La transformation numérique des villes moyennes

La transformation numérique des villes moyennes, pour réduire les fractures territoriales

Dossier : L'Industrie de la connaissanceMagazine N°775 Mai 2022
Par Laurent SICART

À l’heure de la général­i­sa­tion des ser­vices numériques, la décli­nai­son de la smart city pose tou­jours plus crû­ment la ques­tion de son adap­ta­tion à l’échelle et aux besoins des villes moyennes, entre équili­bre budgé­taire, iden­tité ter­ri­to­ri­ale et attrac­tiv­ité. Dès lors, quels peu­vent être les apports de l’écosystème numérique pour accom­pa­g­n­er cette démoc­ra­ti­sa­tion, dans une approche respon­s­able pour les entre­pris­es, la société, l’humain et la planète ?

Si la France compte une ving­taine de métrop­o­les, le réseau des villes moyennes est, par nature, répar­ti dans l’ensemble du pays dans des zones moins dens­es et moins urban­isées. On con­sid­ère que les métrop­o­les regroupent des ter­ri­toires de plus de 400 000 habi­tants et les villes moyennes de 20 000 à 100 000 habi­tants. Pour ces col­lec­tiv­ités, les enjeux liés aux tech­nolo­gies, tout comme les leviers de trans­for­ma­tion, répon­dent à des exi­gences spécifiques. 

Trois enjeux prioritaires

In prim­is, il s’agit de con­necter les entre­pris­es et les par­ti­c­uliers au sein d’un ter­ri­toire. Dans cette optique, les villes moyennes revê­tent un rôle socioé­conomique impor­tant. Elles doivent cepen­dant par­venir à con­juguer les nou­velles sphères d’activité, liées notam­ment à l’essor du télé­tra­vail ou de l’e‑commerce, avec les réal­ités locales préex­is­tantes. Par­al­lèle­ment, il s’agit pour elles de dévelop­per des instru­ments, aus­si vertueux que pos­si­ble en ter­mes d’empreinte écologique (réseau fibré, cap­teurs et sys­tèmes de télérelève, détecteurs de pannes et fuites, etc.), des­tinés in fine à faciliter le quo­ti­di­en de leurs admin­istrés dans leurs accès, par­cours et usages numérisés aux équipements d’infrastructure, tels que la voirie ou le traf­ic routi­er, ou à car­ac­tère cul­turel et sportif (bib­lio­thèque, piscine, etc.). Enfin, la démarche doit inté­gr­er la dématéri­al­i­sa­tion des ser­vices publics admin­is­trat­ifs, selon les injonc­tions régle­men­taires en vigueur (objec­tif de 100 % à l’horizon 2022 si l’on en croit le pro­gramme Action publique 2022).


REPÈRES

Numeum, né en juin 2021 de la fusion de Syn­tec Numérique et de Tech In France, est le syn­di­cat pro­fes­sion­nel de l’écosystème numérique en France. Il représente les entre­pris­es de ser­vices du numérique (ESN), les édi­teurs de logi­ciels, les plate­formes et les sociétés d’ingénierie et de con­seil en tech­nolo­gies (ICT).

Ses actions : val­oris­er ses mem­bres et leurs métiers, défendre leurs intérêts, incar­n­er la France numérique en Europe, ani­mer l’écosystème numérique pour favoris­er les syn­er­gies et l’innovation, ren­forcer ses ser­vices aux entre­pris­es du numérique. 

Ses ambi­tions : accom­pa­g­n­er notre pays dans la général­i­sa­tion et la démoc­ra­ti­sa­tion de la for­ma­tion numérique ; agir au ser­vice d’un numérique respon­s­able pour les entre­pris­es, la société, l’humain et la planète. Il est mem­bre de la Fédéra­tion Syn­tec. Numeum en quelques chiffres : 2 300 entre­pris­es adhérentes, 50 % de mem­bres en région, 1 100 PME. 


Trois niveaux d’action

Le pre­mier niveau com­prend l’approche par instru­ment dont les lim­ites, notam­ment budgé­taires, sont à envis­ager et à cibler en fonc­tion de l’échelon le plus adap­té aux besoins : com­mune ou inter­com­mu­nal­ité. Le deux­ième niveau com­porte tout ce qui a trait à la récolte d’informations et à la maîtrise des don­nées. L’open data est sou­vent com­paré, à juste titre, à l’or noir du XXIe siècle. 

La capac­ité des villes et aggloméra­tions à met­tre en œuvre un sché­ma de partage de la don­née, à la fois publique rel­e­vant de la col­lec­tiv­ité et de ses usagers, et privée de type entre­prise, est fon­da­men­tale. Plus la don­née est partagée, mieux elle est util­isée, et plus l’efficacité opéra­tionnelle est au ren­dez-vous, y com­pris en ter­mes d’économies d’échelle… Ce déploiement passe par l’adoption d’outils de ges­tion, essen­tielle­ment infor­ma­tiques, qui pro­curent une fac­ulté majeure de déci­sion. Ce niveau com­bine à la fois des change­ments tech­niques et déci­sion­nels-opéra­tionnels (évo­lu­tion vers une gou­ver­nance plus trans­verse, uni­fi­ca­tion des référen­tiels métiers, pilotage des infra­struc­tures…) qui, au bout du compte, con­tribuent à relay­er l’image d’une ville innovante. 

Le corol­laire de la don­née est ici le citoyen, dont l’expérience en tant qu’usager est déter­mi­nante. Un enjeu fort de cette évo­lu­tion se situe en ter­mes d’accessibilité, qu’elle soit physique (accès au très haut débit et aux équipements élec­tron­iques) ou sociale (besoin ren­for­cé d’inclusion numérique). N’oublions pas que 13 mil­lions de Français se sen­tent tou­jours aujourd’hui dému­nis devant les out­ils infor­ma­tiques : per­son­nes âgées, en sit­u­a­tion de hand­i­cap ou de pré­car­ité sociale, mais aus­si jeunes, détenus, étrangers…

“Des opportunités dont les collectivités se saisissent pleinement !”

Le troisième niveau, le plus large, s’appuie résol­u­ment sur le numérique pour met­tre en valeur la ville et en faire un levi­er de développe­ment (inser­tion, emploi). Dans ce cas, il devient la pierre angu­laire d’un plan d’attractivité ter­ri­to­ri­ale – sujet clé de respon­s­abil­ité de l’élu et impor­tant fac­teur de com­mu­ni­ca­tion poli­tique – en se met­tant au ser­vice du tour­nant entre­pre­neur­ial dans la con­duite de l’action publique. Face à la forte com­péti­tion des villes moyennes entre elles, se démar­quer devient un préreq­uis pour attir­er des flux de pop­u­la­tion et béné­fici­er de fonds privés et davan­tage de sou­tiens insti­tu­tion­nels. Dif­férents dis­posi­tifs de l’Union européenne sont ain­si mobil­is­ables, de même que des pro­grammes tels que Ter­ri­toires d’industrie ou Action cœur de ville.

Trois leviers techniques

Au sein d’un trip­tyque État-col­lec­tiv­ités ter­ri­to­ri­ales-opéra­teurs, le secteur du numérique doit en pre­mier lieu s’attacher à réduire les zones blanch­es. Cela afin de per­me­t­tre au tis­su économique de se main­tenir quelles que soient les cir­con­stances (la pandémie a net­te­ment mis en avant cette néces­sité). C’est aus­si un moyen de garan­tir aux entre­pris­es des zones d’activité éloignées d’avoir une même qual­ité d’accès Inter­net et donc aux four­nisseurs, sous-trai­tants, clients.

En sec­ond lieu, la fil­ière doit favoris­er le recrute­ment et la for­ma­tion de tech­ni­ciens locaux pour met­tre en place les ser­vices sur le ter­rain et les éten­dre aux nou­velles con­struc­tions (bornes de recharge, développe­ment de la 5G…). C’est aus­si elle qui assure l’entretien et la main­te­nance des out­ils au quo­ti­di­en. La for­ma­tion des agents publics est tout aus­si essen­tielle pour une bonne appro­pri­a­tion des nou­veaux usages numériques et de leurs béné­fices qui, par essence, sont sou­vent impal­pa­bles. Les ancr­er dans la réal­ité quo­ti­di­enne par­ticipe à leur recon­nais­sance et con­tribue à démon­tr­er que, en automa­ti­sant cer­taines tâch­es, le numérique libère du temps au prof­it d’activités d’intelligence humaine à plus haute valeur ajoutée.

En troisième lieu, il s’agit de mul­ti­pli­er les ser­vices à la pop­u­la­tion via la diver­si­fi­ca­tion des usages. À titre d’exemple, cela peut con­cern­er les envi­ron­nements numériques de tra­vail (ENT) pour les écoles, col­lèges et lycées, les sys­tèmes de vidéo­pro­tec­tion ou encore la mise à dis­po­si­tion de wi-fi gra­tu­it dans l’espace pub­lic. Dans tous les cas, les aspects sécu­ri­taires sont pri­mor­diaux, qu’il s’agisse de la pro­tec­tion des don­nées (l’Europe étant pour une fois leader en ce domaine), des tests de sécu­rité en interne ou encore de l’identification et du stock­age des don­nées per­son­nelles. Face à la recrude­s­cence des cyber­at­taques, ren­forcer la sécu­rité et l’intégrité des don­nées est une con­trainte absolue qui touche tout le monde, citoyens, admin­istrés, et qui, nous le con­sta­tons, com­mence à bien entr­er dans les mœurs.


Quelques chiffres

En 2020 :

  • 88 % des Français utilisent quo­ti­di­en­nement un ordinateur.
  • 83 % de la pop­u­la­tion se con­necte tous les jours à Internet.
  • 35 % des Français éprou­vent au moins une forme de dif­fi­culté qui les empêche d’utiliser pleine­ment les out­ils numériques et Inter­net. (Source : Arcep, Baromètre du numérique, chiffres clés 2020)
  • Le secteur numérique représente 55 Md€ de chiffre d’affaires en 2021.
  • Il compte 538 000 salariés et 28 000 entre­pris­es. (Source : Numeum)
  • 97 % de la sur­face du ter­ri­toire mét­ro­pol­i­tain est cou­verte par au moins un opéra­teur mobile en 4G. (Source : Cour des comptes, 2021)

L’exemple de Beauvais (60)

La ville, 57 846 habi­tants en 2020, label­lisée Ville inter­net @@@@@ pour la dix­ième année con­séc­u­tive, a mis en place de mul­ti­ples actions numériques, dont celles qui suiv­ent. Un por­tail citoyen a été mis en place pour effectuer les démarch­es admin­is­tra­tives, notam­ment la préin­scrip­tion aux écoles publiques ou au con­ser­va­toire, la réser­va­tion de la can­tine ou encore le stock­age de doc­u­ments (livret de famille, jus­ti­fi­catif de domi­cile…). Ou encore une carte On Pass recharge­able sur une borne qui est inter­ac­tive et qui per­met de pay­er le sta­tion­nement ou d’utiliser des con­signes à vélo sécurisées.

Des applis telles que Beau­vais mobile pour con­naître les actu­al­ités de la ville, con­tac­ter les ser­vices de la mairie ou déclar­er en direct des dégra­da­tions, ou Klax­it pour le cov­oiturage. Des espaces numériques de tra­vail (ENT) et des tableaux blancs inter­ac­t­ifs dans les écoles, fon­da­men­taux pour assur­er la con­ti­nu­ité péd­a­gogique. Des ate­liers d’initiation ou mul­ti­mé­dias pour réduire la frac­ture numérique et la mise à dis­po­si­tion d’une quar­an­taine de tablettes tac­tiles et de liseuses à la médiathèque…

L’exemple de la communauté d’agglomération Pau Béarn Pyrénées (64)

L’agglomération, 162 000 habi­tants en 2019, déploie des sys­tèmes intel­li­gents dans de nom­breux domaines : habi­tat urbain, énergie et développe­ment durable, ges­tion des mobil­ités, éclairage pub­lic, traite­ment d’images, ter­ri­toire 3D et réal­ité aug­men­tée, lud­i­fi­ca­tion de l’espace pub­lic, hyper­vi­sion urbaine… Ain­si, un réseau de vidéo­pro­tec­tion est géré par un cen­tre de super­vi­sion urbain doté de fonc­tions d’alerte automa­tiques, tan­dis que des sys­tèmes de régu­la­tion du traf­ic fonc­tion­nent à par­tir du pilotage des feux tricolores.

Des cap­teurs sont déployés dans les bacs à déchets pour une ges­tion plus fine du ramas­sage et d’autres dans les canal­i­sa­tions du réseau de dis­tri­b­u­tion d’eau potable pour un pilotage à dis­tance. Enfin, dans le cadre du nou­veau pro­gramme nation­al de renou­velle­ment urbain piloté par l’ANRU (Agence nationale pour la réno­va­tion urbaine), le quarti­er de Saragosse sert de lab­o­ra­toire d’expérimentations : ther­mo­gra­phie des façades par drone, télérelève des con­som­ma­tions énergé­tiques, éclairage pub­lic par LED avec détec­tion de présence, récupéra­tion de l’énergie dite fatale sur les réseaux d’assainissement.

L’exemple de Martigues (13)

La ville, 49 159 habi­tants en 2021, a déployé dès 2015 une série de points publics de con­nex­ion au wi-fi. Un por­tail cap­tif iden­ti­fie l’usager tout en lim­i­tant con­sid­érable­ment le nom­bre d’informations recueil­lies lors de la con­nex­ion. Pour chaque hotspot, gra­tu­it et illim­ité dans le temps, la licence per­met de gér­er jusqu’à 20 con­nex­ions simul­tanées. La ville est label­lisée Ville inter­net @@@@@ depuis 2018 et dis­pose d’une large gamme de ser­vices numériques.

Ces quelques exem­ples, par­mi tant d’autres, illus­trent la diver­sité et la richesse des pro­jets con­duits par les villes moyennes en France. Ils soulig­nent l’apport des par­ties prenantes à dif­férentes échelles ter­ri­to­ri­ales, aus­si bien publiques que privées, et reflè­tent quelques-unes des solu­tions créées et ali­men­tées par le numérique. Des oppor­tu­nités qui répon­dent aux muta­tions pro­fondes de l’organisation du tra­vail et de la société et dont les col­lec­tiv­ités se sai­sis­sent pleinement !

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