Un officier responsable gendarmerie du groupe de sécurité du convoi exceptionnel ITER (international thermonuclear experimental reactor) suit l’itinéraire d’un convoi sur une tablette NéoGend.

RH 4.0 de la gendarmerie : recruter, former et garder les talents numériques

Dossier : Gendarmerie & numériqueMagazine N°778 Octobre 2022
Par Carlos MENDES (X93)
Par Emmanuel VEGAS

À l’heure où les muta­tions scien­ti­fiques et tech­no­lo­giques viennent remettre en cause les pro­ces­sus les mieux éta­blis, la gen­dar­me­rie porte le pro­jet stra­té­gique Gend 20.24. Décli­nai­son du volet RH de ce der­nier, le plan de trans­for­ma­tion bap­ti­sé M@GRH vise à pré­pa­rer la res­source humaine aux enjeux de l’avenir, en inno­vant et sim­pli­fiant pour créer les condi­tions d’une ges­tion véri­ta­ble­ment indi­vi­dua­li­sée et assu­rer une constante mon­tée en com­pé­tences numé­riques de ses cadres.

Par­mi les défis à rele­ver, il faut com­prendre et conci­lier les aspi­ra­tions nou­velles des gen­darmes avec les exi­gences du métier. Cette méta­morphose de la res­source humaine se fait au rythme d’un recru­te­ment mas­sif de près de 10 000 mili­taires et civils chaque année. Si la géné­ra­tion numé­rique ne repré­sente actuel­le­ment que 1 % de la popu­la­tion en gen­dar­me­rie, elle attein­dra près de 30 % des gen­darmes en 2030 et elle consti­tue une véri­table occa­sion pour conduire la trans­for­ma­tion de la « mai­son gen­dar­me­rie », à la condi­tion qu’elle y trouve réponse à ses attentes. Digi­tal natives, ces recrues veulent de la trans­pa­rence, de la tra­ça­bi­li­té, de la rapi­di­té et, sur­tout, des réponses indi­vi­dua­li­sées à leurs demandes. Elles vivent en effet leur ges­tion comme une expé­rience client. Il s’agit donc d’adapter la ges­tion des res­sources humaines (GRH) à ce chan­ge­ment de para­digme, tout en pré­ser­vant les fon­da­men­taux sta­tu­taires, pour répondre à un triple enjeu : de recru­te­ment, de socia­li­sa­tion pro­fes­sion­nelle et d’emploi.

Une stratégie de recrutement tournée vers les scientifiques

Les talents numé­riques sont convoi­tés et la gen­dar­me­rie se doit de dyna­mi­ser son attrac­ti­vi­té en hybri­dant l’identité de sol­dat de la loi avec un gen­darme davan­tage tech­no­lo­gique, gage de noto­rié­té ou de per­cep­tion vis-à-vis des poten­tiels viviers ou bas­sins de recru­te­ment à conno­ta­tion scien­ti­fique. Le char­gé d’accueil d’une bri­gade ne consti­tue plus l’unique repré­sen­ta­tion du gen­darme, désor­mais nomade par le biais de son smart­phone ou de sa tablette Néo 2, lui per­met­tant de suivre les inter­ven­tions en cours, consul­ter les fichiers cen­traux, recueillir un ren­sei­gne­ment ou dres­ser un pro­cès-ver­bal sur le pas de la porte de l’usager.

Pour aug­men­ter l’agilité numé­rique de l’ensemble des sous-offi­ciers, le par­ti pris est celui d’une accul­tu­ra­tion de masse sui­vie d’une mon­tée en com­pé­tence ciblée. Ain­si, le concours compte désor­mais une épreuve QCM spé­ci­fique pour mesu­rer l’aisance numé­rique des can­di­dats admis­sibles. Les lau­réats révé­lant des apti­tudes par­ti­cu­lières consti­tuent une e‑compagnie, pro­mo­tion d’élèves gen­darmes béné­fi­ciant d’une for­ma­tion ren­for­cée dans ce domaine. Le conte­nu péda­go­gique est repen­sé afin qu’un quart du temps d’instruction ini­tiale soit tour­né vers le numé­rique, contre 11 % jusqu’alors. La pre­mière e‑compagnie a vu le jour au sein de l’école de Chau­mont en 2021 et trois nou­velles com­pa­gnies de 120 élèves gen­darmes sont consti­tuées en 2022.

Le recrutement des officiers, une diversité de profils complémentaires

Cette volon­té d’irriguer plus glo­ba­le­ment l’institution se mani­feste dès l’incorporation des futurs chefs, tra­duite par un recru­te­ment externe com­po­sé de plus de 40 % de scien­ti­fiques pour la troi­sième année consé­cu­tive. For­més à l’École des offi­ciers de la Gen­dar­me­rie natio­nale (EOGN) de Melun, ils sont issus de divers hori­zons. Tout d’abord l’officier de recru­te­ment sur titre est sélec­tion­né pour ses com­pé­tences tech­niques. Son par­cours l’amènera à rejoindre rapi­de­ment une enti­té scien­ti­fique de la gen­dar­me­rie où il occu­pe­ra un poste de cadre à haute qua­li­fi­ca­tion, voire d’expert. La gen­dar­me­rie compte 200 offi­ciers recru­tés sur titres. Ensuite l’officier scien­ti­fique issu des grandes écoles mili­taires, de l’université, voire du corps des sous-offi­ciers, a tout d’abord voca­tion à occu­per des postes de cadre géné­ra­liste. Par­mi cette caté­go­rie, une ving­taine d’officiers issus de l’École poly­tech­nique sont aujourd’hui en acti­vi­té au sein de la gendarmerie.

“Une vingtaine d’officiers issus de l’École polytechnique sont aujourd’hui en activité au sein de la gendarmerie.”

Plus d’un tiers évo­lue actuel­le­ment au sein de struc­tures scien­ti­fiques et la moi­tié assume des com­man­de­ments d’unité opé­ra­tion­nelle. Enfin l’officier com­mis­sion­né est quant à lui recru­té pour appor­ter des com­pé­tences très spé­ci­fiques, rares ou cri­tiques, qui n’existent pas dans les par­cours de for­ma­tion de la gen­dar­me­rie, et sus­cep­tibles de répondre à des besoins conjonc­tu­rels. Il occupe un poste bien défi­ni et fait figure d’expert dans son domaine. La gen­dar­me­rie compte une cin­quan­taine d’officiers com­mis­sion­nés exer­çant une exper­tise scien­ti­fique. Fort de cette diver­si­té de voies de recru­te­ment, le ges­tion­naire évo­lue d’une ges­tion pour tous à une ges­tion de cha­cun dans un domaine stra­té­gique, afin de faire évo­luer et pro­gres­ser sa res­source scientifique.

La formation continue, une offre de montée en compétence tout au long du parcours

Tou­jours dans cette démarche d’acculturation de masse en pre­mière approche, l’objectif est d’abord d’élever le niveau de tous, dans une logique de prise de conscience col­lec­tive. En par­te­na­riat avec l’Institut Mon­taigne et Open­Class­room, lea­der euro­péen des pla­te­formes de for­ma­tion en ligne, la gen­dar­me­rie a éla­bo­ré deux Mooc des­ti­nés à l’ensemble du per­son­nel, visant à mieux appré­hen­der en quelques heures les poten­tia­li­tés et les appli­ca­tions de l’intelligence artificielle.

De façon plus indi­vi­dua­li­sée, la for­ma­tion conti­nue repré­sente un effort consé­quent de l’institution pour accom­pa­gner la mon­tée en com­pé­tence de ses cadres, en temps plein comme en temps par­tiel. La gen­dar­me­rie tire de son ancrage mili­taire des par­cours d’officiers jalon­nés par l’enseignement mili­taire supé­rieur (EMS). Réfor­mé en 2017, celui-ci offre désor­mais aux offi­ciers le choix dans un cata­logue de sco­la­ri­tés civiles, en com­plé­men­ta­ri­té avec l’École de guerre. Par­mi celles-ci, l’Exe­cu­tive Mas­ter de l’École poly­tech­nique, des mas­ters spé­cia­li­sés de Cen­tra­le­Su­pé­lec ou l’Exe­cu­tive Mas­ter Digi­tal Huma­ni­ties dis­pen­sé par Sciences Po Paris. Plus tard dans la car­rière, les futurs cadres diri­geants sont ame­nés à suivre des modules tels que le cycle IA de l’IHEMI (Ins­ti­tut des hautes études du minis­tère de l’Intérieur), l’Institut des hautes études pour la science et la tech­no­lo­gie (IHEST) et le cycle inter­na­tio­nal de l’Institut des hautes études pour l’innovation et l’entreprenariat (IHEIE).

Dans une dyna­mique de valo­ri­sa­tion des com­pé­tences, les offi­ciers qui le sou­haitent peuvent éga­le­ment dès le grade de lieu­te­nant s’engager dans la voie de l’enseignement mili­taire supé­rieur scien­ti­fique et tech­nique (EMSST). Après une sco­la­ri­té au sein de diverses écoles d’ingénieurs, ils obtiennent un mas­ter spé­cia­li­sé qui les condui­ra à tenir des postes dans un domaine de haute qua­li­fi­ca­tion ou d’expertise, en réponse à des besoins iden­ti­fiés dans les branches métiers « sys­tèmes numé­riques et trai­te­ment de la don­née », « cri­mi­na­lis­tique », « aéro­nautique » et « cybersécurité ». 

Enfin, la gen­dar­me­rie adopte une pos­ture inci­ta­tive d’accompagnement vers un par­cours doc­to­rant, qui vise à sou­te­nir les offi­ciers et sous-offi­ciers sou­hai­tant acqué­rir une exper­tise, tout en pro­mou­vant la recherche rela­tive aux ques­tions de sécu­ri­té. Dans le même esprit, des dis­po­si­tions simi­laires sont prises pour aider les mili­taires titu­laires d’un doc­to­rat à pos­tu­ler pour le diplôme « habi­li­ta­tion à diri­ger des recherches » (HDR).

L’architecture glo­bale de la for­ma­tion conti­nue per­met, au-delà de l’acquisition per­son­nelle de nou­velles com­pé­tences, de valo­ri­ser l’ensemble des postes tenus et de jalon­ner les par­cours pro­fes­sion­nels dans une dyna­mique de pro­gres­sion fonc­tion­nelle régu­lière et continue.

Patrouilles de nuit sur les routes départementales par les gendarmes du peloton motorisé (PMO) de Rives. L’utilisation des smartphones Néo 2 est devenue indispensable pour réaliser les contrôles.
Patrouilles de nuit sur les routes dépar­te­men­tales par les gen­darmes du pelo­ton moto­ri­sé (PMO) de Rives. L’utilisation des smart­phones Néo 2 est deve­nue indis­pen­sable pour réa­li­ser les contrôles.

La gestion prévisionnelle des emplois, des effectifs et des compétences (GPEEC)

Si ces envi­ron­ne­ments scien­ti­fiques sont vola­tils et évo­lu­tifs par nature, la nature des postes occu­pés l’est tout autant. En pre­mière lec­ture, et afin d’évaluer le besoin, la car­to­gra­phie des postes scien­ti­fiques, préa­lable à l’ambition d’une GPEEC, dis­tingue trois types de postes sur les­quels peuvent évo­luer les offi­ciers scientifiques.

D’abord des postes d’expert, répon­dant à la maî­trise d’une com­pé­tence de haut niveau dans un domaine scien­ti­fique très pré­cis. Ils déve­loppent sur le moyen terme (huit-dix ans) une exper­tise spé­ci­fique, par exemple l’inscription en qua­li­té d’expert cri­mi­na­lis­tique près la cour d’appel. Le par­cours du géné­ral Éric Freys­si­net (X92), doc­teur en infor­ma­tique, illustre ce pro­fil tout dédié à l’expertise cyber au gré de ses affec­ta­tions au dépar­te­ment infor­ma­tique-élec­tro­nique de l’IRCGN (Ins­ti­tut de recherche cri­mi­nelle de la Gen­dar­me­rie natio­nale), à la tête du pôle natio­nal de lutte contre les cyber­me­naces, de second du Com­Cy­ber­Gend et de direc­teur scien­ti­fique au sein du cabi­net de la direc­tion géné­rale de la Gen­dar­me­rie natio­nale (DGGN).

Ensuite des postes de cadres à haute qua­li­fi­ca­tion, répon­dant aux néces­si­tés de spé­cia­li­sa­tion dans des domaines scien­ti­fiques clés ain­si que dans des postes de com­man­de­ment de struc­tures d’expertise ou de tech­ni­ci­té, comme le ser­vice des tech­no­lo­gies et des ser­vices d’information de la sécu­ri­té inté­rieure (ST(SI)2) ou le PJGN (pôle judi­ciaire de la Gen­dar­me­rie natio­nale). Ces emplois s’inscrivent dans une logique de par­cours pro­fes­sion­nels mêlant à la fois connais­sances tech­niques et expé­riences opé­ra­tion­nelles, avec des com­pé­tences scien­ti­fiques recon­nues. C’est le cas par exemple de l’actuel chef de divi­sion tech­nique du Com­Cy­ber­Gend, le colo­nel Nico­las Duvi­nage (X95), qui com­man­dait pré­cé­dem­ment la gen­dar­me­rie du Finis­tère (29) après un pas­sage à la tête du Centre natio­nal de lutte contre les cri­mi­na­li­tés numé­riques (C3N).

Enfin des postes de cadre géné­ra­liste, répon­dant à l’objectif plus glo­bal d’irrigation d’une pen­sée scien­ti­fique per­met­tant, dans les uni­tés ou en état-major, d’accompagner la trans­for­ma­tion numé­rique et de favo­ri­ser la culture de l’innovation. L’objectif prin­ci­pal est de dis­po­ser d’un vivier de géné­ra­listes capables de s’engager sur des ques­tions en rap­port avec la science. Un offi­cier occu­pant des fonc­tions de com­man­dant de com­pa­gnie de gen­dar­me­rie dépar­te­men­tale, garant de la décli­nai­son des poli­tiques de sécu­ri­té sur un arron­dis­se­ment, décè­le­ra ain­si plus aisé­ment toute la poten­tia­li­té de l’avènement d’une smart city sur sa cir­cons­crip­tion, tout en ayant conscience du cadre juri­dique et de ses limites. De la même manière, ce degré de sen­si­bi­li­té est indis­pen­sable, par exemple, au chef ter­ri­to­rial comp­tant sur sa cir­cons­crip­tion le clus­ter de Saclay ou la tech­no­pole Sophia Anti­po­lis. Le par­cours du colo­nel Phi­lippe Mira­baud (X95) consti­tue un exemple illus­tra­tif : après le com­man­de­ment de la gen­dar­me­rie du Nord (59) et avant de prendre celui de la gen­dar­me­rie des trans­ports aériens, il a occu­pé les fonc­tions de conseiller gen­dar­me­rie du ministre de l’Intérieur, cumu­lant par la même occa­sion le por­te­feuille des tech­no­lo­gies et du numé­rique, fruit d’une appé­tence par­ti­cu­lière déve­lop­pée sur de pré­cé­dents postes dans ce périmètre.


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Une conjugaison de compétences

Dans un envi­ron­ne­ment mis­sion­nel en constante évo­lu­tion (menaces pro­téi­formes, avan­cées techno­logiques, attentes inter­mi­nis­té­rielles, etc.), la gen­dar­me­rie se place dans une dyna­mique d’anticipation, d’innovation et de plas­ti­ci­té en gui­dant le déve­lop­pe­ment de ses cadres sur le temps long. La démul­ti­pli­ca­tion et la dis­per­sion des champs de com­pé­tence auto­risent de mul­tiples com­bi­nai­sons, comme en témoignent les atten­dus pour ser­vir au ser­vice cen­tral du ren­sei­gne­ment cri­mi­nel, exi­geant la conju­gai­son d’habilitations en police judi­ciaire, d’aptitudes numé­riques et d’expérience du trai­te­ment du ren­sei­gne­ment. Tous les bou­quets de com­pé­tences com­portent une por­teuse numé­rique, plus ou moins pro­non­cée, mais désor­mais indispensable.

Afin de dis­po­ser des poten­tiels humains suf­fi­sants pour suivre et mener ces évo­lu­tions struc­tu­relles, il s’agit de cas­ser la linéa­ri­té des par­cours et de construire des car­rières plus flexibles repo­sant sur le trip­tyque « for­ma­tion aca­dé­mique / expé­rience acquise dans les postes occu­pés / for­ma­tion conti­nue ». Les par­cours pro­fes­sion­nels dans le domaine scien­ti­fique sont construits dans un esprit de trans­ver­sa­li­té, fac­teur clé de suc­cès. Ils offrent ain­si une garan­tie de sédi­men­ta­tion des savoirs et d’enrichissement des expé­riences par des approches diver­si­fiées. Sor­tant d’une approche en silo, l’officier épouse un par­cours dual, alter­nant des temps opé­ra­tion­nels sur des postes de cadre géné­ra­liste, qui consti­tuent éga­le­ment des temps d’inspiration, où il peut exer­cer des com­man­de­ments, et des temps d’environnement sur des postes de cadre à haute qua­li­fi­ca­tion tech­nique ou des postes d’expert chez des employeurs dif­fé­rents, en struc­ture inté­grée comme en mobi­li­té extérieure.

“Pour la Patrie, l’Honneur et le Droit !”

Cette stra­té­gie de ges­tion posée, l’adhésion du per­son­nel pour s’inscrire dans ces par­cours exige de lui don­ner accès à l’information et de lui offrir une capa­ci­té de pro­jec­tion. Cette ambi­tion du plan de trans­for­ma­tion RH mobi­lise plei­ne­ment ces nou­veaux talents et met en action des leviers numé­riques. Dans le sillage de la révo­lu­tion numé­rique, la gen­dar­me­rie pour­suit sa trans­for­ma­tion afin de conju­guer ses forces humaines au rythme des évo­lu­tions de la socié­té et en adé­qua­tion avec les attentes crois­santes de nos conci­toyens, pour demeu­rer en sym­biose avec les enjeux de sécu­ri­té de notre temps. Consciente que ses suc­cès de demain rési­de­ront dans sa capa­ci­té à réagir et à s’adapter, l’offre de ges­tion doit déce­ler, déve­lop­per et valo­ri­ser nos talents numé­riques, pour les fidé­li­ser au sens don­né à leur enga­ge­ment : « pour la Patrie, l’Honneur et le Droit ». Cette équa­tion de valeurs, qui donne à la gen­dar­me­rie sa devise, n’est pas exclu­sive des Sciences, ni de la Gloire. 

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