Laurent Schwartz, professeur de mathématiques à l'Ecole polytechnique

Hommage de la promotion 1970 à Laurent Schwartz

Dossier : Vie de l'associationMagazine N°784 Avril 2023
Par Christian GUITTET (X70)

La pro­mo 1970 a fêté ses 50 ans le 3 févri­er, avec trois ans de retard pour cause de Covid. Les retrou­vailles n’en ont été que plus chaleureuses et nous ont don­né l’occasion d’évoquer nos sou­venirs : en par­ti­c­uli­er nous avons tous été pro­fondé­ment mar­qués par notre pro­fesseur de math­é­ma­tiques, Lau­rent Schwartz, auquel nous souhaitons qu’une voie de Paris rende hommage.

Sans doute faut-il expli­quer aux cama­rades qui n’ont pas eu la chance de le con­naître qu’il était non seule­ment un math­é­mati­cien de renom­mée mon­di­ale, mais aus­si un péd­a­gogue excep­tion­nel, un émi­nent lépi­dop­tériste et un défenseur infati­ga­ble des opprimés, des droits de l’homme et de ceux des peuples.

Un illustre mathématicien

Lau­rent Moïse Schwartz est né dans une famille imprégnée de cul­ture sci­en­tifique, le 5 mars 1915 à Paris ; il y est mort le 4 juil­let 2002. Son oncle mater­nel est le pro­fesseur Robert Debré, père de la pédi­a­trie mod­erne en France, et aus­si père de Michel Debré. Son grand-oncle par alliance, Jacques Hadamard, est lui aus­si un célèbre mathématicien.

“On ne peut pas avancer si l’on n’est pas subversif.”

Il est le pre­mier Français à avoir obtenu, en 1950, la médaille Fields, l’équivalent du prix Nobel pour les math­é­ma­tiques, pour ses travaux sur la théorie des dis­tri­b­u­tions, dev­enue un out­il indis­pens­able à la physique théorique. Il était mem­bre de l’Académie des sci­ences et plusieurs objets math­é­ma­tiques por­tent son nom. Créer, en math­é­ma­tiques, c’est « vain­cre une inhi­bi­tion et une tra­di­tion. On ne peut pas avancer si l’on n’est pas sub­ver­sif », a‑t-il écrit dans son auto­bi­ogra­phie, Un math­é­mati­cien aux pris­es avec le siè­cle (Odile Jacob, 1997). Cette phrase résume toute sa vie.

Un professeur remarquable

Il a été un pro­fesseur emblé­ma­tique à l’École poly­tech­nique de 1959 à 1980 : en amphi tout nous parais­sait limpi­de mais, lorsque le moment était venu d’apprendre le cours, tout deve­nait soudaine­ment très com­pliqué. Un sou­venir par­mi d’autres : un jour il a mis un théorème aux voix et, con­statant qu’une majorité d’élèves le pen­sait exact, il a entre­pris de le démon­tr­er… Dans son com­bat pour mod­erniser l’École poly­tech­nique, il a aus­si par­ticipé à la créa­tion de son Cen­tre de math­é­ma­tiques en 1966, con­sol­i­dant ain­si le lien indis­pens­able entre enseigne­ment et recherche.

Nom­bre de cama­rades ne le savent pas, même s’ils ont suivi ses cours : Lau­rent Schwartz était égale­ment pas­sion­né par les papil­lons. Sa col­lec­tion, l’une des plus pres­tigieuses au monde, comp­tait près de 20 000 boîtes et pas moins de six espèces por­tent son nom. Selon ses dernières volon­tés, elles ont été don­nées au Muséum nation­al d’histoire naturelle et à d’autres insti­tu­tions en France et à l’étranger.

Un intellectuel engagé et courageux

Il s’est aus­si dis­tin­gué par ses nom­breux com­bats poli­tiques, partout dans le monde : Algérie, Viet­nam, Union sovié­tique, Afghanistan, Chili, Bolivie, Uruguay. Sig­nataire en 1960 du Man­i­feste des 121 en faveur du droit à l’insoumission des appelés français pen­dant la guerre d’Algérie, il a été écarté de l’enseignement à l’X de 1961 à 1963. Il s’est inlass­able­ment bat­tu pour que toute la lumière soit faite sur la dis­pari­tion de Mau­rice Audin, son élève. Comme de nom­breux intel­lectuels anti­colonialistes, il a été men­acé d’un atten­tat par l’OAS – son apparte­ment a même été plas­tiqué en 1962.

Très sur­pris que plus de vingt ans après son décès aucune voie parisi­enne ne lui rende encore hom­mage, la pro­mo 1970 a unanime­ment souhaité que cet oubli soit enfin réparé et a envoyé un vœu aux maires de Paris et du 5e arrondisse­ment.  


Pho­togra­phie : © École poly­tech­nique — Ph. Lavialle

14 Commentaires

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Jean-Marie Met­zgerrépondre
20 avril 2023 à 12 h 08 min

Est-ce que d’autres pro­mos pour­raient s’as­soci­er à la demande de la 70 pour hon­or­er Lau­rent Schwartz par une voie parisi­enne à son nom ? Et sous quelle forme ?

Gérard MAAREKrépondre
20 avril 2023 à 12 h 17 min

Elève de la pre­mière pro­mo à avoir béné­fi­cié de l’en­seigne­ment Lau­rent Schwartz, je ne peux que soutenir cette ini­tia­tive. Une rue parisi­enne à son nom est un bon moyen de per­pétuer le sou­venir de cet homme et de ce pro­fesseur excep­tion­nel. Gérard MAAREK (X59)

Frédéric Wro­nec­kirépondre
20 avril 2023 à 12 h 33 min

Je suis de la 71 et je sou­tiens votre initiative !

Lavaudrépondre
20 avril 2023 à 15 h 25 min

Excel­lente idée que de don­ner le nom de notre pro­fesseur à une voie de Paris ou d’ailleurs. Je me rap­pelle avoir appris son décès un jour vers 11 heures. C’é­tait dans un mag­a­sin qui dif­fu­sait quelque radio récréa­tive (Chérie FM peut-être) et c’é­tait l’heure des infor­ma­tions. On n’a pas man­qué de rap­pel­er qu’il était l’au­teur de la théorie des dis­tri­b­u­tions. Je doute que beau­coup d’au­di­teurs aient com­pris de quoi il s’agis­sait mais ce coup de cha­peau était le bienvenu.
Xavier Lavaud X75

JEANBRAU Chris­t­ian (X 63)répondre
20 avril 2023 à 16 h 15 min

Très bonne ini­tia­tive. C’é­tait assuré­ment à tous points de vue un homme exceptionnel.
Il faut élargir la demande à toutes les pro­mos qui ont béné­fi­cié de son enseignement.
Pour la 63, pren­dre con­tact avec le major, Jacques Attali, qui me sem­ble être un point d’en­trée intéres­sant vers l’aboutisse­ment de la démarche.

Berthe­lin, X73répondre
20 avril 2023 à 17 h 49 min

Voir aus­si

https://paysdepoesie.wordpress.com/2013/08/13/schwartz-et-banach/

PERRINE (X71)répondre
21 avril 2023 à 12 h 01 min

De la pro­mo 71, je sou­tiens aus­si cette ini­tia­tive. Lau­rent Schwartz a don­né son “témoignage pour l’avenir” dans l’ou­vrage de ses sou­venirs : Un math­e­mati­cien aux pris­es avec le siè­cle (Odile Jacob 1997)

Fran­cis BEHRrépondre
21 avril 2023 à 17 h 10 min

L’en­seigne­ment de Lau­rent Schwartz était un véri­ta­ble théâtre, tant il excel­lait à ren­dre vivant ses cours de mathématiques.
Je garde un sou­venir extra­or­di­naire de son amphi inau­gur­al en 1959 : nous n’avions prob­a­ble­ment pas con­science d’avoir la chance d’avoir un tel savant comme professeur.
C’est uen excel­lente idée de nom­mer une rue en sa mémoire

Michel KASSERrépondre
21 avril 2023 à 17 h 22 min

J’ai gardé un sou­venir ébloui de ce pro­fesseur, et je sou­tiens com­plète­ment cette démarche.

Alain Brunet (X70)répondre
21 avril 2023 à 20 h 27 min
– En réponse à: Michel KASSER

Aux admi­ra­teurs de Lau­rent Schwartz qui s’in­téressent égale­ment à l’his­toire des math­é­ma­tiques, je sig­nale la thèse de doc­tor­at d’Anne-San­drine Pau­mi­er “Lau­rent Schwartz (1915–2002) et la vie col­lec­tive des mathématiques”.
Avec notam­ment ses chapitres sur l’élab­o­ra­tion de la Théorie des Dis­tri­b­u­tions et sur la créa­tion du Cen­tre de Math­é­ma­tiques de l’Ecole Polytechnique.
https://www.google.com/url?sa=t&source=web&rct=j&url=https://core.ac.uk/download/pdf/47091476.pdf&ved=2ahUKEwjRseLnsLv-AhUSVKQEHRrPBN0QFnoECDYQAQ&usg=AOvVaw35YXzLVkU5SceChMZWMCrC

Bayle Michel ( X65)répondre
22 avril 2023 à 9 h 34 min

J’ai eu d’excellents profs dans ma vie, mais jamais comme Lau­rent Schwartz. En suiv­ant son cours d’analyse, j’ai eu le sen­ti­ment, le priv­ilège de côtoy­er un grand savant, un grand péd­a­gogue, un human­iste, bref, un grand homme.
Je m’associe bien sûr à la bonne idée de lui dédi­er une rue, à Paris ou ailleurs.
Une sim­ple pré­ci­sion : son apparte­ment n’a pas été seule­ment plas­tique par l’OAS, mais son fils enleve, heureuse­ment sans mal.
En 1965, il ne sem­blait plus porter heureuse­ment les stig­mates de tout cela.

MORINrépondre
23 avril 2023 à 10 h 40 min

C’est Lau­rent Schwartz qui nous a fait notre pre­mier amphi à l’X.
Sujet : l’infini en math­é­ma­tiques, les axiomes de Can­tor, les théorèmes de Bermstein, l’hypothèse du continu.
A nos côtés se trou­vait un élève de la 66 qui, selon ses dires, avait redou­blé pour avoir Schwartz comme pro­fesseur : il était époustouflé.
Quant à nous, nous étions émer­veil­lés. Le charme a duré toute l’année.
Nous suiv­ions ses cours comme des romans policiers : vite, la suite !
A la fin de chaque cours, il pre­nait soin de dire quelques mots d’introduction sur le sujet suiv­ant : pour nous don­ner envie de revenir.
Mais l’instant le plus fab­uleux s’est pro­duit le jour où Schwartz a « séché ».
Expli­ca­tions : mal­gré une appar­ente facil­ité, il est prob­a­ble qu’il pré­parait beau­coup ses cours. Il arrivait en cours avec quelques notes, juste un canevas.
Et un jour, après avoir énon­cé une pro­priété inter­mé­di­aire, il a eu un blocage.
Il ne par­ve­nait pas à démon­tr­er cette pro­priété. Après quelques ten­ta­tives, il nous a dit : « On cherche cha­cun de notre côté. On se donne trois min­utes. Si on ne trou­ve pas, on admet­tra cette pro­priété et on con­tin­uera le cours ».
Et c’est alors que nous avons vu Schwartz démon­ter la mécanique et, selon un mot qui lui était cher, « prouver ».
Nous con­nais­sions l’enseignant.
Ce jour-là, nous avons vu le math­é­mati­cien en action.
Ce fut l’instant le plus mar­quant de nos études à l’X.

Bri­an­court Yann (X j59)répondre
29 avril 2023 à 23 h 33 min

C’était en effet un pro­fesseur éblouis­sant et fasci­nant. Tout parais­sait sim­ple lorsqu’il enseignait, (à grandes enjam­bées), les théories les plus com­plex­es. Un grand savant et un péd­a­gogue hors pair.
Je sou­tiens moi aus­si l’idée de lui dédi­er une rue dans le 5 arrondissement

Chris­t­ian Gui­t­tet (X70)répondre
9 juin 2023 à 17 h 04 min

Cher cama­rades,
Mer­ci pour tous vos sou­tiens, encour­age­ments, com­men­taires et réactions.
Les choses parais­sent être en bonne voie. Notre cama­rade René-Fran­cois Bernard (70), con­seiller de Paris, nous fait savoir que la Com­mis­sion de Dénom­i­na­tion de la Ville de Paris avait inscrit à son ordre du jour de juin la dénom­i­na­tion d’un espace pub­lic en faveur de Lau­rent Schwartz. L’Ad­jointe à la Maire de Paris Lau­rence Patrice a indiqué les nom­breuses inter­ven­tions en faveur de cette délibéra­tion et le vœu au Con­seil du 5ème de sa col­lègue Mme Lemarde­ley. Il a rap­pelé que la Pro­mo­tion X70 était à l’o­rig­ine de cette mobil­i­sa­tion col­lec­tive, relayée indi­vidu­elle­ment par nos cama­rades, pour le Pro­fesseur qui a porté sa très forte mar­que tant sur le plan péd­a­gogique que pour ses engage­ments poli­tiques… Les dif­férentes propo­si­tions d’e­spaces publics for­mulées par nos cama­rades ont été évo­quées et il a rajouté l’al­lée cen­trale du jardin qui est con­cédé à la Ville de Paris devant le Pavil­lon Bon­court ( Min­istère de la Recherche) dans l’axe de la Salle Hubert Curien…
C’est à l’é­tude à la Direc­tion des Espaces Verts avant d’être délibéré au Con­seil de Paris de juillet.

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