Jean-Pierre Brossmann.

Le Châtelet à travers les âges

Dossier : Libres ProposMagazine N°545 Mai 1999
Par Martin de WAZIERS (75)

Men­tion­nés dès le IXe siè­cle et recon­stru­its sous Louis VI le Gros en 1130, le Grand et le Petit Châtelet sont, à l’o­rig­ine, deux forter­ess­es parisi­ennes des­tinées à pro­téger les entrées nord et sud de la Cité.

Au XVIIe siè­cle, Louis XIV trans­forme le Grand Châtelet en prison pour les crim­inels de droit com­mun. Le Châtelet devient alors un sym­bole plus ter­ri­fi­ant encore que celui de la Bastille.

En 1802, Napoléon donne ordre de déman­tel­er la prison du Grand Châtelet dont les fon­da­tions s’en­fonçaient à 18 mètres sous le niveau de la Seine. Les pier­res sont récupérées et ser­vent à la con­struc­tion de la mai­son des Notaires, tou­jours vis­i­ble aujour­d’hui, dans l’axe du Pont-au-Change.

Sous le Sec­ond Empire, le perce­ment des boule­vards hauss­man­niens entraîne la destruc­tion de plusieurs théâtres du célèbre “boule­vard du Crime”. Pour rel­oger cer­tains expul­sés, la Ville de Paris ordonne la con­struc­tion de nou­velles salles sur des ter­rains lui appartenant.

Deux d’en­tre elles sont con­fiées à l’ar­chi­tecte Gabriel Davi­oud, de part et d’autre de la Fontaine-du-Palmi­er sur les bor­ds de la Seine. C’est ain­si que sont édi­fiés entre 1860 et 1862 le Théâtre lyrique (par la suite Théâtre Sarah-Bern­hardt, puis Théâtre de la Ville) et le Théâtre impér­i­al du Châtelet (l’an­cien Théâtre impér­i­al du Cirque).

Le 19 août 1862, le Théâtre impér­i­al du Châtelet donne son spec­ta­cle inau­gur­al en présence de l’im­péra­trice Eugénie : Rothoma­go, féerie de MM. d’En­nery, Clairville et Mon­nier. Avec ses 2 500 places et une scène de 24 x 35 mètres, ce théâtre est alors la plus grande salle de Paris.

À par­tir de 1873, le Châtelet joue un rôle pri­mor­dial dans la vie musi­cale française avec l’in­stal­la­tion de l’As­so­ci­a­tion des Con­certs Colonne. Dirigé par son fon­da­teur Édouard Colonne jusqu’à sa mort en 1910, l’Orchestre Colonne fait décou­vrir au pub­lic du Châtelet les com­pos­i­teurs français de son époque (Bizet, Saint-Saëns, Lalo, Massenet, Rav­el…), ressus­cite le génie de Berlioz, mais joue égale­ment Mendelssohn, Wag­n­er, Liszt, Schu­mann, Brahms… Des com­pos­i­teurs tels que Tchaïkovs­ki, Grieg, Richard Strauss ou Debussy vien­nent y diriger leurs pro­pres œuvres. D’autres orchestres sont aus­si invités. En 1900, Gus­tav Mahler y dirige son pre­mier con­cert en France à la tête de l’Orchestre phil­har­monique de Vienne.

En 1908, sous l’égide de l’im­pre­sario et édi­teur de musique Gabriel Astruc, le Châtelet est le lieu d’un véri­ta­ble séisme avec la pre­mière sai­son des Bal­lets russ­es de Diaghilev, mêlant art lyrique et chorégraphique.

La soirée du 19 mai 1909 est réelle­ment his­torique. Le Tout-Paris y sacre ses nou­velles idol­es en la per­son­ne des danseurs Tama­ra Karsav­ina, Anna Pavlo­va et Vaslav Nijin­s­ki, dans des décors et cos­tumes d’Alexan­dre Benois et de Léon Bakst. Quelques jours plus tard, Feodor Chali­ap­ine fait au Châtelet sa deux­ième grande presta­tion parisi­enne, dans le rôle-titre d’I­van le Ter­ri­ble de Rimski-Korsakov.

En 1910, Astruc pro­pose une sai­son ital­i­enne avec la troupe du Met­ro­pol­i­tan Opera de New York amenée par Arturo Toscani­ni. C’est aus­si pour les Parisiens l’oc­ca­sion d’ap­plaudir le grand Caru­so dans I Pagli­ac­ci, Aïda ou lors de la créa­tion parisi­enne de Manon Lescaut de Puccini.

De 1928 à 1966, le Théâtre du Châtelet est dirigé par Mau­rice Lehmann. Celui-ci se lance dans l’opérette à grand spec­ta­cle et signe lui-même de nom­breuses mis­es en scène. C’est au Châtelet que le pub­lic parisien peut alors décou­vrir les musi­cals qui font fureur à Broad­way. En 1941, Mau­rice Lehmann con­naît son plus grand suc­cès avec Valses de Vienne sur les musiques de Johann Strauss père et fils. Vien­dront ensuite L’Auberge du cheval blanc (1948), Le Chanteur de Mex­i­co (1951), Méditer­ranée (1955), Mon­sieur Car­naval (1965)… où l’on retrou­ve les noms de Fer­nan­del, Luis Mar­i­ano, Fran­cis Lopez, Tino Rossi, Georges Guétary…

En 1980, après une péri­ode con­trastée et le réamé­nage­ment de la salle, la Ville de Paris reprend le Châtelet, dénom­mé Théâtre musi­cal de Paris (TMP), qui ouvre à nou­veau sous la direc­tion de Jean-Albert Carti­er et la prési­dence de Mar­cel Landows­ki. La pro­gram­ma­tion et le prix des places doivent attir­er le pub­lic le plus large. Au début, le TMP accueille de nom­breuses pro­duc­tions français­es et étrangères, organ­ise des copro­duc­tions et abrite cer­taines man­i­fes­ta­tions parisi­ennes (Fes­ti­val d’Au­tomne, fes­ti­vals de danse, de poésie, de jazz…).

Lorsque Jean-Albert Carti­er décide de quit­ter le Théâtre musi­cal de Paris, son adjoint, Stéphane Liss­ner, est nom­mé à la tête du théâtre. La salle reprend son nom orig­inel de Théâtre du Châtelet. L’am­bi­tion de Stéphane Liss­ner est de redonner au Châtelet le pres­tige inter­na­tion­al, le rôle de créa­tion et d’in­no­va­tion qu’il a con­nus au début du siè­cle, dans un esprit d’ou­ver­ture où se trou­vent réu­nis toutes les formes de spec­ta­cle et les gen­res musi­caux les plus var­iés. Les saisons musi­cales s’or­gan­isent autour de “cycles” faisant appel aux meilleurs orchestres, chefs et solistes : “Inté­grale Gus­tav Mahler”, “L’Eu­rope musi­cale de 1650 à 1750”, “La musique française de Berlioz à Debussy”, “Musique de notre siè­cle”, Robert Schu­mann, Béla Bar­tok, Richard Strauss, Lud­wig van Beethoven, Arnold Schoen­berg, Igor Stravin­sky, Hom­mage à Györ­gy Ligeti, Bicen­te­naire Franz Schubert.

Après une sai­son de silence, le Théâtre du Châtelet rou­vri­ra ses portes au début d’oc­to­bre 1999 sous la nou­velle direc­tion de Jean-Pierre Bross­mann, avec au programme :


Jean-Pierre Bross­mann.
© MARIE-NOËLLE ROBERT/CHÂTELET

  • 40 représen­ta­tions lyriques : Orphée et Euridice, et Alces­te de Glück, la créa­tion en France d’Outis, le dernier opéra de Luciano Berio, Dok­tor Faust de Busoni, Mithri­date de Mozart et, en ver­sion de con­cert, Daph­né de Richard Strauss. D’autre part, au Fes­ti­val des régions, un pre­mier invité, le Capi­tole de Toulouse, présen­tera Louise de Gus­tave Char­p­en­tier et Ham­let d’Am­broise Thomas ;
  • 35 représen­ta­tions de bal­lets qui offriront l’oc­ca­sion de décou­vrir, entre autres, de nou­velles visions de deux grandes œuvres de Tchaïkovs­ki : Casse-Noisette par le Bal­let Béjart de Lau­sanne et Le Lac des cygnes choré­graphié par John Neumeier avec le Bal­let de Ham­bourg. En prélude au Fes­ti­val des Régions, le Bal­let de l’Opéra Nation­al de Lyon présen­tera deux programmes ;
  • des cycles sym­phoniques, aux­quels par­ticiper­ont de grands orchestres inter­na­tionaux, par­mi lesquels le Con­cert­ge­bouw d’Am­s­ter­dam, la Staatskapelle de Dres­de, les Orchestres de Philadel­phie, Chica­go…, alterneront avec une nou­velle série de réc­i­tals de chant qui per­me­t­tra d’en­ten­dre quelques-uns des meilleurs inter­prètes d’au­jour­d’hui : Cecil­ia Bar­toli, Thomas Hamp­son, Jessye Nor­man, et bien d’autres encore.
  • des con­certs hors soirée, et bien d’autres enchantements.

Rénovations

Pen­dant ces vingt dernières années, la Ville de Paris a engagé des travaux importants.

En 1979, la fos­se d’orchestre, les planch­ers de la scène et les fau­teuils sont refaits. En 1989, l’a­cous­tique et la vis­i­bil­ité sont améliorées, et la salle réamé­nagée pour un meilleur con­fort. En revanche, depuis les années 50, la cage de scène n’a béné­fi­cié d’au­cune inter­ven­tion con­séquente, hormis des ren­force­ments ponctuels de char­p­ente qui ont dû être réal­isés en décem­bre 1995.

Le vol­ume de la cage de scène, dont l’im­por­tance est impres­sion­nante, 18 000 m3, ren­ferme la par­tie vive, mais cachée, du théâtre, c’est-à-dire l’ensem­ble de la machiner­ie scénique et les cas­es à décors. Cet espace s’étend :

— en hau­teur : des fon­da­tions à la charpente,
— en largeur : du mur côté jardin (à gauche lorsqu’on regarde la scène à par­tir de la salle) au mur côté cour (à droite),
— en pro­fondeur : de l’a­vant-scène au mur lointain.

Théatre du Châtelet : Coupe longitudinale
© CHÂTELET

On peut divis­er cet espace en trois zones dis­tinctes : les dessous, la scène, les cintres.

C’est dans les cin­tres que sont manip­ulés et stock­és en par­tie les décors. C’est aus­si le lieu d’ac­crochage des dif­férents sys­tèmes d’é­clairage mon­tés sur des hers­es. Les cin­tres sup­por­t­ent donc plusieurs tonnes de machiner­ie et équipements divers. Ils se com­posent eux-mêmes de dif­férents éléments :

— le gril et le faux gril, qui con­stituent le pla­fond tech­nique de la cage de scène,
— les passerelles, per­me­t­tant aux tech­ni­ciens de cir­culer et de procéder aux mou­ve­ments de décors. Au Châtelet, elles se répar­tis­sent sur trois niveaux, appelés “ser­vices”,
— les équipes : por­teuses, perch­es, poulies, “com­man­des”.

Out­re ces élé­ments “scéno­graphiques”, les instal­la­tions élec­triques de la cage de scène, ali­men­tées par cinq réseaux issus du tableau général basse ten­sion sont remis­es aux normes. S’agis­sant des instal­la­tions de sec­ours, le réseau d’in­cendie est rem­placé par des appareils nor­mal­isés : l’ensem­ble des dis­posi­tifs, rideau d’eau, “grand sec­ours” est remis en état.

Par ailleurs, les divers réseaux courants faibles, sonori­sa­tion, vidéo, télé­phone, inter­com, son­ner­ies d’ap­pel infor­ma­tique, pilotage de l’é­clairage scénique, lignes Radio France, sont remis en état et optimisés.

Le Châtelet aujourd’hui

Mais qu’est-ce qui ani­me le Théâtre du Châtelet tous les jours ? Peut-on imag­in­er qu’il y a cent trente per­ma­nents dans cette entre­prise ? Auriez-vous pen­sé qu’il faut env­i­ron vingt-cinq per­son­nes pour l’ac­cueil de deux mille spec­ta­teurs chaque soir, et le con­trôle des spectacles.

Le Théâtre parvient à con­cen­tr­er plus de deux cent dix représen­ta­tions sur dix mois de l’an­née. Huit cents artistes en alter­nance nous offrent leurs tal­ents divers : soix­ante midis musi­caux et trente dimanch­es matins, vingt con­certs de renom­mée inter­na­tionale, dix réc­i­tals et, bien sûr, les douze opéras et bal­lets de la saison.

Tout ceci ne peut exis­ter que par l’ap­port des sub­ven­tions de la Ville de Paris (deux tiers du bud­get du Théâtre), du mécé­nat d’en­tre­pris­es et de par­ti­c­uliers. Pour per­me­t­tre à cette grande scène lyrique de sub­sis­ter et d’of­frir des spec­ta­cles de qual­ité, pour que les jeunes puis­sent décou­vrir ce qui nous émeut tous dans l’ex­pres­sion artis­tique, on se doit d’aider le Théâtre.

Télé­phone : 01.40.28.29.29,
ou CIAM.chatelet [at] wanadoo.fr
Le Cer­cle inter­na­tion­al des amis et mécènes du Châtelet (ou CIAM Châtelet) offre de nom­breux avan­tages aux amis donateurs.

Siè­cle après siè­cle, notre cul­ture s’est élaborée à tra­vers l’art, et pour qu’il se développe et nous imprègne, il lui faut des moyens. Pour qu’une scène soit vivante, il lui faut des mécènes. Elle en a tou­jours eu : rois, aris­to­crates, grands bour­geois, et aujour­d’hui tous les amis de l’art. Ce rôle de mécène nous incombe désormais.

Amoureux du théâtre lyrique, chanteur à mes heures, je me suis engagé comme bénév­ole pour aider le Théâtre du Châtelet parce qu’il est précurseur, parce qu’il est à l’im­age de Paris, parce qu’il est une scène de pres­tige. Vous aimez un fes­ti­val per­ma­nent ? Aidez-le aussi !

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