Travail à domicile (dans la cuisine)

La transformation du métier de “ chasseur de têtes ”

Dossier : RH et révolution digitaleMagazine N°727 Septembre 2017
Par Benoît DUTHU (85)

Dans un marché en stag­na­tion, mais avec une guerre des tal­ents qui va s’accentuer (l’évo­lu­tion démo­graphique est favor­able), la crois­sance du secteur a été préservée par l’ad­jonc­tion de nom­breux ser­vices con­nex­es. L’in­no­va­tion con­siste main­tenant à mieux iden­ti­fi­er les besoins des entre­pris­es en matière de tal­ents et à amélior­er les out­ils de com­pé­tence pour dif­férenci­er les candidats. 

Plusieurs évo­lu­tions men­a­cent le petit monde feu­tré et mys­térieux des chas­seurs de têtes :
 

  • le sous-jacent, c’est-à-dire le marché des talents ; 
  • la chaîne de valeur, impactée par le numérique ; 
  • les acteurs eux-mêmes, qui s’interrogent sur la per­ti­nence de leur mod­èle organisationnel ; 
  • enfin, les out­ils d’évaluation des tal­ents, certes de plus en plus pré­cis mais finale­ment tou­jours imparfaits. 

REPÈRES

Le métier de recrutement par approche directe s’applique aux équipes de direction générale. On peut le caractériser par des niveaux de rémunération – généralement supérieurs à 200 000 €/an ou par un niveau de séniorité dans l’organisation.
C’est un secteur en apparence très éclaté – en France uniquement l’annuaire des chasseurs compte presque 1 000 boutiques – mais, de fait, sur les problématiques réellement stratégiques pour une entreprise de taille significative, il s’agit d’un oligopole de quelques grandes firmes internationales.

LE MARCHÉ DES TALENTS ÉVOLUE

Plusieurs ten­dances lour­des sem­blent se dessiner. 

LE CHASSEUR DE TÊTES À L’HEURE DE LA MONDIALISATION

En 2025, la moitié des 500 plus grosses sociétés mondiales seront issues de pays aujourd’hui dits émergents ; pour les talents, le cap sur l’international, la mobilité géographique ou la sensibilité interculturelle vont devenir encore plus indispensables.
La gestion proactive de la diversité au sein des grandes sociétés françaises accélère d’ailleurs cette tendance.

Celle de la mon­di­al­i­sa­tion, bien sûr, et aus­si l’augmentation de l’offre : dans les économies dites dévelop­pées, pop­u­la­tions actives (15–64 ans, en diminu­tion) et dépen­dantes (-14 et 65 +, en crois­sance) vont se crois­er, générant ain­si, à court et moyen terme, un appel d’air impor­tant pour les pro­fils de cadres dirigeants, com­pa­ra­ble aux années d’après-guerre.

Pour les postes les plus élevés hiérar­chique­ment (comité de direc­tion), le nom­bre et la qual­ité des can­di­dats à la suc­ces­sion – mesurés par sondage auprès de 60 DRH d’entreprises mon­di­ales – sont jugés glob­ale­ment faibles ; cela est par­ti­c­ulière­ment vrai en Asie et en Amérique du Nord, un peu moins en Europe. 

L’appel d’air sera donc encore plus impor­tant pour les pro­fils les plus qual­i­fiés. La tech­nolo­gie va fournir de nou­velles oppor­tu­nités, tant aux employeurs qu’aux employés : tra­vail à dis­tance, automa­ti­sa­tion, désintermédiation. 


La tech­nolo­gie va fournir de nou­velles oppor­tu­nités, tant aux employeurs qu’aux employés : tra­vail à dis­tance, automa­ti­sa­tion, dés­in­ter­mé­di­a­tion. © VIACHESLAV IAKOBCHUK / FOTOLIA.COM

Des indus­tries entières vont devoir évoluer entraî­nant ain­si de forts change­ments de com­pé­tences. La capac­ité à s’adapter à des change­ments per­ma­nents, à les utilis­er comme des sources d’opportunité plus que de men­ace, va devenir essen­tielle pour évoluer pro­fes­sion­nelle­ment. La diver­sité des expéri­ences en sera val­orisée d’autant plus. 

La généra­tion Y va rapi­de­ment arriv­er aux postes de direc­tion, appor­tant ain­si une fraîcheur et une pres­sion sur les employeurs, en ter­mes de trans­parence, de con­nec­tiv­ité, de réac­tiv­ité, de développe­ment per­son­nel, etc. Cela va trans­former la rela­tion employeur – employés ; ces derniers auront encore plus l’initiative dans leur ges­tion de car­rière. Moins de car­rières mono­en­tre­pris­es donc. 

Enfin, la banal­i­sa­tion du tra­vail « à temps par­tiel » va devenir une option réelle (20 à 33 % des salariés aux États-Unis), aus­si pour les emplois dits qual­i­fiés de cadres dirigeants, par choix plus que par nécessité. 

La guerre des tal­ents ne va que s’accentuer, la seg­men­ta­tion entre les pro­fils dis­crim­i­nants et ordi­naires aus­si, provo­quant ain­si des écarts impor­tants, aus­si bien entre les cadres (accéléra­tions des car­rières pour les meilleurs) qu’entre les sociétés (capa­bles ou non d’attirer les meilleurs). 

“ La génération Y va rapidement arriver aux postes de direction ”

La main va glob­ale­ment revenir aux employés, qui vont devenir plus exigeants sur les con­di­tions d’utilisation de leur exper­tise par les employeurs. 

Si ces ten­dances ont des con­séquences bien iden­ti­fi­ables sur la bonne ges­tion de car­rière, elles le sont moins sur le posi­tion­nement du « chas­seur de têtes » dans la chaîne de valeur, dont la nature même du méti­er change. 

LA NATURE DU MÉTIER ÉVOLUE

UN MARCHÉ GLOBALEMENT PLAT

Le marché de la recherche de dirigeants (executive search) est globalement stable au plan mondial depuis plusieurs années : l’atonie de la croissance mondiale en est la principale responsable.
La pression numérique forte dans le secteur, avec l’apparition rapide de sociétés telles que LinkedIn qui dévalorise partiellement le travail d’identification des candidats, en est une autre.

Le méti­er de chas­seur de têtes ne se lim­ite plus depuis longtemps à la sim­ple offre de ser­vices de recrute­ment. L’expansion géo­graphique avec l’ouverture de nou­veaux bureaux mon­di­aux n’est plus un relais de crois­sance suffisant. 

De nom­breux ser­vices con­nex­es – éval­u­a­tion et développe­ment de can­di­dats internes, accom­pa­g­ne­ment ou même coach­ing, assis­tance pen­dant la péri­ode de prise de fonc­tion – font donc par­tie depuis longtemps des presta­tions proposées. 

Plus rares et plus dif­fi­ciles à met­tre en œuvre, mais égale­ment pro­posées, sont celles liées à l’évaluation de per­for­mance d’équipes, de gou­ver­nance d’entreprise, de trans­for­ma­tion cul­turelle ou encore de mod­èle organ­i­sa­tion­nel d’innovation.

Ce développe­ment de nou­velles offres a per­mis, dans l’ensemble, de préserv­er la crois­sance glob­ale du secteur – assur­ance essen­tielle de prof­itabil­ité pour une firme de ser­vices pro­fes­sion­nels. Ce développe­ment d’offres s’est con­stru­it, suiv­ant les cas, par acqui­si­tion d’entreprises spé­cial­isées ou par développe­ment interne de savoir-faire et de compétences. 


Le méti­er de chas­seur de têtes ne se lim­ite plus à la sim­ple offre de ser­vices de recrute­ment. © SCHUTTERSTOCK.COM

Dif­férents mod­èles organ­i­sa­tion­nels cohab­itent, comme tra­di­tion­nelle­ment dans les métiers de con­seil, priv­ilé­giant dans la plu­part des cas l’axe géo­graphique (organ­i­sa­tion par bureaux locaux), mais égale­ment par métiers avec des con­sul­tants très spé­cial­isés par type d’offre, ou même par fil­ières d’expertise sectorielles. 

Mais cette crois­sance s’accompagne d’une grande com­plex­ité : développe­ment accéléré de nou­velles com­pé­tences pour les con­sul­tants, cohab­i­ta­tion de mod­èles de prof­itabil­ité dif­férents entre ser­vices trans­ac­tion­nels et de con­seil, ges­tion de clients mul­ti­ples en plus du man­age­ment tra­di­tion­nel, comités de nom­i­na­tion, action­naires, jour­nal­istes, etc. 

Comme sou­vent, face à cette com­plex­ité, il est ten­tant de revenir aux fon­da­men­taux pour ancr­er son méti­er, notam­ment le savoir-faire d’évaluation des talents. 

LES OUTILS D’ÉVALUATION DES TALENTS ÉVOLUENT

Les efforts de R & D dans le secteur de l’évaluation des cadres dirigeants se sont pour l’instant can­ton­nés à une évo­lu­tion de techniques. 

“ L’entreprise du XXIe siècle est trop volatile et complexe pour que le modèle actuel puisse continuer de fonctionner ”

De manière rare pour une indus­trie de ser­vices, où l’innovation est générale­ment (co)conduite par les clients, cette évo­lu­tion a dans l’ensemble été guidée par les pro­fes­sion­nels de la recherche de dirigeants eux-mêmes. 

Dans les deux dernières décen­nies, les entre­pris­es ont surtout mis l’accent sur les com­pé­tences dans le recrute­ment et le développe­ment de leurs tal­ents : ori­en­ta­tion résul­tats, dimen­sion stratégique, capac­ité à col­la­bor­er, etc. 

Les postes ont ain­si été décom­posés en com­pé­tences, elles-mêmes alignées avec la stratégie de l’entreprise dans un « mod­èle de com­pé­tences » spé­ci­fique ser­vant de référen­tiel pour com­par­er dif­férents candidats. 

Schéma d'une organisation collaborative
À l’heure où les mod­èles organ­i­sa­tion­nels hiérar­chiques s’effondrent au prof­it d’organisations plus plates et col­lab­o­ra­tives, les pro­fils des lead­ers changent rapi­de­ment. © SCHUTTERSTOCK.COM

Mais l’entreprise du XXIe siè­cle est trop volatile et com­plexe et le marché des très hauts tal­ents trop restreint pour que ce mod­èle puisse con­tin­uer de fonctionner. 

Depuis plusieurs années, les respon­s­ables en charge du recrute­ment et de la pro­mo­tion des cadres dirigeants ont dû égale­ment se con­cen­tr­er sur le poten­tiel d’évolution, c’est-à-dire la capac­ité pour un indi­vidu de s’adapter aux évo­lu­tions con­stantes de l’activité et de pro­gress­er dans de nou­veaux rôles plus difficiles. 

Plus récem­ment encore, et notam­ment pour les postes de patrons de grandes entre­pris­es, il appa­raît que les out­ils de com­pé­tences et poten­tiel ne suff­isent plus à dif­férenci­er les can­di­dats pour un poste de « numéro un ». La capac­ité à trans­former l’entreprise en pro­fondeur sur des dimen­sions cri­tiques telles que la ges­tion de la com­plex­ité ou de l’innovation, la cul­ture de l’organisation ou la pro­mo­tion des jeunes généra­tions appa­rais­sent discriminantes. 

C’est l’apparition du mod­èle de « lead­er­ship de trans­for­ma­tion ». Il s’agit en fait de mieux iden­ti­fi­er, con­join­te­ment avec les con­seils d’administration et les équipes de direc­tion, les vrais besoins des entre­pris­es en matière de tal­ents : à l’heure où les mod­èles organ­i­sa­tion­nels hiérar­chiques s’effondrent au prof­it d’organisations plus plates et col­lab­o­ra­tives, les pro­fils des lead­ers changent rapidement. 

“ Mieux identifier les vrais besoins des entreprises en matière de talents ”

Les prochaines inno­va­tions ont prob­a­ble­ment un rap­port avec l’utilisation des big data : affin­er l’analyse des paramètres per­me­t­tant de prévoir de manière objec­tive et fiable le suc­cès d’un dirigeant dans un poste. Face à cette com­plex­ité crois­sante, il est prob­a­ble que l’expérience du pro­fes­sion­nel du recrute­ment jouera tou­jours un rôle prépondérant. 

Mais la sophis­ti­ca­tion des out­ils disponibles le pousse vers une remise en ques­tion per­ma­nente de sa valeur ajoutée. 

À l ’heure où les con­seils d’administration et les PDG appa­rais­sent exces­sive­ment seuls pour traiter tous les sujets de ges­tion et pro­mo­tion des tal­ents (jusqu’à leur pro­pre suc­ces­sion) et les inté­gr­er fine­ment dans le sens, la stratégie et l’organisation de leur entre­prise, l’assistance de con­sul­tants expéri­men­tés devient impérative. 

UN EXEMPLE D’INNOVATION :
L’ÉVALUATION DU POTENTIEL

Différents modèles d’évaluation du potentiel existent. Le plus largement utilisé se définit par cinq grands indicateurs. Le premier est la motivation : un engagement indéfectible à exceller dans la poursuite d’objectifs non égoïstes. Les hauts potentiels ont beaucoup d’ambition et veulent laisser une trace.
Viennent ensuite 4 qualités déterminantes : la curiosité, l’envie de rechercher de nouvelles expériences et connaissances, ainsi que la disposition à apprendre et à évoluer ; la perspicacité, la capacité à recueillir et à comprendre des informations complexes qui ouvrent de nouveaux horizons. Ce critère est corrélé à l’ « intelligence » scolaire, mais bien sûr le dépasse largement ; l’engagement, le don d’utiliser les émotions autant que la logique pour communiquer une vision convaincante et tisser des liens. Il faut les deux. Enfin, la détermination : les moyens de se battre pour des objectifs difficiles, malgré les défis, et de rebondir face à l’adversité.
La bonne nouvelle est que ces quatre qualités, à la différence de la motivation, peuvent se travailler et évoluer au fil du temps. Il appartient à chaque individu d’y prêter attention, notamment par ses choix de carrière. Choisir une voie toute tracée vers des postes, des budgets et des effectifs plus élevés favorisera votre développement professionnel mais ne l’accélérera pas. Les rôles divers, complexes, difficiles et peu confortables, oui.

Commentaire

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Guy Le Péchonrépondre
17 septembre 2017 à 15 h 33 min

Impact du numérique sur l’autre face du méti­er du chas­seur de T
Arti­cle tout à fait intéressant. 

Il pour­rait être com­plété par l’é­tude l’im­pact vraisem­blable du numérique sur l’autre ver­sant du méti­er de chas­seur de tête : l’ac­qui­si­tion, la sat­is­fac­tion et la con­ser­va­tion des clients (les dirigeants des entreprises).

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