Le tour du monde des énergies : geysers solaires au Pakistan

Dossier : ExpressionsMagazine N°629 Novembre 2007
Par Blandine ANTOINE (01)
Par Elodie RENAUD (01)

Multan — de la sécurité énergétique à l’aval

14 avril - à Lahore, nous n’au­rons pas le loisir de flân­er dans les jardins de Shal­i­mar con­stru­its sous le règne de Shah Jahan, empereur moghol dont nous retrou­verons la trace à Agra (Inde).

Cela ne nous empêche pas d’ap­préci­er le cli­mat agréable de la cap­i­tale du Pend­jab, dont l’ac­cueil chaleureux des habi­tants se traduit en copieuses bro­chettes et myr­i­ades de plats épicés. À peine aurons-nous présen­té notre voy­age aux écol­iers du très bri­tan­nique Aitchi­son col­lege (ne seraient l’air sec et la pous­sière de la route, on se croirait trans­portées à Gig­gleswick au milieu des prés du York­shire), que nous filons à Multan. 


Audi­ence fémi­nine pour la présen­ta­tion du Tour des Éner­gies à Multan.

Chauffe-eau solaire de Sun­Wash, à la sta­tion Total Par­co de Rawalpin­di (ban­lieue d’Islamabad).

 
Mul­tan
 : près de la ville des sanc­tu­aires, Alexan­dre le Grand aurait été atteint par la flèche empoi­son­née qui le mena au tré­pas ; c’est par la fin de son aven­ture de con­quérant que notre périple com­mence. Mul­tan, l’une des plus vieilles villes habitées au monde, est entourée d’une plaine fer­tile où agrumes et man­guiers ombra­gent de longs champs, dorés plusieurs fois l’an­née. À quelques jours près, c’eut été d’a­gapes de mangues dont nous nous seri­ons ras­sas­iées — nous nous con­tenterons du spec­ta­cle d’une mois­son manuelle, décou­vrant au print­emps les gestes des faucheurs, glaneurs et faiseurs de gerbes chan­tés par George Sand. 

Mul­tan est stratégique­ment située au cen­tre du pays. Dans sa périphérie, à Mah­mood Kot, la raf­finer­ie la plus mod­erne de la région fut instal­lée. Reliée à Karachi par un pipe de brut et à Lahore par une ligne dédiée aux pro­duits raf­finés, elle est gérée par la Pak Arab Refin­ery Com­pa­ny [Par­co, pro­priété con­jointe des gou­verne­ments du Pak­istan et d’Abu Dhabi]. 

Sa posi­tion géo­graphique paraît saugrenue : pourquoi trans­porter le brut depuis les côtes pour le traiter ensuite à l’in­térieur des ter­res ? C’est que, dans un con­texte de ten­sion avec le voisin indi­en, les usines con­cen­trées dans la région côtière de Karachi sont des proies trop faciles aux armes à longue portée modernes. 


Man­i­fes­ta­tion de par­ti­sans du Garde des Sceaux sur la route d’Is­lam­abad à Peshawar, avril 2007.

La ” Mid-Coun­try Refin­ery ” emploie 1 600 per­son­nes dans une usine si pro­pre et si bien entretenue qu’on la croirait tourn­er à vide. Inau­gurée en sep­tem­bre 2000 avec un mois d’a­vance sur l’échéance prévue, cette raf­finer­ie est la plus récente et la plus grande du pays, capa­ble de traiter 100 000 barils/jour grâce à un investisse­ment de près de 900 M$. Dans cet océan de moder­nité, la nature se rap­pelle à nous — du haut des vapoc­raque­urs, on aperçoit l’Indus. 

Des brûleurs à faible émis­sion de NOx et SOx s’ac­tivent, une torche sans fumée et un sys­tème de con­trôle en ligne des rejets envi­ron­nemen­taux ont été instal­lés. On y pro­duit du GPL, de l’essence, du kérosène et des jet-fuels, du diesel et du fioul, en util­isant notam­ment des colonnes de dis­til­la­tion à pres­sion atmo­sphérique et sous vide, des plate­formes CCR, de quoi puri­fi­er naph­ta et diesels, des unités de traite­ment à l’amine pour désul­fu­ris­er les liq­uides, et des sys­tèmes de con­cen­tra­tion des gaz. Ayant appris qu’elle dis­pose d’un sys­tème de traite­ment des efflu­ents des plus mod­ernes, nous nous intéres­sons plus par­ti­c­ulière­ment à l’u­nité de traite­ment des eaux usées. 

Ayant la chance d’être logées sur place, nous appré­cions de dis­cuter avec le respon­s­able des unités de vie con­stru­ites autour de la raf­finer­ie. Nous ren­dons égale­ment vis­ite aux élèves de l’é­cole qui accueille les enfants de familles venues des qua­tre coins du pays tra­vailler pour Par­co. C’est l’oc­ca­sion de présen­ter la France, et surtout quelques-uns des pro­jets vis­ités pen­dant notre voy­age. Les cap­teurs solaires ther­miques font l’ob­jet de nom­breuses ques­tions aux­quelles nous ne savons répon­dre : pourquoi n’en voit-on pas plus sur les toits pakistanais ? 

Des chauffe-eau solaires pour appâter le chaland ?


Vue par­tielle des longs toits de l’u­sine Irfan près de Lahore, où pour­raient être instal­lés des cap­teurs solaires

C’est à Islam­abad qu’un embry­on de réponse nous est apporté. Total Par­co Pak­istan Ltd, joint ven­ture de dis­tri­b­u­tion de pro­duits pétroliers au Pak­istan entre Total et Par­co, a décidé la mise en place d’un pro­jet pilote intéres­sant : l’in­stal­la­tion de gey­sers solaires sur le toit de cer­taines sta­tions-ser­vice, afin de chauf­fer l’eau util­isée dans les postes de lavage de véhicules. Pour créer Sun­Wash, l’en­tre­prise s’est appuyée sur l’ex­per­tise de la GTZ1 qui s’est chargée d’aider les fab­ri­cants locaux à amélior­er la qual­ité de leurs produits. 

Le lavage à l’eau chaude est certes fac­turé à un tarif légère­ment supérieur au lavage clas­sique mais il lave ” plus pro­pre ” et en un temps réduit. En out­re, la con­som­ma­tion d’eau est sig­ni­fica­tive­ment dimin­uée. Ce pro­jet n’est pas une révo­lu­tion tech­nique, mais s’at­tache à chang­er les moeurs. 

Les pan­neaux sont vis­i­bles de toute la sta­tion-ser­vice ; ils attirent l’oeil… et les ques­tions des clients. Sun­Wash est-il pour autant un suc­cès com­mer­cial dans un pays où la sen­si­bil­i­sa­tion à l’en­vi­ron­nement est encore faible ? Dif­fi­cile à dire, alors que la sta­tion n’est opéra­tionnelle que depuis peu. Le gérant de la sta­tion bougonne et trou­ve l’af­faire peu rentable ; l’en­tre­prise, elle, y croit au point de vouloir répli­quer l’in­stal­la­tion sur d’autres sites, bien qu’elle eut préféré voir son parte­naire con­seil choisir une tech­nolo­gie moins onéreuse au risque d’être moins effi­cace2

Du textile et de ses coûts de production

Cette vis­ite en tête, nous aurons le plaisir de dis­cuter avec les respon­s­ables tech­niques d’Ir­fan Tex­tiles de l’in­térêt d’in­staller des cap­teurs ther­miques sur les toits de leur usine où sont fab­riquées toutes sortes de vête­ments de mar­ques sport des­tinés à l’ex­port. M. Irfan est sen­si­ble à l’idée d’u­tilis­er l’én­ergie solaire pour dimin­uer sa fac­ture énergé­tique (élec­trique et diesel). En 2005, il avait approché une équipe aus­trali­enne qui se pro­po­sait d’in­staller quelques chauffe-eau solaires, mais aus­si, et à notre éton­nement sincère, une série de cli­ma­tiseurs solaires. L’in­vestisse­ment avait alors été jugé trop élevé, mais l’in­térêt est tou­jours là. Les besoins de la man­u­fac­ture ? 1,05 MW d’élec­tric­ité tirés du réseau et d’une unité de généra­tion pro­pre (gaz et diesel), mise en ligne pour com­penser les irrégu­lar­ités de ten­sion et de puis­sance liées au manque de capac­ité élec­trique pak­istanais ; 400 000 à 500 000 litres d’eau chaude par cycle de 8 heures. 

Les respon­s­ables énergie de l’u­sine font déjà la chas­se aux pertes énergé­tiques de l’en­tre­prise. L’au­toma­ti­sa­tion du con­trôle des vitesses et du courant délivrés aux séchoirs et la mise en par­al­lèle des réser­voirs d’eau chaude ont per­mis d’é­conomiser 20 % de leurs con­som­ma­tions énergé­tiques ; des cam­pagnes de sen­si­bil­i­sa­tion des employés (par voie d’af­fichage en par­ti­c­uli­er) ont été lancées ; le suivi des dépens­es de chaque unité a été mis en place et des audits énergé­tiques menés : l’en­tre­prise a suivi les recom­man­da­tions du cen­tre nation­al de con­ser­va­tion de l’én­ergie, ENERCON3, et espère aller plus loin encore dans la réduc­tion de ses coûts de production. 

L’op­tion renou­ve­lable est ain­si étudiée, dans un con­texte de coûts énergé­tiques nationaux crois­sants, avec un intérêt qu’ac­croî­trait assuré­ment l’ex­emp­tion des équipements en jeu de droits de douane, telle qu’en pour­rait décider le gouvernement. 


Le secré­tari­at du Pre­mier min­istre à Islam­abad, où siège l’AEDB.

Promotion des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique

La sus­pen­sion de l’Assem­blée nationale4 en 1999 a fait du gou­verne­ment pak­istanais l’ac­teur omnipo­tent de la déf­i­ni­tion et du lance­ment des poli­tiques économiques nationales. Afin de réduire son expo­si­tion aux marchés pétroliers, il a pour stratégie de dévelop­per les ressources pro­pres du pays : hydrauliques, éoli­ennes et char­bon­nières5.


Blan­dine, M. Khan et Élodie devant l’une des échoppes de l’Arms Bazaar.

Orchestre tra­di­tion­nel pakistanais.


C’est dans cette optique que l’Al­ter­na­tive Ener­gy Devel­op­ment Board [AEDB] a été mis en place en 2003 avec pour ambi­tion qu’en 2050, 10 % de l’élec­tric­ité pak­istanaise soit d’o­rig­ine renou­ve­lable (objec­tif inter­mé­di­aire de 5 % en 20306 ). La poli­tique de développe­ment des éner­gies renou­ve­lables établie en 2006 vise la sécu­rité énergé­tique (diver­si­fi­ca­tion du mix énergé­tique), l’ac­céléra­tion du développe­ment (notam­ment des zones rurales), l’équité sociale (hausse du faible niveau de con­som­ma­tion énergé­tique par habi­tant) et la pro­tec­tion de l’en­vi­ron­nement (local et mondial). 

Les gise­ments renou­ve­lables exploita­bles sont impor­tants : 300 MW de poten­tiel micro-hydraulique dans les régions mon­tag­neuses du Nord, inso­la­tion nationale com­prise entre 4,7 et 6,1 kWh/m2 (moyenne jour­nal­ière sur l’an­née), éval­u­a­tion de la vitesse du vent autour de 7 m/s dans le cor­ri­dor éolien de Gharo (région du Sind). Le gou­verne­ment table sur une série d’inci­ta­tions pour leur trou­ver exploitant : un ” secu­ri­ty pack­age ” ras­sur­ant pour l’in­vestisse­ment (notam­ment étranger), l’ex­emp­tion de dif­férents impôts, l’abaisse­ment des tax­es d’im­por­ta­tion, et enfin l’étab­lisse­ment de l’AEDB comme guichet admin­is­tratif unique pour les instal­la­tions de moins de 50 MW. Cou­plé aux ambi­tions de la poli­tique de con­ser­va­tion de l’én­ergie de 2006, voilà qui devrait attir­er investisse­ments et com­pé­tences pour un développe­ment plus durable du pays. À moins que les remous insti­tu­tion­nels ne freinent toute vel­léité d’action. 

D’Islamabad à Peshawar — digression touristique


Vendeur de l’Arms Bazaar, pro­prié­taire d’une éton­nante épée.

Dom­mage que l’our­dou nous soit illis­i­ble ! Les ralen­tisse­ments causés ce week-end du 21 avril sur la route qui mène d’Is­lam­abad à Peshawar par les attroupe­ments d’hommes en blanc arbo­rant tan­tôt le rouge, le vert ou le noir en attrib­uts de tête de cein­ture et de dra­peau nous eussent été plus com­préhen­si­bles ! Le Garde des Sceaux pak­istanais venait d’être ” remer­cié ” par le Prési­dent. Le hic, c’est qu’à moins d’un an des élec­tions prési­den­tielles, il ne l’a guère appré­cié. Et ses par­ti­sans se sont chargés de le faire bruyam­ment savoir, réus­sis­sant à faire annuler la déci­sion du chef d’É­tat — qui devra plus tard tranch­er l’épineuse ques­tion du cumul pos­si­ble de son statut de chef des armées avec celui de prési­dent de sa république islamique. 

À mesure que nous appro­chons les zones trib­ales7 qui lon­gent la fron­tière afghane, nous croi­sons moins de femmes ; celles qui sont dans la rue por­tent plus sou­vent la bur­ka que la dupat­ta des Lahories dont nous avions pen­sé que s’en cou­vrir les cheveux nous aiderait à être moins remar­quées. Les couleurs turquoise et rouge coquet­te­ment choisies tranchent trop sur les rues pous­siéreuses, le ciel gris et les tenues vari­ant uni­for­mé­ment du blanc à l’ocre. Ceci dit, notre présence fémi­nine n’eut pu que déton­ner dans le marché aux armes (Arms bazaar) de la val­lée où l’on nous accueille dans la mai­son d’hôtes à copieuses platées de mou­ton rôti. 

Pas moins d’ailleurs que celle de cette épée française, retrou­vée cla­mant son XVIIIe siè­cle entre trois rangées de kalakovs et autres uzis faits main dans l’une des ruelles où dif­férents arti­sans fab­riquent muni­tions et armes les plus var­iées. On nous pro­posa d’en tester l’er­gonomie — d’où l’u­til­ité du ” stage mili ” sans lequel mouch­er la cible mise en place par nos hôtes eut été moins aisé ! 

À quelques kilo­mètres, la célèbre Passe de Khy­ber per­met à de longues files de camions achem­i­nant vivres et abris en Afghanistan de tra­vers­er l’Hin­du Kush. Défilé reliant la Perse à l’Inde, elle a vu pass­er tous ceux qui se sont intéressés aux richess­es du Gange et de l’In­dus : Alexan­dre, Babur fon­da­teur de l’empire Moghol, la Grande-Bre­tagne impéri­al­iste… Mon­tagnes sèch­es creusées de tun­nels, elles sont con­trôlées par les ” Fusils de Khy­ber8 ” qui ne recru­tent qu’au sein de la tribu Afri­di, et con­tribue aujour­d’hui aux efforts antiter­ror­istes du gou­verne­ment pakistanais. 

Dans cette région sen­si­ble, Islam­abad est loin et les affil­i­a­tions claniques struc­turent les rela­tions com­mer­ciales et poli­tiques. Mokhtar Khan est de ces caméléons qui vivent de fron­tières per­méables, par­lent six langues et se fondent en un rire dans toute société ; il nous fait l’hon­neur de nous intro­duire auprès de ses amis. Nous décou­vrons l’at­mo­sphère joyeuse de ces soirées entre hommes où l’on dis­cute poésie et aspi­ra­tions démoc­ra­tiques, écoute les chan­sons tra­di­tion­nelles ryth­mées d’un trio orches­tral assis en bout de salle, et danse au coeur du cer­cle for­mé par les dix con­vives, un verre de Bour­bon à la main. C’est un tapis, divers­es étoffes et un luth qui s’a­joutent à nos bagages : de quoi faire sen­sa­tion à Del­hi, si nous ne les avions lais­sés auprès de notre hôte à Lahore ! 


Passe de Khy­ber : vue sur Torkham point et la fron­tière afghano-pakistanaise

Car il faut déjà repar­tir — et vous pro­pos­er nos aven­tures indi­ennes dans un prochain arti­cle. À moins que vous ne souhaitiez en trou­ver un avant-goût sur le blog de : www.promethee-energie.org ! Remer­ciements : ces éton­nantes ren­con­tres n’eussent été pos­si­bles sans le sou­tien logis­tique apporté par l’équipe de Total Par­co Ltd, que nous tenons à sincère­ment remercier. 

1. Deutsche Gesellschaft für Tech­nis­che Zusam­me­nar­beit GmbH, organ­isme de coopéra­tion tech­nique allemand.
2. L’ensoleillement pak­istanais est tel que sans effort d’équipement, l’eau d’une bas­sine posée sur un toit atteint rapi­de­ment des tem­péra­tures élevées.
3. Créé en 1987.
4. Rétablie dans ses fonc­tions le 10 octo­bre 2002 en con­for­mité avec la déci­sion prise en 2000 par la Cour suprême de jus­tice. 5. L’un des cinq plus grands gise­ments de char­bon au monde se trou­ve sous le désert du Thar, à l’Est du pays.
6. D’après l’organe régu­la­teur du secteur élec­trique [NEPRA], le pays dis­poserait actuelle­ment d’une capac­ité totale instal­lée de 20 GW, alors que la demande s’élève à 23 GW – et va crois­sant. 50 GW seraient disponibles sous forme de gros bar­rages hydrauliques dans le Nord du pays (dont 6,5 util­isés à ce jour).
7. PATA : provin­cial­ly admin­is­tered trib­al area.
8. Khy­ber Rifles Fron­tier Corps.

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