L’Atlantique à la rame : retour sur l’aventure

Dossier : ExpressionsMagazine N°656 Juin/Juillet 2010
Par Laurence de RANCOURT
Par Catherine RÉMY (98)
Par Laurence GRAND-CLÉMENT (97)
Par Quitterie MARQUE (97)


La Jaune et la Rouge con­sacrait dans ses numéros des mois d’oc­to­bre et décem­bre 2009 deux arti­cles sur les pré­parat­ifs et les aspects tech­niques de ce défi. L’équipe des ” Rames-Dames ” raconte.

Route et système météo

Le départ, ini­tiale­ment prévu le 6 décem­bre 2009, a finale­ment été don­né un mois plus tard, faute de fenêtre météo pour lancer la flotte dans l’im­men­sité de l’At­lan­tique. Cela lais­sait présager des con­di­tions que nous avons ren­con­trées. En effet, une coquille de noix comme la nôtre — 8 m de long sur 2 m de large — est extrême­ment sen­si­ble aux con­di­tions de nav­i­ga­tion (vent, houle, courant). 10 nœuds de vent d’ouest suff­isent à nous faire reculer vers l’Afrique. 

Nous avions établi une route opti­male en fonc­tion des don­nées sta­tis­tiques pour cette péri­ode de l’an­née : cap au sud-ouest pour le pre­mier tiers du tra­jet, puis ouest au large du cap Vert afin de prof­iter des alizés. Nous avions prévu ensuite d’op­ti­miser cette route en fonc­tion des sys­tèmes météo que nous crois­e­ri­ons in situ.

Aux pris­es avec les vents contraires 

Nous avions pour nous aider dans nos choix un rou­teur basé à Paris, Jean-Philippe Ricard (97). Au jour le jour, nous décid­ions avec lui du cap à pren­dre pour opti­miser au mieux notre route. Nous avons ain­si finale­ment plongé beau­coup plus au sud afin d’échap­per aux dépres­sions qui défi­laient vers l’ouest, et afin de par­tir en quête des alizés, les grands absents cette année. 

On regroupe sous le terme d’al­izés ces vents per­sis­tants et réguliers qui provi­en­nent des zones trop­i­cales et se diri­gent vers l’équa­teur en souf­flant, à longueur d’an­née, du nord-est vers le sud-ouest dans l’hémis­phère Nord et du sud-est vers le nord-ouest dans l’hémis­phère Sud. Ils sont en général mieux étab­lis entre décem­bre et avril. 

Nous avons opti­misé autant que faire se pou­vait, mais avons tout de même été pris­es dans un sys­tème de vents con­traires au milieu de la tra­ver­sée. Nous avons alors dû nous met­tre sur ancre de mer1 afin de ralen­tir autant que pos­si­ble notre dérive vers l’est. Dur pour le moral, mais nous en avons prof­ité pour répar­er ce qui devait l’être et notam­ment faire de la main­te­nance sur nos sièges qui com­mençaient déjà à faire des leurs. 

Comment gérer les petits soucis

Nous ramions nuit et jour, nous relayant toutes les une heure et demie la journée et toutes les deux heures la nuit. 

Les con­di­tions ont été assez sportives au départ et à l’ar­rivée : nous avons dû faire avec des creux de qua­tre à cinq mètres au large des Canaries et essuyé deux gros grains au large des Caraïbes. 

Les petits soucis que nous avons dû gér­er furent essen­tielle­ment d’or­dre mécanique : forte cor­ro­sion des roule­ments à billes des sièges coulis­sants et ali­men­ta­tion défail­lante du pilote automa­tique. Le jeu de l’au­tonomie ou com­ment dop­er l’ingéniosité des mem­bres de l’équipage. Les sièges étaient, en effet, comme sur un avi­ron clas­sique, mon­tés sur roues et couliss­es. Les roule­ments à billes des roues por­tant les sièges ont été très rapi­de­ment cor­rodés par le sel et l’eau. Sans roues, nous auri­ons dû ramer à la force des bras unique­ment, il fal­lait qu’elles tour­nent . Le pilote automa­tique, quant à lui, avait des prob­lèmes d’al­i­men­ta­tion, sa prise étant sujette aux assauts des vagues qui pas­saient pardessus bord ou sur le pont. 


A l’ar­rivée

Une traversée en autonomie

Nous avons ramé pen­dant soix­ante-qua­tre jours sans voir de bateau, quelques car­gos de trans­port de marchan­dis­es au loin tout au plus. Nous avons en revanche croisé baleine, dauphins, raies, mar­lin et autres représen­tants de la faune aqua­tique. Sans oubli­er les oiseaux : à chaque lever et couch­er du soleil, nous avions la vis­ite de petits oiseaux type sterne. Sur­prenant, surtout au beau milieu de l’Atlantique. 

Vrai­ment déli­cieux, les repas déshydratés 

Les repas se con­sti­tu­aient essen­tielle­ment de déshy­dratés, une des bonnes sur­pris­es de cette aven­ture d’ailleurs. Vrai­ment déli­cieux. Nous étions en effet, rap­pelons-le, en autonomie com­plète. L’én­ergie était pro­duite par les pan­neaux solaires et stock­ée dans deux bat­ter­ies. Elle nous ser­vait à dessaler l’eau (20 l/heure, désalin­isa­teur par osmose inverse, élec­trique), à faire fonc­tion­ner nos appareils de nav­i­ga­tion (pilote automa­tique, GPS) et à recharg­er divers équipements (appareil pho­to, etc.). La nour­ri­t­ure, quant à elle, était stock­ée sous le pont. 

Nous avons touché terre le 9 mars 2010, après soix­ante-qua­tre jours de mer. L’in­stant fut mag­ique. Nous avons retrou­vé nos proches qui nous attendaient au port, avec une démarche mal assurée… le mal de terre sans doute. 

Une belle aven­ture. Humaine, physique, men­tale, glob­ale. Nous avons aujour­d’hui repris un quo­ti­di­en qui, bien loin de nous sem­bler gris, a au con­traire une autre saveur. Un peu plus de sel. 

1. L’an­cre de mer est un para­chute d’1 m 50 de diamètre, relié au bateau par un bout de 80 m (ou 30 m suiv­ant les temps). Déployé, il freine le bateau, l’empêchant ain­si de trop dériv­er en cas de vent con­traire.

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