Le défi CO2 a dynamisé l’innovation

Dossier : Automobile, les nouveaux horizonsMagazine N°663 Mars 2011
Par Mathilde BOISSON (93)

REPÈRES

REPÈRES
En France, le Grenelle de l’en­vi­ron­nement a mod­i­fié la donne. L’in­tro­duc­tion du bonus-malus a per­mis d’abaiss­er les émis­sions moyennes des véhicules neufs de 149 g/km de CO2 fin 2007 à 133 g/km en août 2009, soit 8 g/km par an, alors que la baisse était en moyenne de 1,5 g/km par an au cours des années précé­dentes. L’ef­fi­cac­ité de ce dis­posi­tif a dépassé les attentes des pou­voirs publics à tel point que le gou­verne­ment a décidé, pour des raisons d’équili­bre budgé­taire, de ren­forcer la mesure en réduisant les seuils plus vite que prévu.

Pen­dant de nom­breuses années, les inno­va­tions sur les moteurs ther­miques étaient tirées par la recherche de la per­for­mance et les con­traintes régle­men­taires à sat­is­faire au coût le plus juste. À la suite du pro­to­cole de Kyoto signé en 1997 et entré en vigueur en 2005, les pays indus­triels se sont engagés à réduire les émis­sions de CO2 en général et notam­ment dans l’au­to­mo­bile. Cette baisse s’est accélérée depuis l’in­tro­duc­tion de divers sys­tèmes d’incitation.

Émis­sions de CO2 et con­som­ma­tions sont directe­ment proportionnelles

Dans cer­tains pays, comme aux États-Unis ou en Chine, c’est plutôt l’indépen­dance énergé­tique qui est mise en avant comme critère de baisse de con­som­ma­tion des véhicules. Mais comme émis­sions de CO2 et con­som­ma­tions sont directe­ment pro­por­tion­nelles, les effets sont les mêmes sur l’in­dus­trie et sur les tech­nolo­gies. En 2020, les con­struc­teurs auto­mo­biles devront présen­ter des con­som­ma­tions moyennes en dessous des 100 g/km de CO2 en Europe, et la Chine ne sera pas en reste.

Une diminution des cylindrées

La baisse moyenne des émis­sions de CO2 par véhicule sur les dernières années, en France comme dans tous les pays du monde, n’a pas été le fruit d’une élec­tri­fi­ca­tion mas­sive des chaînes de trac­tion, mais bien un trans­fert de moteurs de gross­es cylin­drées vers les plus petites, appelé down­siz­ing. À titre d’ex­em­ple, en Europe, les moteurs à essence les plus ven­dus sont en effet désor­mais de cylin­drée inférieure à 1,4 l con­tre 1,6 l aupar­a­vant et pour les moteurs Diesel, les ventes des moteurs 1,9 l à 2 l ont bas­culé vers des moteurs de cylin­drée inférieure à 1,6 l. Les con­séquences ont d’abord été indus­trielles dans les usines des con­struc­teurs et des équipemen­tiers, puis elles ont provo­qué une réori­en­ta­tion forte de la stratégie des produits.

Le meilleur ren­de­ment des petites cylindrées
Un fac­teur impor­tant pour la con­som­ma­tion est la cylin­drée du moteur. Réduire la cylin­drée du moteur per­met de le faire fonc­tion­ner dans des con­di­tions où le ren­de­ment est meilleur. Les con­struc­teurs sont donc en train de dévelop­per de nou­veaux moteurs avec autant de puis­sance que la généra­tion précé­dente mais des cylin­drées sig­ni­fica­tive­ment plus faibles.

Fiat a poussé la réduc­tion des cylin­drées à l’ex­trême en dévelop­pant un moteur bicylin­dre tur­bo de 875 cm³ qui émet 95 g/km sur la Fiat 500. Plus générale­ment, le tra­di­tion­nel moteur à essence 4 cylin­dres en Europe va être rem­placé chez la plu­part des con­struc­teurs par un moteur 3 cylin­dres. Toy­ota a lancé le sien sur ses petits véhicules dès 2005.

Nos deux con­struc­teurs français, PSA et Renault, ont aus­si prévu de met­tre ce type de moteur sur le marché à l’hori­zon 2012 dans une ver­sion atmo­sphérique pour l’en­trée de gamme et dans des ver­sions tur­bo plus puis­santes pour le milieu et haut de gamme. Aux États-Unis, le down­siz­ing passe par un trans­fert annon­cé des moteurs 8 cylin­dres vers les 6 cylin­dres, des 6 vers les 4. Même Daim­ler a annon­cé une future ver­sion de la Mer­cedes Classe S à 4 cylindres.

Le prix à payer

La val­ori­sa­tion du gramme de CO2 a ren­du renta­bles des solu­tions techniques

Pour guider les choix tech­nologiques, les con­struc­teurs et les équipemen­tiers utilisent un nou­v­el indi­ca­teur : le sur­coût que le con­som­ma­teur est prêt à pay­er sur une voiture pour gag­n­er un gramme de CO2 au kilo­mètre. Le con­sen­sus pour le gramme de CO2 par kilo­mètre est aujour­d’hui de l’or­dre de 40 à 50 euros. Il pour­rait attein­dre jusqu’à 95 euros du gramme à l’hori­zon 2020 puisque c’est le mon­tant de l’a­mende que devraient régler les con­struc­teurs s’ils n’at­teignaient pas les objec­tifs européens sur la moyenne de leurs ventes à cette échéance.

L’aug­men­ta­tion de la val­ori­sa­tion du gramme de CO2 a ren­du renta­bles des solu­tions tech­niques qui ne l’é­taient pas néces­saire­ment aupar­a­vant. Et celles-ci ne con­cer­nent pas seule­ment les moteurs ; réduire la masse des véhicules est, par exem­ple, un autre moyen de dimin­uer la con­som­ma­tion et donc les émis­sions. Afin de motiv­er le développe­ment et la mise en série de com­posants plus légers, un sys­tème mis en place par Renault per­met, par exem­ple, à l’équipemen­tier de pro­pos­er, lors des négo­ci­a­tions annuelles, une pro­duc­tiv­ité en masse au lieu d’une pro­duc­tiv­ité économique. Ce nou­veau défi CO2 va donc avoir un autre effet, celui de met­tre un frein à l’aug­men­ta­tion con­tin­ue de la masse des véhicules.

Cinq solutions économiquement acceptables

La ques­tion de l’équili­bre entre le prix admis­si­ble par le marché et le coût de revient des solu­tions pour ren­dre les véhicules pro­pres est cru­ciale. En effet, seules les solu­tions dont l’équili­bre économique est posi­tif seront dans la feuille de route des con­struc­teurs et des équipementiers.

Aujour­d’hui, en plus des solu­tions hybrides ou véhicules élec­triques qui représen­tent un poten­tiel de crois­sance réel et cer­tain, l’in­dus­trie dis­pose d’un pan­el de solu­tions que l’on peut class­er en cinq grandes caté­gories : les car­bu­rants alter­nat­ifs, la sural­i­men­ta­tion, la dis­tri­b­u­tion vari­able, l’op­ti­mi­sa­tion de la “ther­mique moteur” et le stop and start ou ses dérivés.

Les carburants alternatifs

Des réserves de GNV
Le GNV, déjà très util­isé dans cer­tains pays comme l’I­tal­ie, l’I­ran, l’Inde ou l’Ar­gen­tine, présente l’a­van­tage d’avoir des réserves impor­tantes, une équa­tion de com­bus­tion favor­able au bilan CO2 (ratio H/C à 4 con­tre 1,86 pour les car­bu­rants liq­uides con­ven­tion­nels), mais il est hand­i­capé par une infra­struc­ture lim­itée et coû­teuse en investissements.

Con­cer­nant les car­bu­rants alter­nat­ifs, les solu­tions tech­nologiques sont déjà disponibles, pour les bio­car­bu­rants comme pour le gaz (GNV pour Gaz naturel véhicule, essen­tielle­ment du méthane, ou GPL pour Gaz de pét­role liqué­fié, un mélange de butane et propane). Le développe­ment de ces tech­nolo­gies reste exclu­sive­ment lié à l’équili­bre économique (inté­grant les inci­ta­tions fis­cales pour ce type de véhicule) et à une volon­té du marché.

Les bio­car­bu­rants ont l’a­van­tage d’avoir un bilan car­bone théorique­ment neu­tre : ils rejet­tent dans l’at­mo­sphère le CO2 qu’ils ont cap­té pen­dant la crois­sance des végétaux.

La suralimentation

Les bio­car­bu­rants ont l’a­van­tage d’un bilan car­bone théorique­ment neutre

La sural­i­men­ta­tion, c’est-à-dire l’ad­jonc­tion d’une fonc­tion de com­pres­sion d’air à l’en­trée du moteur, par exem­ple à l’aide d’un tur­bo­com­presseur, per­met d’obtenir le même niveau de per­for­mance, voire davan­tage, avec des moteurs de plus petite cylin­drée. Le futur moteur 1 litre d’un con­struc­teur alle­mand va désor­mais dévelop­per 140 chevaux au lieu d’une moyenne de 60 chevaux sur le marché actuel.

Une des dif­fi­cultés de cette tech­nolo­gie réside dans le risque de perte de cou­ple à bas régime. Pour cela, il faut opti­miser la com­pres­sion à tous les régimes, en dévelop­pant de nou­veaux tur­bo­com­presseurs, ou encore com­bin­er les tech­nolo­gies (asso­ci­a­tion de dif­férents tur­bo­com­presseurs en par­al­lèle ou en série, asso­ci­a­tion d’un tur­bo­com­presseur et d’un com­presseur volumétrique, assis­tance élec­trique au turbocompresseur).

La distribution variable

Asso­ciée au down­siz­ing, la dis­tri­b­u­tion vari­able se généralise. Les solu­tions en place ou en développe­ment vont du phasage vari­able sur 1 ou 2 arbres à cames, aux lev­ées vari­ables dis­crètes ou con­tin­ues. Cela per­met un gain de per­for­mance et une réduc­tion de con­som­ma­tion prin­ci­pale­ment aux charges par­tielles par diminu­tion des pertes par pompage.

Solu­tion e‑Valve

La pre­mière étape a été franchie avec la solu­tion ” mul­ti­air ” de l’Al­fa Romeo Mito ; il s’ag­it de per­me­t­tre une dis­tri­b­u­tion infin­i­ment vari­able en durée et en lev­ée des soupa­pes d’ad­mis­sion grâce à des cames pilotées.

La solu­tion ultime est le rem­place­ment de l’ar­bre à cames par un sys­tème de com­man­des élec­tro­hy­drauliques ou élec­tro­mag­né­tiques des soupa­pes ; c’est la solu­tion ” e‑Valve ” de Valeo. Le pilotage des soupa­pes est alors extrême­ment pré­cis et totale­ment libre, offrant un bilan économique CO2 par­ti­c­ulière­ment com­péti­tif. Ce type de solu­tion devien­dra prob­a­ble­ment à terme le nou­veau stan­dard du marché des moteurs à essence.

L’optimisation de la “thermique moteur”

Réchauf­fer au plus vite
Que ce soit en essence ou en Diesel, un moteur fonc­tion­nant à chaud con­somme env­i­ron 15% de moins qu’un moteur fonc­tion­nant à tem­péra­ture ambiante (pertes liées aux jeux de fonc­tion­nement et à la vis­cosité de l’huile).
Des solu­tions de ges­tion ther­mique du moteur (coupure de la cir­cu­la­tion d’eau du moteur durant la phase de mise en tem­péra­ture, régu­la­tion vari­able à des tem­péra­tures supérieures de l’eau du moteur) sont étudiées afin de réchauf­fer au plus vite le moteur et de réduire le temps de fonc­tion­nement dit “à froid “.

Pour pass­er les régle­men­ta­tions d’émis­sions, les con­struc­teurs ont dû met­tre en oeu­vre sur les moteurs diesels des solu­tions inno­vantes liées à la “ther­mique moteur”. Le même type de solu­tion va prob­a­ble­ment se déploy­er égale­ment pour les véhicules à essence, mais cette fois-ci tiré par le défi CO2 et non par la régle­men­ta­tion sur les émissions.

En effet, la plu­part des con­struc­teurs étu­di­ent pour les moteurs sural­i­men­tés la mise en place d’un sys­tème EGR (Exhaust Gas Recir­cu­la­tion) de recir­cu­la­tion des gaz d’échappe­ment à l’ad­mis­sion comme c’est le cas aujour­d’hui sur les moteurs Diesel. L’a­van­tage est, d’une part, de pou­voir aug­menter le rap­port volumétrique du moteur et donc d’amélior­er le ren­de­ment ther­mo­dy­namique sans être per­tur­bé par le phénomène de cli­quetis et, d’autre part, d’éviter un suren­richisse­ment dans le sim­ple but de main­tenir les tem­péra­tures d’échappe­ment dans une lim­ite accept­able pour les matériaux.

Couper le moteur

La fonc­tion dite stop and start, intro­duite pour la pre­mière fois par PSA sur la C3 en 2004, va d’i­ci deux ou trois ans se démoc­ra­tis­er sur l’ensem­ble des véhicules. Cette fonc­tion gère la coupure et le redé­mar­rage automa­tique du moteur à chaque arrêt momen­tané de la voiture. Elle apporte un gain en con­som­ma­tion d’en­v­i­ron 5% en cycle urbain nor­mal­isé, et jusqu’à 15% dans les con­di­tions de traf­ic dense. Cette fonc­tion intéresse tout par­ti­c­ulière­ment les pays émer­gents qui sont sou­vent con­fron­tés à des prob­lèmes de traf­ic dans les grandes métropoles.


Solu­tion i‑STARS

Deux tech­nolo­gies coex­is­tent aujour­d’hui : le démar­reur ren­for­cé qui est le plus facile à inté­gr­er et le moins onéreux pour le con­struc­teur (ex : Audi, BMW, Fiat, Kia), mais qui génère de nom­breux désagré­ments de con­duite, bruits et vibra­tions, qui font que l’u­til­isa­teur final coupe finale­ment assez vite le système.

L’al­tern­odé­mar­reur, pour le moment prin­ci­pale­ment pro­posé par Valeo (la solu­tion i‑STARS mon­tée par exem­ple sur les moteurs e‑HDi de PSA), est plus per­fec­tion­né tech­nique­ment, car totale­ment silen­cieux (pas de bruit de démar­reur) et plus réac­t­if. Il s’ag­it en fait d’un alter­na­teur réversible qui assure aus­si bien la fonc­tion d’al­ter­na­teur que de ” re-démar­reur “. Le redé­mar­rage du moteur est alors pos­si­ble même quand le véhicule n’est pas tout à fait arrêté et les nui­sances pour le con­duc­teur sont imper­cep­ti­bles. Ce sys­tème, égale­ment appelé micro-hybride, peut aus­si évoluer vers une hybri­da­tion plus forte. Par exem­ple, en util­isant l’al­ter­no-démar­reur pour frein­er le véhicule et récupér­er l’én­ergie sous la forme élec­trique dans des super capac­ités, ou encore en l’u­til­isant comme moteur élec­trique pour apporter un sur­croît de puis­sance au véhicule dans cer­taines phas­es, notam­ment d’accélération.

Le véhicule devient alors un véri­ta­ble mild hybrid, la sépa­ra­tion entre véhicule ther­mique et véhicule élec­trique est donc bien ténue ; il existe une vraie con­ti­nu­ité entre les dif­férentes solutions.

Des boîtes automatiques
Le moteur ther­mique a encore de beaux jours devant lui, a for­tiori accom­pa­g­né par le développe­ment de boîtes de vitesses automa­tiques très per­for­mantes en CO2 : les boîtes de vitesses dou­ble embrayage (DCT pour Dual Clutch Trans­mis­sion).

Le coût de l’électricité

Équiv­a­lence émis­sion CO2 en g/km et con­som­ma­tion en litre aux 100 km
CO2 g/km Diesel Essence
100 3,7 4,1
120 4,5 5,0
140 5,2 5,8

Le défi CO2 a été à l’o­rig­ine d’une révo­lu­tion qui va se pro­duire dans l’au­to­mo­bile avec prob­a­ble­ment un bas­cule­ment du moteur ther­mique vers le moteur élec­trique. Toute­fois, une grande majorité des con­struc­teurs et des équipemen­tiers con­sid­èrent qu’à l’hori­zon 2020 le parc de véhicules élec­triques ne dépassera pas les 10 % du marché. Ain­si cet enjeu a boulever­sé à court terme la feuille de route des moteurs ther­miques et a dynamisé l’in­no­va­tion dans ce domaine en mod­i­fi­ant les équili­bres économiques.

Poster un commentaire