Le dirigeant consulte, le consultant ne dirige pas

Dossier : Le conseilMagazine N°611 Janvier 2006Par : Jean-François PRAT

Du choix du consultant judicieux

Dans sa grande soli­tude, l’en­tre­pre­neur est générale­ment friand de con­seils. Il appré­cie d’au­tant plus l’avis des con­sul­tants que ceux-ci sont gra­tu­its. Les con­sul­tants gra­tu­its étant rares, il sera ten­té de se rap­procher des “pas chers”, mis en con­fi­ance par un titre ou un diplôme, sans trop de discernement.

L’en­tre­pre­neur sac­ri­fie à la cou­tume qui veut que le chef d’en­tre­prise n’é­coute que les con­seillers flat­teurs, ceux qui lui dis­ent ce qu’il veut enten­dre (tout bon con­sul­tant demande l’avis de son client avant de rédi­ger ses conclusions).

L’en­tre­pre­neur inter­roge volon­tiers le mau­vais con­sul­tant, c’est-à-dire celui dont la com­pé­tence ne cor­re­spond pas à la ques­tion posée. Il va sans sour­ciller sol­liciter le con­sul­tant en mar­ket­ing sur des prob­lèmes de ges­tion, l’ex­pert-compt­able sur des prob­lèmes juridiques et le juriste sur sa poli­tique com­mer­ciale. Ne souriez pas, il y a une cer­taine logique der­rière tout ça, puisque le con­sul­tant en mar­ket­ing con­seille sur la struc­ture des prix, l’ex­pert-compt­able met en oeu­vre la lég­is­la­tion sur les sociétés et le juriste rédi­ge les con­trats com­mer­ci­aux. Il s’ag­it de la même logique qui vous con­duit à sol­liciter un diag­nos­tic médi­cal à un phar­ma­cien. Tant que la mal­adie est bénigne, le con­seil du phar­ma­cien sera prob­a­ble­ment judi­cieux. Mais s’il s’ag­it de quelque chose de plus grave ou de rare, il est recom­mandé de con­sul­ter un médecin. Le médecin étant plus à même de déter­min­er si l’af­fec­tion est grave ou rare, il est recom­mandé de le con­sul­ter dans tous les cas. Et pour­tant, nous con­tin­uons tou­jours à deman­der au phar­ma­cien de nous ven­dre un pro­duit pour la toux, ou pour les cram­pes d’estomac.

Un créa­teur d’en­tre­prise économi­sait au max­i­mum ses cap­i­taux, et l’un de ses asso­ciés, expert-compt­able de pro­fes­sion, pro­posa de rédi­ger lui-même les statuts de sa S. A. à Direc­toire et Con­seil de sur­veil­lance. Les statuts que l’ex­pert-compt­able présen­ta étaient juridique­ment cor­rects et parais­saient par­faits…, jusqu’au jour de la pre­mière aug­men­ta­tion de cap­i­tal. Les procé­dures d’a­gré­ments des action­naires, de ventes d’ac­tions pri­or­i­taires et de con­vo­ca­tions des assem­blées se révélèrent telle­ment inex­tri­ca­bles que l’en­tre­pre­neur dut faire appel à un juriste expéri­men­té pour démêler l’écheveau.

Le méti­er même de juriste est aujour­d’hui telle­ment vaste qu’il s’avère indis­pens­able de recourir à des con­seillers juridiques dif­férents suiv­ant les prob­lèmes que vous avez à traiter. Cer­tains avo­cats sont spé­cial­istes des prob­lèmes soci­aux, d’autres des prob­lèmes de pro­priété indus­trielle, d’autres encore des accords com­mer­ci­aux, d’autres enfin des fusions-acqui­si­tions, etc.

Le con­sul­tant est un être humain. Comme vous et moi, il a ten­dance à don­ner son avis quand on le lui demande (c’est d’ailleurs ce que l’on donne le plus volon­tiers), même si la ques­tion posée sort de son domaine de com­pé­tence. Il est donc impor­tant de s’en­tour­er de plusieurs juristes, et de pos­er à cha­cun les ques­tions qui les concernent.

Mais cette pré­cau­tion même ne suf­fit pas, car il en va du con­sul­tant comme de tout pro­fes­sion­nel, son niveau de com­pé­tence et son pro­fes­sion­nal­isme ne sont garan­tis ni par son titre, ni par son diplôme.

Il m’a été don­né par exem­ple de tra­vailler avec un respon­s­able financier qui téléphonait à son ban­quier pour savoir où en était son compte. Imag­inez l’es­time du ban­quier qui con­statait que l’en­tre­prise ne savait même pas le niveau de sa trésorerie.

Dans la même veine, un expert-compt­able dans un grand cab­i­net sai­sis­sait la compt­abil­ité d’un de mes clients à par­tir de ses relevés ban­caires. Il m’est arrivé d’avoir à expli­quer à un juriste l’in­térêt d’un pacte d’ac­tion­naires et les prin­ci­pales claus­es à y faire fig­ur­er, ou à un com­mis­saire aux comptes les méth­odes d’é­val­u­a­tion de la valeur des actions d’une jeune entreprise.

Beau­coup d’en­tre­pre­neurs me soumet­tent des dossiers qu’ils con­sid­èrent comme “bétons” car rédigés ou con­trôlés par des “experts”. C’est ain­si par exem­ple que j’ai eu à con­tem­pler des dossiers

 rédigé par un con­sul­tant en finance qui oubli­ait la TVA dans son prévi­sion­nel de trésorerie ;
• véri­fié par un directeur départe­men­tal de banque qui met­tait le cap­i­tal social dans les dépenses ;
• con­stru­it dans le cadre d’un stage hup­pé de for­ma­tion à la créa­tion d’en­tre­prise qui con­sid­érait une aug­men­ta­tion de cap­i­tal comme un chiffre d’affaires ;
• bâti par un con­sul­tant en stratégie qui prévoy­ait un chiffre d’af­faires pen­dant la con­struc­tion de l’usine ;

etc., la liste serait trop longue car j’ai fait refaire des dossiers “bétons” par dizaines.

Spé­cial­istes ou général­istes, les con­sul­tants sont les médecins de l’en­tre­prise. En ce qui con­cerne les bébés entre­pris­es, il est préférable de s’adress­er à un “pédi­a­tre”.

Pru­dence, donc, dans le choix des con­seillers. L’en­tre­pre­neur ne devra pas hésiter à deman­der des références.

De l’intérêt d’une équipe de consultants

Sou­vent, l’en­tre­pre­neur va vouloir utilis­er la tac­tique du “divis­er pour régn­er”, y com­pris dans sa rela­tion avec ses con­sul­tants. Cette approche peut con­duire à des cat­a­stro­phes, dans la mesure où beau­coup de déci­sions relèvent de dis­ci­plines mul­ti­ples. Il y aura alors intérêt au con­traire à réu­nir autour de soi plusieurs con­sul­tants qui pour­ront, par un tra­vail col­lec­tif, lui apporter le meilleur soutien.

Ain­si, l’en­tre­pre­neur dont je par­lais plus haut, prési­dent du direc­toire de sa société, eut par la suite d’énormes prob­lèmes rela­tion­nels avec son prési­dent du Con­seil de sur­veil­lance. À l’ap­proche de l’Assem­blée générale annuelle, il apprit que ce dernier our­dis­sait un com­plot visant à le des­tituer. Il m’ap­pela à l’aide et nous décidâmes de con­tre-atta­quer. Nous réunîmes un con­seil de crise com­prenant le com­mis­saire aux comptes, le con­seiller juridique, le con­seil en mar­ket­ing et un con­sul­tant tech­nologique. Fort heureuse­ment, tous ces con­sul­tants se con­nais­saient et nous pûmes rapi­de­ment met­tre en place une stratégie. Ils assistèrent tous à l’Assem­blée générale, et s’ex­primèrent de manière cohérente devant les action­naires afin de les ras­sur­er en con­fir­mant les rap­ports financiers et moraux du direc­toire. Puis, avant que son adver­saire puisse ten­ter quoi que ce soit, l’en­tre­pre­neur util­isa une clause des statuts pour faire vot­er une réso­lu­tion nom­mant un nou­veau Con­seil de sur­veil­lance. La cohé­sion de son réseau de con­sul­tants lui sau­va la mise… et son entreprise.

De l’utilisation judicieuse des consultants

Même si vous avez sélec­tion­né les meilleurs con­sul­tants, il est impor­tant que vous sachiez en faire bon usage.

L’u­til­i­sa­tion des con­sul­tants, même tal­entueux, est égale­ment un art sou­vent mal pra­tiqué. En effet, l’en­tre­pre­neur, soulagé de trou­ver quelqu’un de com­pé­tent, va tout naturelle­ment avoir ten­dance à lui don­ner “carte blanche” dans la réal­i­sa­tion de la tâche qu’il lui con­fie. Il va, en fait, se des­saisir du prob­lème au prof­it de l’ex­pert et oubli­er qu’en dernier ressort, c’est bien à lui, l’en­tre­pre­neur, d’en assumer la responsabilité.

Con­traire­ment à une idée répan­due, le rôle d’un con­seiller juridique n’est pas telle­ment de vous dire ce qu’il faut faire, mais plutôt de vous dire les risques encou­rus et les méth­odes pour faire ce que vous voulez faire en min­imisant ces risques. À vous ensuite de pren­dre la déci­sion en con­nais­sance de cause.

Le rôle d’un con­seiller juridique est moins de rédi­ger pour vous les dif­férents doc­u­ments juridiques que d’adapter à votre besoin des doc­u­ments préex­is­tants, ou, mieux encore, de cor­riger des doc­u­ments rédigés par vous-même en fonc­tion de vos attentes. C’est de cette manière qu’il percevra mieux votre volon­té de chef d’en­tre­prise et qu’il vous don­nera les meilleurs con­seils et les sug­ges­tions les plus pertinentes.

Ain­si vois-je régulière­ment des dossiers d’en­tre­pris­es dont le prévi­sion­nel a été réal­isé par un tiers, sou­vent un expert-compt­able. L’en­tre­pre­neur est alors fréquem­ment inca­pable de com­menter son dossier. À des ques­tions par­fois sim­ples sur ce prévi­sion­nel, il va invari­able­ment répon­dre : “Je ne sais pas, il faudrait deman­der à mon expert-comptable”.

Sou­vent même, il n’a pas pris la peine de relire ce prévi­sion­nel pour le valid­er, pour en assumer la respon­s­abil­ité en tant que chef d’entreprise.

La peur de la compt­abil­ité fait croire à beau­coup d’en­tre­pre­neurs qu’ils seront inca­pables de com­pren­dre un prévi­sion­nel. Il n’en est rien. Tout bon con­sul­tant doit être capa­ble de ren­dre com­préhen­si­ble un prévi­sion­nel à un bon entre­pre­neur. Si tel n’est pas le cas, soit le con­sul­tant devrait arrêter de con­seiller, soit l’en­tre­pre­neur d’entreprendre.

Les meilleurs experts ne sont pas ceux qui vous expliquent que c’est trop com­pliqué pour vous, mais ceux qui vous font paraître sim­ples les choses compliquées.

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