IL FAUT QU’UNE PORTE SOIT OUVERTE OU FERMÉE

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°642 Février 2009Par : Alfred de MussetRédacteur : Philippe Oblin (46)

Affiche du théâtre : Il faut qu'une porte soit ouverte ou ferméeOn va à l’Essaïon pour voir jouer du Mus­set, Il faut qu’une porte soit ouverte ou fer­mée. On cherche sur le plan la rue Pierre-au-Lard, un nom qui porte déjà à rêver, on arrive au théâtre, on descend des march­es périlleuses, on s’assied, on s’attend à enten­dre le comte et la mar­quise. Et puis pas du tout. On voit, dans une manière de gre­nier, une femme de cham­bre et un cocher, ceux de Mus­set, à la recherche d’un har­nais. On se demande ce qui se passe, et quelle idée saugrenue aura encore tra­ver­sé la tête du met­teur en scène, Isabelle Andréani. Mais peu à peu, on se laisse pren­dre au charme de ce mari­vaudage ancil­laire et léger entre un homme et une femme qui n’osent s’avouer leur mutuelle atti­rance. C’est le pro­logue, La Clef du gre­nier de Mus­set ; il a été écrit par Isabelle Andréani. Puis soubrette et cocher ôtent leurs « livrées» ; ils devi­en­nent tout soudain la mar­quise (tou­jours Isabelle Andréani) et le comte (Xavier Lemaire), et voilà que nous entrons dans le texte même de Musset.

Com­mence un sec­ond intem­porel bad­i­nage, d’un lan­gage sans doute plus relevé, mais le pro­logue évo­quait une pareille sit­u­a­tion : la mar­quise, la trentaine mais veuve, se diver­tit du comte, son voisin d’en face, qui n’ose se déclar­er bien que ses sen­ti­ments crèvent les yeux. Elle attend des vis­ites car c’est son « jour ». Chaque fois que l’on sonne, le comte veut s’en aller, excédé de taquiner­ies. Il ouvre la porte, sans pour­tant en franchir le seuil. Mais fer­mez donc cette porte, vous me glacez ! D’ailleurs, ce n’est pas une vis­ite, mais un livreur. Trois fois le jeu recom­mence, dans un crescen­do d’une grande habileté dramatique.

Le comte finit par se lancer : acceptera- t‑elle de devenir sa femme ? Elle ne dit pas non, mais puisqu’elle lui avait demandé de pass­er chez Fos­sin, le grand bijouti­er parisien de l’époque, pour faire répar­er sa bague, qu’on en prof­ite pour ôter les fleu­rons de la petite couronne de mar­quise ornant le cha­ton (et en faire ain­si une bague de comtesse).

Le comte – Vous me comblez de joie!…comment vous exprimer…
La mar­quise – Mais fer­mez cette mal­heureuse porte ! cette pièce ne sera plus habitable.

Sur cette dernière réplique s’achève Il faut qu’une porte soit ouverte ou fer­mée. Une courte mer­veille de grâce et de finesse que les deux comé­di­ens inter­prè­tent avec une sûreté et une sobriété de jeu qu’il n’est pas tou­jours don­né de voir sur les scènes parisi­ennes, même celle pas­sant pour la plus noble. Vous voyez ce que je veux dire.

Paul de Mus­set, le frère du poète, rap­porte qu’Alfred con­nut une sem­blable sit­u­a­tion, à cela près que la veuve refusa de se remari­er, avec qui que ce soit d’ailleurs. Mais les magi­ciens de l’écriture dra­ma­tique, pourvu qu’ils soient servis par de bons inter­prètes, savent chang­er les décep­tions de l’existence en enchante­ments des spectateurs.

Les ama­teurs de l’histoire du théâtre appren­dront que le texte de la pièce parut pour la pre­mière fois dans la Revue des Deux Mon­des le 1er novem­bre 1845. Mus­set, échaudé par de précé­dents insuc­cès, écrivait plus pour son plaisir que pour être joué. De fait, sa pièce fut mon­tée d’abord à Saint-Péters­bourg, avant de l’être à Paris, en jan­vi­er 1848 seule­ment, au Théâtre Michel. Le Français con­sen­tit à la jouer quelques mois plus tard. On y était lent au discernement.

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