til­i­sa­tion marchande de l’In­ter­net par le grand pub­lic se développe plus lente­ment que prévu.

Les jeunes pousses et l’innovation

Les grandes entre­pris­es ont des avan­tages impor­tants quand il s’ag­it de tir­er par­ti des TIC. Elles ont la capac­ité finan­cière néces­saire pour pren­dre des risques et engager des investisse­ments à retour long. Elles peu­vent pro­pos­er une diver­sité de car­rières ce qui facilite leur recrute­ment. Elles ont enfin et surtout la force de dis­tri­b­u­tion, l’im­age de mar­que et les réseaux com­mer­ci­aux et logis­tiques qui sont néces­saires pour dif­fuser et rentabilis­er les ser­vices et pro­duits nouveaux.

Mais les entre­pris­es nou­velles ont aus­si des atouts : la rapid­ité de déci­sion, la sou­p­lesse d’or­gan­i­sa­tion, la pos­si­bil­ité d’as­soci­er finan­cière­ment une équipe au suc­cès de son pro­jet, et surtout le fait que, dans une grande entre­prise, l’ex­is­tence d’un porte­feuille de pro­duits et de clients dont il faut préserv­er la rentabil­ité peut frein­er la mise en œuvre des innovations.

Ces atouts des nou­veaux entrants font que beau­coup des grandes entre­pris­es du secteur des TIC sont récentes et ont démar­ré il y a sou­vent moins de vingt ans. C’est le cas de Cis­co, d’O­r­a­cle et de quelques autres four­nisseurs d’équipements et de logi­ciels pour Inter­net. Des entre­pris­es plus anci­ennes comme IBM ou Alca­tel ont su se repenser rad­i­cale­ment et rester dans le groupe de tête de leur domaine.

L’im­por­tance des jeunes pouss­es ne se mesure pas seule­ment au nom­bre, néces­saire­ment très faible, de celles qui devi­en­nent des géants comme Cis­co ou Microsoft. En effet, beau­coup sont repris­es par de plus grands groupes, qui leur appor­tent les moyens d’un développe­ment indus­triel et com­mer­cial plus rapi­de. Même les jeunes pouss­es qui échouent con­tribuent au pro­grès de l’ensem­ble de leur secteur par leur expéri­ence. Il est donc essen­tiel qu’il y ait un flux soutenu de créa­tion d’en­tre­pris­es pour que les inno­va­tions se mul­ti­plient et soit diffusées.

Les conditions du développement des jeunes pousses

Pour que les jeunes pouss­es nais­sent et se dévelop­pent dans le domaine des TIC, il faut un cer­tain nom­bre de con­di­tions que l’on peut regrouper en trois catégories :

• le tissu scientifique, technique et industriel du pays

Ce tis­su doit être dense et vivant ; c’est dans les uni­ver­sités et dans les cen­tres de recherche des entre­pris­es que nais­sent les idées, mais aus­si chez des indi­vidus hors toutes struc­tures ; il faut donc qu’il y ait dans le pays une offre suff­isante, en nom­bre et en qual­ité, de sci­en­tifiques et de tech­ni­ciens pour avoir ces idées et per­me­t­tre ensuite la con­sti­tu­tion des équipes de mise en œuvre ; pour cela, il faut une masse cri­tique, com­bi­nant uni­ver­sités, cen­tres de recherche et entre­pris­es. Cette com­bi­nai­son explique le suc­cès de la Sil­i­con Val­ley autour de l’u­ni­ver­sité de Stan­ford, mais aus­si celui de la douzaine d’autres pôles tech­nologiques améri­cains, autour d’u­ni­ver­sités et de cen­tres de recherche ; le développe­ment des réseaux de com­mu­ni­ca­tion réduit l’im­por­tance du regroupe­ment géo­graphique des acteurs, mais sans la supprimer.

• le système de valeurs sociales et de règles administratives et juridiques

Il doit favoris­er les entre­pris­es en général et leur créa­tion en par­ti­c­uli­er ; c’est par exem­ple le statut des chercheurs et des uni­ver­si­taires, avec la lib­erté qu’ils ont ou pas de tir­er un avan­tage per­son­nel de leurs inven­tions ; ce sont aus­si les fac­teurs qual­i­tat­ifs, comme la hiérar­chie des métiers dans l’opin­ion pop­u­laire (par exem­ple entre le haut fonc­tion­naire et l’en­tre­pre­neur), comme les atti­tudes à l’é­gard de l’en­tre­prise, de l’ar­gent et du suc­cès financier, et comme la tolérance de l’échec, perçu comme une expéri­ence utile et non comme une mar­que d’in­com­pé­tence de l’entrepreneur.

• et bien entendu le financement

qui est un élé­ment essen­tiel, aus­si bien au moment de la créa­tion de l’en­tre­prise que par la suite, pour son développe­ment. À cet égard, les pos­si­bil­ités de con­créti­sa­tion de la valeur créée en cas de suc­cès sont essen­tielles, que ce soit par le place­ment en Bourse ou par la ces­sion à un groupe indus­triel ou financier ; de même, la fis­cal­ité appliquée aux investis­seurs et aux salariés les plus qual­i­fiés est un élé­ment déter­mi­nant de la moti­va­tion des uns et des autres.

Sur l’ensem­ble de ces trois sujets, le tis­su tech­nique et sci­en­tifique, le con­texte social et régle­men­taire et le finance­ment, les États-Unis béné­fi­cient d’un envi­ron­nement très favor­able, bien plus que le reste du monde. Cela explique la posi­tion dom­i­nante qu’ils ont retrou­vée aujour­d’hui dans les tech­nolo­gies de l’in­for­ma­tion et de la com­mu­ni­ca­tion, alors que, par exem­ple, l’in­dus­trie japon­aise de l’in­for­ma­tique parais­sait invin­ci­ble il y a quinze ans.

Le financement des jeunes pousses et le capital-risque

Le finance­ment des jeunes pouss­es com­porte plusieurs étapes : à la créa­tion, ce sont sou­vent les fon­da­teurs et leurs proches plus que les investis­seurs insti­tu­tion­nels qui assurent le démar­rage, si celui-ci n’ex­ige pas tout de suite des fonds impor­tants. C’est le domaine d’in­ter­ven­tion des investis­seurs ” prov­i­den­tiels ” — tra­duc­tion de busi­ness angels — dirigeants ou pro­prié­taires d’en­tre­pris­es ayant à la fois des moyens financiers et de l’ex­péri­ence, et le désir de met­tre les deux au ser­vice de la créa­tion d’en­tre­pris­es. Ces investis­seurs sont par­fois organ­isés en réseau pour rassem­bler des fonds plus impor­tants, mais l’in­vestisse­ment total reste sauf excep­tion lim­ité, de l’or­dre du mil­lion d’euros.

Quand l’in­vestisse­ment, ini­tial ou de développe­ment, atteint la dizaine de mil­lions d’eu­ros ou plus, il sort du domaine des investis­seurs indi­vidu­els, et relève des fonds de cap­i­tal-risque et de cap­i­tal développe­ment. Ceux qui gèrent ces fonds se fix­ent un seuil min­i­mum d’in­ter­ven­tion pour amor­tir le coût fixe de l’analyse et du suivi des investisse­ments. Ils gèrent sou­vent une série de fonds ” fer­més “, c’est-à-dire affec­tés à des pris­es de par­tic­i­pa­tions spé­ci­fiques. Le pro­duit de la ces­sion des par­tic­i­pa­tions est dis­tribué aux por­teurs de parts du fonds jusqu’à liq­ui­da­tion com­plète de celui-ci. La durée de tels fonds peut être d’une dizaine d’an­nées, et les gérants sont rémunérés par une part des plus-val­ues réal­isées. Le ren­de­ment visé est élevé, 25 % de taux annuel au moins, à la mesure du risque et de l’ab­sence de liq­uid­ité du placement.

Du fait de ces risques, les fonds investis ne peu­vent pas être des dépôts ou des emprunts ban­caires, ce sont néces­saire­ment des fonds pro­pres et dans le cas de place­ment de fonds d’as­sur­ance vie ou de fonds de retraite, une frac­tion faible des fonds gérés. Si des ban­ques pra­tiquent ce méti­er, ce ne peut être qu’avec des fonds de ce type, ce qui explique leur rôle lim­ité en matière de capital-risque.

Les acteurs sont donc le plus sou­vent des spé­cial­istes, qui font exclu­sive­ment ce méti­er, même s’il s’ag­it par­fois de fil­iales de groupes ban­caires ou d’as­sur­ances. Si la per­for­mance moyenne des fonds de cap­i­tal-risque a été très élevée jusqu’en 2000, il faut garder à l’e­sprit que, même dans cette péri­ode faste, la dis­per­sion des per­for­mances de fonds à fonds a été très grande et qu’un très petit nom­bre d’in­vestisse­ments très bril­lants a fait la per­for­mance des meilleurs fonds.

C’est dans le domaine du finance­ment que l’é­cart entre la France et les États-Unis est le plus mar­qué. Ain­si, le mon­tant investi dans le cap­i­tal-risque — ce qui com­prend les nou­velles tech­nolo­gies mais ne leur est pas lim­ité — est dans un rap­port de vingt entre la France et les États-Unis, soit qua­tre fois plus que le rap­port des pop­u­la­tions ou des pro­duits intérieurs bruts. Les raisons de cet écart sont connues

  • l’im­por­tance des for­tunes privées aux États-Unis, celles des créa­teurs d’en­tre­pris­es et celles des dirigeants, qui ali­mentent les finance­ments d’amorçage et les fonds d’in­vestisse­ment en capital-risque ;
     
  • l’im­por­tance des fonds de retraite, qui pla­cent une frac­tion de l’é­pargne gérée en actions non cotées ou la con­fient à des fonds spé­cial­isés dans le cap­i­tal-risque (ce sont d’ailleurs ces fonds améri­cains qui ont investi aus­si en cap­i­tal-risque dans le reste du monde, notam­ment en France, ce qui veut dire que le rap­port des fonds ali­men­tant le cap­i­tal-risque entre États-Unis et France est plus près de quar­ante que de vingt) ;
     
  • l’im­por­tance du marché bour­si­er, notam­ment le NASDAQ, qui reste un débouché naturel des jeunes entre­pris­es et des entre­pris­es tech­nologiques mal­gré ses excès et la crise actuelle ;
     
  • le tis­su indus­triel qui offre des sor­ties aux investis­seurs quand la Bourse est mau­vaise, grâce aux nom­breuses entre­pris­es ayant les moyens de faire des acqui­si­tions, y com­pris en les payant avec leurs actions.


Il y a aux États-Unis à la fois une offre de cap­i­taux longs prêts à assumer le risque, et des pos­si­bil­ités de val­ori­sa­tion en cas de suc­cès qui per­me­t­tent, ensem­ble, d’as­sur­er un finance­ment impor­tant des entre­pris­es nouvelles.

Situation et perspectives en France

La France a à la fois des atouts et des hand­i­caps dans cha­cun des trois domaines évoqués :

• l’environnement scientifique, technique et industriel

C’est là que la sit­u­a­tion de la France est poten­tielle­ment la meilleure, à la fois au plan de la qual­ité des Grandes Écoles et de cer­taines uni­ver­sités — en math­é­ma­tiques et en infor­ma­tique, mais aus­si en élec­tron­ique, optique, physique du solide — et du fait de l’ex­is­tence d’un petit nom­bre d’en­tre­pris­es de classe mon­di­ale dans leur domaine (une liste alphabé­tique et non exhaus­tive : Alca­tel, Das­sault avi­a­tion et Das­sault sys­tèmes, EADS, France Télé­com, Thalès, Thom­son mul­ti­mé­dia). Ce poten­tiel est moins exploité qu’il ne le devrait pour deux raisons : les rigid­ités du sys­tème de recherche publique et des struc­tures uni­ver­si­taires, qui sont coupés du monde des entre­pris­es, et la fis­cal­ité des revenus, qui pousse les entre­pris­es français­es à délo­calis­er les emplois qualifiés.

• les valeurs de société et le cadre législatif et réglementaire

Les valeurs d’une société ne se décrè­tent pas, elles sont le fruit de l’his­toire et ne changent que lente­ment ; en France, la hiérar­chie tra­di­tion­nelle dans l’opin­ion des activ­ités et des emplois val­orise plus les tâch­es de con­trôle et de régle­men­ta­tion que celles de pro­duc­tion et l’en­tre­pre­neur n’y occupe pas une place flat­teuse ; les dirigeants et les lég­is­la­teurs sont encore le plus sou­vent issus de la fonc­tion publique, qui a longtemps attiré les meilleurs pro­duits de l’en­seigne­ment supérieur ; alors qu’un prési­dent améri­cain a pu dire : ” the busi­ness of Amer­i­ca is busi­ness “, c’est le même terme qui est util­isé en France pour les affaires et pour les “affaires ” ; la richesse, enfin, est sus­pecte, sauf si elle est héritée.

Le sys­tème français, qui a per­mis le bril­lant redresse­ment des trente glo­rieuses, a con­tribué ensuite au recul relatif de la France pen­dant les vingt années suiv­antes. Tout cela a com­mencé à chang­er, au moins dans la société civile. Mais notre sys­tème lég­is­latif et régle­men­taire reste mar­qué par la méfi­ance à l’é­gard de l’en­tre­prise et du marché.

• c’est dans le domaine du financement que la situation de la France est le plus préoccupante

Le finance­ment ban­caire n’est pas en cause, les ban­ques français­es jouent leur rôle quand il s’ag­it de financer en crédit ou en crédit-bail des entre­pris­es nais­santes, et ce n’est pas à elles de se sub­stituer aux action­naires pour apporter les fonds pro­pres néces­saires à ces entre­pris­es. Elles ont sou­vent des fil­iales de prise de par­tic­i­pa­tions directes dans les entre­pris­es. L’in­vestisse­ment en cap­i­tal d’amorçage et en cap­i­tal développe­ment est l’af­faire de struc­tures spé­cial­isées, ali­men­tées par la par­tie la plus longue de l’é­pargne. C’est là qu’est la faib­lesse française, celle de la part de l’é­pargne des ménages investie à long terme, du fait de l’ab­sence de fonds de retraite et de la lourde fis­cal­ité sur le capital.

Des dis­posi­tifs comme le plan d’é­pargne en actions et comme les plans d’é­pargne d’en­tre­prise sont très bons, mais lim­ités et ils ont jusqu’i­ci ali­men­té le marché des grandes valeurs plus que celui du cap­i­tal-risque. Le cap­i­tal-risque ne pou­vant représen­ter qu’une part lim­itée de l’é­pargne investie en actions, seul l’ac­croisse­ment du vol­ume total de cette épargne per­met son développement.

Or cette épargne à long terme se con­stitue par accu­mu­la­tion, proces­sus que la fis­cal­ité française décourage : dou­ble tax­a­tion des div­i­den­des, dou­ble tax­a­tion de l’é­pargne en vue de la retraite (à l’en­trée et à la sor­tie), taux mar­gin­al dis­suasif de l’im­pôt sur le revenu, taux élevé de l’im­pôt sur le cap­i­tal. Nous en avons vu la con­séquence chiffrée : un taux d’in­vestisse­ment en cap­i­tal-risque qua­tre fois plus faible qu’aux États-Unis, et en fait encore plus faible si on le cor­rige pour tenir compte de l’o­rig­ine améri­caine d’une par­tie des fonds investis en France.

En conclusion

La France a les moyens de tir­er un grand par­ti de la révo­lu­tion indus­trielle que nous vivons, mais elle court aus­si le risque d’un déclin relatif. La ” matière pre­mière ” tech­nique et humaine de nos écoles et de nos entre­pris­es est bien adap­tée aux besoins de cette révo­lu­tion basée sur l’in­for­ma­tion. Notre envi­ron­nement social et cul­turel a bien amor­cé une évo­lu­tion vers un sys­tème de valeurs plus favor­able à l’in­no­va­tion et à l’entreprise.

Mais nos insti­tu­tions et notre sys­tème lég­is­latif, régle­men­taire et fis­cal restent mar­qués par une vision méfi­ante de l’en­tre­prise, des activ­ités marchan­des et du cap­i­tal. De ce fait, les sources français­es de cap­i­tal-risque sont lim­itées, et la France n’est pas la mieux placée pour attir­er les cap­i­taux étrangers. Ceci con­stitue un lourd hand­i­cap, et, sauf réformes rad­i­cales, nous risquons de nous retrou­ver dans dix ans par­mi les per­dants de la révo­lu­tion des Tech­nolo­gies de l’In­for­ma­tion et de la Communication. 

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