Le débat institutionnel : jacobinisme contre girondisme

Dossier : Les collectivités localesMagazine N°543 Mars 1999
Par François de WITT (64)

F. de Witt
Vous vous réclamez du girondisme. Mais, n’est-ce pas une illusion dans notre pays aux 36 000 communes, avec ses départements et ses régions, c’est-à-dire une cascade de structures qui finit par séparer, diviser et empêcher des initiatives locales de s’exprimer pleinement.

J. Barrot

F. de Witt
Vous vous réclamez du girondisme. Mais, n’est-ce pas une illusion dans notre pays aux 36 000 communes, avec ses départements et ses régions, c’est-à-dire une cascade de structures qui finit par séparer, diviser et empêcher des initiatives locales de s’exprimer pleinement.

J. Barrot

L’émi­et­te­ment com­mu­nal, et plus générale­ment la com­plex­ité des découpages et des strates de pou­voir rend man­i­feste­ment très sou­vent l’É­tat arbi­tre, ce qui par là même lui redonne du pou­voir. Des col­lec­tiv­ités locales plus fortes et mieux regroupées seraient le meilleur moyen de don­ner le dernier mot aux citoyens.

À cet égard, je souhaite d’emblée expli­quer com­ment, au lieu de se bat­tre sur des débats théoriques, il serait pos­si­ble de faire évoluer de manière pos­i­tive le monde rur­al français. Si, pro­gres­sive­ment, des com­mu­nautés de com­munes pou­vaient per­me­t­tre une organ­i­sa­tion du ter­ri­toire — par bassins de vie, par pays ou par bassins d’emplois, peu importe la ter­mi­nolo­gie — cela leur don­nerait les moyens d’ac­quérir peu à peu une autonomie réelle, les éman­ci­pant par là même de l’É­tat cer­taine­ment, mais du départe­ment aussi.

Le départe­ment est aujour­d’hui un lieu de cohérence et de sol­i­dar­ité de l’e­space, qui est com­posé de villes, de petites villes et d’e­spaces ruraux com­posés eux-mêmes de vil­lages beau­coup plus dis­per­sés. À mon sens, il faut donc que l’évo­lu­tion nous con­duise vers un départe­ment qui sera plus une fédéra­tion de com­mu­nautés de com­munes qu’un cadre admin­is­tratif qui sur­plombe les com­munes. Cepen­dant, cette évo­lu­tion peut pren­dre du temps, dès lors que tout le monde ne peut pas s’or­gan­is­er au même moment.

En effet, les régions français­es ne sont pas iden­tiques et je pense que s’il y avait d’une part de vraies com­mu­nautés d’ag­gloméra­tion et d’autre part des com­mu­nautés de com­munes coor­don­nées par une instance départe­men­tale, le ter­ri­toire français serait peu à peu le lieu d’une décen­tral­i­sa­tion authen­tique et d’une démoc­ra­tie beau­coup plus vivante et plus participative.

J.-P. Sueur

La France n’est pas d’essence fédéral­iste, et les réformes les plus impor­tantes de ces derniers siè­cles ont engagé l’É­tat ; on ne peut con­stru­ire l’avenir en mécon­nais­sant ce fait.

Cela n’est pas con­tra­dic­toire avec la décen­tral­i­sa­tion. La France a besoin d’un État effi­cace, mais pas d’un État anky­losé ou omniprésent.

Il y a, en matière de décen­tral­i­sa­tion, une dialec­tique entre l’É­tat et les col­lec­tiv­ités ter­ri­to­ri­ales de la République.

La manière dont la décen­tral­i­sa­tion a été faite, en 1982, n’est pas neu­tre. On a ajouté un niveau, la région, tout en main­tenant le départe­ment et sans touch­er aux 36 000 communes.

C’est un débat qui fait aujour­d’hui par­tie de l’his­toire : François Mit­ter­rand et Gas­ton Def­ferre étaient des départe­men­tal­istes, Michel Rocard et Pierre Mau­roy étaient des région­al­istes. Le choix qui a été fait a con­sisté à don­ner davan­tage de prérog­a­tives au départe­ment, tout en en don­nant aus­si davan­tage à la région ; d’où cette impres­sion d’empilement. À cela se sont ajoutées des lois suc­ces­sives sur l’intercommunalité.

Depuis 1992 notam­ment, il appa­raît claire­ment que les 36 000 com­munes ne sont viables que s’il y a de l’in­ter­com­mu­nal­ité. Rares sont les détracteurs de l’in­ter­com­mu­nal­ité, car celle-ci est, au fond, d’au­tant plus néces­saire qu’il y a 36 000 com­munes et que l’on sait très bien que nom­bre de com­pé­tences ne peu­vent plus être exer­cées à l’in­térieur des seules lim­ites de la com­mune. Cette évi­dence fait que l’on arrive à cinq niveaux : la com­mune, le groupe­ment inter­com­mu­nal, le départe­ment, la région et l’É­tat, sans compter l’Eu­rope. À par­tir de là, com­ment peut-on faire bouger le sys­tème et par rap­port à quels objec­tifs peu­vent s’or­gan­is­er les straté­gies du changement ?

La sup­pres­sion des com­munes est impos­si­ble : l’échec des ten­ta­tives de fusion autori­taire le mon­tre ; c’est dans les com­munes qu’est née la République, elles sont ancrées dans les mentalités.

Cer­tains dis­ent qu’il faut sup­primer les départe­ments. Je ne pense pas que cette propo­si­tion soit aujour­d’hui d’ac­tu­al­ité. Le départe­ment est très ancré dans les habi­tudes et, comme le dit Jacques Bar­rot, sa fonc­tion est reconnue.

Il est aus­si évi­dent qu’il con­vient d’aller vers des régions fortes.

Je pro­pose, pour ma part, qu’on aille en out­re vers des assem­blées d’ag­gloméra­tions légitimes dans les aires urbaines, donc élues au suf­frage universel.

De plus en plus de déci­sions sont pris­es au niveau de l’ag­gloméra­tion, à la demande d’ailleurs de l’É­tat lui-même. Les pro­grammes locaux de l’habi­tat, les plans de déplace­ment urbain, les trans­ports, l’amé­nage­ment, le développe­ment économique, les con­trats locaux de sécu­rité, tout cela, de plus en plus, se fait ou doit se faire au niveau de l’ag­gloméra­tion. Il s’ag­it là d’une évo­lu­tion intéres­sante car les villes français­es sont plutôt petites, et il est donc néces­saire qu’il y ait des col­lec­tiv­ités struc­turées, forte­ment peu­plées, dont les délégués seraient élus au suf­frage universel.

Pour répon­dre à cet objec­tif, on pour­rait sup­primer l’élec­tion can­tonale dans les zones urbaines où les can­tons n’ont pas de véri­ta­ble réal­ité pour les citoyens.

Je pro­pose, dès lors, que ce soient des représen­tants de la com­mu­nauté d’ag­gloméra­tion ou de la com­mu­nauté urbaine qui siè­gent au sein du département.

De même, on pour­rait imag­in­er qu’à terme le con­seiller général soit le représen­tant ou le prési­dent du con­seil d’une com­mu­nauté de com­munes, élue, elle aus­si, au suf­frage universel.

L’idée prin­ci­pale, c’est qu’il faut aller vers des ter­ri­toires struc­turés avec une légitim­ité démoc­ra­tique forte.

Dans une telle per­spec­tive, le départe­ment pour­rait devenir le lieu où se ren­con­trent les représen­tants d’e­spaces de développe­ment struc­turés, qu’ils soient urbains ou ruraux.

F. de Witt
Faut-il néanmoins supprimer des échelons pour gagner en efficacité ? Quel est, selon vous, l’avenir de la décentralisation sur le plan institutionnel ?

J. Barrot

Au fur et à mesure que les com­mu­nautés d’ag­gloméra­tion se con­stituent, le départe­ment peut très bien déléguer une par­tie de ses com­pé­tences, le social par exem­ple. Le départe­ment doit être con­servé pour assur­er les cohérences avec une voca­tion fédéra­tive à l’é­gard des com­mu­nautés urbaines ou des com­mu­nautés d’ag­gloméra­tion pour l’ur­bain et des com­mu­nautés de com­munes pour le rural.

L’avenir de l’e­space français c’est la mise en réseaux des petites villes, du “rur­bain”. Il ne faut surtout pas con­tin­uer l’ur­ban­i­sa­tion en tache d’huile, il faut favoris­er les réseaux de villes. La force de l’Au­vergne par exem­ple, ce sera le réseau de villes auvergnat et non pas la crois­sance sans fin de Cler­mont-Fer­rand. La force de Rhône-Alpes, c’est d’abord la com­mu­nauté urbaine de Lyon, mais c’est surtout le réseau de villes Rhône alpin, qui per­met de mon­ter des opéra­tions avec l’étranger.

Con­sta­tons en résumé que la struc­ture insti­tu­tion­nelle est aujour­d’hui très en retard sur les enjeux et les objec­tifs qui s’im­posent à notre pays.<

J.-P. Sueur

On ne peut pas jouer une région con­tre ses villes. L’Eu­rope, c’est aus­si l’Eu­rope des villes et les régions doivent s’ap­puy­er sur des arma­tures urbaines fortes. Dans la région Cen­tre on a pris l’habi­tude de réu­nir une con­férence des maires des villes chefs-lieux. Ces réu­nions sont très pro­duc­tives. L’his­toire locale est sou­vent faite de com­péti­tions, de rival­ités, de querelles qui ne sont pas à la dimen­sion européenne. Orléans, Blois, Tours, c’est une techno­pole d’un mil­lion d’habi­tants, dans un cadre naturel excep­tion­nel et avec un pat­ri­moine de qual­ité. Si nous savons organ­is­er les villes entre elles et artic­uler étroite­ment le réseau des villes et la région, nous serons effi­caces. Si nous jouons au con­traire le “cha­cun pour soi”, nous aurons des coûts élevés et une effi­cac­ité faible.

En ce qui con­cerne la poli­tique de la ville, j’ai pu observ­er qu’un cer­tain nom­bre de quartiers vont de plus en plus mal. La poli­tique de la ville a trop sou­vent été une poli­tique de répa­ra­tion. Il faut, à présent, y sub­stituer une grande ambi­tion. On voit que la ségré­ga­tion induit la vio­lence. Dès lors, la vraie réponse est struc­turelle : elle est dans la recom­po­si­tion urbaine. La pop­u­la­tion des grands ensem­bles des années 50 ou 60 était représen­ta­tive de la société française. Ce n’est plus le cas aujour­d’hui. Il faut refaire de “l’ur­ban­ité”. Les méth­odes à met­tre en œuvre seront déci­sives. Les procé­dures de con­trats de ville sont trop com­plex­es. Je suis con­va­in­cu qu’il faut désor­mais pass­er des con­trats forts sur une longue péri­ode entre l’É­tat et les aggloméra­tions. De tels con­trats doivent porter sur ce qui est structurant.

La décen­tral­i­sa­tion, c’est la sépa­ra­tion des pou­voirs, c’est savoir qui fait quoi. Il ne faut surtout pas que cela aboutisse à la con­fu­sion des rôles, à un sys­tème dans lequel tout le monde ferait tout. Il y a actuelle­ment des dérives en ce sens.

F. de Witt
En matière de financement, analysé de l’extérieur, l’État est “répartiteur”. A‑t-il toujours fonctionné ainsi et faut-il combattre cette tendance ?

J. Barrot

Aujour­d’hui, à l’in­verse de ce qu’il con­vient de faire, la logique de guichet s’im­pose de plus en plus et le meilleur exem­ple en est l’at­tri­bu­tion de la dota­tion glob­ale d’équipement, impor­tante attri­bu­tion de l’É­tat déconcentré.

Il faudrait au con­traire s’at­tach­er à définir un pro­jet glob­al. Or actuelle­ment c’est extrême­ment dif­fi­cile de financer un pro­jet glob­al à cause d’une logique bureau­cra­tique implacable.

Les sys­tèmes de péréqua­tion en France sont trop opaques. Il faut un sys­tème démoc­ra­tique où l’on voie fonc­tion­ner la péréqua­tion des ressources entre régions et départements.

J.-P. Sueur

Compte tenu de notre his­toire, la bonne voie est celle de la sol­i­dar­ité struc­turée sur l’ensem­ble du ter­ri­toire. Il est néces­saire en effet de com­bat­tre l’ef­fet de guichet, qui aboutit au saupoudrage des finance­ments, pour lui préfér­er les finance­ments de pro­jets. Il faut désor­mais don­ner la pri­or­ité aux réseaux de villes et aux espaces de développe­ment structurés.

F. de Witt
Le non-cumul des mandats peut-il jouer positivement dans le développement local ? De manière plus générale, est-ce qu’il y a lieu de s’interroger sur le mode de fonctionnement de l’exécutif local d’une part et de l’État déconcentré d’autre part ?

J. Barrot

Pour des col­lec­tiv­ités locales de plein exer­ci­ce, jouis­sant de vraies com­pé­tences, et d’un vrai pou­voir déci­sion­nel appuyé sur une légitim­ité démoc­ra­tique et sur des moyens financiers autonomes, il faut une gou­ver­nance autonome, libre de tout autre engage­ment. Aujour­d’hui l’im­broglio local est un argu­ment qui jus­ti­fie le cumul des man­dats et qui néces­site des rela­tions parisi­ennes. C’est mal­sain. Il faut donc com­bat­tre cela et par­al­lèle­ment engager le non-cumul des man­dats, à con­di­tion bien sûr de ne pas sépar­er les deux démarches.

En ce qui con­cerne l’exé­cu­tif local, il ne faut pas s’at­tach­er à la per­son­nal­i­sa­tion du pou­voir alors que ce sont des équipes qui diri­gent. En matière de décen­tral­i­sa­tion, un excès de per­son­nal­i­sa­tion est tou­jours un risque mais il y a tou­jours les équipes. L’É­tat quant à lui a besoin d’un représen­tant, d’une présence forte sur le ter­ri­toire, or, ce qui ne va pas actuelle­ment c’est l’ex­trême com­plex­ité de l’or­gan­i­sa­tion ter­ri­to­ri­ale de l’É­tat, avec l’éch­e­lon région­al d’une part et départe­men­tal de l’autre. L’in­ca­pac­ité de regrouper les admin­is­tra­tions de l’É­tat, soit au niveau région­al, soit au niveau départe­men­tal et de con­sacr­er le rôle d’un préfet général­iste coor­don­na­teur devient un hand­i­cap majeur. Une telle réforme est le chantier majeur d’une organ­i­sa­tion effi­cace de l’État.

J.-P. Sueur

Effec­tive­ment, la clarté de l’éd­i­fice sup­pose que l’on réduise le cumul des mandats.

En ce qui con­cerne la per­son­nal­i­sa­tion de l’exé­cu­tif local, il faut dire que ce sont des équipes qui gou­ver­nent. Ain­si, dans une mairie, les adjoints jouent un rôle impor­tant. Le sys­tème médi­a­tique tend tou­jours, c’est inévitable, à per­son­nalis­er. Il faut éviter les excès, et rap­pel­er con­stam­ment que ce sont les équipes qui gouvernent.

En ce qui con­cerne les préfets, je ne suis pas du tout pour leur sup­pres­sion. Il y a des pays où cette insti­tu­tion n’ex­iste pas. Le génie français est, pour une part non nég­lige­able, lié à l’É­tat répub­li­cain, et il faut que l’É­tat ait les moyens de fonc­tion­ner. Il faut sim­ple­ment bien pré­cis­er qui fait quoi. L’É­tat doit, en par­ti­c­uli­er, avoir claire­ment en charge la sécu­rité, la cohé­sion sociale du pays, l’équili­bre entre les territoires.

Si l’É­tat n’y veille pas, les dis­par­ités s’ac­croîtront très vite entre les col­lec­tiv­ités locales. Il y a en effet aujour­d’hui des dis­par­ités de richess­es très grandes entre les com­munes, départe­ments et régions par rap­port à leurs charges. Il faut les réduire, et mieux veiller aux néces­saires équili­bres. Le rôle de l’É­tat est, à cet égard, irremplaçable.

F. de Witt<
Que pensez vous de la péréquation ? Si l’on veut créer des entités locales fortes locales, et si l’on veut faire une France plus girondine que jacobine, est-ce que la péréquation n’est pas justement ce qu’il faut éviter ?

J.-P. Sueur

Aujour­d’hui, la péréqua­tion ne joue que de façon mar­ginale. La part péréqua­trice au sein des dota­tions de l’É­tat aux col­lec­tiv­ités locales (qui représen­tent 250 mil­liards de francs) est faible. Ain­si la dota­tion de sol­i­dar­ité urbaine (dont le but est de financer les actions menées dans les quartiers en grande dif­fi­culté) ne représente qu’un peu plus de 1 % du mon­tant total des dota­tions, ce qui est trop peu.

Il faut avoir le courage poli­tique d’établir une véri­ta­ble péréqua­tion comme le récent pro­jet de Jean-Pierre Chevène­ment pro­pose de le faire au sein de la région Île-de-France. Un amé­nage­ment sol­idaire du ter­ri­toire per­me­t­trait de répar­tir autrement les moyens, ce qui est une absolue nécessité.

Si la part de péréqua­tion était telle qu’elle entra­vait la lib­erté d’en­tre­pren­dre, on pour­rait être con­tre la péréqua­tion. L’analyse actuelle mon­tre qu’elle est mar­ginale et donc beau­coup trop faible pour don­ner les moyens néces­saires aux col­lec­tiv­ités locales qui en ont besoin.

J. Barrot

Il ne s’ag­it pas de lim­iter tout le monde mais il s’ag­it d’en­tretenir une cer­taine sol­i­dar­ité sur le ter­ri­toire. Si l’Eu­rope ne fait rien, nous aurons des régions com­plète­ment déséquili­brées et l’eu­ro à terme ne résis­tera pas à une sorte de dichotomie com­plète des ter­ri­toires. Aucun ensem­ble ter­ri­to­r­i­al inté­gré dans le monde n’échappe à une cer­taine répar­ti­tion des richesses.

En réal­ité, si on laisse des ter­ri­toires se den­si­fi­er de manière exces­sive, les coûts seront très élevés ; et à l’in­verse il fau­dra bien s’oc­cu­per des ter­ri­toires déser­ti­fiés. L’amé­nage­ment du ter­ri­toire n’est pas unique­ment une idée généreuse, c’est une vision aus­si prag­ma­tique et économique, qui veut dire qu’il y a un amé­nage­ment indis­pens­able pour opti­miser économique­ment les ter­ri­toires. L’Eu­rope devrait y veiller. Les dérè­gle­ments des sys­tèmes de péréqua­tion ne doivent pas nous ren­voy­er à une con­cep­tion du ter­ri­toire du cha­cun pour soi dont les coûts économiques et socié­taux seraient énormes.

F. de Witt
Que dire de la taxe professionnelle ? Faut-il un taux unique de taxe professionnelle au niveau du groupement intercommunal comme le propose le gouvernement ? Mais, par ailleurs, n’est-elle pas vidée de son sens par la réforme entreprise par la dernière loi de finances1 ?

J.-P. Sueur

Au sein des aggloméra­tions, il y a aujour­d’hui des dis­par­ités con­sid­érables de taux de taxe pro­fes­sion­nelle à quelques cen­taines de mètres de dis­tance. Et il y a une cor­réla­tion entre les dis­par­ités exces­sives de taux de taxe pro­fes­sion­nelle à l’in­térieur d’une aggloméra­tion, et l’in­ca­pac­ité qui en découle à maîtris­er l’amé­nage­ment du ter­ri­toire, à éviter le “mitage” et la con­som­ma­tion abu­sive d’espace.

La taxe pro­fes­sion­nelle d’ag­gloméra­tion à taux unique est la meilleure solu­tion et je suis par­ti­san de l’in­stituer par la loi pour les grandes agglomérations.

La récente réforme de la taxe pro­fes­sion­nelle prévoit de réduire pro­gres­sive­ment la part provenant de la “base salaire”, le manque à gag­n­er étant com­pen­sé par l’É­tat. Il faut être vig­i­lant là-dessus, car il ne faudrait pas que la majeure par­tie des ressources finan­cières des col­lec­tiv­ités locales provi­enne de l’É­tat. Je sais que c’est le cas en Alle­magne ou en Grande-Bre­tagne. Mais cela n’est pas trans­pos­able en France. Nos cul­tures ne sont pas les mêmes. Il faut qu’il y ait, en France, un impôt économique local. À mon sens, le niveau le plus per­ti­nent pour le prélever est aujour­d’hui le niveau de l’agglomération.

Je suis donc deman­deur d’une table ronde avec l’É­tat sur l’avenir de la fis­cal­ité locale en France. Il doit y avoir un impôt ménage local et un impôt économique local. En réduire la part au sein de l’ensem­ble de la fis­cal­ité serait revenir à un jacobin­isme exces­sif et injus­ti­fi­able. N’ou­blions pas que le fait de lever l’im­pôt con­stitue, dans la tra­di­tion française, une prérog­a­tive majeure des con­seils des col­lec­tiv­ités locales élus au suf­frage universel.

J. Barrot

La mise en com­mun de la taxe pro­fes­sion­nelle à l’éch­e­lon inter­com­mu­nal don­nerait un nou­veau tour­nant à l’amé­nage­ment du ter­ri­toire et ferait cess­er des sit­u­a­tions iné­gal­i­taires com­plète­ment dis­pro­por­tion­nées sur des ter­ri­toires proches.

F. de Witt
L’égalité des territoires est un principe constitutionnel. Pourquoi ce principe est-il de plus en plus remis en question ?

J.-P. Sueur

En France, le droit à l’ex­péri­men­ta­tion n’ex­iste pra­tique­ment pas dans nos con­cep­tions juridiques et c’est très préju­di­cia­ble. On est inca­pable de con­cevoir que le change­ment n’ait pas lieu partout en même temps. Je suis favor­able à l’in­scrip­tion de ce droit dans la Constitution.

Ain­si, il y a des con­seils généraux où les quartiers dif­fi­ciles sont peu représen­tés. Or, la préven­tion de la délin­quance, le RMI et la préven­tion sociale, qui relèvent du con­seil général, sont des com­pé­tences très impor­tantes pour la vie de ces quartiers. Il faudrait que l’on puisse expéri­menter sur quelques cas l’at­tri­bu­tion de ces com­pé­tences aux autorités des aggloméra­tions urbaines, comme le demande depuis longtemps l’As­so­ci­a­tion des maires des grandes villes de France.

J. Barrot

Il faut cass­er le mythe de l’é­gal­ité. En effet, l’é­gal­i­tarisme est nocif et a paralysé toutes les expéri­ences dif­férentes qui auraient pu être ten­tées en France. Or, il ne faut pas blo­quer une organ­i­sa­tion prag­ma­tique du ter­ri­toire en France par un principe d’é­gal­ité trop strict.

Certes l’É­tat nation­al est le seul capa­ble d’ar­bi­tr­er les con­flits entre intérêts généraux et par­ti­c­uliers, mais il faut admet­tre qu’un pou­voir région­al puisse se pos­er lui aus­si en arbi­tre bien évidem­ment sous le con­trôle des tri­bunaux. Ain­si, pourquoi ne pas con­cevoir que cer­taines normes soient région­al­isées ? La région devrait être créa­trice de normes sub­sidi­aires, qui ne seraient pas, cela va de soi, con­traires aux normes nationales.

Il n’est pas nor­mal que la sécu­rité publique soit exclu­sive­ment aux mains de l’É­tat. Il s’ag­it d’ac­cepter en France la réal­ité d’un pou­voir infra­na­tion­al, et cette accep­ta­tion reste encore aujour­d’hui difficile.

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1. La loi de finances pour 1999 sup­prime pro­gres­sive­ment, sur une durée de cinq ans, la part salaire de la taxe pro­fes­sion­nelle. Celle-ci sera donc assise sur les seuls investissements.

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