L’Argot de l’X : et sa rhétorique

Dossier : La Tradition et les Traditions de l'X des origines à nos joursMagazine N°331 Juin 1978Par : Georges COMBET (14)
N° 331 Juin 1978
Dans « Ques­tions de poésie », Paul Valéry déplo­rait que l’é­tude des « phénomènes rhé­toriques » ait été entière­ment délais­sée. « Per­son­ne ne sem­ble avoir même entre­pris de repren­dre l’analyse … de ces emplois, ou plutôt de ces abus de lan­gage, que l’on groupe sous le nom vague et général de « figures ».

Dans « Ques­tions de poésie », Paul Valéry déplo­rait que l’é­tude des « phénomènes rhé­toriques » ait été entière­ment délais­sée. « Per­son­ne ne sem­ble avoir même entre­pris de repren­dre l’analyse … de ces emplois, ou plutôt de ces abus de lan­gage, que l’on groupe sous le nom vague et général de « figures ».

Per­son­ne ne recherche dans l’ex­a­m­en appro­fon­di de ces sub­sti­tu­tions. de ces nota­tions con­trac­tées, de ces mépris­es réfléchies et de ces expé­di­ents, si vague­ment défi­nis par les gram­mairiens, les pro­priétés qu’ils sup­posent et qui ne peu­vent pas être très dif­férentes de celles que met par­fois en évi­dence le génie géométrique ».

Cette lacune est aujour­d’hui comblée. Un groupe d’u­ni­ver­si­taires lié­geois a pub­lié récem­ment chez Larousse un traité rigoureux de « Rhé­torique générale » qui répond exacte­ment au vœu de Valéry.

Et l’on vient de rééditer, dans une col­lec­tion à grand tirage, le savant et vénérable ouvrage de Pierre Fontanier sur les « Fig­ures du dis­cours ». Paru en 1827, c’est, d’après M. Gérard Genette, « l’aboutisse­ment de toute la rhé­torique française, son mon­u­ment le plus représentatif ».

Après plus d’un siè­cle de pro­fond dis­crédit. voici donc la vieille Rhé­torique, jadis des plus glo­rieuses. de nos jours remise en hon­neur, du moins en tant que théorie des figures.

« Les Fig­ures du dis­cours, écrivait en sub­stance P. Fontanier, sont les traits, les formes et les tours par lesquels le lan­gage s’éloigne de ce qui en eût été l’ex­pres­sion sim­ple et commune ».

S’é­carter du lan­gage com­mun, c’est le pro­pre de tous les argots. Et les « excrois­sances » qu’un argot « ente sur le corps du lan­gage » (dis­ait Hugo) ne sont rien autre que des fig­ures du discours.

Tout spé­ciale­ment l’ar­got de l’X, exam­iné sous ce jour, est un flo­rilège de lux­u­ri­antes fig­ures rhé­toriques. Quelques-uns de ses tours des plus car­ac­téris­tiques ont été men­tion­nés par l’au­teur du Livre d’Or de l’X (1962), M. Paul Tuffrau : comme aus­si, déjà, au siè­cle dernier, par Armand Sil­vestre (pro­mo 1857), dans la char­mante pré­face qu ‘il a don­née au gros ouvrage « L’Ar­got de l’X illus­tré par les X » (1894).

A ce pro­pos (ou hors pro­pos), je voudrais dire deux mots du très aimable écrivain — incon­nu, sans doute, de tous nos jeunes cama­rades — que fut Armand Sil­vestre (1837–1901). Sor­ti dans la Sape, mais nulle­ment mili fana, il ne tar­da pas à pan­tou­fler dans l’Ad­min­is­tra­tion (en 1894, il était inspecteur des Beaux-Arts) et à s’a­ban­don­ner à son goût pour les let­tres. Il s’y illus­tra comme auteur d’une mul­ti­tude de con­tes, gais et volon­tiers gaulois (il fut longtemps col­lab­o­ra­teur attitré du Gil Blas), de pièces de théâtre (dont plusieurs furent jouées au Français), de livrets d’opéras… mais aus­si, et d’abord, comme poète : « l’un des plus lyriques, des plus envolés. des plus mys­tiques et des mieux son­nants par­mi les lévites du Par­nasse » a dit Jules Lemaître. Et pour sa part, le mécréant Ana­tole France s’est risqué à le com­par­er à la Sainte d’Av­i­la : « Sainte Thérése donne à l’amour de Dieu le car­ac­tère de l’amour physique, et Armand Sil­vestre prête à la volup­té char­nelle la noblesse des volup­tés idéales ».

Revenons à la rhé­torique. Comme l’X a son argot, la rhé­torique, dirait Etiem­ble, a son jar­gon, tiré du jardin des racines grec­ques. J’en userai avec dis­cré­tion, en met­tant les mots savants entre parenthèses.

L’ar­got de l’X fait subir au lan­gage usuel divers­es sortes de trans­for­ma­tions (ou métaboles). Métabole, d’après Lit­tré : toute espèce de change­ment, soit dans les mots, soit dans les phras­es. En réal­ité les argots, s’ils se plaisent fort à bahuter les mots, lais­sent générale­ment en paix le bon ordre des phras­es. Dans l’ar­got de l’X, on note toute­fois, en matière de lib­ertés syn­tax­iques (de métatax­es) l’emploi fréquent d’ap­po­si­tions abréviatives.

Exem­ples, le code X, l’am­phi Kès, le sévère amphi gueule, présidé par le géné de Kom­miss, etc.

Lan­gages par­lés, les argots ne se soucient pas non plus de l’orthographe. Mais à l’X cir­cu­lent des topos. On y remar­que (entre autres méta­graphes) une prédilec­tion mar­quée pour la voyelle finale Ô (chamô, muzô … ) D’autre part, les noms des deux fortes insti­tu­tions créées par les élèves ne peu­vent s’écrire que Kés et Kom­miss (ou Khom­miss). Aucune hési­ta­tion n’est pos­si­ble, en effet, entre le car­ac­tère décisif de l’ini­tiale K et l’am­biguïté phoné­tique de la con­sonne C, accordée au mol arron­di de sa gra­phie. Quoi, par exem­ple, de plus per­suasif en sa con­ci­sion que la for­mule lap­idaire a T b = KÈS  plac­ardée en macro­ma­jus­cules lors de la cam­pagne de caisse ?

Pour l’essen­tiel, toute­fois, c’est au vocab­u­laire usuel que s’at­taque­nt tous les argots, en rema­ni­ant soit la forme des mots, soit leur signification.

Quant aux change­ments de forme (aux méta­plasmes), l’ar­got de l’X procède surtout par abrévi­a­tion (les « nota­tions con­trac­tées » dont par­lait Valéry). Le plus sou­vent, le mot est amputé de sa queue (par apoc­ope). Exem­ple entre cent : amphi, ana, archi … L’a­copope peut porter sur deux mots suc­ces­sifs. Ain­si mili fana. Autre exem­ple : La Tour Um est un con­den­sé des noms des archi­tectes qui l’éd­i­fièrent : M. Toumaire et le très pop­u­laire Umb­den­stock que nous appe­lions jadis, par un mau­vais calem­bour, périgourdin .

Le mot peut aus­si per­dre sa tête (par aphérèse) : binet, bouret, mis­saire … Il arrive que les deux types de muti­la­tion soient con­joints dans une même expres­sion : pitaine de ser.

Tout spé­ciale­ment sévère est l’opéra­tion qui a été pra­tiquée sur Admin­is­tra­tion. Par résec­tion interne (ou syn­cope) des syl­labes mini et par abla­tion (aphérése) de la finale ion, le mot a d’abord été ramené à la forme canon­ique adstrass. Puis, subis­sant l’at­trac­tion homonymique du nom de mar­que d’une mar­garine, il a été finale­ment réduit à astra, ayant ain­si per­du en chemin, au total, dix let­tres sur quinze.

Bien qu’il mar­que une nette préférence pour les rac­cour­cis, l’ar­got de l’X ne se prive pas d’al­longer cer­tains mots par suf­fix­a­tion, soit régulière (con­scrards), soit fan­tai­sistes (con­scouère, imité de ras­taquouère, en espag­nol traîne cuir).

A ce sujet, gar­dons- nous d’ou­bli­er que le mot rous­péter, qui a sup­plan­té rous­cailler, est d’in­ven­tion poly­tech­ni­ci­enne, comme Armand Sil­vestre le fai­sait observ­er plaisam­ment au chan­son­nier, alors célèbre, Aris­tide Bru­ant, en lui rap­pelant que « le beau mot de rous­pé­tance, dont il fait un si noble usage, a roulé de la Mon­tagne Ste Geneviève à Mont­martre en tra­ver­sant Paris ».

Reste le cas, que je crois unique en son genre, d’une inser­tion adven­tice dans le corps d’un mot (par épenthèse): l’ad­jonc­tion de la syl­labe si, intro­duite à la faveur d’un calem­bour très bien son­nant, à l’in­térieur de la for­mule clamée à tue-tête et scan­dée en chœur à l’amphi :
Un chic au 606 pathique …

Notons enfin, en matière de jeu gram­mat­i­cal, que l’ar­got de l’X enjoint à bon nom­bre de mots phoné­tique­ment ter­minés en 0 , de for­mer leur sin­guli­er en al (biblal, boulal. .. ). Récipro­que­ment, cro­tale fait au pluriel crotaux.
mmmm

L’ar­got de l’X ne malmène pas seule­ment le vocab­u­laire en usant de « nota­tions con­trac­tées » ou d’ad­jonc­tions par­a­sites. Il opère aus­si des sub­sti­tu­tions. Des ter­mes nou­veaux y sont implan­tés, aux­quels est rit­uelle­ment con­férée la sig­ni­fi­ca­tion de mots du lan­gage ordi­naire. Il n’y a plus, cette fois, change­ment de forme (méta­plasme), mais échange de sig­ni­fi­ca­tions (métasémème, ou plus sim­ple­ment trope, comme dis­ait Fontanier).

Tout naturelle­ment, le terme d’emprunt est sou­vent pris dans le réper­toire des nota­tions algébriques. Et d’abord , au pre­mier rang, le signe X.

Le dic­tio­n­naire Robert date de 1840 l’emploi de la let­tre x pour désign­er les math. Pour­tant, un élève de la pro­mo 1834 a com­mis un bad­i­nage rimé, cité dans « l’Ar­got de l’X » dont voici un passage :

L’X est mon nom ; je ne sais quel caprice
Me fit don­ner un nom si dur, si sec.
Au ciel de la mathématique
Je brille tou­jours radieux
Et l’É­cole Polytechnique
Est mon Parthénon glorieux.

Bien d’autre signes algébriques, tirés de l’al­pha­bet latin ou grec, ont été revê­tus de sig­ni­fi­ca­tions var­iées : p + q, K, phi, lamb­da, etc. sans oubli­er le point gam­ma. Dans ma pro­mo, nous appe­lions OZ un cocon à la fois mince et très grand. Faire z = 0 , c’est s’é­ten­dre sur le géométral…

Toutes ces appel­la­tions sont, au regard de la rhé­torique, des métonymies (exem­ple rebat­tu : boire un verre): un échange entre deux sig­ni­fi­ca­tions con­tiguës ou con­nex­es, au sein d’un même ensem­ble qui con­tient l’une et l’autre. La nota­tion algébrique et la nou­velle sig­ni­fi­ca­tion qu’il prend à l’X sont con­tiguës à l’in­térieur d’un tout qui les enveloppe : l’air sat­uré de math­é­ma­tique qu’on respire à l’École.

Un signe nou­veau, doté en théorie vec­to­rielle d’un sens pré­cis, est apparu à l’X vers 1925 et s’y est aus­sitôt vigoureuse­ment enrac­iné : le nabla, en forme de Δ ren­ver­sé ! Le terme serait, paraît-il, d’o­rig­ine assyri­enne. Il s’ap­plique à toute sorte de chose, truc ou machin. De mon temps, nous appe­lions bocard tout « machin » un peu com­pliqué. Bocard et nabla, de sig­ni­fi­ca­tion voi­sine, ont engen­dré des verbes d’ac­cep­tions diver­gentes : se bocarder (se cacher ou se reb­if­fer), nab­later (bricol­er un bocard).

Le chef de salle por­tait jadis les galons de ser­gent. De ser­gent, on a fait le mali­cieux paronyme ser­pent. Puis, dans un deux­ième temps, cro­tale s’est sub­sti­tué à ser­pent. C’est un bon exem­ple d’une deux­ième fig­ure du dis­cours : la synec­doque : échange de sig­ni­fi­ca­tions entre deux ter­mes dont l’un fait par­tie de l’autre (exem­ple éculé : voile pour bateau). Le cro­tale est un élé­ment de l’ensem­ble des serpents.

Une fig­ure rit­uelle de l’ar­got de l’X est l’emploi d’un nom pro­pre en fonc­tion de nom com­mun (c’est l’antono­mase, qui est une espèce du genre synec­doque). Le procédé est sujet à dépérir quand dis­paraît l’ob­jet de référence. On ne dit plus ros­to depuis que les caserts sont éclairés à l’électricité.

Il est pour­tant deux noms qui sem­blent promis à l’im­mor­tal­ité. « Acclamé au mag­nan, réprou­vé à l’am­phi », c’est par cette petite devinette que M. Tuffrau définit le gigon. L’élève Gigon, de la pro­mo 1853, était, paraît-il, en toute occa­sion, avide de sup­plé­ment. De son com­porte­ment d’ensem­ble à l’É­cole, on a retenu ce trait par­ti­c­uli­er qui désor­mais s’est attaché immé­mo­ri­ale­ment à son nom. Gigon a fait souche : gigonner, gigonnaire.

Le cas de jodot (qui a engen­dré jodot­er, jodotage) est un peu plus com­pliqué. La par­tic­u­lar­ité de M. Jodot était d’en­seign­er le dessin lavé. On a donc dit, par une synec­doque par­tic­u­lar­isante, jodot pour lavis. Mais un lavis est un dessin à l’eau, Par une deux­ième synec­doque, cette cette fois général­isante, jodot a pris le sens d’un usage quel­conque de l’eau : par asper­sion , sous forme de jet ou de bombe, mais aus­si de pluie, comme en témoigne le joli qua­train suiv­ant (emprun­té à « L’Ar­got de l’X »).

Non jamais, jamais de la vie
Je n’avais vu pareil jodot.
Et comme j’é­tais sans parapluie
Il m’eût plus plu qu’il plût plus tôt.

Réu­nion de deux synec­do­ques accou­plées, l’ontono­mase est dans ce cas par­ti­c­uli­er une métonymie, le nom pro­pre Jodot et le nom com­mun jodot désig­nent deux entités con­nex­es au sein de l’ensem­ble de ce qui a trait à l’eau.

Exempt pour le moment d’an­glo­manie, l’ar­got de l’X a emprun­té deux mots à l’alle­mand : schick­sal (d’où schik­saler) sub­sti­tué à tirage au sort et, plus récem­ment selb­st, pris au sens de par­fait en son genre.

J’en viens main­tenant au troisième et dernier genre des tropes pro­pre­ment dits : la métaphore. Ici l’échange entre deux sig­ni­fi­ca­tions a lieu, non plus par con­tiguïté ou par con­nex­ion, mais en rai­son d’un cer­tain trait de ressem­blance. Un trait qui, même en poésie, est tou­jours plus ou moins saugrenu.

Ain­si l’ar­got de l’X a enfan­té (dis­ait Armand Sil­vestre) « des asso­ci­a­tions bizarres ou caram­bo­lages d’idées, de cocass­es rap­proche­ments et quelque peu tin­ta­mar­resques. Comme tou­jours, le caprice se mêle à l’oc­ca­sion d’une cer­taine poésie ».

Et il citait en exem­ple la sug­ges­tive expres­sion pitaine Print­emps appliquée au taupin qui, comme le print­emps, appa­raît avec les feuilles.

Les métaphores — qui, selon Mar­cel Proust, « peu­vent seules don­ner une sorte d’é­ter­nité au style » — sont les fig­ures priv­ilégiées de la poésie. De leur flo­rai­son dans l’ar­got de l’X, on peut déduire qu’à l’É­cole le jeune Armand Sil­vestre n’é­tait pas seul « à soupir­er en vers, comme Ovide, à moins que je ne m’achar­nasse à des for­mules » (deux occu­pa­tions qui, remar­quait-il, se ressem­blent : même recherche du rythme et de la symétrie).

A preuve, la mir­i­fique métaphore — dont l’ob­jet est le solide com­mun à l’in­ter­sec­tion d’un prisme et d’une pyra­mide — dévelop­pée dans le son­net suiv­ant, écrit à l’É­cole par un antique man­i­feste­ment doué pour les let­tres, Mar­cel Prévost (pro­mo 1882):

Regarde bien ceci, pas­sant — c’est une épure.
Dans cette pyra­mide — ô lecteur ingénu -
Un prisme, cer­tain jour, fit cette découpure ;
Depuis lors, on ne sait ce qu’il est devenu.
Regarde ces con­tours, en ligne pleine et pure,
Le point rond s’u­nis­sant au point long plus ténu ;
Vois le com­mun solide, ombré comme nature,
Par le raison­nement dans les airs soutenu.
Sou­vent ain­si, lecteur, dans l’âme d’une femme
Un ingrat pas­sager laisse une plaie infâme,
Puis dédaigne la fleur dont est mort le parfum.
Au fond du cœur blessé, le mal pour­tant demeure
Hélas ! — Et trop sou­vent la vic­time qui pleure
Met aux Enfants Trou­vés le solide commun. 

A l’analyse rhé­torique, la métaphore est la réu­nion de deux synec­do­ques présen­tant — comme dans l’épure décrite par Mar­cel Prévost — un élé­ment com­mun situé à leur inter­sec­tion. Ain­si l’épée et la tan­gente à une courbe, tout en ressor­tis­sant à deux ensem­bles très dif­férents et sans présen­ter entre elles de lien d’im­mé­di­ate prox­im­ité ou d’ap­par­te­nance, ont en partage un même élé­ment de simil­i­tude : toutes deux sont rectilignes.

Un des ter­mes les plus anci­en­nement et les plus solide­ment implan­tés à l’X est celui de cocon. Ce serait, sem­ble-t-il, une abrévi­a­tion de cocon­scrit. Mais le mot fait image, et, par ric­o­chet, ren­voie à mag­nan. D’où est née la belle métaphore qui, dans le père nourrici­er ou le lieu pitanci­er des élèves voit un mag­nan — c’est-à-dire, au pays de Mis­tral, un ver à soie — sécré­tant la pro­tec­trice enveloppe fibreuse — le cocon — d’où sor­ti­ra la pré­cieuse chrysalide (du grec khru­Sos = or).

Est-ce par antiphrase que les ter­mes de botte et bot­ti­er sont appliqués à des emplois civils où l’on n’a guère l’oc­ca­sion de chauss­er des bottes ? En revanche, pan­tou­fle, pan­tou­fler, pan­tou­flard pré­ten­dent bien don­ner une représen­ta­tion con­forme de la quiète exis­tence du démis­sion­naire, libéré, entre autres servi­tudes, de l’oblig­a­tion de péré­griner de gar­ni­son en garnison.

Ces divers­es images sont anci­ennes. D’autres sont apparues depuis 1900. Et ce serait faire injure aux mânes d’Ar­mand Sil­vestre que de pass­er sous silence deux nou­veaux et gail­lards néol­o­gismes : « cornecul, qui sort tout droit de Rabelais, et surlecuter qui l’eût enchan­té ». (Paul Tuffrau).

L’ar­got de l’X a fait l’ob­jet de deux ouvrages. Le plus ancien, que j’ai sou­vent cité, est paru à l’oc­ca­sion du cen­te­naire de l’É­cole. Signé Albert-Levy et G. Pinet (pro­mo)., c’est un réper­toire qua­si-ency­clopédique, bour­ré de cro­quis, d’anec­dotes et de bad­i­nages ver­si­fié. Il a été réédité en 1936, après un sérieux éla­gage et une remise à jour, sous le titre « Le nou­v­el argot de l’X » par Roger Smet, caissier de la pro­mo 1931, dis­paru en 1946.

Par­mi les quelque 400 ter­mes recueil­lis. com­bi­en sur­mon­teront l’épreuve de la trans­plan­ta­tion à Palaiseau ? Bien sûr, l’a­ban­don des locaux de la rue Descartes, la pro­fonde trans­for­ma­tion des con­di­tions de la vie à l’É­cole (en par­ti­c­uli­er la sup­pres­sion des caserts), comme aus­si la muta­tion, sou­vent sub­ver­sive, du com­porte­ment (super­fi­ciel ?) des jeunes généra­tions met­tent dés à présent au ran­card beau­coup de pit­toresques expres­sions qui nous étaient familières.

Mais l’X en a vu d’autres. Tant que l’É­cole sub­sis­tera, elle sera ce qu’elle fut depuis sa fon­da­tion, à tra­vers l’His­toire et les change­ments de régime : une cham­bre d’in­cu­ba­tion de l’imag­i­naire en tout genre — y com­pris en matière d’in­ven­tions linguistiques.

Dans les jardins de la rhé­torique poly­tech­ni­ci­enne, le micro­cli­mat de Palaiseau fera éclore de nou­velles fleurs (et mûrir de nou­veaux fruits) du langage.

Un haut lieu, les Longchamps

… Il était entété
à se ren­fer­mer dans la fraîcheur des latrines :
il pen­sait là, tran­quille et livrant ses narines.

Arthur Rim­baud.

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