Le coaching de la transformation des entreprises

Dossier : Entreprise et managementMagazine N°598 Octobre 2004Par Marc MELLINGER

La transformation de l’entreprise et ses enjeux pour le dirigeant

Pour illus­tr­er les mécan­ismes en jeu dans un proces­sus de trans­for­ma­tion, prenons l’ex­em­ple d’un alpin­iste engagé dans une course de haute mon­tagne. Com­ment s’adapte-t-il à la haute altitude ?

  • tout d’abord, sa res­pi­ra­tion et son rythme car­diaque s’ac­célèrent afin de main­tenir la quan­tité d’oxygène dont il a besoin ;
  • puis son métab­o­lisme com­mence à se mod­i­fi­er pour inté­gr­er de façon durable les effets de la raré­fac­tion de l’air. L’or­gan­isme accroît ain­si sa sou­p­lesse et se pré­pare à répon­dre à de nou­velles exi­gences de l’environnement.

Intégrer rapidement les évolutions durables de l’environnement

À l’im­age de notre alpin­iste, lorsque l’en­tre­prise se con­tente de réa­gir à l’en­vi­ron­nement par des ajuste­ments de son fonc­tion­nement, elle priv­ilégie une réponse à court terme sans remet­tre en cause les anciens sché­mas de l’or­gan­i­sa­tion. Or les approches du passé con­duisent à des impass­es : faute d’une inté­gra­tion en pro­fondeur du nou­veau con­texte et de sa dynamique, l’en­tre­prise voit ses marges de manœu­vre se réduire pro­gres­sive­ment. Elle se con­traint à ” respir­er plus vite “.

Le dirigeant doit donc dis­cern­er les évo­lu­tions de fond de l’en­vi­ron­nement et de son entre­prise et met­tre l’en­tre­prise en stratégie pour lui per­me­t­tre d’a­gir sur les impass­es qui se dessi­nent, restau­r­er ses marges de manœu­vre et, par antic­i­pa­tion, faire l’ex­péri­ence de ce qu’elle veut devenir pour dévelop­per sa force. Ain­si, l’ac­cli­mata­tion à la haute alti­tude d’un alpin­iste qui a l’am­bi­tion de gravir un som­met élevé résulte, non pas de ce qui lui arrive le jour J, mais des ini­tia­tives qu’il prend dès à présent pour se trans­former lui-même (cours­es de pré­pa­ra­tion, séjours en refuge, etc.).

Ce faisant, il développe sa capac­ité res­pi­ra­toire et change son rap­port à l’en­vi­ron­nement : observez le sur­croît de forme qu’il acquiert ain­si, dès la basse altitude.

S’ouvrir à de nouvelles manières de voir

Le partage de la vision stratégique entre les mem­bres de l’équipe dirigeante néces­site que cha­cun d’eux accepte de remet­tre en cause ses pro­pres con­cep­tions, celles-ci influ­ençant forte­ment notre per­cep­tion de la réal­ité. Le rôle clé du coach est ici d’ou­vrir un espace de partage puis d’opér­er un recadrage qui per­me­tte le croise­ment cri­tique et en con­science de ces dif­férents regards

Citons le cas d’une mis­sion que nous avons effec­tuée auprès d’un grand groupe indus­triel menant à l’in­ter­na­tion­al des pro­jets d’in­fra­struc­tures com­plex­es, et leader mon­di­al dans son secteur. Le dirigeant d’une de ses prin­ci­pales divi­sions était con­fron­té à la néces­sité de ren­forcer la maîtrise de la rentabil­ité des pro­jets. Le proces­sus de coach­ing a per­mis à l’équipe dirigeante de pren­dre con­science du fait que coex­is­taient, au sein de l’en­tre­prise, pas moins de trois con­cep­tions dif­férentes de ce qu’est un ” pro­jet “. En fonc­tion de ces con­cep­tions, le directeur de pro­jet était tan­tôt con­sid­éré comme le respon­s­able du con­trat, tan­tôt comme le patron d’un cen­tre de prof­it en charge du pro­jet, ou encore comme le pilote d’équipes trans­vers­es inter­venant sur le pro­jet. L’équipe fut alors invitée à com­par­er ces dif­férents mod­èles et à les met­tre en rela­tion avec cer­taines zones de flou et incom­préhen­sions qui per­sis­taient au sein de l’or­gan­i­sa­tion. Une fois ce tra­vail réal­isé, l’équipe dirigeante fut en mesure de con­stru­ire une nou­velle approche des pro­jets répon­dant effi­cace­ment aux enjeux.

Fonder l’action collective sur un socle de valeurs et de comportements

Revenons à notre alpin­iste et sup­posons-le à présent engagé dans une expédi­tion himalayenne dont le but soit la con­quête d’un 8 000. Quelle stratégie cette équipe adopte-t-elle vis-à-vis de la con­trainte de la haute altitude ?

La stratégie générale­ment employée, et qui a démon­tré à maintes repris­es son effi­cac­ité, repose sur la mise en place pro­gres­sive de camps d’alti­tude où sont apportées les bouteilles d’oxygène néces­saires à l’as­saut du som­met. Le but de ce mode de fonc­tion­nement est de faciliter l’ac­cli­mata­tion des hommes afin qu’ils préser­vent les forces dont ils auront besoin pour attein­dre le som­met ou pour sur­mon­ter des obsta­cles imprévus.

Obser­vons que le suc­cès d’une telle stratégie est forte­ment con­di­tion­né par le bon fonc­tion­nement du groupe d’alpin­istes qui se base, d’une part sur une méth­ode struc­turée, et d’autre part sur une con­fi­ance mutuelle, des valeurs com­munes et le but que celui-ci s’est fixé (que l’un au moins d’en­tre eux atteigne le som­met). Sans ses repères, il serait dif­fi­cile pour notre alpin­iste de jouer pleine­ment son rôle (con­tribuer à la mise en place du dis­posi­tif sans aucune assur­ance de pou­voir lui-même ten­ter le som­met) car celui-ci lui paraî­trait ingrat, ce qui rendrait le fonc­tion­nement décrit très périlleux.

De façon sim­i­laire, dans une entre­prise, l’adop­tion de nou­veaux modes de fonc­tion­nement est un levi­er puis­sant d’in­no­va­tion et de créa­tion de valeur car elle per­met de com­bin­er avec sou­p­lesse l’ac­tion et les ressources de l’équipe. Cepen­dant, pass­er d’une sim­ple inten­tion à la mise en œuvre effi­cace de ces nou­veaux fonc­tion­nements requiert du dirigeant qu’il prenne soin — à l’in­star d’un chef d’ex­pédi­tion himalayenne — d’af­firmer au préal­able le socle de valeurs, buts et com­porte­ments qui servi­ront de repères durables aux indi­vidus durant toute la trans­for­ma­tion et qui con­stituent en quelque sorte l’ADN de l’organisation.

Les principes d’actions au service du pilotage de la transformation

Notre expéri­ence de l’ac­com­pa­g­ne­ment des dirigeants et de leurs équipes mon­tre que le proces­sus de change­ment des indi­vidus exige le respect d’un cer­tain nom­bre d’é­tapes. C’est pourquoi nous replaçons sys­té­ma­tique­ment le proces­sus de trans­for­ma­tion indi­vidu­elle des per­son­nes au cœur du proces­sus de change­ment de l’en­tre­prise afin d’as­sur­er une mobil­i­sa­tion plus effi­cace de ses ressources (tout en évi­tant de génér­er des résis­tances inutiles) et de per­me­t­tre à la trans­for­ma­tion de s’ef­fectuer aus­si rapi­de­ment que pos­si­ble. Notre philoso­phie d’ac­tion se base sur plusieurs principes.

Adapter la stratégie de mise en œuvre à la dynamique comportementale individuelle et collective

Dans un pro­jet de change­ment, les acteurs de l’en­tre­prise se trou­vent con­fron­tés à une sit­u­a­tion inhab­ituelle qui exige d’eux l’at­teinte de résul­tats opéra­tionnels dans un laps de temps court et un con­texte complexe.

Or les indi­vidus réagis­sent de façon dif­férente aux sit­u­a­tions nou­velles en fonc­tion de leurs préférences com­porte­men­tales et de leur pro­pre style d’ap­pren­tis­sage. Ain­si, cer­tains ont d’abord besoin de com­pren­dre les principes globaux alors que d’autres appren­nent sur la base d’un mode opéra­toire, et que d’autres priv­ilégient l’ap­pren­tis­sage au con­tact du coach en vivant directe­ment avec lui une sit­u­a­tion réelle. Afin de favoris­er les appren­tis­sages clés, le coach veillera donc à s’ap­puy­er à chaque fois que pos­si­ble sur le style naturel de la personne.

L’or­gan­i­sa­tion, tout comme l’in­di­vidu, a égale­ment ses préférences et il s’ag­it d’en tenir compte dans la façon de la met­tre en mou­ve­ment. Prenons l’ex­em­ple d’une entre­prise dont la cul­ture dom­i­nante est l’ex­cel­lence opéra­tionnelle, en d’autres ter­mes une entre­prise dont la préoc­cu­pa­tion prin­ci­pale est la par­faite maîtrise de ses proces­sus et de ses coûts pour obtenir des pro­duits fiables et de qual­ité. Nous accom­pa­gnons plusieurs organ­i­sa­tions de ce type qui représente, dans la typolo­gie de cul­tures organ­i­sa­tion­nelles util­isée par Medi­a­tor Inter­na­tion­al, l’un des qua­tre types les plus répan­dus. Dans ce type de cul­ture, l’ex­péri­ence mon­tre que les acteurs por­teurs du change­ment auront intérêt, pour rassem­bler le sou­tien néces­saire, à s’ap­puy­er sur une let­tre de mis­sion offi­cielle. De plus, les dis­cours sont ici de peu d’ef­fet car pour con­va­in­cre, il s’ag­it avant tout de prou­ver : les acteurs devront donc ori­en­ter leur action vers l’ob­ten­tion rapi­de de pre­miers résul­tats (au moyen d’une expéri­men­ta­tion par exem­ple). Notre expéri­ence nous mon­tre que ce n’est qu’une fois la preuve faite que la général­i­sa­tion peut être déployée sans résis­tances majeures.

Encore faut-il veiller à réc­on­cili­er les con­trastes cul­turels, faute de quoi ils pour­ront ultérieure­ment con­stituer des points de blocage forts vis-à-vis des évo­lu­tions annon­cées. Dans ce type de cul­ture organ­i­sa­tion­nelle, afin d’éviter que ne se crée une oppo­si­tion fac­tice entre logique de coût et logique de développe­ment, il sera par exem­ple utile de pos­er une ques­tion de la forme : ” quel mode de développe­ment met­tre en œuvre qui per­me­t­tra de réduire les coûts ? ”

Prendre en compte les émotions

Comme vous l’avez sans doute vous-même observé, lorsqu’à l’is­sue d’une réflex­ion com­mune une équipe s’en­gage sur une liste d’ac­tions avec la meilleure volon­té du monde mais sans avoir pris la peine d’é­couter ce qu’au fond d’eux ils ressen­tent et ce qui pour­rait les gên­er, cela con­duit sou­vent in fine à ce que très peu d’ac­tions se réalisent : c’est le syn­drome de ” la tête plus grosse que le ven­tre “. Parce que la véri­ta­ble moti­va­tion des per­son­nes prend sa source dans les émo­tions, l’ac­com­pa­g­ne­ment doit d’emblée à la fois inté­gr­er les dimen­sions stratégiques et émotionnelles.

Veiller au maintien de la cohérence d’ensemble durant les différentes phases de la transformation

Le dirigeant, avec le sup­port du coach, doit s’as­sur­er que les valeurs sont con­crète­ment traduites dans les com­porte­ments et modes de fonc­tion­nement de l’en­tre­prise, faute de quoi le fonc­tion­nement de l’en­tre­prise risque de per­dre en cohérence et en per­for­mance, et d’an­ciens modes de fonc­tion­nement pour­raient per­dur­er de façon plus ou moins officieuse.

Citons l’ex­em­ple d’une mis­sion con­cer­nant un pro­jet de fusion entre deux sociétés européennes du domaine de l’aéro­nau­tique, dont les dirigeants avaient affir­mé un ensem­ble de valeurs (telles que ” entre­pre­neur­ship “, ” account­abil­i­ty “…) pour la nou­velle société com­mune. Dans un pre­mier temps, nous les avons invités à expliciter com­ment ils décli­naient cha­cune de ces valeurs en change­ments clés dans la façon de fonc­tion­ner de l’or­gan­i­sa­tion afin que cha­cun puisse com­pren­dre le nou­veau cadre de référence. Puis, dans l’ac­com­pa­g­ne­ment du pro­jet de trans­for­ma­tion, nous avons impliqué un cer­tain nom­bre d’ac­teurs clés afin qu’ils déter­mi­nent rapi­de­ment un ensem­ble cohérent de règles opéra­tionnelles cou­vrant en par­ti­c­uli­er cer­taines zones sen­si­bles de l’or­gan­i­sa­tion. Nous avons ani­mé cette action sur la base d’une méthodolo­gie per­me­t­tant de garan­tir la cohérence d’ensem­ble de ces règles tout en encour­ageant les acteurs à pren­dre une autonomie maximale.

Soulignons enfin que pour sus­citer la con­fi­ance et l’ad­hé­sion des mem­bres de l’en­tre­prise, il est essen­tiel que la façon dont le pro­jet est mené soit exem­plaire en s’ap­puyant sur des principes et des valeurs clés exprimés. L’ex­em­plar­ité du com­porte­ment des dirigeants est à cet égard cru­ciale, car c’est large­ment sur la base de l’ob­ser­va­tion de mod­èles que se réalise l’ap­pren­tis­sage de nou­veaux comportements.

L’or­gan­i­sa­tion, telle une cordée d’alpin­istes, doit donc pour ” gravir sa mon­tagne ” choisir, non pas la ligne de plus grande pente, mais la voie qui lui per­me­tte de se met­tre en mou­ve­ment et de pro­gress­er le plus rapi­de­ment pos­si­ble, en suiv­ant ses pro­pres repères, en tra­vail­lant le geste juste et en restant atten­tive à ce qui se passe autour d’elle. Telle est la nature du rac­cour­ci qu’il lui faut trouver.

Hen­ri Carti­er-Bres­son dis­ait que le critère d’une pho­togra­phie réussie est ” l’aligne­ment sur la ligne de mire du regard, de la tête et du cœur “. Aus­si veil­lons-nous dans notre approche à pren­dre en compte et réu­nir la tête — la stratégie, la méth­ode, les formes de pen­sée — et l’in­tel­li­gence du cœur qui per­met une vision juste des besoins de l’autre, en par­tant du regard qu’il porte sur les choses

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