Risque et performances du private equity

Dossier : Capital Risque Capital risqué !Magazine N°573 Mars 2002
Par Eric MOOKHERJEE (78)
Par Jean-Marc SAVI De TOVÈ
Par Paul CARMINATI

Les performances de la classe d’actifs en Europe et aux USA

Exam­inons d’abord les chiffres de rentabil­ité financière.

Le tableau ci-con­tre met en exer­gue plusieurs spécificités :

  • Le pri­vate equi­ty est une classe d’ac­t­ifs très rentable. C’est un investisse­ment peu liq­uide qui requiert donc une ” prime de risque ” par rap­port aux act­ifs traités sur les marchés. De plus, con­traire­ment aux marchés financiers obéis­sant à la loi de ” l’in­for­ma­tion par­faite “, le vaste marché du non-coté per­met des investisse­ments très attrac­t­ifs qui ne sont pas immé­di­ate­ment ” arbi­trés ” par un nom­bre con­sid­érable d’an­a­lystes financiers.
     
  • Les per­for­mances améri­caines sont glob­ale­ment supérieures à celles con­statées en Europe. Ceci est vrai surtout jusqu’à 1994–1995. À par­tir de cette péri­ode, l’Eu­rope con­ti­nen­tale a com­mencé à se pro­fes­sion­nalis­er, et à recourir à des mod­èles d’in­vestisse­ment moins pas­sifs (par­tic­i­pa­tions majori­taires, volon­té de con­trôler les man­age­ments des entre­pris­es, de maîtris­er les ces­sions, etc.).
  • Les per­for­mances affichées des fonds de pri­vate equi­ty sont néga­tives ou très peu élevées lorsque ces fonds sont récents (moins de qua­tre ans). La total­ité des fonds lev­és dans un FCPR étant investie sur une péri­ode de trois à cinq ans, le ren­de­ment des mil­lésimes récents subit le dou­ble effet de ” la courbe en J ” :
    1) pen­dant les pre­mières années, les cap­i­taux ne sont pas totale­ment appelés. La valeur liq­uida­tive sup­porte néan­moins le coût des com­mis­sions de ges­tion cal­culées en pour­cent­age de l’ensem­ble des fonds lev­és, entraî­nant ain­si une charge disproportionnée ;
    2) l’ap­pli­ca­tion du ” principe de pru­dence ” dans la val­ori­sa­tion du fonds con­duit à pro­vi­sion­ner les moins-val­ues poten­tielles sans pour autant con­stater, sur des péri­odes cour­tes, les plus-val­ues, tant qu’une ces­sion ou un tour de finance­ment ultérieur n’a pas eu lieu.
    Les per­for­mances affichées des fonds jeunes ne sont donc guère sig­ni­fica­tives (ici 1996 à 2000).
     
  • Les mil­lésimes ont un fort impact sur les rentabil­ités : par exem­ple, aux États-Unis, les années 1990, puis 1992 à 1994 sont bien meilleures que les années 1988, 1989 et 1991. L’en­vi­ron­nement macroé­conomique et financier joue surtout sur les valeurs d’en­trée, et par­tielle­ment sur les valeurs de sor­tie, car il est un peu plus facile de retarder une ces­sion si les con­di­tions ne sont pas favor­ables, que de retarder un bon investissement.
     
  • Les écarts types intrapéri­ode (fonds de même mil­lésime) sont impor­tants, comme en témoigne l’é­cart entre le quar­tile supérieur et le quar­tile inférieur : en com­para­i­son avec les gérants d’ac­t­ifs cotés, il y a plus de dif­férence entre les bons et les mau­vais cap­i­tal investis­seurs. La rai­son essen­tielle en est encore que ceux-ci n’opèrent pas dans un marché ” d’in­for­ma­tion par­faite “, et que la qual­ité des équipes, de l’or­gan­i­sa­tion et des moyens influe con­sid­érable­ment sur les résultats.
     
Fonds de Pri­vate Equity
(per­for­mance annuelle par mil­lésime de créa­tion au 31 mars 2001)
US EUROPE
Moyenne Quar­tile sup Quar­tile inf Moyenne Quar­tile sup Quar­tile inf
1988
1989
1990
1991
1992
1993
1994
1995
1996
1997
1998
1999
2000
14,0
16,7
21,5
16,9
23,5
26,1
28,6
23,7
36,8
26,8
17,8
8,2
‑6,3​
18,2
20,7
24,2
24,5
28,7
30,8
37,6
35,7
50,8
59,5
37,2
30,6
0
2,2
2,2
0,3
6,4
10,4
8,5
8,0
1,4
0,9
‑0,9
‑2,7
‑4,7
‑23,5
9,4
11,0
13,4
9,8
18,2
19,9
36,0
34,3
41,8
16,9
3,9
6,2
1,1
12,1
12,4
19,0
19,4
24,0
27,6
26,9
19,2
30,0
30,2
11,3
5,9
4,3
‑1,8
‑2,5
0,9
0,7
4,1
4,8
3,8
‑1,6
4,6
‑1,9
‑0,9
‑0,1
‑8,1
Source : Ven­ture Eco­nom­ics (TFSD)/NVCA.

Le risque et la rentabilité par catégorie de private equity

En très forte crois­sance, le pri­vate equi­ty s’est imposé ces dernières années comme une nou­velle classe d’ac­t­ifs aux côtés des place­ments plus tra­di­tion­nels que sont les oblig­a­tions et les actions cotées. Les flux ont qua­si­ment décu­plé en cinq ans en Europe. Le marché se scinde en plusieurs seg­ments qui cor­re­spon­dent aux phas­es de créa­tion, de développe­ment ou de trans­mis­sion d’en­tre­pris­es. Les équipes se spé­cialisent générale­ment selon la seg­men­ta­tion suivante :

  • cap­i­tal-risque (investisse­ment dans des jeunes sociétés en phase de démarrage) ;
  • cap­i­tal développe­ment (injec­tion de cap­i­tal dans des sociétés en croissance) ;
  • cap­i­tal trans­mis­sion (rachat d’une société, d’une divi­sion de grand groupe…, plus con­nu sous le voca­ble LBO) ;
  • finance­ment mez­za­nine (finance­ment inter­mé­di­aire entre le prêt ban­caire et l’in­vestisse­ment en cap­i­tal, générale­ment matéri­al­isé par des oblig­a­tions avec bons de souscrip­tion d’actions).


On trou­ve aus­si des équipes spé­cial­isées qui se focalisent sur le redresse­ment d’en­tre­pris­es en dif­fi­culté (retourne­ment), les entre­pris­es de taille moyenne, ou au con­traire de très grande taille, les retraits de la cote de sociétés à fort poten­tiel (“ pub­lic to pri­vate ”), etc.
Selon la caté­gorie de métiers, les per­for­mances et les risques peu­vent être fort différents.

Les class­es risquées sont naturelle­ment les plus renta­bles, la con­trepar­tie de la per­for­mance étant un écar type plus impor­tant, aus­si bien intra que interpériodes.

Quelle gestion du risque ?

Il existe des out­ils plus ou moins sophis­tiqués qui per­me­t­tent à un investis­seur de gér­er le risque lié à un investisse­ment dans cette classe d’ac­t­ifs un peu particulière.

1) Inve­stir dans les meilleurs fonds. Ceci implique de choisir la meilleure équipe de ges­tion, ce qui représente un tra­vail d’analyse (“ due dili­gence ”) lourd. Depuis presque une quin­zaine d’an­nées sont nés aux États-Unis des spé­cial­istes de la sélec­tion dans ce méti­er : les gate­keep­ers. Le choix d’in­vestisse­ment résulte générale­ment de l’é­tude des fac­teurs suiv­ants : stratégie d’in­vestisse­ment, équipe, moyens et organ­i­sa­tion. Les gate­keep­ers s’at­telleront à étudi­er en détail le track-record des hommes, c’est-à-dire leurs per­for­mances passées. Ils passent au crible cha­cun des investisse­ments en porte­feuille et s’as­surent de la péren­nité des équipes en étu­di­ant les rémunéra­tions, la par­tic­i­pa­tion de cha­cun aux prof­its réal­isés, les con­flits d’in­térêts poten­tiels, etc.

Plus qu’ailleurs dans les métiers de l’in­vestisse­ment, une prime est don­née ici à l’an­ci­en­neté des maisons de ges­tion. De 1998 et 2000, de nom­breux groupes se sont con­sti­tués, attirés par les per­spec­tives de rentabil­ité du marché, mais on assiste aujour­d’hui au mou­ve­ment con­traire, après qu’une bonne par­tie des nou­veaux entrants ont subi les con­tre­coups du marché.

Fonds de LBO
(per­for­mance annuelle par mil­lésime de créa­tion au 31 mars 2001)
US EUROPE
Moyenne Quar­tile sup Quar­tile inf Moyenne Quar­tile sup Quar­tile inf
1988
1989
1990
1991
1992
1993
1994
1995
1996
12,3
14,7
19,0
14,8
19,1
20,6
17,9
9,2
11,3
15,2
20,7
20,7
20,3
22,5
23,4
24,6
20,0
15,6
6,5
2,4
0,1
10,4
5,4
13,0
6,3
‑1,5
‑0,6
14,2
6,0
12,0
10,7
21,1
20,0
41,8
27,1
44,5
12,3
12,2
22,0
22,4
20,8
27,6
48,2
19,9
35,1
5,5
‑1,5
3,7
3,1
3,3
8,9
17,3
0,6
5,3
Source : Ven­ture Eco­nom­ics (TFSD)/NVCA.
Fonds de capital-risque
(per­for­mance annuelle par mil­lésime de créa­tion au 31 mars 2001)
US EUROPE
Moyenne Quar­tile sup Quar­tile inf Moyenne Quar­tile sup Quar­tile inf
1988
1989
1990
1991
1992
1993
1994
1995
1996
18,6
19,1
27,7
19,4
31,6
39,6
44,8
61,5
94,1
19,7
20,7
30,2
24,8
28,7
33,6
48,1
64,8
97,7
2,2
2,1
0,5
5,2
10,4
5,0
9,2
7,5
9,2
8,0
8,6
19,8
9,5
14,7
21,7
22,7
58,4
38,1
11,5
11,7
19,0
13,9
20,4
51,9
23,2
7,5
30,0
1,8
‑3,0
‑1,8
0,2
4,9
4,8
3,5
‑10,7
10,0
Source : Ven­ture Eco­nom­ics (TFSD)/NVCA.

 
2) Inve­stir au tra­vers de fonds de fonds :
il s’a­gi­ra ici aus­si de choisir les meilleurs fonds de fonds. Ceux-ci garan­tis­sent une meilleure diver­si­fi­ca­tion du risque en lis­sant les écarts intra­groupe et aus­si inter­an­nées. Prenons l’ex­em­ple d’un investis­seur qui dis­pose de 10 mil­lions d’eu­ros à inve­stir dans la classe d’ac­t­ifs. Compte tenu des ” tick­ets d’en­trée ” élevés dans les fonds, il ne pour­ra pas choisir plus de deux ou trois fonds (la plu­part des fonds européens exi­gent un min­i­mum de 5 mil­lions d’eu­ros). Au tra­vers d’un fonds de fonds, il pour­ra inve­stir dans un nom­bre beau­coup plus élevé d’équipes et donc de stratégies.

Les fonds de fonds peu­vent être cotés, réduisant ain­si le risque de liq­uid­ité inhérent au méti­er. En pra­tique, la liq­uid­ité de ce genre de pro­duit est faible : un fonds de fonds est une hold­ing de hold­ings de sociétés non cotées ! Il souf­fre donc du prob­lème de décote fluc­tu­ante, clas­sique­ment lié aux hold­ings en Bourse. Après l’é­clate­ment de la bulle finan­cière en 2000, cer­tains fonds cotés, spé­cial­isés dans le secteur tech­nologique, ont été val­orisés à hau­teur du cash dans leurs livres, toutes les par­tic­i­pa­tions étant donc éval­uées à zéro ! En appor­tant une réponse au risque de liq­uid­ité, on subit le risque des fluc­tu­a­tions de marché…

Il est aus­si pos­si­ble d’in­ve­stir dans des fonds sec­ondaires. Présents sur un marché en fort développe­ment, les fonds ” sec­ondaires ” rachè­tent à des investis­seurs des porte­feuilles de sociétés (ou de par­tic­i­pa­tion dans des fonds). Les cédants cherchent pour divers­es raisons à ren­dre liq­uides leurs investisse­ments (sural­lo­ca­tion à la classe d’ac­t­ifs, ges­tion bilantielle, stratégie, etc.). Les acteurs de ce marché créent des véhicules avec des retours d’in­vestisse­ment rapi­des du fait qu’ils repren­nent des porte­feuilles arrivés à matu­rité. Ils réduisent égale­ment ain­si con­sid­érable­ment l’ef­fet de la courbe en J.

Fonds de mezzanine
(per­for­mance annuelle par mil­lésime de créa­tion au 31 mars 2001)
EUROPE
Moyenne Quar­tile sup Quar­tile inf
1988
1989
1990
1991
1992
1993
1994
1995
1996
‑0,2
12,1
9,0
8,9
9,6
16,1
12,4
2,3
22,8
3,7
15,7
11,8
19,4
30,9
8,2
26,7
4,4
24,5
‑5,1
‑4,3
9,6
‑3,5
1,0
3,0
0,7
‑4,0
1,9
Source : Ven­ture Eco­nom­ics (TFSD)/NVCA.

3) Les pro­duits issus de la titri­sa­tion. La titri­sa­tion con­siste à fab­ri­quer des groupes de titres adossés à un pool d’ac­t­ifs, chaque groupe (ou tranche) ayant des droits et des risques dif­férents, et à céder ces act­ifs ” repack­agés “. Le rem­bourse­ment des titres repose sur les cash-flows générés par le pool d’actifs.

Dans le cas qui nous con­cerne, l’ac­t­if est un ensem­ble de parts dans dif­férents fonds de pri­vate equi­ty.

Le pas­sif est com­posé d’au moins une tranche ” junior ” ou ” sub­or­don­née ” et d’une tranche ” senior “. Par­fois, le nom­bre de tranch­es peut être beau­coup plus impor­tant : 5 à 6, voire plus.

La tranche la plus junior est la moins pro­tégée si les per­for­mances des act­ifs sont mau­vais­es ; en revanche, c’est aus­si celle qui fait le plus de béné­fices quand leur ren­de­ment est bon. On pour­rait qual­i­fi­er cette tranche de pri­vate equi­ty con­cen­tré, aus­si bien en ter­mes de risque que de rendement.

La tranche la plus senior se présente sous la forme de pro­duits oblig­ataires. La rémunéra­tion est un taux fixe, avec ou sans par­tic­i­pa­tion dans la rentabil­ité des act­ifs sous-jacents. L’in­vestis­seur ne prof­ite donc pas entière­ment de cette rentabil­ité. Ceci se jus­ti­fie par le fait qu’il ne subit pas le risque de perte en capital.

Entre les deux tranch­es préc­itées, on a vu se mon­ter des oblig­a­tions con­vert­ibles : leur déten­teur retrou­ve nor­male­ment sa mise en cas de per­for­mance faible, mais béné­fi­cie aus­si d’une par­tie de la hausse si les act­ifs se révè­lent performants.

La valeur ajoutée de la titri­sa­tion repose en par­tie sur les tech­niques de rehausse­ment du risque qui per­me­t­tent de ” fab­ri­quer ” des titres oblig­ataires avec un bon ren­de­ment. Ces tech­niques incluent :

  • la min­imi­sa­tion du taux de défaut des act­ifs sous-jacents par une poli­tique d’in­vestisse­ment et de diver­si­fi­ca­tion adéquate,
  • le sur­di­men­sion­nement (émis­sion de parts sub­or­don­nées sup­por­t­ant en pri­or­ité le risque de défaut des actifs),
  • la con­sti­tu­tion de fonds de réserve,
  • la cou­ver­ture par une garantie pou­vant être don­née par un assureur, etc.


L’Eu­rope est en avance sur ce genre de pro­duit, et cette tech­nique pour­rait devenir une source impor­tante de cap­i­taux pour le pri­vate equi­ty, venant aus­si bien d’in­vestis­seurs insti­tu­tion­nels con­traints par leurs régle­men­ta­tions spé­ci­fiques, que de per­son­nes physiques.

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