Le Menteur

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°579 Novembre 2002Par : Corneille, dans une mise en scène de Nicolas BriançonRédacteur : Philippe OBLIN (46)

La Bruyère maniait la prose fran­çaise mieux que qui­conque mais cela ne le mit pas à l’abri d’occasionnelles cuis­tre­ries : Cor­neille peint les hommes comme ils devraient être, Racine les peint tels qu’ils sont (Les Carac­tères – Des ouvrages de l’esprit). C’était oublier les comé­dies de Cor­neille, que d’ailleurs il n’aimait pas, les jugeant sèches et lan­guis­santes.

Un tel pro­pos peut sur­prendre les spec­ta­teurs qui connurent le bon­heur d’assister à une repré­sen­ta­tion du Men­teur, récem­ment mon­té au Théâtre Héber­tot, qui n’avait rien de sec ni de lan­guis­sant. Il est cer­tain qu’on ima­gine mal Nico­las Vaude – il joue Dorante – se prê­tant à du sec et du lan­guis­sant. Je suis sûr que s’il s’avisait de don­ner une lec­ture publique de La Cri­tique de la rai­son pure, il trou­ve­rait moyen de la com­muer en une enchan­te­resse féerie.

Soyons sérieux : à trente-six ans, Cor­neille reve­nait une der­nière fois à la comé­die. Il se com­plai­sait dans les brouilla­mi­nis. Même cer­taines de ses tra­gé­dies sont bâties sur de décon­cer­tantes intri­ca­tions de per­son­nages. Le Men­teur en tout cas en regorge : un gar­çon, Dorante, vient d’achever ses études de droit à Poi­tiers, il débarque à Paris dont il découvre les mer­veilles d’architecture, le charme des jar­dins, l’élégance des femmes que l’on y rencontre.

Empor­té par l’enthousiasme, il se lance dans d’extravagantes fabu­la­tions pour atti­rer l’attention d’une jeune fille, qu’il prend pour une autre. Son père veut le marier avec celle qu’il pense aimer, mais comme il croit qu’il s’agit de la seconde, il s’invente aus­si­tôt un empê­che­ment : un mariage secret, contrac­té à Poi­tiers dans de rocam­bo­lesques circonstances.

Amu­sées et sur­tout éber­luées par tant de confu­sions, les deux jeunes filles se font pas­ser l’une pour l’autre, avec com­pli­ci­tés de ser­vantes et dia­logues au clair de lune dans l’embrasure d’une fenêtre. L’existence d’un rival corse la situa­tion et per­sonne ne com­prend plus rien à ce qui se passe, pas même le sage valet de Dorante, lui-même dupé par les inven­tions de son maître.

Mais Cor­neille savait fort bien dénouer les situa­tions les plus tor­dues nées de son ima­gi­na­tion. Le rival va fina­le­ment épou­ser sa fian­cée, Dorante l’autre jeune fille, et comme il en est au point de ne plus savoir très bien laquelle il aime, il est tout content quand même.

Nico­las Brian­çon a mis en scène cet éblouis­sant diver­tis­se­ment. Les spec­ta­teurs des Direc­teurs, joués voi­ci peu au Poche- Mont­par­nasse, le connaissent : il inter­pré­tait Den­fert, l’arriviste cau­te­leux. Il n’est pour­tant pas seule­ment un excellent comé­dien mais aus­si un met­teur en scène sachant asso­cier ima­gi­na­tion et res­pect du texte. Ce n’est pas si fré­quent et il faut se réjouir qu’existent des gens de métier pour qui le théâtre n’est pas un moyen de com­pen­ser leurs névroses au détri­ment de l’auteur, voire du public si besoin est.

Le décor, chan­geant, évoque certes la place Royale ou les jar­dins des Tui­le­ries tels qu’ils étaient en ce milieu de XVIIe siècle – la pièce est de 1642 – mais Brian­çon a choi­si de faire jouer en cos­tumes 1920. Une ambiance “folles années”, en outre sou­te­nue par de brefs inter­mèdes musi­caux du style jazz, convient à la per­fec­tion à l’insouciance et la grâce jaillies des alexan­drins du Men­teur. Ain­si, le spec­ta­teur est-il juste assez dépay­sé pour sen­tir l’intemporalité de l’intrigue, mais non pas trop, comme c’est le cas avec de cer­taines extra­va­gances cos­tu­mières qu’il est par­fois contraint de subir.

Brian­çon a entou­ré Vaude d’une pléiade de jeunes comé­diens et comé­diennes, et de moins jeunes, tous de bon aloi, qui vire­voltent sur scène, por­tés par l’élégance de cette belle langue fran­çaise que Vau­ge­las s’appliquait alors à codifier.

En bref, une soi­rée de fête propre à nous rap­pe­ler que Cor­neille fut un jeune homme ardent et rêveur, bien éloi­gné du gali­ma­tieux casse-pieds en qui le chan­gèrent trop de pro­fes­seurs de l’enseignement secondaire

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